Mahmoud ou la montée des eaux

Mahmoud ou la montée des eaux d’Antoine Wauters aux Éditions Folio

“ Pourquoi toujours ressasser les mêmes choses ?

Pourquoi l’air vient-il à manquer dès que je sors de ce fichu lac ?

Je n’aurais jamais dû être poète.

Je n’aurais jamais dû être vivant.

Qu’il est dur et tranchant d’avoir autant aimé. ”

Pour raconter des drames, certains auteurs ne se contentent pas d’écrire une histoire, certains d’entre-eux l’écrivent en vers.

C’est le cas d’Antoine Wauters, qui nous fait voguer en Syrie sur un lac artificiel, le lac el-Assad, en compagnie de Mahmoud.

“ Et puis un jour, ils sont venus remplir le lac.

Et tous, nous avons vu nos maisons sombrer

les unes après les autres, emportant nos

souvenirs.

À travers les souvenirs de Mahmoud, un véritable poète, on découvre l’histoire du lieu, de sa famille brisée, de sa maison d’enfance engloutie par le lac, son séjour en prison, son premier amour et malgré la guerre qui gronde autour de lui, il plonge chaque jour pour revivre le passé, ne pas l’oublier et garder ce qui l’habite toujours, sa soif de liberté.

“ Il est trop tard.

Je suis de l’autre côté.

Dans le monde du souvenir.

Tout est là et tout est parti.

Qui a dit que vieillir, c’est oublier ?

J’ai rejoint la mémoire des choses, Sarah.

Chaque jour, je nage jusqu’à me revoir enfant. ”

Tout en vers libre, pour apporter de la douceur au milieu du chaos, pour adoucir sa peine , pour évoquer la guerre, laisser glisser la pointe du crayon sur le papier, laisser la lumière traverser la noirceur pour que demeurent à jamais les souvenirs mêmes ceux engloutis sous des flots de mitrailles et de larmes.

“ Mes poèmes ne sont pas des poèmes.

Ce sont des vers remplis de peur,

et de rage et de peine. ”

Une ode merveilleuse, à la poésie, aux poètes, à l’Histoire, à l’amour, à la liberté…

Un bel hommage aux syriens qui ont tant perdu.

À votre tour de vous laisser embarquer par cette plume qui m’a mise des étoiles plein les yeux, aussi enrichissante que bouleversante.

Je suis complètement sous le charme, absolument conquise.

Mahmoud ou la montée des eaux a été récompensé par : Le prix Wepler – Fondation de La Poste, le Prix Marguerite Duras et le prix Livre Inter.

Le petit roi

Le petit roi de Mathieu Belezi aux Éditions Le Tripode

“ Seul, dans la nuit noire de suie et de fantômes, sous la naphtaline des draps, je garde les yeux ouverts jusqu’à l’aube. Humilié par la peur dont je ne peux me défaire. Il faut l’arrivée par les persiennes d’un demi-jour d’église pour que je trouve le courage de clore les paupières sur ma propre nuit, dansante d’étoiles et peuplée d’anges, et qu’enfin, après tant de frayeur, une aile blanche m’étourdisse de sommeil. ”

Un jeune garçon est abandonné par sa mère à son grand-père, qui vit seul dans une ferme provençale.

Tout commence comme ça, et ce qui pourrait s’avérer un petit roman assez simple se révèle en quelques pages, un véritable chef-d’œuvre.

L’écriture en premier lieu éblouit, bouleverse, absolument sublime, tant de beauté dans cette plume, ce style épuré, poétique, c’est juste renversant.

“ La saillie des os de ce vieux visage, qui n’a jamais été jeune et dans mes convictions enfantes doit survivre cent ans, la tendresse de ces yeux lavés, de ces mains qui tremblent, comblent jour après jour le vide laissé par ceux qui m’oublient. ”

On y découvre l’amour de cet enfant pour son grand-père, sa rage envers ses parents, sa tristesse face à cet abandon qu’il transforme en colère puis en violence…

“ Et je lutte une heure durant contre moi-même, chassant ce que je ne veux pas voir et encore moins entendre, et qui pourtant l’assaille et me torture, les mains de mon père et celles de ma mère, leurs bouches qui se haïssent au-dessus de moi, leurs corps qui ne s’aiment plus, tout ça, et le reste qui n’est pas plus drôle, leurs façons de m’amadouer, de me couvrir de cadeaux pour que je choisisse mon camp, pour que je dise oui à l’un ou à l’autre, alors que leurs sales manies de me laisser seul au,milieu de l’arène ont conduit mes pas mal assuré d’enfant à l’abîme. ”

Un court roman plein de grâce, et d’émotions comme j’aimerais en lire plus souvent, avec au final, une grande envie de serrer fort dans mes bras ce petit roi en souffrance qui m’a tant ému.

Les Éditions Le tripode nous réservent de belles surprises, et avec l’accord de l’auteur, vont rééditer prochainement une grande partie de ses œuvres littéraires. Je m’en réjouis déjà.

Rue Mexico

Rue Mexico de Simone Buchholz aux Éditions l’Atalante

Traduit de l’allemand par Claudine Layre

“ Tout le monde râle à cause des brasiers et du bruit des hélicoptères qui cherchent les foyers d’incendie dès le crépuscule ; mais pourquoi s’exciter sur ces sujets ? Ils devraient plutôt s’interroger sur ce qui amène les gens à mettre le feu. La fureur, la colère, la bêtise. Or on se bouche les oreilles comme si on pouvait du même coup se boucher le cerveau. “

Depuis quelques temps, des voitures brûlent à travers le monde. Mais mises à part les dégâts matériel aucune victime n’avait été déplorée jusqu’à cette nuit à Hambourg.

À l’intérieur de la voiture en feu, un jeune homme.

Les pompiers parviennent à le désincarcérer mais son pronostic vital est engagé.

Il s’avère que c’est l’un des fils du clan Saroukhan, de puissants trafiquants installés à Brème.

“ Une voiture en flammes. Encore une. On m’a dit qu’il serait temps de résoudre ce problème de véhicules incendiés.

Les bagnoles en feu ne m’intéressent pas plus que ça. Tu sais très bien pourquoi tes voitures brûlent, Hambourg.

Sauf que cette fois, ce n’est pas seulement un véhicule qui a cramé, mais aussi un être humain. Faire brûler des gens dans des voitures, ça, ce n’est pas possible, putain. ”

Qui a bien pu vouloir tuer Nouri ? Lui qui s’était éloigné de sa famille et travaillait dans une entreprise d’assurance où il gagnait très bien sa vie.

Chastity Riley, la procureure et son collègue Ivo Stepanovic se retrouvent , l’équipe se reforme et tous ensemble ils mènent l’enquête.

“ Calabretta, Stanislawski, Schulle et Brückner sont arrivés. C’est vraiment chouette de les retrouver, ces quatre-là. Ils constituent une sorte de security spirituelle. Une copie de sauvegarde du passé. Nous sommes comme une vitre que la vie aurait brisée en sautant à travers à plusieurs reprises ; nous avons voltigé en l’air comme l’éclat de verre qui savent où est leur place et qui se recollent à chaque fois. Pour former une nouvelle vitre, plus aussi lisse ni aussi propre par endroits, mais toujours à peu près transparente. ”

Les voitures continuent de brûler, la violence se répand aux quatre coins de la planète, les flammes éclairent toute la noirceur du monde et révèle tous les différents visages de la criminalité qui se répand comme une traînée de poudre, et toujours pour les nerfs de la guerre : le pouvoir et l’argent.

“ Au cœur de cette obscurité métallique, tels des monstres, surgissaient les bastons. Les monstres cassaient tout, les voitures, les fenêtres, les gens, à un rythme si infernal que rien ni personne ne pouvait être protégé. La cause exacte de ces bagarres était sans importance ou presque ; l’important, c’étaient les embrouilles elles-mêmes : c’est à cause d’elles que ça explosait, que ça pétait dans tous les sens. Puis les cartes étaient rabattus et le calme revenait – le but de ces clashs restaient immuable : constater qui était le plus fort et qui était le plus faible. ”

Je découvre l’écriture puissante et incroyable de Simone Bucchholz et il n’aura fallu que quelques lignes pour que je sois sous le charme et ce n’était que le début des réjouissances.

Pourtant ceux qui me connaissent savent que j’affectionne tout particulièrement la littérature américaine, surtout pour les romans noirs mais là, il faut le reconnaître elle se défend vraiment bien l’écrivaine allemande, ça confirme qu’il faut parfois sortir de ses zones de confort et faire confiance à l’attachée de presse qui a mis ce livre entre tes mains. N’est-ce pas Olivia ?

Dans Rue Mexico, l’histoire se situe à Hambourg et pourtant au départ je me suis cru à Marseille comme quoi, y’a pas que là-bas que ça crame des Bagnoles, remarque dans mon coin aussi ça crame sec…

Juste pour te dire que Hambourg fait partie du décor, et devient quasiment un personnage à part entière qui s’ajoute à l’équipe d’enquêteurs et aux malfrats du coins. Tu découvriras que la violence n’est pas que dans la rue mais également au cœur des familles étrangères avec leurs traditions de merde en ce qui concerne les femmes et que s’affranchir de sa famille n’est pas sans conséquences qu’ils soient question d’amour ou juste un besoin de liberté.

Rue Mexico, c’est bien plus qu’un polar, c’est une expérience littéraire, un menu haut de gamme dans la littérature.

Que ce soit le lieu, les personnages, l’histoire, l’intrigue, tout est porté par une plume et un style extraordinaire. Ça te bouscule, ça t’émotionne, c’est brutal et brillant, drôle et poétique, ça claque, ça surprend, c’est ébouriffant, complètement époustouflant.

Tu sais ce qu’il te reste à faire…

“ Le matin suivant.

C’est étonnant qu’il existe. Qu’il réapparaisse sans arrêt, qu’il redémarre tous les jours, puis ça se termine plus ou moins n’importe comment, puis ça recommence. Je me demande parfois qui a commandé tout ça et qui règle la note.

Moi, faut que j’appelle mon libraire, il me faut les deux précédents pour retrouver ce talent, obligé…

Nous aurions pu être des princes

Nous aurions pu être des princes d’ Anthony Veasna So aux Éditions Albin Michel. Collection Terres d’Amérique

Traduit de l’américain par Héloïse Esquié

“ C’est la période qui ressemble à une révélation jusqu’à ce qu’elle soit oubliée à mesure qu’on vit sa vie, car il n’y a rien d’exceptionnel à passer sa vie d’adulte dans le trou du cul de la Californie, ce trou qu’un responsable gouvernemental quelconque a jugé digne d’une bande de réfugiés lacérés par leur stress post-traumatique, un trou du genre intolérant au succès, qui lâche des rêves comme il lâcherait des pets. ”

Une nouvelle peut être plus ou moins longue ou courte selon les points de vue et pourtant en quelques pages raconter une grande histoire, révéler le passé responsable du présent, raconter une tragédie, une histoire familiale, un héritage douloureux, une quête d’identité, un état des lieux de l’Amérique, et offrir des fragments de vie aussi foisonnants qu’un grand roman. Et si en plus l’écriture est magnifique, elles deviennent d’autant plus précieuses.

“ C’est bizarre, j’ai vécu ici, dans cette ville, toute mon existence, mais je ne dirais pas vraiment que c’est chez moi. ”

Anthony Veasna So était un jeune américain d’origine cambodgienne disparu en 2020 à l’âge de 28 ans. Il laisse derrière lui ce fabuleux recueil de nouvelles contemporaines, aussi audacieuses que pertinentes et rends un bel hommage à toutes les familles cambodgiennes réfugiées aux États-Unis après avoir quitté leur pays, victimes du génocide orchestré par les Khmers rouges dans les années 70.

“ Comme c’est comique, se dit Sothy : des dizaines d’années après les camps, elle vit ici, au centre de la Californie, elle y possède un commerce, elle y élève ses filles cambodgiennes nées américaines, des adolescentes en bonne santé et têtues, et pourtant, dans cette nouvelle vie qu’elle s’est créée, ses mains en vieillissant sont devenues celle de sa mère. ”

Installée en Californie, ces familles portent en elles les douleurs de l’exil, et mine de rien les transmettent à leurs enfants tout comme les traditions, et c’est avec tout ce poids que la nouvelle génération devra se construire.

Et même si la jeunesse subit les traumatismes des anciens, ce lourd tribu semble leur imposer une obligation de réussite. Certains y parviennent et pour d’autres le chemin de la réussite est plus difficile à trouver.

“ Ils imaginèrent un avenir détaché de leurs erreurs passées, de l’histoire dont ils avaient hérité, un monde dans lequel – sans questions, sans hésitations – ils accompliraient les actes simples auxquels ils pensaient, dont ils discutaient, dont ils rêvaient. ”

D’une nouvelle à une autre, l’histoire de ces familles apparaissent, des anciens à la nouvelle génération qui tente par-dessus tout de s’affranchir de la douleur en profitant au maximum des plaisirs de la vie.

“ […] un, Superking Son était un trou du cul ( un trou du cul certes tragique, mais un trou du cul quand même), deux, nous avions trop de trous du cul dans nos vies de merde; et, trois, nous n’avions pas assez de papier Q pour faire front. Que dire de plus pour notre défense ? Nous n’avions pas que ça à faire. ”

Des nouvelles saisissantes, quelque peu irrévérencieuses qui ne manquent pas d’humour, d’un jeune écrivain prometteur, récompensé par plusieurs prix littéraires dont le John Leonard Prize du National Book Critics Circle et le Ferro-Grumley Award for LGBT Fiction, qui méritent toute notre attention pour ne pas oublier cette étoile littéraire précieuse qui s’est éteinte bien trop tôt.

Sangs mêlés

Sangs mêlés de John Vercher aux Éditions Les Arènes collection Equinox

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Clément Baude

[…] Noir d’abord. Ne pas m’en souvenir peut me tuer. Et je crois que tu en as conscience. Tu sais pourquoi ? »
Bobby fit signe que non. « Car je pense que tous les jours tu fais la même chose. Je pense que tu regardes ce même miroir et que tu te dis que tu es un Blanc, parce que dans ton esprit c’est ce que tu dois faire pour survivre. C’est ça qui te rend heureux et te protège. »

La première chose qu’Aaron fait en sortant de prison après trois ans d’enfermement pour trafic de stupéfiants c’est de retrouver son meilleur ami Bobby. Aaron a bien changé derrière les barreaux, il a pris du muscles et arbore de nouveaux tatouages qui inquiètent Bobby. En allant se restaurer pour fêter plus ou moins leurs retrouvailles, ça dérape et Aaron s’en prend à un jeune noir, l’agresse sauvagement, rendant Bobby complice de ce qui s’apparentera à un meurtre raciste si le jeune homme venait à décéder.

Si Bobby s’est toujours fait passer pour un blanc, il a pourtant des origines noires de par son père qu’il ne connaît pas.

Suite à cette soirée qui vire à la tragédie, toute sa vie bascule.

Il redoute l’enquête de la police, et son amitié avec Aaron est remise en question, craignant qu’il découvre sa véritable identité, qui en ferait des ennemis jurés.

Des romans noirs ou des polars brossant un tableau de la condition des noirs en Amérique, j’en ai lu un certain nombre, mais rarement aussi fort que celui-ci, avec une telle tension, du début à la fin.

John Vercher s’impose et en impose avec ce premier roman époustouflant.

À travers l’histoire de Bobby et de son identité raciale cachée à son entourage mais surtout à son meilleur ami, on redécouvre tout l’impact que peut avoir sur la vie d’un homme, d’être un noir à la peau claire face aux préjugés racistes qui perdurent toujours aux États-Unis notamment comme ici présent.

Un polar d’une grande justesse avec des personnages profonds qui reflètent bien les conditions de vies de certains américains, des serveurs des Dîners, aux médecins des hôpitaux, aux flics racistes, aux ex- détenus bien plus violents qu’avant leur incarcération, les difficultés financières, les jobs multiples pour juste se loger et se nourrir, la violence omniprésente, tout y est représenté avec beaucoup de maîtrise et de réalisme.

Sangs mêlés ne pourra pas vous laisser indiffèrent, et risque de vous hanter longtemps, tant son sujet est actuel, violent, mais hélas tellement vrai, et prouve encore une fois que l’on soit aisé ou pas, être noir en Amérique pose toujours problème.

Déchirant du début à la fin, ça pourrait faire un sacré bon film ou une super série, de l’encre à la bobine ça me plairait vraiment.

En attendant, aussi tragique soit-il, ce premier roman est à découvrir absolument.

La dernière maison avant les bois

La dernière maison avant les bois de Catriona Ward aux Éditions Sonatine

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Szczeciner

“ Quand on est arrivé à la maison, maman m’a fait couler un bain, puis elle m’a déshabillé et m’a examiné sous toutes les coutures. Elle a trouvé une coupure sur mon mollet qui saignait. Alors elle a sorti sa trousse d’infirmière et elle m’a fait deux points de suture pour refermer la plaie. Elle me cassait, puis elle me réparait, et ensuite elle recommençait – c’était comme ça, avec ma mère. ”

La dernière maison avant les bois n’est pas à vendre, et le sera d’autant moins, une fois que vous aurez lu son histoire, enfin plutôt l’histoire de ceux qui y ont vécu.

“ Ne laisse personne découvrir ce que tu es, me souffle maman… ”

J’y ai à peine mis les pieds, qu’un certain malaise m’a envahi et ce n’était que le début des réjouissances…

Comme Dee, je me suis mise à épier, tentant de découvrir si je pouvais y trouver des indices qui m’aideraient à retrouver sa sœur disparue, onze ans plus tôt.

J’y ai bien entendu des voix, des rires, des miaulements, mais à part Ted Bannerman le propriétaire je n’ai vu personne.

Comment est-ce possible ?

Quels secrets cache-t- elle ?

Je n’étais pas au bout de mes surprises, bien loin d’imaginer la suite et la fin.

Voilà une expérience de lecture on ne peut plus troublante, à la limite dérangeante, mais voilà une fois commencée, il est bien difficile de l’interrompre, malgré l’ambiance malsaine qui ne fera que s’accentuer au fil des pages.

Catriona Ward réussi à travers une prouesse littéraire époustouflante à nous embarquer au cœur d’une intrigue surprenante où chaque personnage va nous envoûter et nous entraîner dans un labyrinthe émotionnel où seul le propriétaire possède la vérité et pourra nous libérer de cette histoire.

Rarement un livre n’a suscité autant d’adjectifs pour le décrire. À la fois étrange, surprenant, drôle, intriguant, passionnant, angoissant, malsain, oppressant, fascinant, extraordinaire, dévastateur, poignant, troublant, effrayant, stylé, unique.

“ Aujourd’hui nous avons découvert que ton esprit est malade. ”

Un livre que je suis ravie d’avoir lu, tout autant que de l’avoir terminé, lisez- le, vous allez mieux comprendre.

Pour une première publication en France, Catriona Ward fait une entrée remarquable qui ne passera pas inaperçue.

Croyez-moi ou non, la dernière maison avant les bois est bien à vendre au final, dans toutes les librairies. Mais attention, la visite s’annonce effrayante, vous voilà prévenus.

Les mille crimes de Ming Tsu

Les mille crimes de Ming Tsu de Tom Lin à La Noire de Gallimard 

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Doug Headline

“ Depuis longtemps déjà, tuer avait cessé de lui poser un problème. La ville appelée Corinne, avec ses tripots et ses saloons et ses bars remplis d’hommes en colère, était à présent derrière lui. À peine deux heures plus tôt, Ming y avait tué un homme et déjà, dans son esprit, ce souvenir commençait à s’évaporer dans les flammes de l’imagination. ” 

Durant les années 1860-1870, l’Amérique était en pleine construction, notamment les voies ferrées de la Central Pacific, qui allaient amener un nouveau tournant pour voyager, mettant petit à petit les diligences au rencard. Ce dur labeur était confié de gré ou de force aux immigrés chinois dont faisait partie Ming Tsu jusqu’à son évasion. 

Ming Tsu orphelin avait été formé à tuer par son père adoptif. Bien incapable de se rappeler le nombre exact de morts laissés dans son sillage, tant ils sont nombreux, ce qui ne plaide pas en sa faveur et justifie un certain nombre d’avis de recherche affichés ici et là à son encontre. Mais qu’à cela ne tienne, il est bien décidé à retrouver son épouse, une blanche, que son beau-père a fait enlever.

Devenu fugitif, c’est accompagné d’un prophète aveugle qui possède un don particulier, qu’il va traverser à cheval, l’Utah, le Nevada et la Californie, en liquidant au passage tous les hommes qui lui ont « volé sa vie ». 

Commence alors une quête impitoyable à travers le désert et les montagnes, semée d’embûches où il fera pourtant d’improbables rencontres, dont beaucoup regretteront d’avoir croisé son chemin. 

Tom Lin nous embarque dans un formidable western avec un petit côté mystique, à travers une chevauchée fantastique et un casting de choix digne des grands films du far west. Du cow-boy, aux shérifs, des bandits de grand chemin véritable hors-la-loi, des chasseurs de primes et des indiens, des immigrés et n’oublions pas les chevaux, très nombreux indispensables dans cette quête sans lesquels aucun déplacement n’aurait été possible. 

Terriblement sauvage, absolument envoûtant, au côté d’un homme, un immigré habité de vengeance et de justice, un homme qu’on ne peut s’empêcher d’admirer malgré la multitude dmeurtres à son actif. 

Une immersion extraordinaire et absolument réaliste dans l’Amérique du passé qu’il serait vraiment dommage de ne pas découvrir.

Hotline

Hotline de Dimitri Nasrallah aux Éditions de La Peuplade

Traduit de l’anglais par Daniel Grenier

“ Depuis qu’on a mis les pieds dans ce pays, je me rends compte que chaque petite chose insignifiante est une source d’inquiétude. ”

Muna a du quitter Beyrouth, sa guerre, sa famille, en laissant également derrière elle, un mari disparu en pleine rue, un matin, pendant les combats de rue.

Ensemble ils avaient prévu de fuir leur pays en guerre, pour s’installer au Canada. Deux ans plus tard, c’est sans lui mais avec leur petit garçon qu’elle rejoint Montréal.

En plus d’être confrontée à une nouvelle langue, un nouveau climat, elle se retrouve également face aux préjugés raciaux, entraînant de grosses difficultés d’intégration.

Logeant dans un tout petit appartement, ne disposant que d’une chambre qu’elle laisse à son fils, elle peine à trouver du travail et laisse parfois le fantôme de son mari lui tenir compagnie quand le manque est trop fort.

Bien obligée de travailler, elle devient conseillère en vente par téléphone de boîtes-repas diététiques, et contre toute attente elle excelle dans ce boulot, mais n’en oublie pas pour autant son véritable métier de professeur de français.

Culpabilisant bien trop souvent face à son fils qui se retrouve souvent seul à l’appartement, elle résiste malgré tout jusqu’à la rencontre avec d’autres femmes immigrées, des femmes qui comme elle, tentent de survivre et de s’intégrer dans ce pays qui n’est pas le leur.

À travers ce portrait, Dimitri Nasrallah nous mets face aux difficultés rencontrées par Muna, cette jeune femme, apatride, réfugiée dans un pays loin du sien en guerre, qui peine à s’adapter, mais loin de baisser les bras, ce boulot alimentaire à plus d’un titre qu’elle décroche va lui permettre de tenir bon et d’espérer un avenir meilleur.

C’est l’histoire d’une immigrée, qui reflète exactement ce que toutes les femmes réfugiées subissent au quotidien, une fois projetées dans un pays étranger.

Une écriture sobre, où il est question de reconstruction, de deuil, de quête d’identité, de famille, de guerre et de solitude, mais aussi d’entraide , de persévérance de courage et d’amour.

Hotline est un véritable chant d’amour, d’une mère à son fils qui n’en oublie pas pour autant son mari, le père absent malgré lui. Un cri du cœur d’une mère courage arrachée brutalement à sa terre natale qui espère trouver sa place au Canada, cette nouvelle terre d’accueil parfois si difficile à conquérir.

C’est publié à La Peuplade, une maison d’éditions qui traverse les frontières pour nous offrir des errances littéraires d’un territoire à un autre, toujours éclairées, vivantes, nécessaires.

Les gentils

Les gentils de Michaël Mention aux Éditions Belfond

Anaconda.

Marseille.

Fourmi.

Machette.

Amérindiens.

Moustiques.

Keith.

Montparnasse, ta mère, puis l’autre pêcheur et sa gueule éclatée, tous succombent sous la lame du rasoir. Plus je racle, plus ça saigne, plus ça jungle en moi. Incantations saturées aux décibels d’agonie. Je n’ai pas peur. ”

Pour raconter une histoire, il y a la manière classique que beaucoup pratique et puis il y a la manière “ Mention ”, qui sort des sentiers battus.

Je t’explique à quoi t’attendre, si tu décides d’aller plus loin dans cette histoire où un père en deuil franchit toutes les lignes pour assouvir sa vengeance.

Complètement hors contrôle, cet homme va traverser l’enfer, laissant quelques cadavres sur son passage sans jamais abandonner sa traque vers l’homme qui l’a privé de sa fille, devenant à son tour le chasseur sanguinaire à la poursuite de sa proie à abattre.

Michaël Mention dans un style percutant, balance les décibels tel un bon rock endiablé où le guitariste n’aurait pas oublié sa petite dose de poudre pour obtenir la poussée d’adrénaline nécessaire pour tenir le choc. Après avoir trempé sa plume dans le napalm, pour bien t’exploser les rétines il t’embarque avec lui en Guyane où le danger est partout, et t’invite dans son délire à trembler pour sa survie, car solidaire tu es évidemment, on ne touche pas aux enfants mêmes de manière collatérale.

“… et le chaos se durcit, hypnotique, fait palpiter les boulons tout autour. Tempo claustro en stéréo. Yannick. Jonestown. « Reviens, je t’en supplie ! » Et le moteur en surchauffe, comme moi, homme-camion qui beat toujours plus frénétique. Transe indus’ obsessionnelle…

« Trans ! Europe ! express ! »

… qui s’envenime avec Metal on Metal, plus froid, plus glauque, plus vite, à en déboiser toute l’Amazonie. Les branches – pulvérisées. Les portières – martelées. Fracas, perçus, grattement, aliénants, et l’acier mord l’acier, la vie tue la vie dans le déchaînement des cris, des crissements des pneus me suppliant d’arrêter… ”

Donc tu comprends quand tu lis l’extrait pourquoi je dis qu’ils y a “ Mention ” et il y’a les autres…

Par contre, j’ai eu beau chercher, j’ai jamais trouvé Les gentils, le titre est trompeur, c’est comme le visage de l’auteur en bas de la couverture, on dirait un ange et pourtant sous ses airs gentillets se cache un auteur démoniaque.

Vous voilà prévenus.

Les Gentils c’est mortellement efficace, ça t’en met plein les yeux et les oreilles, faut juste pas oublier de reprendre son souffle de temps en temps car dans cette course folle, sous tension permanente, ton cœur et tes tympans ne seront pas épargnés.

“ Mention ” spéciale dans tous les Bacs des libraires, pour lecteurs avertis.

La Vallée des Lazhars

La Vallée des Lazhars de Soufiane Khaloua aux Éditions Agullo

“ Face à nous s’élevait une montagne habitée, à mi-hauteur, par une ferme aux bâtiments blancs. « Voilà », me dit-il simplement, et il ajouta, comme chaque fois que nous étions allés là-bas : « J’ai été élevé dans ces montagnes. » ”

Six ans ont passé depuis leurs dernières visites à la famille. C’est là que son père a grandi, dans cette vallée reculée au cœur des montagnes à la frontière Est du Maroc.

Amir Ayami est né en France, bien loin de l’inconfort de la ferme marocaine avec une enfance bien différente de celle de son père.

“ Nous étions seul au monde. […] Ici, éleveurs et agriculteurs s’échangeaient leur marchandise, la vallée pourvoyait à l’eau potable, l’essence venait des trabendos postés au milieu de nulle part, leur bidons étalés devant eux; il n’y avait pas encore de courant ni d’égouts à cette époque ; nous étions coupés du reste du pays, vivant en complète autonomie dans cette espèce d’enclave à cheval sur deux frontières. ”

Dans cette vallée, d’un versant à l’autre s’affrontent depuis plusieurs générations deux clans, les Ayami dont il fait partie, face aux Hokbani.

“ Cet isolement prit une dimension insoupçonnée un jour où je me fis la réflexion, alors qu’on croisait un des Hokbani à l’air belliqueux au détour d’une promenade, que s’il y avait un meurtre dans les alentours, la vallée saurait l’enterrer dans le silence, et personne dans le pays n’en saurait rien. ”

Cet été, où un mariage se profile à l’horizon, qui unira une Ayami à un Hokbani, sera peut-être l’occasion d’enterrer les vieilles querelles entre les deux clans qui se vouent une haine tenace sans trop savoir pourquoi depuis tout ce temps.

Mais peut-être également l’opportunité pour Amir de s’approprier enfin son identité, de mieux connaître sa famille paternel, de franchir certaines frontières et peut-être même de connaître l’amour.

“ Ils appartenaient à un temps qui me semblait une fiction, je n’avais rien à voir avec eux, dans mon quotidien, dans certains de mes principes, et pourtant, nous étions tous le résultat d’une succession de hasards qui voulut qu’une poignée de gens s’installât ici plutôt qu’ailleurs, des siècles plus tôt. J’étais relié à chacune de ces personnes dont les vies étaient si différentes de la mienne. Et ce lien, si ténu soit-il, était ce qu’il y a de plus important à mes yeux. Comprends-moi : dans ce lien, croyais-je, je pourrais trouver mon identité. […] si je n’étais pas tout à fait marocain, je ne me sentais pas pour autant français. Alors je souhaitais être Ayami avant tout, et la vallée des Lazhars devait être ma patrie. ”

Un été pour découvrir les secrets de cette vallée et de cette famille.

Un été qui va tout bousculer dans la vie d’Amir.

Depuis 2016, la maison d’éditions Agullo ne cesse d’abolir les frontières nous offrant un panel d’auteurs d’ici et d’ailleurs à travers toute l’Europe, du roman noir au polar, avec des textes de qualité pour une belle ligne éditoriale qui nous fait voyager à travers les mots, les histoires, les pays dans une langue universelle : la littérature.

Pas étonnant que la vallée des Lazhars figure aux paysages de cette rentrée Agullo et nous offre l’occasion de faire connaissance avec un jeune auteur : Soufiane Khaloua, qui nous offre un été au Maroc loin des cartes postales avec un roman noir époustouflant.

Dans un décor authentique, sec, sauvage, brûlant où vivent deux familles qui se transmettent les vieilles querelles comme un héritage d’une génération à l’autre, Amir part à la quête de son identité, découvrant l’amour et la haine, la loyauté mais aussi la trahison au sein de sa famille.

Soufiane Khaloua, possède un style et une écriture d’une force incroyable pour une premier roman, et nous emporte avec brio au sein de la filiation et de la transmission parfois dures à gérer pour un jeune homme attaché à ses racines, à ce pays qui est aussi le sien, à cette famille pleine de secrets où l’amour se révélera plus forte que la haine.

Soufiane Khaloua, professeur de français possède un immense talent d’écrivain ça ne fait aucun doute. Un auteur à suivre absolument. Vivement le prochain.