Ohio

Ohio de Stephen Markley aux Éditions Albin Michel

Traduit de l’américain par Charles Recoursé

” Il est difficile de dire où cela s’achève et même où cela a commencé, car on finit par se rendre compte que la linéarité n’existe pas. Tout ce qui existe, c’est ce lance-flammes délirant, ce rêve collectif dans lequel nous naissons, voyageons et mourons. “

New Canaan, une petite ville de l’Ohio a vu grandir ces quatre trentenaires qui sans le savoir vont se croiser un soir d’été.

Ils étaient camarades au lycée avant de prendre chacun une route vers leur destinée qu’ils osaient rêver prometteuse.

En premier lieu, Bill Ashcraft, ancien activiste humanitaire aujourd’hui toxicomane. Il transporte avec lui un mystérieux paquet qu’il est supposé livrer dans le coin.

” Au- delà de sa mission et de toutes ces conséquences, il n’avait pas été mécontent de fuir quelques jours La Nouvelle-Orléans et sa chaleur nucléaire. Il s’y sentait autant à l’étroit qu’à New Canaan. C’était l’unique leçon qu’il tirait de ses voyages : où qu’on aille, même si tout paraît neuf quand on débarque, au bout du compte c’est toujours les mêmes bars, la même bouffe, les mêmes meufs, la même politique, la même picole, les mêmes drogues, les mêmes emmerdes. “

Puis Stacey Moore homosexuelle, venue rencontrer la mère de son ex-petite amie et également son frère espérant régler ses comptes.

” Même s’il se trouvait encore à plusieurs kilomètres à l’ouest, elle perçut la présence du lycée. Sans avoir besoin de le voir, elle le sentit comme une démangeaison,. Un bloc d’architecture réglementaire dégueulasse, une pièce de Lego avec la petite touche autoritariste des années soixante. Elle était fascinée par le pouvoir du lycée américain sur l’imaginaire collectif. Depuis longtemps elle avait remarqué que les gens considèrent, leurs années de lycée comme une période fondatrice. Il suffisait de les lancer sur le sujet et d’un coup ils avaient plein d’histoires terrifiantes et merveilleuses qui étaient le terreau d’autant de romans.  »

Puis nous croiserons Dan Eaton, ce jeune vétéran qui a laissé un œil en Irak, qui s’apprête à retrouver son amour de jeunesse tout en se raccrochant désespérément à la vie.

 » L’histoire est faite de cycles et nous en sommes le produit, même si nous ne les comprenons pas sur le moment. Cycles de la politique, de l’exploitation, de l’immigration, de l’organisation, de l’accumulation, de la distribution, de la peine, du désespoir, de l’espoir. La grande erreur, se disait Dan, c’est de croire qu’on vit un moment inédit. Mais toute sa vie il avait gardé cette sensation dans la poitrine : le déjà-vu. Comme s’il connaissait déjà ce moment mille ans avant sa naissance et le connaîtrait encore mille ans après sa mort. “

Et enfin Tina Ross, qui a décidé de se venger de celui qui hante son esprit depuis trop longtemps.

 » Désormais elle ne voyait plus New Canaan que par les yeux de Cole : un bled pourri qui ne s’améliorait pas. La nostalgie protégeait le reste.[…] Comment lui expliquer la tristesse de cette ville, ses tragédies. Au moment où elle en était partie, elle avait gravée dans le cœur l’idée d’une malédiction, celle dont toute la ville parlait. […] Quel soulagement ce serait de ne plus avoir tout le temps peur et tout le temps mal . “

Quatre voix, les voix de la jeunesse américaine, une jeunesse meurtrie, désenchantée, qui s’enlise depuis les attentats du 11 septembre, subissant la récession, la montée du prolétarisme et la fin du rêve américain.

Et pourtant chacun d’entre eux ira jusqu’au bout de cette journée pour atteindre le but final.

Ce que j’en dis :

En donnant la voix à quatre personnages, l’auteur nous entraîne à travers des allers retours entre le passé et le présent dans la ville de New Canaan dans l’Ohio, un coin perdu de l’Amérique.

À travers ces quatre portraits qui reflètent tel un miroir la jeunesse américaine assez désœuvrée, une jeunesse en perdition accro à l’alcool. à la drogue, à l’amour et même pour certains à la guerre, l’auteur brouille les pistes, fragmentant les souvenirs pour nous offrir un roman noir grandiose.

Un véritable jeu de pistes, qui en une demi-journée va nous révéler des secrets vieux d’une dizaine d’années.

Ohio est ce qui s’apparente le mieux au grand roman américain.

Un roman ambitieux, qui en impose, par son impertinence, son intelligence, son réalisme face à cette jeunesse déboussolée qui chute après chute a perdu tout espoir de se relever un jour pour enfin s’élever vers l’illusion du rêve américain.

Un premier roman qui marque l’entrée du jeune artiste Stephen Markley dans la cour des grands auteurs américains à suivre absolument.

Pour info :

Né en 1983, Stephen Markley est originaire de l’Ohio.

Il s’impose avec ce premier roman comme un formidable cartographe de l’Amérique contemporaine et de ses fractures, dans la lignée de Jonathan Franzen.

Son roman est en cours d’adaptation télévisée.

Je remercie les Éditions Albin Michel pour cette fresque américaine vertigineuse.

Les dynamiteurs

Les dynamiteurs de Benjamin Whitmer aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par Jacques Mailhos

” Le trou était un tunnel qu’on avait creusé dans le sol de terre battue tout près du mur du fond. On l’avait construit exprès pour ça, pour quand les clochards essaieraient de nous voler l’Usine. Il passait sous le mur, de sorte qu’on pouvait le prendre pour déguerpir en cas de besoin. On n’avait pas l’intention d’abandonner l’Usine sans se battre, mais on n’était pas non plus prêts à mourir pour elle. Y’a pas dans ce monde un seule droit assez sûr pour qu’on puisse s’abstenir de prévoir un plan de fuite. “

En 1895, Denver est sous l’emprise du vice, gangrenée par la pauvreté et la violence sous toutes ses formes.

Cora et Sam deux jeunes orphelins, ont trouvé refuge dans l’Usine désaffectée. Ensemble ils s’occupent des enfants perdus, abandonnés à leurs tristes sorts.

Cette Usine est devenue par la force des choses, leur nouveau foyer.

Malheureusement, cet endroit est convoité par les clochards qui n’hésitent pas à organiser de violentes attaques pour s’approprier le refuge de tous ces orphelins.

C’est au cours d’une de ces tentatives d’invasions que surgit un colosse d’allure plutôt effrayante.

Cora décide pourtant de lui venir en aide malgré les fortes réticences de Sam.

” J’étais pas vraiment sûr qu’aller chercher de l’aide pour ce grand fils de pute sur le toit était une bonne idée. Si vous attrapez un homme fort dans un moment de faiblesse, vous lui tranchez sa putain de gorge. Chaque fois. Vous ne le soignez pas pour qu’il se retape. Vous pouvez être sûr que c’est en mangeant quelqu’un comme vous qu’il a acquis sa force. Mais on discutait pas avec Cora. En plus, essayer de la persuader de ne pas s’occuper des cabossés et des brisés était comme essayer de persuader le soleil de ne pas briller. “

Sam, le seul à savoir lire, se rapprochera pourtant de l’homme-monstre qui semble muet et ne communique qu’à travers des mots griffonnés sur des morceaux de papier.

Très vite, en compagnie du colosse, il va découvrir les bas-fonds de Denver. Projeté en un rien de temps dans ce monde d’adultes répugnants où la violence règne en maître. Il sera à la fois fasciné et effrayé, contraint de s’éloigner de celle qu’il aime…

” Il y a des débuts et il y’a des fins. Mais si vous vivez assez longtemps, vous savez qu’il n’y a pas du tout de vrai début, que tout est seulement le début d’une fin. “

Ce que j’en dis:

Benjamin Whitmer a t’il un secret ?

A-t’il le pouvoir de voyager dans le temps ?

Une chose est sûre, à travers cette épopée noire, qui nous transporte à Denver en 1895, il nous prouve qu’il en est capable.

Benjamin Whitmer l’insoumis de l’Amérique, le rebelle au grand cœur, l’anarchiste fidèle à lui même, poursuit son cheval de bataille pour défendre les laissés pour compte, tous ces oubliés de l’Amérique qui lui sont chers à travers ce nouveau roman noir aux allures de western qui vous dynamite le cœur et vous explose la rétine.

Même s’il nous dépeint la misère, et nous confronte à une violence extrême, enragé contre l’injustice, il n’en oublie pas pour autant de poser un regard tendre, plein d’humanité sur l’amour comme celui que porte Sam pour Cora, prêt à tous les sacrifices pour ne jamais la perdre.

Il nous confère au douloureux passage de l’enfance dans ce monde adulte gangrené par l’alcool, la drogue et la corruption.

Tout comme dans ses précédents romans, sa plume s’habille de noirceur pour mettre en lumière les déshérités de la vie, quitte à paraître brutal mais cruellement réaliste.

Fidèle lectrice je suis, fidèle je resterai depuis ses tous débuts d’écrivain et j’en profite pour remercier au passage son traducteur Jacques Mailhos sans qui je ne pourrais point découvrir cet auteur que j’apprécie tant, tout comme son éditeur qui nous fait profiter de ces récits, souvent avant les américains, of course.

Les misérables de Benjamin Whitmer n’ont rien à envier à la cour des miracles de Victor Hugo, il se pourrait même qu’ils accueillent Quasimodo orphelin lui aussi de son créateur.

Les dynamiteurs confirment le talent de ce jeune auteur qui après seulement quatre romans s’est incrusté avec brio dans le panthéon américain des auteurs à suivre absolument.

La relève est assurée n’en déplaise au blondinet peroxydé.

Pour info :

Benjamin Whitmer est né en 1972 et a grandi dans le sud de l’Ohio et au nord de l’État de New York. Il a publié des articles et des récits dans divers magazines et anthologies avant que ne paraisse son premier roman, Pike, en 2010. Traduit en français en 2012, ce texte a immédiatement séduit tous les amateurs du genre.

 

En 2018, son nouveau roman Évasion paraît en France en avant-première mondiale.

 

Benjamin Whitmer vit aujourd’hui avec ses deux enfants dans le Colorado, où il passe la plus grande partie de son temps libre en quête d’histoires locales, à hanter les librairies, les bureaux de tabac et les stands de tir des mauvais quartiers de Denver.

Je remercie les Éditions Gallmeister pour cette dynamite littéraire explosive.

Ensemble, on aboie en silence

Ensemble, on aboie en silence de Gringe aux Éditions Harper Collins

“ – Moi, je te fais confiance, mais elles, elles sont pas toutes d’accord pour que j’en parle.

– Elles ?

– Les voix que j’entends. […]

Le connaissant, je le sais déjà tiraillé entre la volonté de ne pas trahir ses voix et celle de ne pas me décevoir. Quand à moi, je refuse d’instrumentaliser son affection. Que faire ? Jusqu’ici, j’ai toujours exclu la censure dans mon boulot, ce n’est pas pour me soumettre à la volonté de voix imaginaires ! Je pourrais les inviter à participer… C’est peut-être ça, la clé, les intégrer au processus d’écriture. Oui, mais comment ? Il éprouve déjà tant de mal à m’en parler, comment lui faire accepter l’idée de livrer son secret sur papier.

Deux frères, même père, même mère et pourtant tellement différent. L’un candide et l’autre rageur. Quand l’un fonce, l’autre reste prudent.

En 2001, Thibault est diagnostiqué schizophrène.

Thibault, lui, annonce à notre mère : « J’ai plus envie de vivre. Ça dure encore combien de temps ? »

Guillaume l’accepte mal, et une colère s’installe en lui. Une colère qui va l’éloigner de sa famille et de son frère, envahit d’une culpabilité extrême, se demandant ce qu’il a raté dans son rôle de grand frère protecteur.

Le grand frère malade de son frère malade.

Voilà ce que je suis devenu. ”

De loin, il observe, jusqu’au jour où son besoin de comprendre s’impose, avec une folle envie de reprendre sa place de grand frère.

Aujourd’hui, les dangers du monde qui t’entoure ont changé de nature. Et c’est de toi que j’aimerais te protéger.

Du regard des autres aussi.

Je n’ai pas vraiment été ce qu’on appelle un frangin exemplaire, mais ce Chevalier Lumière de deux ans ton aîné, le même qui filait des coups de pieds aux arbres, ce chevalier-là existe encore. Ça fait dix ans qu’il me souffle de jeter mes forces dans une bataille sans répits à tes côtés. ”

Ce que j’en dis :

N’écoutant pas de rap, j’ai cru que je ne connaissais pas Gringe (de son vrai nom Guillaume Tranchant) mais j’avais fait sa connaissance en tant qu’acteur dans le film d’Olivier Marchal : Carbone, où il jouait au côté de Benoît Magimel, excellent film soit dit en passant.

Je le découvre à présent auteur, dans ce récit qui donne également la voix à son frère.

À travers ce méli-mélo de voix, on découvre une part intime de leur vie, une vie bousculée par la maladie qui tantôt les éloigne l’un de l’autre jusqu’à les réunir enfin.

Un magnifique témoignage, sans fard qui nous transporte avec tendresse dans un univers trop méconnu, souvent mal jugé, et nous permet de mieux comprendre ce que vivent certains.

Un véritable chant d’amour de deux frères qui prennent des chemins de traverse pour exprimer la folie.

Un livre touchant où les mots tentent d’apaiser les maux.

Pour info :

Gringe est rappeur, en solo ou en duo avec Orelsan et les Casseurs Flowters. Également acteur comme dans la série Bloqués, ou dans le films, Comment c’est loin, et Carbone. Et à présent auteur.

Je remercie l’agence “ Un livre à soi  » et les Éditions Harper Collins pour cette découverte.

Ce lien entre nous

Ce lien entre nous de David Joy aux Éditions Sonatine

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Fabrice Pointeau

J’aurais de la chance s’il essayait juste de s’en prendre à moi, reprit Darl. Mais le connaissant, sachant ce qu’il a fait, toi et moi on sait que ça ne s’arrêterait pas là. Je parie qu’il s’en prendrait à ma mère , à ma petite sœur, à ma nièce, à mes neveux, à tous ceux sur qui il pourrait mettre la main. Cet enfoiré est assez cinglé pour déterrer les os de mon père juste pour y mettre le feu. ”

En Caroline du Nord, on ne roule pas forcément sur l’or, comme c’est précisément le cas de Darl Moody qui vit dans un mobile home sur l’ancienne propriété de sa famille. Alors de temps en temps pour remplir un peu le congélateur, histoire de mettre un peu de beurre dans les épinards, il braconne, espérant tomber sur le cerf qu’il convoite depuis un moment.

Mais hélas ce fameux soir, dans son élan, emporté par son rêve, ce n’est pas un cerf qu’il abat d’un coup de fusil mais un homme.

Lorsqu’il se rend compte de son erreur, c’est double peine, car même si c’est un accident, le frère du défunt ne vas pas laisser passer cette balle perdue. La réputation de cette homme est bien connue, c’est le mal à l’état pur.

Alors il se tourne vers Calvin , son meilleur ami pour tenter de trouver une solution, histoire de gagner un peu de temps face au destin noir qui l’attend c’est certain.

“ S’il se confessait, il ne serait pas le seul à payer. Sa conscience serait lavée, mais ce seraient les personnes qu’il aimait le plus qui souffriraient. Porter lui-même le fardeau avait donc commencé à sembler la solution la plus honorable. Sacrifier une personne au profit de nombreuses autres. ”

Ce que j’en dis :

Troisième roman noir que je découvre de David Joy, tous publiés chez Sonatine et traduit par Fabrice Pointeau, et une fois de plus je suis sous le charme.

Je retrouve cette noirceur abyssale, qui lui sied tant et je savoure ce roman sombre illuminé par une écriture aussi éblouissante que cette nature luxuriante des Appalaches.

Ici la rédemption prends des chemins de traverse et nous entraîne dans une traque cruelle qui laisse peu d’espoir au devenir de chacun.

Les Appalaches, David Joy les connaît bien, il y vit. Pas étonnant qu’il soit aussi brillant pour nous conter cette nouvelle histoire.

Ces personnages il les connaît aussi, très certainement de près ou de loin et cette fois il nous entraîne encore plus loin vers l’origine du mal,

Ce lien entre nous qui justifie autant l’amitié ou l’amour pour certains que la haine pour d’autres. Unis à jamais, pour le meilleur mais aussi pour le pire.

David Joy confirme son immense talent d’écrivain avec cette nouvelle excursion littéraire dans les Appalaches où la violence des hommes se répercute tel un écho à travers la montagne et claque à chaque coup de fusil. Mais on peut compter sur son amour de la nature pour nous offrir une escapade éblouissante même si la noirceur s’invite très souvent dans le paysage.

Ne reportez pas trop longtemps la lecture de ce fabuleux roman qui s’est déjà fait attendre suite à cette pandémie planétaire. Faites lui l’accueil qu’il mérite et qui confirme pour ma part Ce lien entre nous.

David Joy et Dealerdelignes, liés à jamais et pour toujours.

David Joy et Dealerdelignes

Retrouvez ma chronique Là où les lumières se perdent ici et Le poids du monde , de beaux bijoux de la littérature américaine.

Pour info:

David Joy est né en 1983 à Charlotte, en Caroline du Nord.

Titulaire d’une licence d’anglais obtenue avec mention à la Western Carolina University, il y poursuit naturellement ses études avec un master spécialisé dans les métiers de l’écrit.

Il a pour professeur Ron Rash, qui l’accompagnera et l’encouragera dans son parcours d’écrivain.

Après quelques années d’enseignement, David Joy reçoit une bourse d’artiste du Conseil des arts de la Caroline du Nord.

Son premier roman, Là où les lumières se perdent, remporte un franc succès et est finaliste du prix Edgar du meilleur premier roman en 2016.
David Joy vit aujourd’hui à Webster, en Caroline du Nord, au beau milieu des Blue Ridge Mountains, et partage son temps entre l’écriture, la chasse, la pêche et les travaux manuels.

Je remercie les Éditions Sonatine pour cette magnifique échappée livresque américaine.

Le lièvre d’ Amérique

Le lièvre d’Amérique de Mireille Gagné aux Éditions La Peuplade

Encore le même cauchemar. Diane sursaute et ouvre les yeux, aussi anxieuse que la veille. Quelqu’un l’a poursuivie toute la nuit. Elle se remémore un chemin touffu. L’hiver. Des branches de sapin lui frôlant le visage. Il fait froid, mais elle ne le ressent pas vraiment. Ou très peu. Un cri étrange. Comme celui d’un enfant perdu en forêt. Ou était-ce le sien ? La scène fuit devant la réalité. D’un claquement de doigts. Son appartement se superpose au rêve. “

Diane est ce qui pourrait s’apparenter le mieux à une employée modèle. Une véritable acharnée du travail qui ne compte pas ses heures. Mais depuis quelques temps, elle ressent d’étranges sensations même si cela ne l’empêche pas de se surpasser au travail comme à son habitude, elle ne peut pas faire taire les inquiétudes qui l’envahissent face aux regards que lui portent ses collègues. Et si l’intervention chirurgicale qu’elle venait de subir y était pour quelque chose ?

” Dans l’exaltation de son retour, elle ne remarque pas que ses collègues l’examinent attentivement de la tête aux pieds. À l’affût du moindre changement. La moindre faille. Un rien démarre une rumeur. Ils notent une certaine agitation dans ses mouvements, par saccades. Une manière inhabituelle de bouger les yeux. Aussi, son port de tête est plus reculé, et ses lèvres sont étrangement serrées par- dessus ses dents. Plusieurs minimes changements l’animent, comme si, pendant sa brève absence, quelqu’un d’autre s’était immiscé dans son corps. “

Des souvenirs resurgissent du passé. Quinze ans plus tôt, pendant son adolescence à l’Isle-aux-grues , elle avait fait connaissance avec un jeune homme fasciné par les espèces en voie d’extinction. Une rencontre marquante qu’elle n’a jamais complètement oublié.

” J’ai su qu’on deviendrait plus que des amis.

Tu n’étais pas comme tout le monde. “

Et si tout ceci était lié ?

Ce que j’en dis :

Le lièvre d’ Amérique sort des sentiers battus c’est le moins que l’on puisse dire.

Il a franchit les frontières pour nous permettre de découvrir son histoire atypique.

D’un chapitre à l’autre, le lièvre d’Amérique bondit et nous embarque dans une fable contemporaine adaptée librement par Mireille Gagné d’une histoire algonquienne, où l’on découvre les origines de Nanabozo.

Impossible de ne pas être sous le charme de ce récit qui tout en gardant une part de mystère nous fait rêver à travers ce comte original et poétique.

Un véritable plaisir pour les sens qui se réveillent avec une folle envie de filer au Canada, pour suivre les traces de ce lièvre à travers cette nature où l’on pourrait se perdre pour oublier toute cette effervescence qui bouscule notre quotidien.

Liberté quelque peu retrouvée, mais toujours avec quelques barrières étant donné le climat actuel, il fait bon de croiser ce genre de livre sur notre route littéraire, de laisser les plumes canadiennes nous permettre de formidables évasions grâce notamment à cette maison d’éditions La peuplade, qui nous offre à petit prix des voyages extraordinaires et nous permet de rencontrer des auteurs remarquables.

Alors sortez votre collet, filez en librairie et n’hésitez pas à piéger ce lièvre d’Amérique, vous ne pouvez pas le rater, sa couverture est magnifique.

Même s’il est plutôt malicieux :

Pour info :

Mireille Gagné est née à l’Isle-aux-Grues et vit à Québec.

Depuis 2010, elle a publié des livres de poésie et de nouvelles. 

Le lièvre d’Amérique est son premier roman.

Je remercie l’agence Trames et les Éditions La peuplade pour ce voyage poétique dépaysant .

Qui sème le vent

Qui sème le vent de Marieke Lucas Rijneveld aux Éditions Buchet . Chastel

Traduit du néerlandais (Pays-Bas) par Daniel Cunin

” Malgré la douleur et la petite décharge électrique qui traverse mon corps, je réprime mes larmes. Pleurer sur mon sort et ne pas pleurer Matthies , ce ne serait pas juste. Il ne m’en coûte pas moins un sacré effort. Suis-je en train de devenir aussi fragile que le service de maman ? Va-t-il falloir qu’on m’enveloppe dans des journaux quand je me déplace au collège ? Montre-toi solide, je me chuchote à moi-même. Sois solide. “

Juste avant Noël, après avoir fait un vœux qui va par la suite lui apporter une montagne de chagrin et de culpabilité, Parka, une jeune fille de 10 ans perd son frère.

La vie n’était déjà pas facile à la ferme pour cette famille de paysans, protestante, stricte et pieuse, mais depuis ce drame tout semble partir à vau – l’eau.

Leur religion leur interdisant tout épanchement, cette famille perclus de douleur se renferme portant le deuil comme une malédiction qu’elle semble avoir méritée.

[…] le sourire de papa se dissout dans la peau de son visage jusqu’à tout à fait disparaître. Il y a des gens dont le sourire reste visible, y compris lorsque la tristesse les habite. Aucune main, on observe le phénomène inverse. Ils ont l’air triste y compris quand ils sourient, à croire qu’une main a posé demi-carré à la commissure de leurs lèvres puis tracé deux lignes obliques vers le bas.

– Les morts, on n’en parle pas, on se les remémore.

À travers la voix de Parka, nous plongeons au cœur de cette tragédie familiale, accompagnant jour après jour leurs souffrances.

” Entre mes cils, je zieute papa, il a les joues mouillées. S’agit-il de prier, non pour les produits de la nature, mais pour la récolte du village, c’est à dire pour que les enfants d’ici deviennent grands et forts ? Papa se rends compte qu’il ne s’intéresse guère à ses champs, qu’il en a même laissé un disparaître sous les eaux. En plus de nourriture et de vêtements, les enfants ont besoin d’attention. Ce que papa et maman semblent oublier de plus en plus. “

Ce que j’en dis :

Douloureuse est le premier mot qui me vient à l’esprit après cette lecture. Car si j’ai été admirative devant la plume de cette jeune auteure qui vient de recevoir l’international Booker Prize pour ce premier roman à l’âge de vingt-neuf ans, j’avoue avoir eu beaucoup de mal à m’attacher à ce récit habité par tant de désolation.

Terriblement anxiogène, cette histoire bouleversante m’a submergé de désespoir, et m’a lecture est devenue laborieuse, j’avais hâte de quitter cette famille tant leur chagrin m’envahissait insidieusement.

J’en ressors du coup quelque peu mitigée tout en étant consciente d’avoir entre les mains un roman atypique, rude, âpre, avec le pressentiment que Qui sème le vent récoltera de nombreux lauriers.

Difficile de disserter davantage, mais cette dose d’encre si noire soit-elle fera beaucoup parler d’elle c’est assuré.

Pour un premier roman c’est assez épatant.

Une jeune auteure qui possède une plume extraordinaire, très prometteuse, à suivre c’est certain.

Pour info :

Marieke Lucas Rijneveld, 29 ans, a grandi dans une famille protestante aux Pays-Bas, et vit aujourd’hui à Utrecht.

Ce prodige des lettres néerlandaises, célèbre pour ses recueils de poésie, travaille dans une ferme et se consacre à l’écriture.

Je remercie les Éditions Buchet.Chastel pour cette découverte surprenante.

Jazz à l’âme

Jazz à l’âme de William Melvin Kelley aux Éditions Delcourt

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Éric Moreau

En plus d’être black, Ludlow Whashington est aveugle. Et lorsque qu’il atteint l’âge de cinq ans, il sera abandonné par sa famille dans un institut pour aveugles.

À peine arrivé, il comprend que vivre ici sera difficile.

Endurant quotidiennement des mauvais traitements, il sera épargné grâce à ses prodigieux talents de musicien.

Il quitte l’institut à ses seize ans pour rejoindre un orchestre qui se produisait dans un café à New Marsails.

« Il joue comme un Dieu, ce soir ! Il a le swing dans la peau ce petit ! »

N’ayant pas du tout été préparé à ce qui l’attend dans le monde, il découvre la vie à tâtons.

Malgré tout, il devient rapidement un pionnier du Jazz et part très vite à la conquête des scènes New-yorkaises, devenant une véritable icône.

” – On racontait que j’avais débarqué à New-York et que j’aurais inventé le jazz moderne. “

Quelques années, après la guerre, il quitte les orchestres et forme son premier groupe.

” L’un dans l’autre, ça s’est plutôt bien passé, pendant un temps… “

Mais la musique ne suffit pas à combler tous les manques et très vite ses démons intime le rattrapent.

Blessé à jamais par son enfance volée, meurtri par les trahisons amoureuses, Ludlow perd pieds, et craque en pleine représentation…

” J’ai pas honte du tout. J’ai disjoncté. En fait, j’ai craqué plusieurs fois. “

Le rideau tombe, la gloire s’en est allée, seuls les connaisseurs se souviendront.

Ce que j’en dis :

Roulement de tambour depuis l’annonce du deuxième roman de William Melvin Kelley publié aux Éditions Delcourt, à qui l’on doit une profonde reconnaissance pour nous permettre de découvrir ce formidable auteur oublié de la littérature américaine jusqu’à présent.

Depuis ” Un autre tambour “ (ma chronique ici), j’attendais patiemment Jazz à l’âme, afin de retrouver ce conteur d’histoire qui n’hésite pas à dénoncer les ravages de la ségrégation aux États-Unis.

À travers ce récit, présenté de manière originale en introduisant au début des nouveaux chapitres des extraits d’interviews, on suit le parcours de Ludlow, notre Jazzman le personnage central, depuis son enfance jusqu’à sa vie d’adulte.

Manquant cruellement d’éducation après avoir grandi à l’orphelinat, Ludlow, malheureusement aveugle, découvre à tâtons la vie, accompagnée de sa précieuse musique, dont il espère qu’elle lui ouvrira des portes et le tiendra éloignée de la rue.

Un homme blessé par son douloureux passé, qui s’accroche à sa musique comme une bouée de sauvetage, gardant l’espoir de rencontrer un jour une femme aimante, malgré ses nombreuses déceptions.

Souvent touchant, parfois détestable, l’histoire de cet homme ne peut laisser indifférent face à cette vie tourmentée et cette double injustice à gérer due à son handicap et sa couleur de peau.

Une histoire bouleversante portée par une plume élégante, sans pathos, sans longueur allant à l’essentiel tout en nous offrant un récit intense que l’on quitte les larmes aux yeux, le Jazz à l’âme.

Pour info :

Né à New York en 1937, WILLIAM MELVIN KELLEY a grandi dans le Bronx. Il a 24 ans lorsque paraît son premier roman, Un autre tambour, accueilli en triomphe par la critique.

Comment ce jeune auteur, promis à une brillante carrière, a-t-il disparu de la scène littéraire ? Une décision consciente : la réponse est contenue dans son premier roman en quelque sorte.

En 1966, il couvre le procès des assassins de Malcom X pour le Saturday Evening Post, ce qui éteint ses derniers rêves américains. Anéanti par le verdict, il regagne le Bronx par la West Side Highway, les yeux pleins de larmes et la peur au fond du cœur. Il ne peut se résoudre à écrire que le racisme a encore gagné pour un temps, pas maintenant qu’il est marié et père.

Quand il atteint enfin le Bronx, sa décision est déjà prise, ils vont quitter la «Plantation», pour toujours peut-être. La famille part un temps pour Paris avant de s’installer en Jamaïque jusqu’en 1977.

William Melvin Kelley est l’auteur de quatre romans dont Dem (paru au Castor Astral en 2003) et d’un recueil de nouvelles. En 1988, il écrit et produit le film Excavating Harlem in 2290 avec Steve Bull. Il a aussi contribué à The Beauty that I saw, un film composé à partir de son journal vidéo de Harlem qui a été projeté au Harlem International Film Festival en 2015.

William Melvin Kelley est mort à New York, en 2017.

Je remercie infiniment les éditions Delcourt pour cette nouvelle pépite littéraire.

Betty

Betty de Tiffany McDaniel aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par François Hoppe

” Betty, moi, ma modeste personne. Je suis née en 1954 dans une baignoire vide à pieds de griffon dans l’Arkansas. Quand Maman a perdu les eaux, sur le siège des toilettes, l’endroit le plus proche où elle pouvait s’allonger était la baignoire. Au risque de rendre Flossie folle de jalousie, j’ai été nommée Betty en hommage à Bette Davis. “

Permettez moi de vous présenter Betty.

Betty n’est pas une fille comme les autres, c’est une petite princesse Cherokee.

Elle vit avec son père Cherokee, sa mère blanche et ses frères et sœurs, dans une vieille maison dans l’Ohio, située dans la petite ville de Breathed.

Betty ne peut renier ses origines indiennes et son père très fière la berce de belles histoires sur ses ancêtres, lui transmettant jour après jour tout son savoir.

” Flossie a mis sa main en l’air derrière sa tête comme si c’était une plume.

– Tu es une Cherokee aussi, espèce d’idiote, lui ai-je fait remarquer en lui pinçant le bras.

– Oui, mais toi, ton problème c’est que t’as vraiment l’air d’en être une, a-t-elle rétorqué en me pinçant aussi. “

Betty grandit entourée des siens, de l’amour immense de son père qui compense quelque peu la froideur de sa mère.

” Je ne voulais pas croire en l’existence d’un mauvais sort qui aurait été jeté sur la maison ou sur nous. Pas après tout le travail que nous avions accompli. […] Plus tard, avec la chaleur, le bois allait se dilater, racontant sa propre histoire. “

De douloureux secrets de famille se dévoilent peu à peu, alors Betty apaise sa douleur à travers l’écriture. Elle noircit des pages et des pages pour affronter le monde, qu’elle enfouit ensuite en secret, espérant pouvoir un jour nous raconter toute cette histoire.

” En fait, nous nous raccrochions comme des forcenées à l’espoir que la vie ne se limitait pas à la simple réalité autour de nous. Alors seulement pouvions-nous prétendre à une destinée autre que celle à laquelle nous nous sentions condamnées.

[…]

Ce serait tellement plus facile si l’on pouvait entreposer toutes les laideurs de notre vie dans notre peau – une peau dont on pourrait ensuite se débarrasser comme le font les serpents. Alors il serait possible d’abandonner toutes ces horreurs desséchées par terre et poursuivre notre route, libérée d’elles. “

Ce que j’en dis :

L’auteure Tiffany McDaniel, n’est autre que la véritable fille de Betty, et c’est en s’inspirant de son histoire qu’est né ce roman bouleversant.

À travers la voix de Betty, on s’immisce au cœur de cette famille qui semble poursuivie par une malédiction, transmise d’une génération à l’autre.

La famille de Betty n’est pas épargnée, le bien côtoie le mal, l’amour flirte parfois avec la haine, les cauchemars s’invitent dans les rêves, une vie faite de joie et de tourmente, un pied au paradis l’autre en enfer.

Mais lorsque la poésie s’invite dans le paysage, les mots et la nature s’unissent, apportant apaisement, et réconfort suprême.

Dans cette Amérique profonde, Betty garde enfouis ses secrets, et notre petite sauvageonne tente de survivre dans ce monde civilisé qu’elle a bien du mal à supporter.

Jusqu’au jour où son départ sera inévitable…

” – Tu dois t’envoler de ce livre en feu. “

Betty ma nouvelle héroïne a rejoint Turtle ” My absolute Darling ” et voyage en ”Sauvage“ avec Tracy, dans ma mine de souvenirs d’Amérique. Mais soyez certain qu’elle n’hésitera pas à faire un détour par votre bibliothèque pour faire connaissance avec vous et vous présenter sa famille à travers ce roman magnifique, puissant, absolument bouleversant, qui vous donnera envie de retrouver la plume de son auteure et de son premier roman ” L’été où tout a fondu  » Ma chronique ici, bientôt disponible dans la collection Totem.

Pour info :

Tiffany McDaniel  vit dans l’Ohio, où elle est née.

Son écriture se nourrit des paysages de collines ondulantes et de forêts luxuriantes de la terre qu’elle connaît.

Elle est également poète et plasticienne.

Son premier roman, ” L’été tout a fondu“, est à paraître aux Éditions Gallmeister.

Je remercie les Éditions Gallmeister pour cette rencontre inoubliable avec Betty, nouvelle héroïne de la maison ♥️