Manger Bambi

Manger Bambi de Caroline De Mulder aux Éditions Gallimard / La Noire

“ Les miroirs de l’ascenseur les montrent en pied, le maquillage à peine entamé, intactes quasiment, et d’humeur joyeuse. La ravissante, c’est Hilda, Bambi pour son créa. Bambi à cause de ses yeux doux et de sa charpente légère, tout en pattes. Elle est en slim et top serré sur un torse sec, et gueule d’enfant grimée. La blonde, c’est Leïla, qui a les cheveux noirs et perd dix centimètres en arrachant sa perruque comme si c’était le scalp de l’ennemi. […] ”

Qu’est-ce qui peut bien pousser une jeune fille qui n’a même pas encore fêté ses seize ans, à rencontrer des papas gâteaux dans des chambres d’hôtel ? Est-elle pleine de vices, cherche t’elle juste à se sortir de la misère ou a-t-elle des comptes à régler avec la gente masculine ? Toujours est-il qu’avec ses copines, elles jouent avec le feu tout en s’en mettant plein les poches aux passages en dépouillant ces vieux vice lards pêchés sur le net.

[…] À part ça, la life me bousille, ouais, la vie est une pute et on a même pas la thunes pour l’acheter. »

Sous ses grands yeux qui laissent parfois couler quelques larmes si c’est nécessaire se cache une violence extrême qu’elle laisse échapper lorsqu’on lui refuse ce qu’elle veut.

« C’est pas de notre faute. On est des proies faciles et tout le monde en abuse. »

De retour à la maison il faut supporter “ Nounours ” le nouveau mec de sa mère. Sous prétexte qu’il allonge les biftons et permet à sa mère de s’alcooliser jusqu’à plus soif il faudrait être très gentille avec lui, vraiment très gentille.

Mais même pour faire plaisir à sa mère Bambi n’est pas prête à s’offrir sur un plateau.

Chaque jour tout peut basculer et l’empêcher de parvenir à fêter son seizième anniversaire.

Il est temps de balancer ce porc loin de sa vie…

Ce que j’en dis :

Ne vous fiez pas au titre, vous êtes bien loin d’un conte de fée, ici Bambi n’a rien d’une petite fille protégée par sa mère des vilains prédateurs, bien au contraire.

Caroline De Mulder nous offre une histoire démoniaque où la violence des jeunes filles fait froid dans le dos, étant généralement promulguée par des hommes.

Dans un style très évocateur, assez trash, utilisant même l’argot de la jeunesse qu’il n’est pas toujours simple à comprendre mais qui colle parfaitement à la sauvagerie de ces gamines, ce roman noir nous plonge dans la vie de Bambi devenue elle même une prédatrice pour tenter d’effacer sa souffrance. Auprès d’une mère défaillante, un père absent, son univers est parti en live et sa survie ne tient plus qu’à un fil, un dérapage est si vite arrivé…

La série noire peut s’enorgueillir de toujours nous offrir de magnifiques plumes, où la noirceur rayonne dans toute sa splendeur.

Manger Bambi ne fait pas exception, bien au contraire, n’hésitez pas à le dévorer.

Pour info :

Caroline de Mulder, née à Gand en 1976, est un écrivain belge de langue française. Elle réside à la fois à Paris et à Namur où elle est chargée de plusieurs cours de littérature aux Facultés Notre- Dame de la Paix.

Élevée en Néerlandais par ses parents, elle alterne ensuite des études en français et en néerlandais, primaires à Mouscron, secondaire à Courtrai, philologie romane à Namur, puis à Gand et enfin à Paris.

L’auteur qui aime dire avoir deux langues maternelles, a donc appris à écrire en néerlandais et à lire en français.

En 2010 , son premier roman « Ego Tango » (consacré au milieu du tango parisien, milieu qu’elle a elle même fréquenté assidûment), lui vaut d’être sélectionnée avec 4 autres écrivains pour la finale du prix Rossel. Elle est la cadette de la sélection et remporte le prix.

Elle publie en 2012 un premier essai : « Libido sciendi : Le Savant, le Désir, la Femme », aux éditions du Seuil. La même année, elle publie également un second roman (« Nous les bêtes traquées », aux éditions Champ Vallon) lors de la rentrée littéraire.

Chez Actes Sud, elle punlie, en 2014, « Bye Bye Elvis » et, en 2017, « Calcaires ».

Je remercie les Éditions Gallimard pour cette virée habillée de noirceur.

Les nuits rouges

Les nuits rouges de Sébastien Raizer aux Éditions Gallimard

“ Bon sang, un homme passe quarante ans dans un crassier et personne ne remarque rien. ”

Dans le nord-est de la France, à deux pas des anciens hauts fourneaux, on vient de découvrir le corps momifié d’un homme. Il s’agit du cadavre d’un syndicaliste porté disparu depuis 1979.

Ses deux fils, des jumeaux ont grandi dans cette région dévastée économiquement et socialement, avec le poids d’un monstrueux mensonge, croyant depuis toutes ces années que leur père les avait abandonné.

Désunis depuis quelques années, c’est dans la noirceur qu’ils se retrouvent.

Alexis, employé de banque au Luxembourg s’en tire un peu mieux que Dimitri qui zone à droite à gauche tout en touchant à la came.

En apprenant la nouvelle, Dimitri se sent envahi par la rage, assoiffée de vengeance.

“ C’est toute une vie qu’il faut remettre en ordre […] Tout reprendre de zéro. L’histoire de ce monde. Expurger le mal à la racine. […] Ce qu’il faut maintenant, c’est de la violence, du sang et des larmes. Il faut des nuits rouges. Laver tous ces morts avec le seul rouge qui soit. Le sang. ”

Keller, le commissaire adjoint se retrouve sur l’affaire. Il vient de débarquer dans cette région peu accueillante qu’il ne connaît absolument pas, et va devoir en plus bosser avec Faas un inspecteur imprévisible.

“ Salopard, se dit Keller. Putain de salopard. Mais au moins, ça a le mérite d’être clair. Ingérable, allergique à la hiérarchie, histoires abracadabrantes à son sujet, face de rat. ”

Les ouvriers sidérurgistes ont disparu. mais leurs sangs rouges coulent dans les veines de leurs enfants, prêts à se révolter pour qu’enfin la vérité surgisse du fond des crassiers.

“ Les nuits étaient rouges comme des yeux injectés de sang, de haine, de peur et d’instincts de meurtre. Les nuits étaient rouges, comme la frontière entre la folie et la mort. ”

Ce que j’en dis :

Lorraine de souche, Lorraine de cœur, et même fille d’un ancien ouvrier des hauts fourneaux de Neuves Maisons, il était impossible pour moi de passer à côté de ce roman où la noirceur des crassiers envahit les pages en nous offrant presque une page d’Histoire. Car même si ce récit est une fiction, elle rends magnifiquement hommage à toute une région meurtrie et à tous ces hommes, ces gueules noires aux poumons encrassés qui ont bossé dans toutes ces usines jusqu’à leurs fermetures, laissant derrière elles des familles sur le carreau.

La colère de Dimitri, je l’ai connu même si c’est par la maladie que mon père est parti… comme tant de ses potes ouvriers.

“Ils ont tué le tissu social, la conscience de classe, la solidarité, la culture ouvrière, la notion de révolte. Ils nous ont hypnotisés par la peur jusqu’à nous faire oublier notre propre pouvoir. Il n’y a plus rien.”

Mais c’est avec classe et une certaine élégance même si elle est parfois brutale que Sébastien Raizer nous parle de la classe ouvrière à travers cette enquête criminelle habitée par une violence extrême.

Aussi complexes sont-ils, ses personnages plutôt barrés collent parfaitement à cette histoire. La crise sidérurgique a laissé derrière elle des vies chargées de souffrance, envahies par le désespoir alors pas étonnant que la came surgisse dans le paysage, et amène une nouvelle forme de violence que ce soit du côté des consommateurs que des vendeurs. La douleur face au profit, une histoire sans fin, un éternellement recommencement.

Ceux qui ne connaissent pas cette région, seront un peu comme ce flic, Keller, fraîchement débarqué et poseront à leur tour un regard sur cette endroit avec une terrible envie de remettre à sa place ce flic véreux, cette face de rat, tout en ayant une profonde empathie pour ces deux frères, notamment Dimitri ce révolté qui a déjà trop souffert.

Sébastien Raizer nous offre un récit d’une force incroyable où la violence explose tel le métal, hurlant sa colère dans les nuits rouges de l’Est de la France.

Bien évidemment la fille de l’est a apprécié et remercie humblement l’auteur pour ce récit terriblement brillant qui lui a permis de replonger dans ses souvenirs auprès de ses chers disparus, réveillant quelque peu la colère qui sommeille en elle…


Un dose d’encre d’acier trempée où la vengeance rends les nuits rouges éclatantes de beauté et d’effroi.

Pour info :

Sébastien Raizer est le cofondateur des Éditions du Camion Blanc, qui ont publié des cargaisons d’ouvrages sur le rock, et de la collection Camion Noir, aliénée aux cultures sombres.

Il est l’auteur de la trilogie transréaliste des « Équinoxes » à la Série Noire (L’alignement des équinoxes, Sagittarius, Minuit à contre-jour), ainsi que d’un Petit éloge du zen.

Il vit à Kyoto où il pratique le iaido et le zazen.

Je remercie également les Éditions Gallimard pour cette plongée violente dans l’Est de la France.