Mon territoire deTess Sharpe aux Éditions Sonatine
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié
» Papa ne titube pas trop, mais je suis trop loin pour voir s’il est couvert de son vomi comme la semaine dernière. Je suis sur le point de sauter de l’arbre, mais au lieu de se diriger vers la maison, il fait le tour de son pick-up et ouvre la portière côté passager. (…) Un faisceau éclaire l’entrée, et j’aperçois les pieds d’un homme qu’on traine sur le sol avant que la porte se referme en claquant.
(…) J’essaie de me convaincre que mes yeux me jouent des tours. Mais au fond de moi, je sais bien que non.
(…) Il fallait que j’apprenne, d’une façon ou d’une autre. Ce qu’il était. Ce que j’allais être.
C’est comme ça que ça s’est passé pour moi. “
Harley a seulement huit ans lorsqu’elle découvre la violence de son père. Cette violence n’est pas tournée contre elle, heureusement, mais contre un homme qui détient des informations sur la mort de sa mère qu’ils viennent de perdre.
Tout comme son père, elle est anéantie, mais s’efforce de cacher son chagrin.
Les bois deviennent son refuge loin de ce père noyé dans le whisky, entretenant sa haine contre les Springfield en nettoyant ses armes.
Huit ans c’est bien trop tôt pour perdre sa mère, bien trop tôt pour devenir responsable, bien trop tôt pour connaître la violence.
” Une vie contre une vie. C’est le seul moyen, mon Harley. “
Harley est la fille d’un baron de la drogue, qui espère bien la voir reprendre ses affaires le moment venu.
En attendant, il va l’élever à sa manière, la protéger et lui inculquer tout son savoir pour qu’elle puisse faire face à tous les prédateurs, notamment les Springfield.
» Je suis une tireuse hors pair depuis que j’ai huit ans. Depuis la première fois que Duke a placé un revolver dans ma main. Quand mes doigts se sont refermés dessus, quand je l’ai levé et que j’ai visé la cible, tout le reste s’est effacé, si bien qu’il n’y avait plus que moi, l’arme, et le cercle rouge au loin, et c’était comme si je trouvais le premier vrai morceau de moi-même.
Il y a les bons tireurs. Et puis il y a moi. “
Auprès de son père elle apprendra à se défendre et auprès de Mo elle apprendra la bienveillance, telle que sa mère aurait fait.
» Mon père m’a peut-être appris qui je dois être pour commander. Mais Mo est la femme est la femme qui m’apprend qui je dois être pour guider. “
” C’est une femme d’action. Elle m’en a appris davantage que tout autre femme dans ma vie. «
À ses seize ans, ayant acquis un peu de liberté, Harley s’occupe avec Mo du Ruby et des Rubinettes, un héritage de sa maman dont elle peux être fière.
Le Ruby accueille les femmes et leurs enfants lorsqu’un éloignement s’impose suite à la violence de certains maris, certains pères…
” Dans le monde que gouvernent des hommes comme mon père ou Carl Springfield, les rubinettes sont à moi. Une extension de moi, un héritage de maman. “
Très vite elle va comprendre que les leçons de son père n’ont d’autres but que de la protéger.
” J’ai appris à la dure que Springfield cherche toujours, toujours à me nuire. “
Forte de son savoir, de son courage, quand elle est en passe de reprendre les rênes de l’empire familial, c’est à sa manière qu’elle le fera, quitte à prendre certains chemins de traverse non validés par son père qui pourraient bien aboutir vers un monde meilleur.
» Si quelqu’un envahit ton territoire, tu tires d’abord, tu poses des questions après, mon Harley. “
Ce que j’en dis :
À travers cette histoire, Tess Sharpe nous offre une héroïne hors du commun, capable de tuer pour protéger ceux auxquels elle tient, comme une louve qui défendrait son territoire et ses louveteaux.
Car Harley se sent responsable du territoire où elle a grandi, et n’est pas prête à le céder à une bande de chacals assoiffés de sang et d’argent.
Elle a été élevée à combattre la violence tout en la côtoyant mais n’en demeure pas moins humaine grâce à l’héritage génétique de sa mère trop tôt disparue, son instinct de protection l’emporte sur le reste.
Tout comme son père, elle a soif de vengeance, mais elle fait partie de la nouvelle génération qui croit encore en un monde meilleur. En se servant de ses acquis et en souvenir de sa mère, elle risque d’en surprendre plus d’un.
Le passé se mêle au présent, on comprends mieux comment elle en est arrivée là, et pourquoi elle s’apprête à vouloir que tout explose. On en prend plein le cœur et on ne peut être indifférente à la vie tourmentée et mouvementée de Harley.
Harley McKenna fait partie des héroïnes que l’on n’oublie pas, elle rejoint Turttle de Gabriel Tallent, Ree Dolly de Daniel Woodrell, Tracy de Jamey Bradbury, des jeunes femmes fortes, de caractères qui grandissent trop vite et survivent malgré la violence qui les entoure.
Tess Sharpe fait une entrée remarquable et déjà remarquée dans le paysage littéraire, une écriture soignée, puissante, addictive, qui nous entraine dans la spirale infernale de la violence liée à la drogue mais où l’espoir est permis.
Une très belle découverte de cette rentrée littéraire en partenariat avec Léa du Picabo River Book Club, toujours généreuse avec les lectrices en organisant d’une main de maître des rencontres et en nous donnant la chance de lire en avant première de nouveaux romans, je la remercie chaleureusement ainsi que les Éditions Sonatine pour cette nouvelle aventure livresque.
Pour info :
Tess Sharpe est née dans une cabane au fond des bois et a grandi dans une campagne reculée de Californie.
Après un premier roman Young Adult, Si loin de toi (Robert Laffont, 2014), elle a participé à Toil & Trouble : 15 Tales of Women & Witchcraft, une anthologie de récits féministes. Et plus récemment, elle s’est lancée dans un préquel de Jurassic World, qui s’intitule The Evolution of Claire avant de publier son premier roman adulte, Mon territoire.