Miss Joséphine

Miss Joséphine de Margaret Wilkerson Sexton aux Éditions Actes Sud

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Laure Mistral

« Toutes les femmes qui sont venues avant toi sont à tes côtés, elles te soutiennent, elles ont te guider jusqu’au bout. ”

2017, à la Nouvelle-Orléans, Ava une jeune femme métisse de 34 ans, mère célibataire, emménage avec son fils King, chez sa grand-mère paternel, une femme blanche très fortunée d’un âge avancé et à la santé délicate.

Sa mère Gladys, n’est pas très à l’aise avec cette idée, et préfère encourager Ava sa fille à rester méfiante.

Ava, découvre jour après jour selon les humeurs de sa grand-mère, son caractère et le racisme qui l’habite toujours. Et ce n’est pas le portrait de Joséphine son arrière-grand-mère qui ne l’a quitte pas qui lui dira le contraire, lorsque le don particulier que possède les femmes de cette famille se manifeste.

Le passé se confronte au présent, jamais il ne meurt et montre à quel point l’inégalité entre les blancs et les noirs perdure.

“ Je m’éclaircis la gorge et pose la tête sur l’oreiller. C’est dur de regarder en arrière. Même si près de la mort, je préfère encore regarder devant moi. ”

Avec talent, Margaret Wilkerson Sexton nous fait voyager à travers trois époques, et trois voix féminines unies par les liens familiaux, qui tentent chacune à leur manière et selon l’époque et les épreuves qu’elles traversent de se construire une identité, confrontées à la ségrégation depuis plus de 150 ans.

Une nouvelle plume américaine qui nous entraîne avec enchantement d’une génération à l’autre, révélant l’importance de l’héritage familial, de sa transmission, pour qu’un jour l’espoir de liberté et d’égalité ne soit plus uniquement qu’un rêve.

Plus bas dans la vallée

Plus bas dans la vallée de Ron Rash aux Éditions Gallimard

Collection La Noire

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Isabelle Reinharez

Plus bas dans la vallée, la forêt est sur le point de disparaître laissant derrière elle un aspect vérolé, sans âme, les animaux ayant fuit cet endroit de désolation, chacun à sa suite…

“ Dans un marais on pouvait couper les arbres tout en sachant que des poissons continueraient à nager là où il y avait des arbres, et puis sur leurs souches on voyait des grenouilles, des tortues boites et des oiseaux. Mais ici les souches pâles donnaient à la terre un aspect vérolé, comme si elle était infectée par une horrible maladie. Une maladie qui tuait aussi l’ensemble des animaux, parce que Quince n’avait vu ni lapin, ni cerf, ni oiseau dans le secteur qu’ils avaient déboisé. ”

Serena est de retour et semble vouloir en finir avec cet endroit pour retrouver le Brésil, pour de nouvelles forêts à exploiter, à détruire…

Plus bas dans la vallée, les appalachiens tentent de garder la tête hors de l’eau, tant les conditions de vie sont devenus difficiles.

La forêt disparaît et pourtant l’horizon reste toujours aussi obscur pour ces hommes et ces femmes.

Mais malgré tout on s’entraide par ici, pour le meilleur comme pour le pire.

“ Nous nous en sortirons ensemble, mais cela allait de soi. Ils étaient voisins. ”

C’est comme à Vegas, tout ce qui se passe plus bas dans la vallée reste plus bas dans la vallée, et pour ceux qui réussiront à la quitter, ils n’oublieront jamais être passé par-là, ils n’oublieront pas à quel point ils lui sont redevable, mais encore faut-il réussir à partir…

Car il est bien difficile de quitter ces Appalaches si chères au cœur de Ron Rash qui nous en donnent des nouvelles à travers six histoires qui reflètent bien l’ambiance de cette contrée et les conditions de vie de ces oubliés de l’Amérique qu’elles soient du passé ou du présent.

Et pour ceux qui oseront s’aventurer sur ces terres avec de mauvaises intentions, ce sera à leur risque et péril.

Ron Rash nous ouvre une nouvelle fenêtre sur son territoire, nous laissant poser un regard sur ces habitants, partageant ses inquiétudes face à la destruction humaine et au changement climatique avec une bonne dose d’humour noir et un style poétique qui lui sied si bien.

Un territoire qu’il connaît bien et qui l’habite jusqu’au bout de sa plume.

Un territoire que l’on quitte à regret en espérant d’autres nouvelles de cet acabit, en attendant la suite de Serena (le roman paru en 2011) qui s’annonce déjà spectaculaire, vu la première nouvelle, il ne peut en être autrement.

Lisez-le vous comprendrez.

La cité des nuages et des oiseaux

La cité des nuages et des oiseaux d’ Anthony Doerr aux Éditions Albin Michel

Collection Terres d’Amérique

Traduit de l’américain par Marina Boraso

“ Étranger, qui que tu sois, ouvre ceci et tu apprendras des choses stupéfiantes. ”

En commençant ce roman, un beau pavé de quasiment 700 pages j’étais loin d’imaginer que j’allais découvrir un tel chef-d’œuvre, même si le bandeau me le promettait.

J’étais loin d’imaginer que l’auteur allait me faire voyager à travers le temps, passant de Constantinople au quinzième siècle, à l’Amérique des années cinquante, rejoignant parfois un vaisseau spatial dans le futur au vingt-deuxième siècle, ou encore de nos jours dans l’Idaho au cœur d’une bibliothèque.

“ Tant de mots ! Il faudrait sept vies pour les apprendre tous. […] elle ne cesse de reproduire les lettres sur les milles feuillets vierge de son esprit. À chaque signe correspond un son, associer les sons revient à former des mots, en associant les mots on finit par bâtir des univers. ”

J’étais loin d’imaginer comment ce récit allait m’emporter dans un labyrinthe d’histoires en compagnie de personnages plus attachants les uns que les autres, sans jamais, oui jamais me perdre, sans jamais me lasser bien au contraire .

J’étais loin d’imaginer avoir entre les mains, un roman aux multiples facettes, à la fois roman historique, roman de science-fiction, roman touchant a l’univers fantasy, mais également une fiction contemporaine et un éco-thriller, oui vraiment je m’attendais à tout mais pas à tant de richesse littéraire au sein d’un seul livre.

« Je sais pourquoi les bibliothécaires t’ont lu ces vieilles histoires : si elle sont bien racontées, celui qui les écoute reste en vie aussi longtemps que dure le récit. »

Oui vraiment j’étais loin d’imaginer avoir de l’empathie pour Seymour Stuhlman, cet éco-terroriste, avoir tant d’admiration pour Anna qui s’applique à retranscrire des symboles pour sauvegarder des textes mystérieux, loin d’imaginer le pire pour Konstance coincé dans ce vaisseau spatial, ou encore trembler pour Zeno Ninis et ses élèves en pleine répétition théâtrale…

J’étais loin d’imaginer, qu’un unique livre, était capable de voyager à travers le temps pour relier entre eux toute cette foule de personnages.

“ Près de le fenêtre, un livre bleu au dos usé repose sur la table de nuit. L’illustration de couverture montre un ballet d’oiseaux parmi les tours serrées d’une ville. Une cité en lévitation sur un banc de nuages. ”

Loin d’imaginer qu’un auteur que je découvrirais enfin allait me conter une si belle et si enrichissante histoire.

“ Anna est parcouru de frissons, sidérée par la familiarité de ce qu’elle vient de lire. Une cité dans les nuages. Un âne devant la mer. Un récit qui contient la totalité du monde. Et même les mystères qui de trouvent au-delà. ”

Un livre, au cœur de l’histoire qui fait battre à l’unisson le cœur de nombreux lecteurs comme il a fait battre le cœur des hommes et des femmes présents entre ces pages, à travers le monde, à travers les siècles.

Anthony Doerr est un véritable génie, un conteur hors pair, un véritable orfèvre, créateur d’un bijou littéraire d’exception à lire absolument, à offrir expressément à tous les amoureux des grands livres.

« Un reposoir, dit-il enfin. Tu connais ce mot ? Un lieu de repos . Un texte – un livre –, est un lieu de repos pour les souvenirs de ceux qui ont vécu avant nous. Un moyen de préserver la mémoire après que l’âme a poursuivi son voyage. »

Partez à la découverte de La cité des nuages et des oiseaux pour qui sera, je vous le promet, une des plus belles lectures de votre vie et qui vous rappellera à quel point les livres et leur transmission sont on ne peut importantes et vitales tant leurs pouvoirs sont immense.

Napalm dans le cœur

Napalm dans le cœur de Pol Guasch aux éditions La Croisée

Traduit du catalan par Marc Audi

“ Tout baignait dans une puissante lumière phosphorescente le matin où nous trouvâmes des cercles de poissons flottant sur l’eau et des nuées d’oiseaux au sol, réunis une dernière fois pour mourir ensemble. Ce fut le jour d’après. Il y avait d’abord eu une détonation très forte, la lumière avait jailli de l’Usine et avait voilé le ciel, et puis le silence. Un silence implacable, invisible. “

Sur un territoire inconnu, une guerre mystérieuse a éclaté contaminant l’air ambiant.

À la suite de ce jour maudit, les habitants se retrouvent confinés chez eux.

“ Le mal du monde est déjà fait. ”

Une nouvelle langue apparaît.

“ Ils parlaient la langue qu’ils voulaient qu’on parle et que nous ne parlions pas. ”

Et au milieu de ce chaos la naissance d’un amour interdit.

“ Sa façon de m’aimer, parfois, m’effraie. Lui est brutal, et moi je me laisse seulement emporter par ce qu’il me fait, par sa façon de me serrer dans ses bras, de me balloter, de me faire monter, descendre, de me faire tourner et de me mettre face à lui. Tous deux en sueur et en silence. ”

Pol Guasch nous plonge dans une dystopie hors norme où la poésie s’invite au milieu du chaos, où certains se raccrochent à l’amour par effraction pour croire encore au lendemain espérant fuir la solitude et cette ambiance mortifère.

Un récit non linéaire, fragmenté entre passé et présent vers un futur incertain.

Un récit court, qui avance comme un compte à rebours vers demain, le premier jour du reste de leurs vies.

Une échappée livresque à la fois brutale et lyrique, où l’amour semble être le seul espoir de survie pour ce jeune homme confronté au déclin du monde.

Napalm dans le cœur risque d’éblouir de nombreux lecteurs pour qui saura apprécier le style singulier de Pol Guasch.

“ Je pense parfois que je prends des notes sur l’avenir, comme en ce moment précis. Je me dis que face à l’incompréhension, au moins les mots resteront. Quelqu’un pourra les saisir. Je tente à ma façon de conserver ce qui reste. ”

Crossroads

Crossroads de Jonathan Franzen aux Éditions de l’olivier

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Olivier Deparis

En parfaite harmonie avec la météo, de la région, la communauté de New Prospect une banlieue cossue de Chicago subit d’importantes perturbations. Les habitants semblent en pleine crise existentielle des plus jeunes au plus anciens, personne n’est épargnée.

À la veille de Noël ce n’est guère réjouissant.

Alors que la guerre fait rage au Vietnam, la contestation s’étend, les enfants s’émancipent, la drogue fait son apparition et s’installe dans les vies, la musique s’encanaille, les hommes et les femmes s’avancent vers une nouvelle libération sexuelle.

Nous sommes en 1971, et les prochaines années s’apprêtent à connaître de grands changements.

Les grands changements, Jonathan Franzen semble les avoir bien connu pour nous offrir ce tableau de l’Amérique des années 70, à travers la famille Hilldebrandt de religion chrétienne habitant la banlieue de Chicago.

Crossroads, premier tome d’une trilogie, qui nous permet de faire connaissance avec ce lieu et cette communauté où chaque famille d’un prime abord parfaite se révèle pleine de défauts une fois que l’on pénètre leur intimité.

Un véritable kaléidoscope des vies américaines où le passé alimente le présent mettant à nues les failles qui conduiront inévitablement vers la fracture.

Jonathan Franzen réussi comme toujours à se glisser dans la peau de ses personnages, dans leur intimité avec humour quand cela s’avère nécessaire, et toujours avec beaucoup d’empathie, à travers une famille, son thème de prédilection favori, là où parfois se côtoient l’amour et la haine, les vérités et les secrets, les affinités mais également les rancœurs.

Qu’on aime ou pas, faut bien reconnaître tout de même qu’il se défend bien cet écrivain américain pour sonder l’âme humaine.

J’attends la suite maintenant…

Les marins ne savent pas nager

Les marins ne savent pas nager de Dominique Scali aux Éditions La peuplade

“ Nous vivions sur une île où tous dépendaient de la mer, où même les terriens se vantaient d’être marins. Et pourtant personne ne savait nager. ”

Embarquer auprès de marins qui ne savent pas nager, cela peut paraître périlleux de prime abord et pourtant…

Page après page, vague après vague, cette aventure maritime vous réservera une multitude de surprises, une véritable pépite littéraire, un vrai trésor de pirates, belle trouvaille des éditions La peuplade.

“ Ys est une île, Ys est unique. ”

Unique en son genre comme ce roman, et ses personnages notamment Danaé, qui possède un don, étant la seule à savoir nager, véritable héroïne qui fera couler beaucoup d’Ancre à l’orthographe différente…

“ On nous dit qu’elle a été enfant du rivage, naufrageuse sans scrupules, secoureuse sans limites, fille de pilotes, mère d’orphelins, héritière d’une arme dont elle ne sut jamais se servir à temps. ”

Véritable OLNI, porté par une plume extraordinaire pour nous conter le destin peu ordinaire de ces Issois.

“ – Quoi, t’aimes point les épaves ? Toute bonne chose vient d’abord d’une épave. À chaque naufrage, ses débris. À chaque mort, ses soulagements. À chaque fléau, ses réformes. À chaque guerre, ses médailles. ”

Et pour qui saura lire entre les lignes découvrira que même sur Ys, la caste des privilégiées sévit également comme chez nous loin du rivage.

“ Car il ne suffit pas de savoir se mouiller pour être issois ni d’avoir vu le jour du bon côté de la muraille. Encore faut-il se tenir du bon côté de l’histoire. ”

Vous en dire plus serait gâcher cette chasse au trésor, qui immanquablement vous emportera vers une aventure maritime peuplée d’amour et d’amitié, de sirènes et de pirates, de combat et de survie, tantôt salées, tantôt sucrées, parfois amères, cruelles, où certaines tempêtes sont nécessaires pour apporter ensuite un arc en ciel de douceur au milieu du chaos.

Et vous dire que 🎶🎶🎶 Dès que le vent soufflera, je repartira, dès que les vents tourneront, nous nous en allerons…. Retrouver Danaé et même si Les marins ne savent pas nager, ils ne méritent pas de finir noyer dans les flots de la rentrée littéraire, mais méritent d’être hissés en haut des podiums, telle la grand voile d’un navire, tant cette aventure est extraordinaire.

Sortez des sentiments battus, partez à la découverte d’Ys, une île qui vous laissera des souvenirs impérissables, un voyage inoubliable All inclusive pour la modique somme de 24€, à ce prix là ça ne se refuse pas.

Dernière nuit à Soho

Dernière nuit à Soho de Fiona Mozley aux Éditions Joëlle Losfeld

Traduit de l’anglais par Laetitia Devaux

“ – Nous sommes réunies ici ce jour pour un sujet très important. Décider de quelle manière nous pouvons protéger à la fois nos logements et notre source de revenus. Les deux sont en danger. Si nous devons quitter Soho, qu’allons-nous devenir ? ”

Dans un quartier populaire de Soho, un vieil immeuble est dans le collimateur d’Agatha Howard, une riche héritière qui aimerait bien pouvoir expulser ses habitants pour ensuite le voir disparaître au profit de résidences de haut standing.

Seulement les habitants du quartier, habitués à fréquenter cet immeuble, haut lieu de perdition où officient Tabitha et Precious, deux résidentes de l’immeuble, sont bien décidés à entrer en résistance pour protéger l’endroit. À force de se côtoyer, même si parfois on ne s’apprécie guère, on se supporte et on est solidaire en cas de coup dur.

Mona, une journaliste semblait s’intéresser à l’affaire, mais apparemment faudra faire sans elle…

“ – Je cherche la célébrité et la fortune en restituant magnifiquement la vie pathétique des autres. ”

Par contre, Robert, un ancien homme de main du père d’ Agatha, un client régulier du bordel pourrait bien retourner sa veste et peut-être bien leur filer un coup de pouce, malgré son âge avancé, il y tient à ces filles.

Et puis que deviendrait les SDF, installés dans le sous-sol si le quartier venait à s’embourgeoiser ?

C’est vraiment le bordel, la guerre est déclarée entre les riches et les pauvres, entre les arrivistes et les plus humbles, entre les travailleuses du sexes et l’héritière…

“ C’est étonnant que Precious soit à ce point attachée à cet endroit. Soho est sale, pollué, et il s’y passe plein de trucs pas beaux à voir…

Mais elle y voit aussi une certaine tolérance, des gens différents qui se mélangent… ”

Après Elmet, la belle surprise de la rentrée littéraire 2020, finaliste du Man Booker Prize en 2017, Fiona Mozley est de retour pour un deuxième roman tout aussi éblouissant qui confirme son talent d’écrivaine.

Elle nous dresse un magnifique portrait d’un quartier de Soho, notamment d’un immeuble menacés de gentrification sous des airs de comédie sociale et dramatique.

Au cœur de ce quartier, les habitants passent de l’ombre à la lumière, des hommes et des femmes, des prostituées et des SDF, des drogués, s’unissent contre l’héritière qui voudrait les déposséder de leur lieu d’habitation, de leur travail, de leur vie…

Entre rire et larmes, aux côtés de personnages pour la plupart attachants, on espère bien plus pour eux qu’une dernière nuit à Soho.

Un magnifique deuxième roman, qui laisse en nous une foule de souvenirs comme après une virée dans un quartier de Soho, là où les habitants ne se laissent pas si facilement oublier.

Point de fuite

Point de fuite d’Elizabeth Brundage aux Éditions La Table Ronde

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Cécile Arnaud

“ Dès la fin de la première semaine, tout le monde savait que Rye Adler avait ce truc en plus. Tout le monde voulait traîner avec lui. Savoir ce qu’il savait. Voir comme il voyait. Il n’avait pas trente ans, et déjà les gens qui comptaient le qualifiaient de visionnaire. ”

C’est à Philadelphie que Julian Ladd a fait la connaissance de Rye Adler, au sein de l’atelier Brodsky, une école réservée aux photographes qu’on espère les plus prometteur. Ils partageront un appartement en colocation et une amitié assez relative, Julian se retrouvant très vite dans l’ombre du talentueux Rye qu’il ne peut s’empêcher d’envier allant même jusqu’à lui enlever Magda, celle qui deviendra sa femme.

Lorsque Julian apprend la disparition de Rye, des années ont passé. Sans surprise, Rye était devenu un célèbre photographe alors que Julian doit se contenter d’un boulot dans la pub, et s’apprête à divorcer de Magda.

Si la nécrologie de Rye évoque un possible suicide, en l’absence de corps tout reste mystérieux.

Et lorsqu’aux funérailles Julian apprend que Magda avait repris contact avec Rye pour retrouver Theo, leur fils junkie, l’ombre de la jalousie refait surface, apportant dans son sillage les vieilles rancœurs mettant à jour les secrets du passé figés sur la pellicule.

Après Dans les angles morts ( Retrouvez ma chronique ici ) Elizabeth Brundage est de retour avec Point de fuite tout aussi réussi, porté par une plume toujours aussi singulière que l’on savoure avec plaisir.

Un roman polyphonique qui donne la voix à cinq protagonistes qui nous entraînent entre le passé et le présent sur les trace de Rye, qui semble être introuvable et pourtant présent partout, que ce soit en pensée, dans les souvenirs de chacun ou encore au hasard de certains chapitres qui nous aideront au fil des pages à retracer l’histoire de ces hommes et de ces femmes liés à jamais sans le savoir vraiment…

Dans l’objectif de l’auteure, la société américaine, ses dérives psychotiques, son besoin de paraître, et les ambitions de certains , les envieux, les jaloux, capables du pire pour réussir à briller ne serait-ce qu’un instant.

De magnifiques portraits, d’hommes et de femmes qui se retrouvent au pied du mur, face à leur existence habitée de faux-semblants comme les sourires factices sur une photo.

Des portraits, à l’image des photographies, pleins de mystères aux apparences trompeuses, qui se révèlent tel un album de souvenirs avec en plus une tension et un suspens permanent.

Point de fuite, y’a pas photo, faut le lire.

Un bref instant de splendeur

Un bref instant de splendeur de Ocean Vuong aux Éditions Folio

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marguerite Capelle

“ J’ai relu le Journal de deuil de Roland Barthes hier, le livre qu’il à écrit chaque jour pendant un an après la mort de sa mère. J’ai connu le corps de ma mère malade, écrit-il, puis mourant. Et c’est là que je me suis arrêté. Là que j’ai décidé de t’écrire. À toi qui est toujours en vie. ”

Pour mieux comprendre sa mère, née d’un soldat américain et d’une paysanne vietnamienne, le fils décide d’écrire à sa mère, une longue lettre. Pourtant conscient que sa mère analphabète, ne la lira jamais, il couche tout de même ses mots sur le papier, des mots qui vont retracer leur histoire aussi douloureuses soit-elle.

“ Je ne suis pas un monstre. Je suis ta mère. ”

“ Tu es une mère, Maman. Tu es également un monstre. Mais j’en suis un aussi – et c’est pour ça que je ne peux me détourner de toi. C’est pour ça que j’ai choisi la plus solitaire des créations divines et t’ai placée à l’intérieur. Regarde. ”

Mot après mot, il retrace le long chemin de sa famille, traversé par la violence, les traumatismes de sa grand-mère, leur déracinement, s’improvisant porteur de leur mémoire, tout en cherchant lui-même sa place dans ce pays où il subit depuis son enfance le rejet et les brimades face à sa couleur de peau, puis face à son homosexualité une fois devenu adulte.

“ À travers ces mots, je met encore une fois mes mains sur ton dos et constate à quel point elles sont foncées, ainsi posées sur l’immuable fond blanc de ta peau. Encore aujourd’hui, je vois les plis de ta taille et de tes hanches alors que je pétris les tensions, le petit os le long de ta colonne vertébrale, une rangée d’ellipse qu’aucun silence ne traduit. Au bout de toutes ces années, le contraste de nos peaux me surprend encore – tout comme le fait la page blanche quand ma main , agrippant un stylo, commence à se mouvoir dans son champ, s’efforçant d’intervenir sur sa vie sans la gâter. Mais en écrivant, je la gâte. Je te change, t’embellis et t’observe à la fois. ”

Une écriture qui s’avère nécessaire pour soulager ses maux mais aussi ceux des siens.

Un récit bouleversant, parfois difficile à suivre, les pensées et les souvenirs de l’auteur se bousculant, mais une fois le style apprivoisé on découvre au hasard des pages de BREF INSTANT DE SPLENDEUR.

Ce roman a reçu le Prix : Les Inrockuptibles étranger 2021