» Huitiéme nouvelle Anonyme « 

Hello la compagnie, noyée sous les cartons, suis un peu à la bourre pour la nouvelle, et la fête des courges commencent plus tôt par ici, je vous laisse la découvrir , à trés vite.

Bonne lecture .


Huitiéme nouvelle:

La reine des courges

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La reine es courges

Ça les faisait rire ces cons. Ça ne loupait jamais. Une gonzesse pouvait être vendeuse, coiffeuse, maître nageuse et même empoisonneuse, allumeuse de première, branleuse comme pas deux, pourquoi pas enculeuse de mouches, mais camionneuse, ah ça, non ! Quand c’était pas un gag, c’était un tabou.

Il y a des métiers comme ça qui tolèrent mal – mâle – le suffixe. Une fois Joséphine avait pris en stop deux tailleuses de pierre. Elles étaient pas bézef non plus les tailleuses, une toute petite corpo de courageuses. Encore un « euse » ! Elles avaient profité du casse-croûte au Béarnais sur la 117 pour débiter leurs déboires analogues. Camionneuse, comme tailleuse, allumait dans l’œil de l’abruti moyen une lueur, pour ne pas dire une flambée, égrillarde, convoquait les images du dernier porno sabbatique, avec ou sans décodeur, les dérouleuses de câble, les suceuses et, en l’occurrence, les brouteuses. À une raison sociale évocatrice, Joséphine alliait un prénom qui éveille le poète qui sommeille en chaque gros beauf… « Joséphine, celle qui rit quand on la… » Ouais… À la fin du lycée, elle en avait déjà entendu pour toute une vie, aussi, vu la corporation qu’elle rejoignait, elle minimisa les emmerdes prévisibles en se rebaptisant Josèphe. Une petite ablation de rien du tout, la touche finale à une panoplie d’androgyne bizarre. À l’origine, elle avait tout d’une pub Nivea : sylphide, blonde et diaphane. Le genre que l’on peut voir – frange savamment ébouriffée lèvre mordue œil dans le vague –, sur les abribus ou la couverture de Vogue, des mensurations à finir portemanteau chez un haut couturier. Sauf qu’elle n’avait pas lâché le DUT Carrières Sociales pour le mannequinat mais pour le permis poids lourd, qu’elle avait par la même occasion consciencieusement empâté sa silhouette, buriné son teint, coupé et coiffé sa tignasse à la clef de douze. Ca ne l’avait pas tellement aidée à passer inaperçue, mais c’est sûr, elle semblait d’un coup un peu moins L’air du temps de Nina Ricci, un peu plus Kronenbourg.

Camionneuse. Une vocation pas tant contraire que contrariante. Une provocation. Tout pour faire chier. Tout pour cracher à la gueule de sa mère, et du blaireau de sédentaire avec lequel elle s’était recasée, qu’elle allait faire le métier de son père, le vrai, et si possible le retrouver.

Qu’est-ce qu’elle avait à lui reprocher à Robert, en somme ? Rien. Tout. Un papa de rêve, un papounet d’amour, qui lui avait appris à monter à vélo, à faire les règles de trois, à planter des clous, différencier le placo du béton cellulaire, qui lui avait tenu des bassines et passé des compresses sur le front des nuits entières quand elle était malade. Tant qu’elle avait ignoré qu’il venait s’intercaler entre elle et le rêve d’un héros qui serait un jour venu la chercher, la reconnaître, l’emporter au pays des tulipes, elle l’avait idolâtré.

Atomisation du piédestal en deux temps trois mouvements.

Robert avait plus que morflé dans la chute. Faut dire qu’il était déjà pas bien flambant. Un an plus tôt ses reins avaient commencé à déconner sévère. S’étaient ensuivis des mois de calvaire : examens, endo, colo, cœlio scopies, biopsies, diagnostics pourris, hospitalisations, opérations, néphrectomie, dialyse à vie.
« Pas question ! J’te donne un rein. Vas-y, choisis ! Droit ou gauche ? », elle lui avait balancé. « Tu dis toujours que je suis une « pisse-trois-gouttes », eh ben, je pisserai moins. Gagnant-gagnant ! Tope-la papa ! »

C’est là que la couille était tombée dans le bénitier. Il n’avait pas topé. Il ne voulait pas. Bien sûr qu’il ne voulait pas…

Elle était passée outre, avait suivi le protocole, fait les analyses. Résultat : pas compatibles. Mais bon, « pas compatibles », c’était limite un détail vu la saloperie que le bilan avait remontée à la surface. « Pas compatibles », ça arrivait à des gens très bien. Ça arrivait à des gens d’une même famille, des frères et sœurs, des ascendants et des descendants… Joséphine et Robert n’avaient pas une brindille de ce putain d’arbre généalogique en commun. Rien. Des gènes qui ne s’étaient jamais croisés de près ou de loin. Les résultats étaient formels. Que sa mère ait pu tromper son père c’était dégueulasse. Enfin, ça aurait été dégueulasse si Isabelle avait trompé Robert. Mais non. La seule tricarde dans cette affaire, c’était Joséphine.

La mère s’était fait tirer les vers du nez aux forceps et au crachat. Dans le pavillon de Tourcoing, les « je t’emmerde » avaient soudain volé bas et en escadrons. Résultat : un conte de Noël bien crapoteux. Le récit d’une conception maculée au possible, entre les deux réveillons, dans la cabine d’un poids lourd qui transbahutait des courgettes. Des courgettes en décembre… Et pourquoi pas des abricots ? Huit mois et demi après s’être fait culbuter et déflorer (tant qu’à faire) quasi à l’ombre des cucurbitacées, sa mère avait mis au monde une grande courge. Une grande courge aux cheveux blonds et au regard bleu minéral. Tout était dans l’ordre des choses, ou presque, quand on sait que le camion était immatriculé aux Pays-Bas. Être typée viking, aux antipodes de Robert – brun râblé ténébreux, plus méditerranéen tu meurs –, ne l’avait jamais dérangée. Elle avait gravé dans le cœur envers et contre toute évidence qu’elle lui ressemblait. La fille à son papa. Or, Joséphine avait treize mois quand Robert avait rencontré Isabelle. Il avait pris le lot, épousé l’une reconnu l’autre. Le brave mec. Le cocu volontaire et par procuration. Et maintenant, il aurait voulu quoi à défaut d’un rein ? Une médaille ? Pour bons et loyaux services ? Comment on dit déjà ? « Faire un enfant dans le dos. » Et pourquoi pas « faire un père dans le dos » ? Sans blague ! À rebours de toute logique, elle ne lui pardonnait pas de l’avoir laissée être la fille d’un connard de passage. Il n’avait qu’à être là avant ! Elle ne lui en aurait pas voulu davantage s’il l’avait abusée ; nuance, il l’avait abusée, elle était souillée. Rien que de penser qu’il lui avait donné son bain quand elle était minotte, elle en avait la gerbe. Par une inversion cruelle, elle ne l’appela plus que « l’autre bâtard ». Un retour à l’envoyeur chauffé à blanc. Elle ne remit plus les pieds à l’hôpital. Quant à sa mère, cette conne juste bonne à se faire sauter engrosser, pas foutue d’aller avorter dans la foulée, elle ne lui trouvait pas d’excuse, pas même celle de ses presque dix-sept ans au moment des faits. Qu’une séance de pelotage puisse dégénérer en pénétration pas exactement consentie – soudain plus de patins, de gamelles, de suçotage des babines, pour cause que l’un des deux belligérants appuie sa main sur la bouche de l’autre pour l’empêcher de crier –, bref, qu’il y ait eu ce que certains appelleraient volontiers un viol, non, ça ne l’effleurait pas. Quand Josèphe s’envoyait en l’air, c’est qu’elle l’avait voulu. C’est toujours elle qui lançait les hostilités. Il y avait un bail que ses compatriotes avaient cessé d’essayer de l’attraper ; elle ne couchait qu’avec des étrangers qu’elle allait brancher de façon abrupte, pour ne pas dire péremptoire. Pas de flirt, pas de parade. La chose pure et dure, et dans sa propre cabine. Hors de question qu’elle se fade un duvet douteux ou un plan à trois avec la page centrale de Playboy. À part ça… Difficile de dire si le sordide, le franchement dégueu, l’abject la laissait de marbre ou la branchait méchamment. Quant à ce que tout étudiant en première année de psycho aurait vu comme la reproduction du schéma maternel… rien à foutre. Et la reproduction tout court, n’en parlons pas ! Elle aurait pu porter son stérilet en sautoir, ça aurait eu autant d’effet vu qu’elle n’avait plus l’ombre d’un cycle menstruel. Ce rein qu’elle n’avait pu sacrifier sur l’autel de l’amour filial lui avait coupé les trompes.

Ce qui n’enlevait rien à son charme braque et hors du commun. De mémoire de routier, jamais on ne l’avait vue se prendre une veste. Jamais on n’avait vu non plus un homme rester dans sa cabine au-delà des quarante-cinq minutes. Record absolu, sauf… sauf ce Portugais plus fluet qu’elle, timide comme une pâquerette. Cette ablette… Un comble ! Qu’est-ce qu’il lui avait fait de plus que les autres ? La rumeur allait jusqu’à prétendre qu’il avait réussi à remettre le couvert deux ou trois fois. Elle n’était cependant pas plus du genre à s’abonner qu’à s’abandonner et elle avait vite coupé court à ce qui aurait pu passer pour une relation. Quand elle croisait Aurelio, elle le snobait, sans ostentation, simplement comme s’il était invisible. Invisible, mais pas indolore. Le manque, qu’elle avait rayé de son vocabulaire, s’était incrusté sous sa peau, pire qu’une portée d’aoûtats. Dès qu’elle passait à moins de trois mètres du Portugais, ses poils se dressaient, son ventre crépitait, son cœur s’emballait comme celui de n’importe quelle midinette. Elle se faisait payer ces émois de gonzesse standard en invitant instantanément le plus con de la troupe à la baiser – croyait-il, le plus con en question… Dans sa tête à elle, aucune ambiguïté : c’est elle qui le baisait. Celui qui pensait avoir pris la sortie « Mc Do de la tendresse » en était pour ses frais. Plus c’était sagouin, mieux c’était. C’était sa silice. Sa façon de gratter là où ça démange, de ravager la plaie à l’aide du clou réputé chasser l’autre. Un clou rouillé, de préférence. Un accouplement de gorets pour contrer la tendreté. Hors de question qu’elle se tape un gentil. Elle en avait eu un à domicile toute son enfance. La pire engeance. Basta.

À son insu (et il valait mieux parce que sinon elle leur aurait pété la gueule, non mais de quel droit, bande de connards ?!), à son insu, donc, les gars veillaient sur elle lorsqu’elle ramenait un mec à son camion. Après l’avoir raillée, bizutée, l’avoir emmerdée sur sa seule restriction professionnelle – elle ne transportait pas de courgettes. Jamais. Les spéculations étaient allées bon train sur l’embargo à l’encontre du légume sextoyesque –, après avoir rongé leur frein de devoir dormir sur la béquille alors que n’importe quel clampin pouvait se la faire du moment qu’il était immatriculé hors Hexagone, ses confrères avaient fini par la prendre en affection, autant qu’on pouvait affectionner ce genre de gamine urticante. Ainsi, quand elle baisait, ils ne dormaient que d’un œil, ne rongeaient leur gigot que d’une canine. Non qu’on doutât qu’elle soit apte à se défendre comme une grande si elle tombait sur un malotru, mais… c’était plus fort qu’eux, inconsciemment ils la chaperonnaient, restaient en hypervigilance et ne relâchaient la tension que lorsque le gus du jour descendait du camion. L’avantage, c’est que c’était pas long ; ça leur coûtait pas grand-chose et ça leur mettait l’imagination en train.

Aurelio…
Six mois plus tôt, elle s’était dit que ça lui passerait.
Ça ne passait pas.
Au contraire, la brûlure était toujours plus vive.

Un soir, cependant qu’Aurelio la démange plus que de coutume, elle scrute la salle : rien de neuf, rien d’extraordinaire, rien qui lui semble à la hauteur de l’outrage. Et puis, si, finalement. Déglingué juste ce qu’il faut, une gueule d’ange un brin dégueulasse, des yeux ardoise, une brosse grise, les dents un peu en vrac mais bien aiguisées… Une caricature de loup de mer. Sans blague, on le verrait mieux sur l’étiquette d’une boîte de thon ou à la barre d’un trois-mâts qu’au volant d’un 38 tonnes. Pas moche, pas crade, mais quelque chose de vénéneux, de suffisamment malsain pour que l’expédition soit punitive à coup sûr. Banco ! Il en est aux fruits au sirop lorsque Josèphe pique vers lui. Avec la désinvolture habituelle, elle lui propose la botte et le coup de l’étrier, deux en un. Les yeux des convives ne se donnent pas la peine de se braquer sur eux. Tout le monde connaît la scène par cœur. Le type gobe la dernière cerise, engloutit le jus à même le ramequin et après avoir recraché le noyau et s’être essuyé la bouche soigneusement avec sa serviette en papier, et certainement pas avec son revers de manche, il emboîte le pas de la fille.

Selon le règlement, l’effeuillage n’est pas de rigueur. Josèphe préfère que ce soit vite fait bien fait et la plupart des gars s’en accommodent, mais celui-là veut ôter son tee-shirt. Tout ça pour ça. Un truc accroche, il force. Au moment de se rhabiller, il s’aperçoit qu’il a perdu la chaîne qu’il portait au cou. Il faut allumer la lampe… Tout ce que Josèphe déteste : les prolongations en pleine lumière, le vis-à-vis postopératoire. Quand c’est fini, c’est fini. Et là, les voilà à retourner le plumard, à moitié déculottés. Lui, dépoitraillé, surtout. Il retrouve enfin sa médaille. Allez, ouste, dehors ! Mais non, il lui fait face un instant pour montrer son pendentif à l’effigie de…

En dessous de la clavicule, à quelques encablures du téton droit, en diagonale de celui de Josèphe, comme un reflet déconnant, la constellation. Elle la connaît sur le bout des doigts, elle la voit tous les jours dans le miroir et seulement dans le miroir, quand elle est à poil. Cette grappe de grains de beauté lui a longtemps pourri le décolleté… Sa mère essayait toujours de la planquer. Elles avaient fait le tour des dermatos de la région parce qu’elle voulait les lui faire extirper à coup d’azote ou de bistouri sous prétexte qu’une telle profusion ne pouvait être que cancéreuse. Peine perdue. Pas plus de mélanome malin que de beurre en branche, aucun spécialiste n’avait consenti à charcuter la gamine, à remplacer ce signe particulier, somme toute plutôt joli et original, par un tas de cicatrices. C’est l’un d’eux qui avait fait remarquer qu’à la queue en éventail près, l’alignement des points ressemblait à la constellation du scorpion. Le fait qu’elle soit née sous le signe du Verseau n’était pas un argument suffisant pour faire gommer la chose. Sa mère faisait une véritable fixette sur ce truc et voilà que soudain l’Ostrogoth en face d’elle arbore le même ensemble de points, au même endroit. Ça rappelait ce jeu dans les magazines pour enfants : « Relie les points en suivant les numéros et tu trouveras… » Il y avait pourtant longtemps qu’elle ne fait plus semblant de chercher.

Elle ne parvient pas à détacher ses yeux de la poitrine de l’homme. Il pose un doigt sur le dessin :« Schorpioen ! Ik ben geboren Schorpioen ! Comment dire in frans… ? Scorpio… Tatoeage… tatoo… de sterren… the stars. Constellatie Schorpioen…, baragouine-t-il en pointant maintenant son doigt vers le ciel étoilé. Comprendre ? »
Non, elle ne comprend pas. Elle n’entend plus rien. En revanche, malgré la lumière poisseuse du plafonnier, elle ne doute pas de ce qu’elle voit.

La plainte enfle du gémissement au hurlement. Une sirène détraquée. Elle ne peut plus s’arrêter. Tandis qu’il essaie de la calmer, de la faire taire, elle se met à le griffer. Au visage, aux yeux, mais surtout à la poitrine, là où se pavane le monstre. Elle essaie de l’arracher. Oui, une sirène détraquée, une vierge folle, une furie. Une grande claque l’envoie valdinguer la nuque contre le tableau de bord. C’est dans le silence retrouvé que les gars débarquent, ouvrent la porte et font atterrir le Néerlandais sur le bitume. Ceux qui ne sont pas en train de le lyncher appellent les pompiers ou essaient de ranimer Josèphe.
Joséphine, elle, est déjà loin.

 » Le poison « 

Le poison de Charles Jackson aux Éditions Belfond collection Vintage


« Était-ce cela qu’il avait tant cherché? Il avait atteint la phase où une seule chose comptait: boire, boire toujours, boire davantage, et demain, boire encore, jusqu’à l’anéantissement total. »

Ce récit a été publié en pleine seconde guerre mondiale avec un succès retentissant aux États-Unis et dans le monde.

Charles Jackson nous brosse le portrait d’un alcoolique.

Don Birnam, écrivain raté, supporte la vie grâce à l’alcool. Comme toute addiction , tous les moyens sont bons pour assouvir ce besoin de boire. Jour après jour, verre après verre une véritable descente en enfer. Entre mal-être et culpabilité le voyage très alcoolisé se poursuit. Voyage en solitaire, pour seul compagnon la dose nécessaire pour tenir jusqu’au lendemain.


« Une fois le verre devant lui, il se sentit mieux. Il ne le but pas immédiatement. Maintenant qu’il le pouvait, il n’en éprouvait plus le besoin. Au contraire, il s’offrit le luxe de l’ignorer pour un temps. Il alluma une cigarette, sortit plusieurs enveloppes de sa poche, déplia et parcourut une vieille lettre, rangea le tout et commença à chantonner doucement. Puis il se joua la comédie subtile et étudiée de l’ennui.Et quand, pour en finir, il leva le verre jusqu’à ses lèvres, ce fut avec un air excédé qui semblait dire : « Ma foi, je suppose que je ferais aussi bien de le boire, maintenant que je l’ai commandé. » »

Une écriture sans concession, bouleversante, mais personnellement assez déprimante. Cette addiction terrible qui mène vers une déchéance terrible, vers une triste solitude sans aucune joie à l’horizon, n’est pas du tout enviable et ne fait pas rêver.

Un roman qui m’a rappelé le livre de Frederic Exley, dernier stade de la soif. Un style de lecture, qui malgré sa qualité d’écriture n’est pas fait pour moi. Je ne l’apprécie pas à sa juste valeur. Ce genre de récit à tendance à me plomber le moral très vite. Quitte à sombrer autant se perdre dans un bon verre de whisky 18 ans d’âge, avec modération ou pas …


Des livres qui sont considérés comme des chefs-d’oeuvre intemporels de la littérature de l’addiction.

 

 

Charles Jackson
Charles Jackson est né dans le New Jersey en 1903, et a grandi à New York. Sa jeunesse est marquée par plusieurs drames : la disparition brutale de son frère et de sa soeur dans un accident de voiture ; son enfermement pendant cinq ans dans un sanatorium où il manque mourir de la tuberculose. En 1944, Charles Jackson écrit son premier roman, Le Poison, un best-seller immédiat inspiré par sa vie et ses propres démons, adapté au cinéma par Billy Wilder en 1945, et qui paraît en France chez Julliard en 1946. Trois romans suivront, qui ne connaîtront pas le même succès. Alors que ses problèmes d’alcoolisme et sa bisexualité l’éloignent de sa femme et de sa famille, Charles Jackson meurt d’une overdose le 21 septembre 1968, à New York, alors même qu’il écrivait une suite au Poison.

 

Je remercie les Éditions belfond pour cette lecture alcoolisée.

 

 

 » Septième nouvelle anonyme « 

Les nouvelles se suivent et ne se ressemblent pas, elles sont en route semaine après semaine vers le Trophée Anonym’us, dés à présent je vous confie la septième, ne vous fiez pas au titre, ce n’est pas du Marc Levy, je vous le promets.

Je vous souhaite une bonne fin de dimanche et une bonne lecture.


Nouvelle N° 7
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Elle et Lui

Le rendez-vous était prévu au Salon du livre de Paris. Nouveau millésime ! Des éditeurs, des écrivains et les visiteurs. C’était une grand-messe, un lieu voué au lectorat de l’extrême. Sans eux, pas de roman, pas de romance, pas de polar. Rien, la fin du monde. Dans la Ville lumière, étaient venus se côtoyer les fous et les surexcités de la société livresque. Hors du temps et des haines politiques, un instant suspendu pour la survie de l’espèce culturelle. Une fête célébrant la liberté d’expression en tout genre ; l’interdire revenait à entrer en dictature. Ces hyperlecteurs s’y adonnaient à une danse contre la nature barbare et pratiquaient un exorcisme de l’autodafé. Le livre y était manipulé, humé, dévisagé. Les auteurs en étaient déifiés, promulgués comme des nouveaux messies. Une religion sans dogme rédhibitoire, dans laquelle le mot était roi, un corps caverneux dans lequel la vie coulait sans interruption. Bandant à souhait !

Isabelle se moquait bien de ces pédantes considérations.

Elle n’était pas venue pour les livres, mais pour se livrer. Elle se destinait à l’un de ces écrivains, de ceux qui attendaient la plume à la main. Dans sa voiture, elle avait peur. Cela faisait tellement longtemps qu’elle ne l’avait pas vu.

Elle avait fait le déplacement pour le toucher, pour émouvoir sa cible. Lui !

L’autoradio passait une chanson de Dalida « Il venait d’avoir 18 ans, il était beau… »
Elle venait d’avoir 18 ans quand elle était partie, quand elle avait tout quitté.
Elle était jeune et maintenant, elle se sentait si vieille. « J’ai mis de l’ordre à mes cheveux, un peu plus de noir sur mes yeux… » Oui, ce matin elle avait pris plus de temps pour se préparer. Saloperie de radio, toujours à réinjecter dans le quotidien les mélopées dégoulinantes du passé !

Elle ne voulait pas le décevoir, depuis le temps qu’elle ne l’avait pas vu, depuis qu’elle l’avait tenu dans ses bras pour la dernière fois. Leur première rencontre avait donné le top départ de leur vie respective. Une vie qui avait dès lors commencé à pourrir. Dieu avait craché sur leurs tombes qu’ils n’avaient plus fini de creuser !

Laszlo Dorian était de retour à Paris, un lieu qui lui rappelait des souvenirs.
Il y avait vécu dans sa jeunesse. La famille de son père était d’origine prolétaire, de ces boulevards populaires. Ainsi, il était content de lui, fier d’être devenu écrivain.

Il avait trimé, comme ses ancêtres.

Il avait sculpté dans le papier les sueurs dégoulinantes de son talent, afin de sortir de la misère et le résultat était là, palpable. L’hémoglobine l’avait délogé de la pauvreté.

Il était maintenant un brillant représentant du commerce du sang. Si son père débitait des carcasses d’animaux dans l’arrière-boutique d’un boucher ainsi que des coups à ses multiples maîtresses, lui, dépeçait des corps de femmes et ensanglantait des pages blanches pour le plus grand plaisir de ses fans. Malgré les obstacles de la violence, les aléas de la vie et de la mort, il avait survécu. Aujourd’hui, il était un auteur qui promettait beaucoup d’après les critiques littéraires.

Il venait distribuer des signatures, vendre son âme d’artiste, se faire photographier avec ses admirateurs, ces charognards de l’imaginaire. Son quatrième livre, un roman noir comme les précédents, marchait très bien. Les lecteurs allaient sans doute venir nombreux pour le rencontrer. Déjà, depuis l’ouverture, il avait fait pas mal de dédicaces. Certains de ses voisins étaient plus prestigieux que lui. Cependant, il était déjà un peu connu, sa carrière avait vite pris de l’ampleur et la fortune arrivait à grands pas. Laszlo n’était plus un anonyme, usant déjà des ficelles miellées de la notoriété.

Il avait dans son collimateur ce romancier, Lazard Grimaud, un ancien policier qui dégainait avec le même brio son stylo et son flingue. De l’autre côté de l’allée, il enviait la foule qui attendait Adama Nesgravia, l’écrivaine qui extirpait chaque année de son Montblanc 150 pages d’une mixture à faire défaillir les foules. La trentenaire à ses côtés, quant à elle, était sympa comme beaucoup en général dans ces salons ; une auteure qui faisait dans la romance érotique, histoire cucul et sexe nunuche. Il en fallait bien pour tous les goûts !

Il les aurait tous tués pour obtenir une miette de leur succès et de leur richesse. Encore une fois, seul l’écran de son clavier était éclaboussé de ces massacres virtuels. Aucun courage, cela le minait.
Et puis il y avait les lectrices, celles qui adulaient les romanciers comme s’ils étaient des rock-stars. Néanmoins, une visiteuse en particulier, allait se distinguer des autres.
Il savait qu’elle avait hâte, qu’elle était en attente et surtout qu’il allait la décevoir, la repousser. Pas uniquement pour le plaisir de lui faire mal… C’était plus que ça ! Elle allait déguster au propre comme au figuré : cette salope allait maudire le jour de la naissance de Laszlo le Magnifique. Et après cela, il savait qu’il serait délivré, qu’il pourrait changer son mode opératoire.

Il avait des frissons dans le dos à l’idée de la briser ! Trop de douleurs lui torturaient les méninges. Les souvenirs… Et pourtant ils avaient eu tous deux le bonheur à portée de main. Si seulement…
Isabelle se remémorait les avertissements de ses copines. Elles lui avaient bien dit de ne pas le laisser, comme ça, sans explications. Seulement elle ne les avait pas écoutées.

Elle avait toujours eu soif de liberté.

Elle était de toute façon trop jeune quand elle avait croisé son regard la première fois. Regrettait-elle son départ ? Non, pas vraiment.

Elle avait vécu comme elle l’entendait. Aujourd’hui, la cinquantaine approchant, elle avait eu tous les amants qu’elle avait désirés. Aujourd’hui, la beauté s’éloignant, elle avait eu tous les soucis qu’elle n’avait pas désirés. Son cœur était affaibli et meurtri, elle espérait avoir l’extrême onction de Laszlo. Un dernier mot, une dernière caresse qui effaceraient les coups du sort.

Elle attendait le pardon. Et pourquoi pas, un peu d’amour, encore, s’il n’était pas trop tard ?
Elle accepterait toutes les tortures de sa part, elle lui offrirait sa pauvre carcasse en pâture.

Elle comptait bien endurer les martyres décrits dans ses romans. Elle avait lu toute l’œuvre de Laszlo Dorian, tout ressenti dans sa chair. Elle l’avait eu dans la peau de chapitre en chapitre, incarnant son mal du prologue à la conclusion fatale.

Elle seule avait les clefs de son inspiration, savait pourquoi ces pauvres filles morflaient dans ses fictions, elle avait conscience que c’était elle, la vraie victime, la vraie coupable. Quand il écorchait sa proie aux creux des pages, elle en percevait les sévices. Et elle aimait ça ! En redemandait comme une pénitente à bout de souffle, à bout de vie.

Laszlo ne savait pas à quoi elle ressemblait maintenant.

Il avait le souvenir d’une chevelure magnifique et des quelques baisers sur sa nuque. Du miel qu’il avait cherché sur d’autres corps, auprès d’autres regards. Dans son dernier bouquin, Isabelle se faisait étrangler après maintes morsures. Son héros en avait bu le sang, la sève jusqu’à l’écœurement.

Il lui avait pris la vie à pleine bouche, au goulot, gloutonnement. Et à chaque page écrite correspondaient des nausées.

Il n’arrivait pas à exorciser sa douleur.

Il craignait d’être saturé de crimes irréels. Pour cette raison, il lui avait envoyé une invitation. Cette fois, il avait envie de concrétiser son aversion, ses amours défuntes. Bientôt il allait engloutir celle qui personnifiait son fantasme depuis si longtemps. Sa plume se tarirait peut-être, son talent s’écoulerait comme la vie de ce corps qu’il manipulerait enfin.

Il ne pouvait plus continuer comme ça et devait trancher dans le vif sans penser aux conséquences. Isabelle dont il avait si longtemps souhaité la chute allait arriver. Il attendait d’admirer dans son regard l’effroi du rejet. Être vengé, l’anéantir comme dans ses romans, la piétiner. En la contactant, il était resté flou, avait laissé un peu d’espoir pour la voir tomber de haut. Cette Messaline symbolisait l’origine immonde, de son monde d’errance…

Isabelle était terrorisée. Et ses talons qui claquaient maintenant sur le bitume du parking, représentaient le compte à rebours vers le jugement, peut-être vers l’échafaud. Condamnée, elle savait qu’elle allait succomber, son cancer se généralisait.
Elle attendait un peu de réconfort de celui qui lui avait laissé un espoir, dans une lettre et au téléphone…
Elle tenait dans sa main moite le bijou pour entrer dans le cœur de cet homme, elle allait s’en servir. « L’espoir fait vivre ! » De ce cliché, elle espérait donc une embellie, un peu de temps en plus, du bonus, même si elle savait qu’au fond, elle ne le méritait pas tout à fait.
Laszlo au Salon du Livre de Paris ! Un moment qu’il aspirait depuis que son éditrice lui avait dit qu’il en serait un invité de marque.

Il regardait l’ensemble des exposants. Ces gens qui passaient leur existence à écrire, qui se penchaient sur une page blanche et tentaient de construire une histoire. Le plus souvent ils reconstruisaient la leur. Comme lui, dans son premier roman, qui déjà martyrisait une jeune fille de 18 ans, cette pouffiasse se faisait maltraiter pour expier ses pêchés. Alors, là, sur son stand, il signait, saignait en souriant.

Il se délectait de sa toute nouvelle renommée et du mal qu’il allait faire à cette femme. L’attente était doucereuse.

Il se remémorait son parfum. Un mélange de jasmin et de fleur d’oranger, une mixture qu’il reconnaîtrait n’importe où, n’importe quand. Un jour, dans une foule, il avait suivi une femme blonde, exhalant la même odeur qu’Isabelle. Comme un chien, les sens en alerte, il l’avait pourchassée et coincée dans une rue minable de Londres. Elle s’était laissée embrasser, flattée de faire envie à un si beau gosse. Et au moment de l’avoir à sa merci, alors qu’il allait entrer en elle, debout contre le mur, le corsage déjà lacéré, elle s’était débattue. Elle s’était dégagée de ses mains qui voulaient l’étrangler, soudain dégoûtée. Comme Isabelle qui l’avait repoussé ! Trop inexpérimenté, trop mou, il avait échoué dans sa tentative de tuer cet ersatz d’Isabelle. D’où son premier succès littéraire, d’où sa première victime sur tranche dorée, maintenue à sa merci à l’encre rouge. Une tentative avortée ! Les prémices pitoyables de sa carrière d’assassin ! Une impuissance livresque qu’il s’était juré de se faire pardonner. Jusqu’à ce jour, il n’avait jamais pu réaliser ce dont il se sentait capable.

Il allait pouvoir la massacrer, aujourd’hui, en vrai, grandeur nature. Sa haine s’était ravivée dès qu’Isabelle lui avait parlé, cette voix au téléphone comme l’élément déclencheur qui allait le transformer en meurtrier. Son timbre si significatif avait tout remis sur le tapis. Son excitation malsaine le terrassait.

Il était en manque, imperméable à toute compassion. Les dès était jetés et les cartes ne demandaient qu’à se faire abattre. Il en tremblait d’avance. Il allait achever le travail commencé des années auparavant. Bientôt la fin du jeu !

Isabelle essayait de garder son sang-froid, d’éloigner les paroles néfastes de cette foutue chanson. Inlassablement, Dalida s’entêtait à lui instiller la mélodie du malheur. « Quand il s’est approché de moi, j’aurais donné n’importe quoi… ». D’une démarche mal assurée, elle s’approcha de la table de l’homme qu’il était devenu.
« Mon amour, mon seul véritable amour, que tu es beau ! » s’exclama-t-elle en son fors intérieur.
« Il était beau comme un enfant… », susurrait perfidement la chanteuse au subconscient d’Isabelle.
Doucement, elle glissa la petite médaille ornée d’un chérubin. Ce bijou, cadeau du passé brillait d’un éclat particulier sur la couv’ vermeille du dernier livre de l’écrivain… Une trace d’innocence sur le corps d’une jeune fille sanguinolente. La main virile et forte de l’auteur s’en empara rapidement.
Odeur de jasmin, de fleur d’oranger, battements de cœur, frissons des épidermes… Tout allait soudain trop vite, trop lentement…
Laszlo leva le regard sur Isabelle. Elle était vieille et fatiguée. Elle ressemblait à une chanteuse des années 70. Du mascara coulait sous les vestiges de ses yeux bleu azur. L’instinct du prédateur était pris au piège de sa victime. Une poigne invisible s’agrippa au coup de Laszlo. Des gouttes de sueur perlaient au bord de ses longs cils faisant écho à ceux de cette femme, là devant lui. Tout de suite, il savait qu’il allait l’aimer, à nouveau. Ne plus infliger d’horreurs à ces pauvres filles sur papier glaçant.

— Maman !

 » Je sais pas « 

Je sais pas de Barbara Abel aux Éditions Belfond

 

Chronique Chahutée par ce dialogue de Minettes …langue de chat sans langue de bois .

-Tu lis quoi?

-Je sais pas.

-Comment ça tu sais pas ce que tu lis ?

Je sais pas c’est le titre

-C’est de qui ?

-De Barbara Abel

-Et tu aimes?

-Je sais pas .

-Tu sais pas grand chose en fait.

–  Je le commence

-Elle est belle la couv’?

-Trés belle.

-C’est quoi le pitch?

-C’est l’histoire d’une belle morveuse qui s’est perdue dans la forêt.

-Le petit Chaperon rouge?

-Mais non,même si y’a pas mal de loups qui traînent par ici.


-Ça fait peur?

-Pas assez  .


-Alors tu frissonnes?

-Pas vraiment

-t’es peut-être trop couverte là sous ta couette?

-T’es bête!

-Ben oui chat tout le monde le sait,mais toi aussi tu risques d’avoir l’air bête avec cette chronique..

-M’en fous, je prends le risque,  ça m’embête pas.

-Alors tu aimes?

-Je sais pas.

-Tu sais pas ou t’oses pas le dire?

-Je déteste pas ,mais je chavire pas.

-T’es dans un livre, pas sur un bateau .

-Ahahahahah MDR

-T’es fâchée aprés la morveuse? Elle t’as tiré les cheveux?

-Non c’est l’histoire, par moment c’est un peu tiré par les cheveux.

-Ce livre va changer ta vie?

-M’est avis que non.

-T’aimes pas?

-Pas trop…

-Et les autres lecteurs, ils vont aimer ? Et me dis pas Je sais pas.

-Certains oui d’autres je sais pas, c’est pas à moi de décider pour eux!

-Tu crois qu’ils nous le diront?

-J’aimerais bien, j’adore les échanges .

-T’en as lu d’autres de Barbara?

-Oui,le précédent: l’innocence des bourreaux.


-Et t’avais aimé?

-Beaucoup, énormément même.

-Ah enfin, tu sais quelque-chose. Tu la liras encore ?

-Trés certainement …Qui suivra verra… Qui sait?

-Je sais pas

-Si tu t’y mets aussi …

 

Barbara Abel est née en Belgique, elle est l’auteure de L’instinct maternel (2002) , ce premier roman a reçu le Prix Cognac, Un bel âge pour mourrir (2003), Duelle (2005), La mort en écho (2006), Illustre inconnu (2007), Le bonheur sur ordonnance (2009),La brûlure du chocolat (2010), Derrière la haine (2012), Après la fin (2013), L’innocence des bourreaux (2015). Ses livres sont adaptés au cinéma, à la télévision, et traduits dans plusieurs langues.


Je sais pas est son onziéme roman.

Je remercie les Éditions Belfond pour cette lecture expectative.

 

 

 

 

 » Comment tu parles de Ton Père « 

Comment tu parles de ton père de Joan Sfar aux Éditions Albin Michel


« C’est ça qui se produit à la mort du père. On n’a plus personne à épater. » 

Un seul être vous manque et tout est dépeuplé…

À travers ce récit , Joann nous livre  une confession assez intime , comme un monologue presque entiérement adressé à son père. Des fragments de sa vie, ses souvenirs, mis bout à bout sans chronologie particulière, en vrac mais pas sans émotion.

En vrac,il l’est et l’écriture l’aidera à faire son deuil. L’écriture comme échappatoire à la douleur. L’écriture pour tenter de comprendre ce qui n’a pas été dit.

« Il ne faut pas, sciemment mentir à son gosse. Sinon il passe sa vie à raconter des histoires. »

Joann écrit et nous confie ses frayeurs, ses colères,  ses doutes, ses manques, ses frustrations et s’en délivre pour adoucir sa peine, libérer son chagrin.

« Toute la vie on me coupe. Au prétexte que le lecteur va s’ennuyer, ou qu’un film ne doit pas dépasser deux heures. On m’impose cette réalité frustrante : tout doit finir. Même les livres. Alors je mets « à suivre » et ne termine jamais, en signe de révolte. On me coupe sans cesse. Je ne veux plus.  » 

Joann Sfar
Un récit touchant, authentique qui m’a plongé dans mes propres souvenirs et à tout ce que je n’ai pas eu le temps de dire à mon père.

Joann Sfar écrit, dessine ça l’aide, moi je lis , à chacun son addiction pour guérir ses maux.
« Comment tu parles de ton père » n’est pas un roman, mais un livre à cœur ouvert, une chasse aux souvenirs pour ne pas les oublier et partager encore un moment avec son père. Une prose entre rire et larmes bouleversantes.

 » Il paraît que c’est ça, devenir adulte: le père meurt, on n’a plus d’autre ennemi que soi-même. « 

Joann Sfar a grandi dans la culture juive, ashkénaze et séfarade à la fois. Après une maîtrise de philosophie à l’université de Nice, il entre aux Beaux-Arts de Paris. Il est aujourd’hui dessinateur, scénariste de bande dessinée et réalisateur de cinéma. En 2011 « Gainsbourg vie héroïque » obtient trois Césars.


Il s’impose auprès du grand public avec « Le chat du Rabbin » qui s’est vendu à ce jour à plusieurs millions d’exemplaires. En 2012, son adaptation remporte le César du meilleur film d’animation.

Il realise en 2015 « La dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil « adapté du roman du même nom de Sébastien Japrisot.


En 2013, il publie aux éditions Albin Michel son premier roman, « L’éternel  » puis «  Le plus grand philosophe de France en 2014.


Je remercie les Éditions Albin Michel pour ce récit poignant.

 » La valse des arbres et du ciel « 

La valse des arbres et du ciel de Jean-Michel Guenassia aux Éditions Albin Michel



 » Ce qui m’importe, ce n’est pas d’être reconnu et célèbre mais de pouvoir peindre comme je veux. Moi, je n’ai pas besoin d’argent pour être heureux. »



Auber-Sur-Oise, été 1890.
Van Gogh, en convalescence, y séjourne et peint tout ce qui l’émerveille chaque jour.

Champ de blé aux corbeaux,Huile sur Toile,1853

 » Je fais une toile par jour, et une foule de desseins. Quand je ne peins pas, c’est une perte de temps. Si je le pouvais, je n’arrêterais pas de peindre. je rêve parfois que je passe mes jours et mes nuits à travailler. Je me dis que si j’y arrivais, je peindrais mieux, plus fortement, et j’atteindrais le point ultime de la peinture, qui rendrait le reste inutile. Et enfin, je serais libre et heureux. Mais il faut bien s’arrêter, et vivre. »



Il va y rencontrer Marguerite Gachet, une jeune fille qui rêve d’Amérique, de liberté, et de devenir peintre. Pourtant déjà promise, elle ne résistera pas au charme de Van Gogh, ni au danger qui vont accompagner cette idylle.

Les tournesols 1888

 » Je ne me marierai pas avec toi. Ni avec personne d’ailleurs. Je ne serai jamais la propriété d’un homme. Je n’ai pas l’intention de changer de prison. »

Les Iris 

Son père, le docteur Gachet, fait parti du tableau, de manière opportune. En ce temps là, ils étaient nombreux à être prisonniers de la morale bourgeoise pour ne pas dire coincés. Les artistes étaient mal vu et vivement critiqués.

Nuit étoilée

« Si monsieur Vincent Van Gogh voit la nature comme il la peint, nous le plaignons. Il doit la trouver bien laide. »



Un talent incompris à cette époque, enfin apprécié de nos jours. Van Gogh était un grand précurseur.
Jean-Michel Guenassia revisite à travers ce roman les derniers mois de la vie de Van Gogh, et soulève de nombreuses questions. Et si Van Gogh ne s’était pas suicidé? Et si une partie de ses toiles, exposées dans le monde entier, étaient des faux? Et si Marguerite...? Et si…? Ses recherches très poussées auprès d’historiens nous apportent des réponses stupéfiantes et créé une fiction magnifique. L’imagination de l’auteur nous offre un magnifique tableau livresque et sa verve romanesque sublime le paysage à chaque page. De part sa plume et son récit fascinant il réussit à me passionner pour la peinture et pour les impressionnistes de cet époque. Un miracle en soi.
« Je n’ai rien voulu de ce qui m’est arrivé, mais ce sont les choses qu’on ne choisit pas qui nous font devenir ce que nous sommes. »

Autoportrait, huile sur toile,1889.


Jean-Michel Guenassia est l’auteur de quatre autres romans à succès que je ne peux que vous encourager à découvrir , nombreux ont déjà été conquis, moi la première.

Jean-Michel Guenassia

“Le club des incorrigibles optimistes” reçut le Goncourt des lycéens en 2009, un véritable phénomène d’édition en France et dans le monde (écrit en 4 ans, lu en 2 jours au grand dam de l’auteur, désolée mais c’était tellement BIEN),
“La vie rêvée d’Ernesto G “ en 2012 ( on y croisera le Che ), “Dernière donne” (Paru en poche en 2014) et “Trompe-la-mort” en 2015 (qui nous transportera en Inde). À ce jour, il a vendu plus d’un million d’exemplaires de ses livres.

Un auteur que je suis, fidèle aux belles plumes. Fidèle je resterai.
Merci aux éditions Albin Michel pour ce voyage livresque très coloré et très apprécié.

 » Billet de cinéma « 

Le monde du silence vs aux flammes de l’enfer

Deux films,deux ambiances différentes et pourtant …

L’Odyssée vs Deepwater

(Pour la bande-annonce clique sur le film)

L’odyssée relate l’histoire de la famille Cousteau. Cousteau grâce à qui nous avons découvert ‘Le monde du silence’, la vie sous-marine. Et c’est également grâce à ses recherches que des gisements de pétrole ont été trouvé et ont pu être exploité par les sociétés pétrolières . Suivra ensuite la construction de ces fameuses plateformes que l’on retrouve dans Deepwater.

Deepwater relate la plus grande catastrophe pétrolière de l’histoire qui entrainera une autre catastrophe cette fois écologique suite à la marée noire qui suivra dans le golf du Mexique en 2010.

Avec l’odyssée je suis apaisée, émerveillée, en plein rêve. Avec Deepwater je suis sous tension, effrayée, inquiète, en plein cauchemar. Deux histoires vraies, avec chacune de grands acteurs, deux grands films, l’un français l’autre américain . L’un m’offre une vision du monde splendide l’autre une tragédie. Deux films aux émotions opposées mais qui se complètent pourtant très bien et t’amènent à penser que tout est toujours une question de fric, de profit . Et c’est toujours après que l’on pense à protéger notre planète et ses êtres vivants, oui toujours après quand le mal est fait.

Deux bobines que j’ai  apprécié et qui m’ont donné envie d’écrire ce billet de cinéma un peu spécial pour apaiser la colère qu’elles ont un peu suscité malgré le spectacle grandiose que m’ont offert ces deux toiles.


Deux grands films que je vous invite à découvrir.

Deux ambiances musicales pour rêver et vibrer .

« Petits secrets, grands mensonges »

Petits secrets, grands mensonges de Liane Moriarty aux éditions Albin Michel

 

 » Je crois que personne n’a la moindre idée de qui a fait quoi. Pas même la police. »

Mais alors que se passe-t’il dans cette ville d’Australie?

Bienvenue à Pirriwee dans ce quartier résidentiel et son école publique très proche de Wisteria Lane, mais si rappelez vous « Desperate Housewifes » aux USA, pourtant éloigné de nombreux miles mais tellement similaire. Je vous promets on s’y croirait, tout comme dans son premier roman  » le secret du mari », même ambiance mais autre histoire, autres secrets,autres mensonges. L’auteure t’embarque dans une nouvelle aventure jouissive et pleine de suspens.



« Que les choses soient claires. On n’est pas au cirque, là. Il s’agit d’une enquête pour meurtre. »


M’y suis pourtant cru au cirque avec cette flopée de personnage qui se donne si aisément en spectacle, du vrai Vaudeville. Les rumeurs circulent entre deux coupes de champagne, surtout chez celles qui n’ont pas été invité. La bourgeoisie ne se fait pas de cadeaux.
« Au diable, la gentillesse! De toute façon c’est surfait! « 


En attendant l’arrivée de la nouvelle a fait un beau bordel dans le quartier, sans le vouloir pourtant, mais l’accueil laisse à désirer, et si en plus tu débarques seule avec ton mouflet, le gang des serre-têtes ne va pas t’épargner.
« Pour être honnête c’était agaçant. Comme si leur château de sable étaient mieux que le nôtre »
Un grain de sable en trop dans la cour d’école et c’est tout qui se déglingue dans le quartiers aux belles façades. Pourtant derrière ces magnifiques décors, il s’en passe des choses, et pour démêler le faux du vrai, ça va pas être simple. Bien avant la soirée Quizz les questions se posent.


Pour son deuxième roman Liane Moriarty t’emmène dans un terrible suspens. Le récit remonte le temps agrémenté au fil des pages par des fragments de rumeurs que la journaliste amasse pour son futur papier, les langues de vipères s’en donnent à cœur joie. Une construction du récit peu commune, qui t’accroche jusqu’au final. Il sera prochainement adapté en séries, la première :‘big Little Lies’ avec Nicole Kidman et Reese Whitherspoon, et la seconde :« Sharp Objects’



Liane Moriarty, romancière australienne est l’auteur de six best-seller dont « Le secret du mari »grand succès en France et aux États-Unis, traduit dans 55 pays.

Petits secrets, et grands mensonges,son deuxième roman traduit en France est un récit réjouissant que j’ai apprécié tout autant que “Le secret du mari”. À déguster comme une divine comédie sans modération. Une belle escapade livresque sans prise de tête chez les nantis.

Liane Moriartty
Je remercie les éditions Albin Michel pour cette chouette lecture très divertissante .

« La vengeance des mères « 

La Vengeance des mères de Jim Fergus aux Éditions Cherche Midi

« C’est la musique d’un monde sauvage, le portrait de ses paysages, avec ses plaines ondoyantes, ses torrents impétueux, le murmure de ses sources, le vent qui soupire dans les herbes et crie dans la prairie enneigée. On y entend le hurlement des loups, les troupeaux de bisons qui martèlent le sol. On y reconnait les saisons qui passent d’une génération à l’autre, se fondent dans l’histoire sans âge de ce pays et de son peuple. »



Seize ans après ‘Mille femmes blanches‘ le tout premier roman de Jim Fergus, je me replonge avec bonheur dans la suite de cette terrible histoire divinement contée. Cette suite n’était pas du tout prévue au départ, mais c’était sans compter sur la passion de Jim. De retour dans l’ouest, il reprit ses recherches et décida de continuer ce premier roman, l’histoire se poursuit et sera même suivie par un troisième récit, très prochainement j’espère.

Pour écrire ‘Mille femmes blanches’ ce premier roman vivifiant et retrouver la piste des Cheyennes, Jim Fergus a sillonné seul avec ses chiens le Middle West.


Une trilogie au final qui sera digne des plus beaux hommages que l’on peut rendre à ce peuple indien.
« Maudit soit l’état américain! Maudite soit son armée! Cette humanité de sauvages, les blancs comme les indiens! Et le bon Dieu dans les cieux. Faut pas prendre ça à la légère la vengeance d’une mère, vous allez voir ce que vous allez voir… » (extrait des journaux intimes de Margaret Kelly)




À travers les journaux intimes de quelques femmes blanches, ces fameuses femmes américaines échangées contre des chevaux un an auparavant qui ont survécu au massacre, et de nouvelles fraichement arrivées, ce récit choral se révèle, souvenirs après souvenirs. Auprès de ces femmes courageuses, nous allons vivre une aventure extraordinaire dans les plaines sauvages, et nous les accompagnerons dans cette lutte pour leur survie et la survie du peuple indien qu’elles ne souhaitent plus quitter.Et l’on s’aperçoit que les sauvages ne sont pas ceux que l’on croyait.

« Je me rends compte qu’ils passent une grande partie de leurs temps à courir et à fuir, dans le but somme toute modeste de rester libres. « 

Jim Fergus nous offre une histoire époustouflante, un magnifique hymne à la liberté, une ode à la nature, un véritable hommage au peuple indien et au sang-mêlés. L’histoire d’une lutte acharnée de ces hommes et de ces femmes privés de leur terre et de leur liberté. Sous sa plume d’un grand conteur apparaissent de magnifiques portraits de femmes blanches et indiennes, tous terriblement attachants à qui on n’a pas laissé le choix.
« S’adapter ou périr », telle sera leur devise…
« Il ne nous reste plus de larmes aujourd’hui à verser… Mais peut-être que ce n’est que partie remise. »
Un véritable chef-d’œuvre que Jim Harrison a qualifié de « Splendide », dignement salué par la critique et par moi-même. Passionnée comme je le suis, par ce peuple, par leur histoire, je ne peux que vous inciter à découvrir ces deux sublimes romans et de patienter pour le final en découvrant ses autres romans tout aussi magnifiques et de lire également la plume de son grand ami Jim Harrison disparu en mars 2016.


Jim Fergus, né de mère française et de père américain. Suite à un voyage avec son père pendant son enfance dans l’ouest américain, il se passionnera pour la culture Cheyenne. Il perds ses parents à l’âge de 16 ans et part vivre dans le Colorado où il poursuivra ses études. Avant de se consacrer entièrement à l’écriture, il fut professeur de Tennis .Le hasard fit bien les choses, un jour, quelqu’un emménage prés de chez lui. Ce nouveau voisin n’est autre que Jim Harrison qui deviendra un véritable ami et lui donnera de précieux conseils pour sa carrière d’écrivain. Une amitié qui s’est peu à peu enracinée au fil du temps sur cette terre qu’ils aimaient tant. Jim Harrison l’a d’ailleurs accompagné à Paris pour le lancement de Mille femmes blanches en 1990.
Jim Fergus est également l’auteur de « La fille sauvage » (2004)  » Marie Blanche « (2011) « Espaces sauvages « (2011) « Chrysis« (2013) Mon Amérique (2013) tous publiés au Cherche Midi. À découvrir absolument.


Je remercie Jim Fergus et les éditions Le Cherche Midi pour ce fabuleux voyage en terre Indienne


 » Sixième Nouvelle anonyme « 

Hello la compagnie, entre deux cafés après la grasse matinée dominicale, il est temps pour moi de vous présenter la sixième nouvelle anonyme.

Un petit récapitulatif pour vous remettre en tête le concept. Chaque semaine je vous propose de découvrir une nouvelle, ceci pendant 27 semaines, ces nouvelles sont anonymes, nous connaissons les auteurs participants à l’écriture ( Présentation du trophée anonymu’s complet ici ) mais aucunement le titre de la nouvelle leur correspondant.

Suspens …

En fin limier nous pouvons tout en votant pour la meilleure d’entre elle tenter tenter de découvrir à qui elle appartient. En attendant je vous laisse découvrir celle d’aujourd’hui :

Ballon rouge (6/27)

À télécharger en pdf ici 

Ou à lire ci-dessous.

Bonne lecture la compagnie et bon dimanche.

Ballon rouge

Des semaines que cela dure. Des jours sur le balcon à épier sa fenêtre, à guetter ses apparitions, à scruter le moindre de ses gestes, à capturer dans son viseur la plus intime de ses attitudes. Des nuits à reproduire, agrandir, placarder les tirages de ses portraits sur le mur du fond. Puis à gamberger dans le noir de cette chambre sans chaleur, à s’agiter seul, loin de ce corps convoité. Mais rien n’apaise la tension de sa carcasse qui réclame, exige de s’assouvir. Se repaître. D’elle.

Ce matin, il n’en peut plus. Réveillé avec la nausée, il n’a pas pu s’empêcher de faire ce qu’il pense encore prématuré de faire. Il s’est approché de sa porte-fenêtre. Il ne l’a pas aperçue, elle était sans doute déjà partie. Mais il a découvert le banc, à quelques mètres de la haie qui sépare son jardinet de l’espace vert commun à tous les résidents des Mimosas. Il s’y est assis, a offert au soleil son visage levé en quête vers le ciel. Des enfants jouaient un peu plus loin, il entendait leurs cris et leurs rires, les coups de pied dans le ballon. Il est resté là longtemps, à espérer un signe qui n’est pas venu. Puis, alors que, frustré, il se levait pour partir, l’objet est venu percuter l’arrière de son crâne. Il a vacillé et cru sa dernière heure arrivée. Un éclair rouge a zébré l’espace devant lui et le ballon est allé rouler tout contre sa haie. Si ça, ce n’est pas un signe, s’est-il dit en retrouvant tant bien que mal son équilibre. Déjà les exclamations des garçons venant récupérer leur balle se rapprochaient. Il ne lui restait qu’une courte fenêtre de tir. Il ne pouvait pas tergiverser plus longtemps, faute de quoi son rêve pourrait bien se désagréger pour une maladresse ou une hésitation de trop. Encore tremblant, il bondit vers la sphère rouge arborant le logo noir d’une célèbre marque sportive. Sans plus réfléchir, il s’en empara et, d’un geste vif, la balança par-dessus les lauriers au feuillage dense et luisant. Le cœur au supplice, il risqua un œil à travers une brèche. Il entrevit les deux fenêtres closes, les rideaux tirés. Puis il repartit rapidement dans l’autre sens avant qu’on ne le trouve là à jouer les voyeurs. Deux garçons surgirent, s’interpellant et s’interrogeant. James ricana : les petits cons, ils pouvaient toujours le chercher leur foutu ballon.

Louise préparait le repas du soir en fredonnant les notes qu’égrenait le piano dans la salle de séjour. Une comptine un peu laborieuse qui la faisait grimacer à chaque étourderie.

– Sol ! c’est un sol ! cria-t-elle, tu te trompes chaque fois au même endroit !

La petite voix de Blanche protesta. Le piano se tut un instant puis le morceau reprit au début. Louise sourit. Son petit trésor était docile, ce soir. Elle attendit l’expiration de la première mesure, la reprise, la fausse note. Alors, agacée, elle décida la fin de la torture en annonçant le dîner dans dix minutes.

Au moment où Blanche sautait du tabouret pour aller se laver les mains, la sonnette de l’entrée retentit. Louise se figea. Qui pouvait bien débarquer à cette heure tardive ? Elle s’essuya les mains dans son tablier, arrangea machinalement quelques mèches et alla ouvrir, sa fille sur ses talons.

L’homme était grand, svelte, terriblement séduisant. Par-dessus tout, il avait un faux air de Jonathan. C’en était tellement troublant que Louise chancela. Le même âge ou presque, un sourire à dépecer les âmes sensibles ou solitaires, à pulvériser les défenses.
– Bonsoir, dit-il d’une voix aux intonations chaudes, j’espère que je ne vous dérange pas…
Et cette pointe d’accent… Américain ? Anglais ?

Louise attendit la suite, incapable de proférer un son. Sa tête remua de gauche à droite et elle ne put s’empêcher de se demander à quoi elle ressemblait. Mal coiffée, suintant les odeurs de fin de journée et de cuisine, fagotée comme une ménagère…
– Ce matin, j’ai fait une partie de ballon avec les enfants de la résidence, reprit l’homme qui se tortillait les doigts, comme gêné, le ballon est passé par-dessus votre haie…

Blanche s’était rapprochée et restait là, collée aux jupes de sa mère, ses petites mains agrippées à son tablier. Le visiteur du soir lui jeta un regard rapide avant de replonger les yeux dans ceux de Louise qui, bouche entrouverte, ne semblait rien comprendre à rien.
– Le ballon est dans notre jardin ! s’exclama Blanche du haut de ses sept ans, c’est ça que tu dis ? Je vais le chercher !

Le beau brun aux cheveux courts élargit son sourire en penchant la tête de côté. Louise, en plein chaos, sentit sa fille lâcher sa cuisse. Elle entendit la course de ses pieds nus dans le couloir et tressaillit, tel un ruminant émergeant d’une longue sieste.
– Oh ! mais je manque à tous mes devoirs ! s’exclama-t-elle. Entrez donc !
– Je ne veux pas vous déranger ! redit l’homme en faisant néanmoins un pas en avant.
– Mais pas du tout ! Vous habitez ici ?
– Oui, l’immeuble à côté, au numéro 10… Depuis quelques semaines seulement…

« Voilà pourquoi je ne l’avais pas encore remarqué ! » se dit la jeune femme que maintenant son vis-à-vis détaillait sans se gêner. Elle rougit sous ce regard de feu et la peau de ses bras nus s’embrasa. Cette fois, il était passé dans le couloir. À contre-jour, il parut encore plus élancé. Un parfum poivré percuta Louise. Elle bafouilla quelques mots pour cacher le trouble violent qui la collait au sol, frémissante comme un cheval au mors. Mais, déjà, Blanche revenait, le ballon rouge entre les mains. Elle le tendit à leur visiteur qui, pour le saisir, s’accroupit devant elle. Puis avança la main pour une légère caresse sur ses cheveux blonds bouclés. De surprise, la petite recula et l’homme se releva très vite en s’excusant. Louise le trouva touchant, avec un côté timide, tellement attentionné. Elle apprécia sa réaction délicate, bien élevée, quand il déclina son invitation à partager un verre. Tout en la regrettant : il n’allait pas déjà partir ! Puis, elle se mordit la langue pour se faire taire. Quelle idiote ! Cette précipitation qui ressemblait à une tentative de capture allait l’effrayer, c’était couru d’avance ! Et il avait sûrement quelqu’un qui l’attendait, lui, pas comme elle, déserte, en friche. En jachère, plutôt, mais depuis si longtemps. – Une autre fois, dit-il avec un sourire renversant ! Je sais où vous trouver maintenant !

Et de l’humour, en plus.
– Je m’appelle James, au fait ! lança-t-il en lui serrant la main, avec force et douceur tout à la fois. Au revoir, Louise, au revoir Blanche !
Ça alors ! Il connaissait leurs prénoms ! Un instant interloquée, la jeune femme se rasséréna : leurs deux petits noms étaient inscrits sur la boîte aux lettres, l’interphone et la sonnette ! La preuve que cet homme était vraiment attentif à tout. En le regardant partir, son dos large et ses hanches minces, Louise maudit la femme qui l’attendait en lui souhaitant une mort immédiate et atroce.

James, s’efforçant de marcher avec nonchalance, serra convulsivement le ballon contre lui, le remerciant pour son aide inespérée. Il rejoignit son antre avec des bulles de soleil plein la tête. Il avait vu ce qu’il voulait voir et qui comblait ses espoirs les plus fous. De près, le modèle était plus explosif encore que les clichés dont il allait passer la soirée à se délecter. Dire qu’il était sur un nuage aurait été en dessous de la vérité.
Il n’eut pas à bousculer Louise pour qu’elle chutât dans ses filets. Au premier regard, la messe était dite. Il n’en fut pas surpris : toutes les femmes réagissaient de la même façon à son contact. Il ne poussa donc pas trop les feux, les rites de la séduction obéissant à un rythme propre et la montée du désir de sa victime devant lui permettre de cueillir le fruit à maturité. Mais sans trop attendre non plus. Certaines proies se lassent de trop de tergiversation. Il se débrouilla pour se trouver sur son passage le surlendemain, un samedi. Il avait repéré sa voiture au parking et dégonflé un pneu. Quand il surgit, elle réagit comme à l’apparition du messie égaré dans une cité en flammes. Il fit celui qui n’a pas le temps, mais peut sacrifier une heure pour lui venir en aide. Le sauveur. Le samaritain. Elles aiment toutes ça. Résultat, le soir, il se retrouva sur le canapé de Louise, à l’écouter lui confirmer ce qu’il savait déjà : elle vivait seule avec Blanche. Son mari était mort quatre ans plus tôt dans un accident de voiture. James compatit : lui, avait été largué par sa femme qui n’avait pas voulu quitter Chicago pour le suivre en France. Il était donc libre, en mission pour plusieurs mois dans cette ville de province. Ambassade des États-Unis, top secret, avait-il ajouté, ce qui avait décuplé le désir de Louise. Tout en sirotant son Kir, attendri, il avait écouté Blanche jouer au piano quelques morceaux malhabiles.
Il attendit encore quelques jours avant de passer à l’étape suivante. Un baiser volé alors que Louise cuisinait un tajine d’agneau aux olives, entre deux parties de jeux passionnés avec Blanche. Si la mère n’était pas difficile à apprivoiser, il voyait bien que la fille n’avait pas l’habitude de partager Louise et qu’aucun homme ne venait jamais ici. Tant mieux, appréciait James, qui aimait être le premier partout. Ce soir-là, après deux bouteilles de vin et Blanche mise au lit, James se laissa entrainer dans la chambre de Louise. Il lui fit l’amour gentiment, avec une retenue qui désola la jeune femme. Il prétexta Blanche, dont la proximité le gênait. « Elle dort comme une bûche, protestait Louise qui, affamée depuis trop longtemps, aurait voulu plus de débauche. Elle était maintenant amoureuse, c’était évident.
Emportée dans un tourbillon de sentiments aussi violents que méconnus – même avec son mari, elle n’avait pas ressenti cet emballement des sens et de l’esprit – Louise, bien qu’elle les déplorât, ne vit pas malice aux dérobades de James. Sexuellement, il n’était pas très assidu, mais la mesure semblant faire partie de sa nature, Louise faisait avec. Ensuite, il refusait de l’inviter chez lui, alléguant qu’un appartement de célibataire ne présentait aucun intérêt. Il ne voulait pas davantage dormir chez elle. Il ronflait, il avait perdu l’habitude de partager un lit. Bref, après leurs étreintes, toujours trop sages au goût de Louise, il se rhabillait et s’enfuyait. Elle réussit à le piéger un soir, pourtant, après qu’il se fut laissé aller sur une troisième bouteille de vin. La nuit fut un enfer. Il ne cessa de gigoter, de parler, de gémir. Le matin, elle l’interpella en riant :
– Je ne sais pas ce que te faisait Blanche, cette nuit, mais tu n’as pas cessé de crier son nom ! On aurait dit que tu l’appelais !

Et lui de froncer les sourcils. Ah bon ? Puis, comme illuminé dans la douleur, il décréta que, sûrement, il rêvait de sa mère, morte l’année dernière.
– Elle s’appelait Blanche ? s’étonna Louise qui n’obtint pour toute réponse qu’un mouvement irrité des épaules.
– Je croyais que tes parents vivaient dans le Wisconsin ? le relança-t-elle en servant le café, tu ne m’as jamais dit que ta mère…
– Bien sûr que si !
– Non, je m’en souviendrais quand même !
Blanche, encore endolorie de sommeil, était arrivée, avait posé son doudou sur la table, mettant un terme à la dispute. James, en larmes, s’était laissé aller sur l’épaule de la petite venue spontanément s’asseoir sur ses genoux. Il répétait son prénom comme une litanie. Louise en avait été malade toute la journée. À l’heure du dîner, James lui avait apporté des fleurs. Dans un paroxysme de trémolos, trois semaines à peine après leur première rencontre autour d’un ballon, il l’avait demandée en mariage.
La date en fut fixée le soir même. Louise s’empressa d’annoncer la nouvelle à sa meilleure amie qui jugea la décision prématurée. Louise ignora ses réticences comme elle balaya celles de sa mère, installée dans le sud de la France. À vrai dire, James ayant annoncé qu’ils partiraient en voyage de noces dans sa famille américaine, la vieille dame aurait Blanche pour elle toute seule pendant au moins deux semaines. Une aubaine.
Les préparatifs furent engagés tambour battant. Louise s’occupa du mariage – dans l’intimité – et James du voyage. Pour le visa américain, Louise dut lui remettre son passeport qui voisinait dans un tiroir avec celui de Jonathan. James ne put résister à la tentation de regarder à quoi ressemblait le défunt mari de Louise tout en s’attendrissant sur la photo de Blanche, inscrite avec son papa sur son passeport. Louise essuya un début de nostalgie, referma le tiroir comme on tourne une page. Trois ans qu’elle attendait un prince pour remplacer celui qu’elle avait perdu. La vie reprenait, enfin.
Trois jours avant le mariage, James dut s’absenter deux journées entières pour une de ses missions mystérieuses. Quelques heures avant son retour, Louise reçut un message : sa mère avait été victime d’un accident. Les pompiers l’avaient transportée à l’hôpital et son état était jugé suffisamment sérieux pour que sa fille unique dût se déplacer.
« Zut, zut, zut, » ronchonnait Louise au mépris des règles élémentaires de l’amour filial. Elle devait justement lui conduire Blanche au début de la semaine prochaine, cet incident était catastrophique. Elle tempêtait encore quand elle reçut un appel de James. Il était sur la route, dans une heure, même pas, il serait auprès d’elle.
– Ah non ! s’insurgea-t-il quand elle lui raconta l’accident maternel, elle peut pas nous faire ce coup-là ! Tout est prêt, les billets, ton visa, je t’ai préparé plein de surprises !
Louise le tranquillisa. Elle ne ferait qu’un aller-retour, le temps de prendre des dispositions. Est-ce qu’il pouvait s’occuper de Blanche en son absence ? James accepta sans se faire prier. Ce mardi, en fin de soirée, Louise se jeta dans ses bras dès qu’il arriva et fila à la gare prendre un train pour la Côte d’Azur.

Depuis la fenêtre de sa chambre, Blanche lui fit signe d’au revoir en agitant son doudou. Louise se demanda pourquoi sa gorge se serrait si fort à cet instant.

En arrivant à Nice, Louise apprit que sa mère n’avait pas survécu. Nul ne put lui fournir la moindre explication quant à ce qui s’était passé. La police ne s’était même pas déplacée et d’après les blessures, la vieille dame était tombée dans les escaliers trop raides de sa maison. Anéantie, Louise en informa James qui compatit et la rassura : il resterait avec Blanche aussi longtemps qu’il faudrait. Les démarches – obsèques, succession à lancer – prirent trois longues journées que Louise n’eut pas le temps de voir passer. Elle s’inquiéta bien un peu, à partir du deuxième jour, de ne plus avoir de nouvelles de James, ni de réponse à ses messages. Bien que les surprises ne fussent pas le genre de son fiancé, il était bien capable de lui en réserver une.

Comme par exemple, d’effectuer des démarches pour que Blanche les accompagne en Amérique. Mais bien sûr ! James se dépêchait de tout orchestrer ! Aussi, dès qu’elle le put, Louise sauta dans le train du retour, pressée de retrouver ses deux amours, convaincue qu’ils seraient à la gare, à l’attendre.

Le quai était vide et quand elle entra la clef dans la serrure de sa porte, elle ressentit une angoisse aussi poignante qu’irrationnelle qui lui ouvrit la poitrine en deux. Tout était noir, pas de dîner en vue, pas de Blanche pour lui sauter au cou. Louise fit le tour des lieux. Il lui sembla qu’une éternité s’était écoulée depuis son départ bien que tout lui parût dans le même état. Jusqu’au doudou de Blanche, abandonné sur le coin de la table de la cuisine. Aveuglée par le stress qui lui fermait toutes les voies d’une compréhension raisonnée de la situation, elle composa le numéro de James. Cette fois, la messagerie était carrément saturée. Elle se précipita dans l’immeuble voisin, au numéro 10. Forcément, était-elle bête, ils étaient là-bas, chez lui ! Mais comment s’y prendre, elle ne savait même pas où chercher ! Elle sonna chez les voisins, les siens et ceux de cet homme qu’elle avait chéri si fort. Personne ne put rien lui dire d’intelligent.

À minuit, elle dut se rendre à l’évidence. Hébétée, elle appela le commissariat de police qui lui demanda de se déplacer. À un officier de permanence blasé elle raconta son histoire qu’il jugea à dormir debout. Il enregistra une mention de main courante et l’envoya se coucher. Le lendemain, elle retourna à la charge et, en pleine crise de nerfs, obtint un entretien avec un patron. Ils reprirent ensemble les éléments, un à un. Oui, elle avait bien confié sa fille à cet homme qu’elle ne connaissait pas. James Brown, dites-vous ? Inconnu au bataillon, chère madame. L’Ambassade des États-Unis n’en a jamais entendu parler. Un espion ou quelque chose comme ça ? Ben oui, c’est ce que disent tous ceux qui cachent des secrets honteux, les prédateurs. L’appartement du n° 10 de la résidence des Mimosas était loué à une certaine Marine Clerc, célibataire. Sa famille n’en a plus de nouvelles depuis plus d’un mois. Votre James ne vous en a pas parlé ? Pourquoi ne suis-je pas étonné ? Autre chose ? Ah ! le passeport de votre mari a disparu ? Voilà qui était beaucoup plus embêtant et justifia une diffusion nationale aux frontières. Mais, trois jours étant passés, le faux papa et sa fille étaient sûrement déjà loin, hors d’atteinte.

Pendant les semaines et les mois qui suivirent, on ne peut pas dire que la police ne fit rien. Elle explora largement toutes les pistes qui pouvaient conduire à cet homme fantôme dont les empreintes et l’ADN étaient inconnus, qui aimait trop les enfants ainsi qu’en témoignèrent les dizaines de clichés, films et écrits enflammés que l’on découvrit au domicile de Marine Clerc en compagnie d’indices ne laissant aucun doute sur le sort que cette femme avait subi. Son corps, en revanche, ne fut jamais retrouvé. À Nice, des témoins reconnurent en James Brown l’homme qui était venu voir la mère de Louise, juste avant sa chute malencontreuse dans l’escalier.
Plusieurs affaires sortirent de l’ombre dans plusieurs pays d’Europe qui faisaient état d’un modus operandi identique : un homme bien sous tous rapports séduisait une jeune femme seule, la demandait en mariage et disparaissait avec sa fille, toujours âgée de six ou sept ans. On n’avait jamais retrouvé ni ce spectre mystérieux ni les fillettes.

À l’égal de ses compagnes d’infortune, Louise ne revit jamais ni James ni Blanche.