Les merveilles

Les merveilles d’Elena Medel aux Éditions La Croisée

Traduit de l’espagnol par Lise Belperron

“ C’est ça qu’elle répète sans arrêt, qu’il s’agisse d’elle ou des autres femmes : c’est une histoire d’argent, tout est une question d’argent. Si on en avait, je ne dis pas qu’on s’en servirait pas, mais si on en avait, notre vie serait plus simple. Plus heureuse ? ”

Un célèbre proverbe dit : « L’argent ne fait pas le bonheur mais il y contribue. » et je suis certaine que tout le monde sera d’accord.

Mais allons un peu plus loin dans cette réflexion avec l’exergue de ce roman extrait d’un poème de Philip Latkin : « Manisfestement, l’argent a à voir avec la vie. »

Car c’est effectivement d’argent, mais surtout de son influence, et de son pouvoir sur la vie des personnages féminins dont il est question dans ce roman très clairvoyant.

“ À quoi tu t’attendais, à du cinéma, à un happy end ? La vie c’est autre chose. ”

L’argent a un rôle important dans nos vies, quoi que l’on dise. Elle détermine dès la naissance notre avenir, ceux qui sont nés avec une cuillère en argent dans la bouche auront très certainement un avenir meilleur que ceux nés dans la rue, n’est-ce pas ?

“ Dans le fond, tout revient à l’argent : au manque d’argent. ”

À travers ces portraits de femmes qui nous entraînent en Espagne des années 70 à nos jours, Elena Medel nous offre un roman social où la famille s’unit et se désunit où les couples se forment et se séparent, face au manque d’argent. Un manque qui déterminera la destinée de chacune, face à la précarité, au déclassement social, au besoin d’indépendance quel qu’en soit le prix à payer.

Un récit pas toujours facile à suivre, qui se mérite, et qui reflète avec une cruelle précision tout le pouvoir qu’à l’argent sur nos vies, qu’on en ait ou pas.

Un roman contemporain qui m’a profondément marqué, me reconnaissant beaucoup dans le combat de ces femmes.

Pour info :

ELENA MEDEL est née en 1985. Elle est poétesse et fondatrice de la maison d’édition La Bella Varsovia située à Madrid. Les Merveilles, son premier roman, a fait sensation en Espagne. Il est en cours de traduction dans quinze pays. Elena Medel est la première écrivaine lauréate du prestigieux prix littéraire espagnol Francisco Umbral.

Lieutenant Versiga

Lieutenant Versiga de Raphaël Malkin aux Éditions Marchialy

“ Il y en avait tout un baluchon, et ce n’était certainement pas les restes d’un lièvre. Ce n’était pas non plus les restes d’un opossum ni d’un rat musqué, autres espèces qui peuplaient les parages. Leur taille. Leur forme. Ce crâne. Ce que les chasseurs venaient de découvrir n’était autre que l’ultime trace d’une vie humaine. Ici, quelqu’un était mort. ”

La découverte de ce sac d’os par des chasseurs laisse à penser qu’une enquête sera ouverte. Évidemment ce sera le cas, mais devant l’ampleur du travail et puisqu’il s’agit apparemment des restes macabres d’une femme noire, ce dossier va rejoindre l’innombrable pile d’affaires non résolues.

“ Après plusieurs semaines de recherches harassantes, il n’avait pas la moindre piste. Pas la queue d’un indice. […] L’inspecteur en chef ne pouvait pas le croire. Quelque part, des gens devaient forcément se demander où elle était. Personne ne peut être entièrement anonyme. Ces gens devaient exister, se répétait-il en boucle. Mais il n’avait rien. Si les vents soufflaient dans son dos, il se trouvait malheureusement dans un désert. Après quelques semaines d’enquête qui lui avaient semblé défiler comme autant d’années, il se résolut à passer à autre chose. C’était la fatalité de son métier : les affaires s’empilaient, une nouvelle urgence chassait la précédente. Tant pis. ”

Il faudra attendre pas loin d’une cinquantaine d’années, mais c’est surtout grâce à la ténacité d’un lieutenant de police qui se consacre sur son temps libre à élucider des cold cases, pour qu’enfin on puisse donner un nom à cette femme et obtenir les aveux de son meurtrier.

“ Des années plus tard, alors qu’il se trouve sur le siège passager d’une voiture traversant le Texas, l’inspecteur Versiga est habité par la même ardeur. Engagement civique sur son temps libre ou inspecteur de police, il s’agit du même sacerdoce. Darren Versiga à la passion des oubliés. Il veut les retrouver, parce que personne, selon lui, ne mérite d’être abandonné aux ténèbres. Cela peut paraître présomptueux, mais il a l’impression de rendre service à l’humanité. ”

Plus qu’un travail, un devoir qui pousse le lieutenant Versiga à remettre en cause ses convictions les plus profondes.

Comme disait Voltaire : « Aux vivants nous devons le respect. Aux morts, nous devons la vérité. »

Tout en nous offrant une véritable quête sur la résolution d’une vieille affaire qui jusque-là était oubliée, Raphaël Malkin nous offre en parallèle le portrait du lieutenant Versiga, presque une autobiographie de ce flic hors norme, qui a été également boxeur professionnel, champion de tir, et a survécu avec sa famille à l’ouragan Katharina. On y découvre l’envers du décor des enquêtes policières, et toujours cette discrimination face à la population des gens de couleurs. Mais grâce à l’obsession du lieutenant Versiga, cet enquêteur chevronné, pour ce cold case, la vérité sera enfin révélée, permettant d’élucider de nombreux meurtres liés au même criminel, un véritable serial killer, Samuel Little.

Un récit parfois un peu trop journalistique, mais qui n’en demeure pas moins passionnant. Un bel hommage à un homme qui n’hésite pas à mettre sa vie personnelle de côté pour faire honneur à l’insigne qu’il porte avec fierté, possédant une conscience professionnelle qui se fait de plus en plus rare.

Pour info :

Jeune journaliste français écumant les rues de Paris et le monde, Raphaël Malkin poursuit sa quête d’histoires détonantes. Né en 1987 à Paris, il est journaliste à Vanity Fair. Il rencontre le lieutenant Versiga alors qu’il est en reportage aux États-Unis pour le magazine Society.

Pas de littérature !

Pas de littérature ! De Sébastien Rutés à La Noire chez Gallimard

Littérature : nom féminin, réunissant les œuvres écrites, dans la mesure où elles portent la marque de préoccupations esthétiques ; connaissances, activités qui s’y rapportent.

« Dans la vie comme en littérature, le sens n’est jamais figé, tout est une question d’interprétation. »

Ne vous y trompez pas, il est bien question de littérature dans un genre très particulier qui sied à merveille à La Noire de Gallimard, prestigieuse maison d’éditions où même les truands rêvent d’y être publiés .

« Ils sont bien contents de palper le blé de Gallimard, tes auteurs. […] La plupart sont des alcoolos, anciens veilleurs de nuit, boxeurs ratés, ou chauffeurs de taxi qui publient au lance-pierres dans des revues en mauvais papier. »

Pour la petit pitch, sachez que l’histoire se situe à Paris, le haut lieu de la littérature (J’en sais quelque chose, suis toujours trop loin pour les rencontres littéraires très fréquentes qui s’y passent chaque semaine ici et là à Paname), donc, nous sommes en 1950, après la guerre, et Gringoire Centon, un traducteur de la Série Noire qui pourtant maîtrise mal l’anglais et qui du coup se fait assister par sa moitié, se contente de corriger son travail en y apportant quelques touches d’argot glaner dans les bistrots fréquentés par la voyoucratie.

« J’étais un mélange de Chourineur et de Cheri-Bibi à la sauce Chicago, Fantômas capable de changer d’identité et de me faire passer pour le plus incompétent des traducteurs, un inoffensif écrivain raté, afin de mieux commettre mes méfaits. »

Mais derrière ce traducteur falsificateur se cache peut-être un écrivain qui s’ignore. C’est encore Madame ou plutôt sa dame qui va l’encourager à y penser sérieusement.

« Que pourrais-je bien avoir à raconter qui n’ait déjà été dit ? »

Et à force de chercher l’inspiration auprès des bandits, il va trouver le moyen de se faire enlever pour écrire les exploits de l’un d’eux. De quoi mettre de l’eau à son moulin et de la suite dans ses idées qui peinent à venir.

« C’était bien gentil, ces petites confessions, mais je n’avais aucune envie de les entendre. Encore moins d’en faire un roman. Déjà que je n’arrivais pas à en écrire moi-même… Passer de traducteur à nègre, est-ce une promotion quand on aspire à devenir écrivain ? »

Et pour ce qui est de la littérature, elle est partout au hasard de ces pages…

Du traducteur, à l’éditeur, de l’écrivain aux références littéraires, du voyou au nègre, du tapuscrit au bouquin, il suffit de lire entre les lignes de ce melting-pot littéraire écrit par un brodeur, qui ne fait pas toujours dans la dentelle, argotant ici et là, un véritable orfèvre des mots qui a du bien s’éclater en écrivant ce roman tout en profitant au passage, mine de rien pour régler quelques comptes avec le milieu avec une belle ironie et beaucoup d’esprit.

« C’est la preuve que la littérature a une vie propre, elle est un courant d’énergie dont les traducteurs sont les meilleurs conducteurs. »

Alors de la littérature ou Pas de littérature ? What is the question ? À mon avis pour vous faire une idée , il suffit de le lire, et croyez-moi ça mérite que vous vous y intéressiez, vous n’êtes pas à l’abri de vous bidonner au passage en plus d’ajouter à votre culture de nouvelles références.

Pour info :

Sébastien Rutés, universitaire, maître de conférences, il a publié plusieurs essais et de nombreux articles consacrés à la littérature latino-américaine. Il a écrit entre autres Monarques avec Juan Hernandez Luna, publié en 2015 par Albin Michel. La vespasienne en 2018, mélancolie des corbeaux en 2011, la loi de l’ouest en 2009, le linceul du vieux monde en 2008.

Corregidora

Corregidora de Gayl Jones aux Éditions Dalva

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Madeleine Nasalik

“ Ça t’apporte quoi le blues ?

Ça m’aide à expliquer l’inexplicable. ”

Dans le Kentucky, sur la scène d’un cabaret, une femme chante le blues.

Soirée après soirée, sa voix puissante envoûte le public majoritairement masculin, jusqu’à rendre fou de jalousie son homme.

Un soir, avec violence, il va commettre l’irréparable.

Dans sa chute, Ursa va perdre l’enfant qu’elle portait, mettant fin à la génération suivante.

“ […] ce chemin était tracé d’avance dans ma vie – le chemin de la stérilité. ”

La génération qui comme elle et les femmes avant elles avaient le devoir de transmettre l’histoire de Corregidora, cet homme dont elles étaient les esclaves au Brésil. Un homme qui a longtemps abusé d’elles avant qu’elles acquièrent quelques miettes de pouvoir et de liberté.

“ – Quand j’raconte t’avise jamais de demander si c’est des menteries. Ils se sont arrangés pour pas laisser la moindre trace – qu’on puisse rien retenir contre eux. Alors moi j’en laisse, des traces. Toi aussi tu vas en laisser. Et tes enfants après toi. Et quand viendra l’heure de présenter les preuves, faudra qu’on ait des preuves à présenter. C’est pour cette raison qu’ils ont tout brûlé tous les papiers, pour pas laisser de preuves. ”

Elle avait cinq ans quand sa grand-mère l’avait mise en garde.

Ne pouvant à son tour donner la vie, il lui reste le blues et sa voix pour transmettre leur Histoire.

Mais plus que tout, il lui faudra s’émanciper des hommes qui font d’elle un objet sexuel malgré les contradictions qui la hantent et la passion qui ne cesse de la tourmenter, entre le désir d’être aimé et la peur d’être à nouveau maltraitée.

Tout comme au cabaret où Ursa se produit chaque soir, des notes de blues voyagent entre ces pages, donnant un chant de douleur et de complaintes rauques, témoignant de la souffrance des femmes sur plusieurs générations qu’elle soit passée ou présente, avec toujours ce besoin de s’affranchir des hommes, de leur regard, de leur emprise et de leur violence.

À travers le portrait d’Ursa, et de toutes les voix des femmes de sa famille, on découvre l’indicible, l’impensable, la vie, l’amour et la haine l’esclavage et la liberté durement acquise. Une histoire pleine d’espoir et de rage, où l’on se transmet d’une femme à une autre, les souvenirs anciens pour ne pas oublier aussi douloureux soient-ils et permettre enfin de s’émanciper d’une manière ou d’une autre des hommes même s’il est parfois difficile d’aimer avec passion tout en restant libre.

Un blues littéraire stylé, cruellement beau, traduit pour la première fois en français, grâce aux éditions Dalva, une maison qui met à l’honneur les plumes féminines contemporaine.

Ce qu’en dit Richard Ford : « Gayl Jones est un mouvement littéraire à elle seule. Ses livres sont dramatiques, charnels, sexuellement violents, éloquents et durs. »

Ce qu’en dit James Baldwin : « Corregidora est le portrait le plus brutalement honnête de ce qui a animé, et anime encore, l’âme des hommes et des femmes noires. »

Ce qu’en a dit Toni Morrison : « Personne, plus jamais n’écrira de la même façon sur les femmes noires après ce roman. ”

Pour info :

Née en 1949 dans le Kentucky, Gayl Jones, repérée par Toni Morrison qui devient son éditrice, publie Corregidora, son premier roman, en 1975. Elle est immédiatement acclamée par le monde des lettres américain. Ce premier livre est d’emblée considéré un classique contemporain, étudié par les élèves américains, tandis que l’autrice écrit cinq autres romans, trois recueils de poésie et enseigne à l’université avant de choisir de vivre à l’écart du monde.

Après un silence de près de 22 ans, son dernier roman est paru en 2021 aux États-Unis.

La fille du Ninja

La fille du Ninja de Tori Eldridge aux Éditions Les arènes

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Antoine Chainas

Quand Antoine Chainas, cet auteur phare à la Série noire chez Gallimard, n’écrit pas de grands romans noirs, il prête sa plume et son talent pour la traduction, nous permettant de découvrir de nouveaux écrivains comme présentement.

Autant s’adresser au cador, pour mettre en avant un premier roman absolument réussi, aux nombreuses qualités.

Parlons un peu de La fille du Ninja…

À Los Angeles, comme dans de nombreux endroits sur terre, hélas, des femmes sont victimes de violences conjugales, d’agressions sexuelles, de harcèlement, faisant des proies faciles pour tous les prédateurs masculins.

Pour Lily Wong qui a perdu sa sœur suite à un viol suivi d’un meurtre brutal, il lui est devenu indispensable de porter assistance à toutes ces femmes vulnérables.

“ Je ne m’étais pas entraînée pour devenir un assassin de l’ombre, mais pour protéger, aider et donner du pouvoir à ceux qui en avaient peu. Même à l’âge de douze ans, quand j’avais débuté, je pressentais qu’une tragédie frapperait ma famille.

Il me fallait riposter. Il me fallait triompher. ”

D’autant plus, que depuis son plus jeune âge, elle a été initiée à l’art du Ninja, lui permettant de mettre cette discipline aux services des persécutées.

Elle n’en demeure pas moins une femme, et une fille aimante et respectueuse envers son père et sa mère, qui restent très attachés à certaines traditions familiales.

Mais lorsqu’il s’agit de porter secours à une femme et à son fils, même si cela implique qu’elle doive faire face à la mafia ukrainienne, elle n’hésite pas une seconde à enfiler son costume de redresseuse de tort.

“ Où qu’elle aille, quoi qu’elle projette de faire, une femme ninja devait toujours se tenir prête. ”

Et ce n’est pas ces bellâtres, ami et ennemi qui apparaissent dans le paysage qui vont l’éloigner de ses priorités, même si sa vie se retrouve en danger.

À la manière des Ninjas, Tori Eldridge fait une entrée remarquable qui ne peut pas passer inaperçue.

Lily Wong, personnage central de cette histoire, digne descendante d’ Uma Thurman dans Kill Bill de Tarantino, a toutes les qualités que l’on peut espérer d’une grande héroïne qui n’hésite pas à mettre son savoir-faire au service des plus faibles.

Puisant dans sa vie personnelle, elle-même ceinture noire de to-shin, ayant enseigné l’art du ninja à travers les États-Unis, l’auteure nous entraîne dans une aventure pleine d’audace, qui ne manque ni d’action ni de suspens, sans oublier les traditions liées à la culture chinoise qu’elles soient culinaires, familiales ou ancestrales.

Autant vous dire qu’on ne s’ennuie pas et que l’appétit nous gagne au fil des pages, autant pour le plaisir de cette histoire explosive qui se dévore que les menus proposés à la carte du restaurant de son père, qui nous font habilement saliver. On ne reste jamais sur sa faim.

Tout en nous offrant une aventure extraordinaire, Tori Eldridge rend hommage à sa lignée, à l’art martial ninja tout en apportant sa pierre à l’édifice #MeToo.

Et il serait injuste de ne pas souligner la qualité de l’écriture et de la traduction qui font de La fille du Ninja, un roman incontournable qui s’intègre parfaitement à notre époque.

Un premier roman très stylé qui ravira les féministes et beaucoup moins les misogynes.

Vivement le prochain.

Pour info :

Tori Eldridge est hawaïenne, chinoise et norvégienne. Elle est ceinture noire de to-shin et a enseigné l’art ninja à travers les États-Unis. Elle dirige des séminaires de self-défense pour les femmes et les armes n’ont pas de secret pour elle.

La fille du Ninja est son premier roman.

Peter Punk au Pays des Merveilles

Peter Punk au Pays des Merveilles de Danü Danquigny à la Série Noire de Gallimard

“ Cette ville me tuera un jour ou l’autre. En attendant, la douce cité de Morclose se contente de me démontrer le panel de vexations et de brimades qu’elle est prête à dispenser à ceux qui en valent la peine, à la cohorte de riens qui peuple ses entrailles et dont j’ai l’honneur d’être un rejeton presque anonyme. ”

Décidément, pour Desmund Sasse, c’est la poisse, à peine sortie de prison, il se retrouve en garde à vue, où l’on essaye de lui coller sur le dos une complicité de meurtre.

Lui qui avait décidé de se tenir à carreau, le voilà à nouveau dans le collimateur des flics, tout ça parce qu’un mec lui a laissé des messages sur le portable qu’il n’a même pas encore récupéré.

“ […] Toi et tes petits soldats, vous me brisez les noix. Dès qu’il y’a une tuile dans cette putain de ville, il y a toujours un petit malin chez vous pour penser à moi. Vous faites un concours de conneries ou vous êtes à court d’idées ? ”

Mais vu que ces messages s’adressent à Peter Punk, ça ne fait aucun doute, ils lui sont bien adressés, reste à connaître le nom de l’expéditeur et éclaircir cette imbroglio. Pas question de retourner en taule.

En 2019 Danü Danquigny s’était déjà fait remarquer à son arrivée chez Gallimard avec Les aigles endormis qui nous plongeait au cœur du chaos albanais. L’histoire d’un homme qui avait fuit son pays après un drame, et qui l’avait rejoint vingt ans plus tard pour assouvir sa vengeance.

Cette fois c’est Peter Punk notre héros, un mec un peu cabossé, un brin allumé, un peu poissard qui fonce tête baissée dans les emmerdes. Et évidemment on l’adore et on espère bien qu’il ne va pas encore finir au trou.

Danü nous offre un polar de haut vol, avec une plume qui s’est affirmée, et un suspens bien campé.

Pour nous conter cette histoire, cet auteur très lié à l’Albanie , au passé de flic et même de détective privé n’hésite pas à puiser dans son histoire personnelle, au hasard de ses rencontres, tout en soignant son style, il est prof maintenant, faut montrer l’exemple à cette nouvelle génération à laquelle il enseigne son savoir.

On peut penser que ces collégiens sont entre de bonnes mains, même s’il est clair que Peter Punk au pays des merveilles laissera sûrement Alice désenchantée auprès des enfants perdus dans ce monde tel qu’il est devenu.

On ne résiste pas à ce polar aux allures de rock déjanté, et on attend déjà la suite avec impatience, car suite il y aura Danü, n’est-ce pas ? La pause café risque d’être longue sinon…surtout pour une allcoolivre de mon acabit.

Pour info :

Danü Danquigny a étudié le droit et obtenu un DESS de psychocriminologie. Après avoir travaillé à la Police aux frontières, il devient détective privé et donne des cours de crime appliquée à l’enquête privée à la faculté.

Aujourd’hui, professeur au collège, il se consacre à l’écriture et à la musique.

Peter Punk au Pays des Merveilles est son deuxième roman publié à la Série Noire.

Le vertige de la peur

Le vertige de la peur de Linwood Barclay aux Éditions Belfond

Traduit de l’anglais (Canada) par Renaud Morin

“ Peut-on prendre l’ascenseur en toute sécurité ? ”

À New-York, pour atteindre le septième ciel, vous pouvez éventuellement prendre l’ascenseur et avoir une vue plongeante sur cette ville verticale, mais attention cela pourrait s’avérer dangereux.

Depuis quelques jours, les ascensions vertigineuses deviennent risquées, depuis qu’une cabine s’est écrasée au sol, faisant quatre morts dans un prestigieux building.

On aurait pu croire à un banal accident mais hélas le lendemain un drame similaire se produit dans un autre endroit.

“ Le saboteur d’ascenseur cherchait-il à faire passer un message un message ? Les victimes étaient-elles choisies au hasard ? Et les immeubles ? ”

Les jours se suivent et les drames se poursuivent, plongeant la ville qui ne dort jamais dans un foutu chaos.

Flics et journalistes sont sur le qui-vive, la bourse dégringole aussi vite que les ascenseurs, les secours sont débordés et la population multiplie les crises cardiaques, rien ne va plus dans la big apple.

Sans compter que dans quelques jours, l’inauguration de la plus grande tour de Manhattan doit avoir lieu…

Mais qui peut en vouloir à ce point à New-York et à ses habitants ?

“ Pour quelle raison quelqu’un qui voulait tuer des gens décidait-il de le faire en sabotant des ascenseurs ? Pourquoi ne pas prendre un flingue et tirer dans le tas, tout simplement ? ”

Linwood Barclay a décidé de nous donner le vertige et de mettre nos nerfs à rude épreuve, il semblerait, en mettant à mal cette ville toute en verticalité qui ne peut se passer de ses précieux ascenseurs que ce soit pour les new-yorkais ou les touristes.

Comme à son habitude, il dévoile petit à petit son intrigue gardant le suspens jusqu’au final, nous menant à travers la ville sur de fausses pistes, et nous démontrant que lorsque la technologie est mise à mal, très vite une ville peut se retrouver paralysée tout en étant plongée dans la tourmente.

Tout peut s’effondrer comme un château de carte et même les plus riches peuvent se retrouver à terre.

Tout se paye un jour ou l’autre et personne ne gagne face au vertige de la peur, la chute sera juste plus dure pour certains.

Alors, prêt pour un petit tour en ascenseur ?

Pour info :

Auteur de polars incontournable, Linwood Barclay a déjà publié dix-sept romans chez Belfond, dont Cette nuit-là (2009) et sa série consacrée à la ville fictive de Promise Falls – Fausses promesses (2018), Faux amis (2018), Vraie folie (2019) et Champ de tir (2020). Tous sont repris chez J’ai lu.

Abandonner un chat

Abandonner un chat de Haruki Murakami aux Éditions Belfond

Traduit du japonais par Hélène Morita

“ Il y a toujours eu des chats à la maison. Je crois que nous vivions heureux avec eux. Pour moi, ils ont toujours été des amis merveilleux. Étant fils unique, mes compagnons les plus précieux étaient les livres et les chats. J’adorais prendre le soleil en leur compagnie sur la véranda (à cette époque, les maisons avaient presque toutes une véranda qui donnait sur un jardin). Mais pourquoi avais-je dû abandonner cette chatte sur la plage ? Pourquoi ne m’étais-je pas opposé à cet abandon ? ”

Abandonner un chat, mais quelle idée ! Heureusement on peut compter sur eux pour avoir le dernier miaou , pas étonnant qu’ils possèdent neuf vies. Ne dit-on pas qu’un chat retombe toujours sur ses pattes et retrouvera toujours le chemin de sa maison…

Et puis avec Murakami, on sait très bien qu’il y a toujours un vent de magie dans l’air, même si ce souvenir issu de son enfance est un prétexte pour nous parler de son père lui donnant ainsi l’occasion de partager avec nous quelques souvenirs.

À travers ce récit, il rend hommage à son père, nous offrant les événements les plus marquants de son existence, levant le voile sur sa relation très particulière qu’il avait avec lui, cet homme qui a connu la guerre.

“ Quand à l’âge de trente ans, j’ai fait mes débuts d’écrivain, mon père en a paru très heureux mais, à ce moment-là, notre relation s’était déjà passablement refroidie, une distance s’était établie entre nous. ”

Un récit assez touchant, baigné de nostalgie, un double portrait d’un homme et de son fils, qui nous éclaire et qui nous permet de comprendre pourquoi ses romans oscillent toujours entre le rêve et la réalité. Rien n’est jamais vraiment le fruit du hasard.

Et qui plus est magnifiquement illustré par Emiliano Ponzi, un italien à la renommée internationale.

De quoi émerveiller et ravir les bibliophiles qui pourront agrandir leur collection des beaux livres de Murakami.

Les vagabonds de la faim

Les vagabonds de la faim de Tom Kromer aux Éditions Christian Bourgois

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Raoul de Roussy de Sales

Introduction de Philippe Garnier

La Grande Dépression des années 30 aux États-Unis donna vie malgré tout à de nouveaux écrivains, nous permettant de découvrir de manière authentique cette terrible période.

“ Chez moi il n’y avait pas de travail ; il n’y avait même plus de chez moi. […] Je suis reparti vers l’ouest ; c’est à peu près à ce moment-là que les gens ont commencé à rigoler dès qu’on leur demandait du travail, si bien qu’on en demandait même plus. ”

Tom Kromer était loin d’imaginer que tous ces fragments d’écriture sur du papier à rouler Bull Durham ou dans les marges des prospectus prendraient vie dans un livre un jour, même si au fond de lui-même, il l’espérait.

“ Je n’avait pas en tête de faire publier Waiting for Nothing, d’abord je n’aurais pas su comment m’y prendre, alors je l’ai écrit comme je le sentais, en utilisant la langue que parlent les Stiffs, les vagabonds, même si des fois ce n’est pas le plus beau qui soit. ”

Qu’il soit sur la route, en prison, dans une mission, à l’hôtel ou à bord d’un train, il écrit.

“ Ça va mal. Ça va mal. Il faut que je me trouve quelque chose à bouffer. Je crève de faim. ”

Il écrit, le ventre trop souvent vide, mais il a beau crever de faim, il lui est difficile de s’improviser gangster, de braquer une banque, ou de devenir l’amant d’une tapette friquée pour le gîte et le couvert, même si la faim justifie les moyens. Alors il fait la manche, même habitée par la honte, pour manger et se loger parfois, les bons jours.

À travers ce récit désespéré, Tom complètement à la dérive, nous raconte sans fioritures sa vie de vagabond pendant la Grande Dépression.

Un récit autobiographique qui nous entraîne sans concession avec un réalisme cruel auprès de ces vagabonds de la faim au cœur de la misère dans l’Amérique de l’époque.

Publié en 1935 aux États-Unis et en 1936 chez Calmann-Lévy pour la version française, les éditions Christian Bourgois ont eu la bonne idée de le rééditer, on ne peut que les remercier de cette initiative.

À lire absolument, surtout si comme moi vous êtes accro à tous ces écrivains américains qui nous plonge dans l’Amérique avec authenticité.

Pour info :

Tom Kromer (1906-1969), écrivain américain, est né à Huntington dans le pays minier de la Virginie occidentale. Son père meurt d’un cancer et sa mère doit élever seule ses cinq enfants. Tom Kromer finance lui-même son éducation en travaillant dans une fabrique de verre ou comme correcteur dans divers journaux. Il enseigne deux ans dans des bourgades de montagnes perdues, puis la Dépression met fin à ses espérances. S’ensuit une vie d’errance dont il fait le récit dans son seul roman, Les Vagabonds de la faim, une description de sa vie de vagabond durant la crise des années 1930. La parution du livre ne change guère sa vie, il continue d’écrire des critiques et des nouvelles tout en travaillant dans une librairie. Frappé de tuberculose, il cesse d’écrire en 1937, laissant inachevés son deuxième roman et son autobiographie. Il retourne vivre en Virginie où il meurt en 1969.

Raser les murs

Raser les murs de Marc Villard aux Éditions Joëlle Losfeld

“ Il y a dans cette conjonction d’évènements comme le raccourci d’un monde finissant où une femme éperdue s’accroche à un moment de bonheur fugace. Un adolescent enrage contre la vie et sait qu’il n’a plus rien à espérer des dix ans à venir. Et dans une chambre écarlate, un homme continue de fuir la mort, en appelant dans un souffle des secours qui n’arriveront jamais. Certains appellent ça la condition humaine. ”

On peut raser les murs, vivre dans la rue, être un voleur ou même une prostituée, parfois même un migrant, on n’en demeure pas moins des êtres humains et devenir le centre du monde pour un écrivain et même prendre vie dans les nouvelles qu’il écrit avec un talent inouï.

Il est comme ça Marc Villard, il sort de l’ombre les invisibles, les paumés, les désœuvrés, les loosers, il les sort de l’oubli pour en faire des héros pas ordinaires.

Un air de Jazz les accompagne, pour les faire danser dans le tourbillon de la vie, pour leur premier pas et parfois les derniers.

Que ce soit en France ou au delà des frontières, la vie et la mort se côtoient, il n’est jamais simple de vivre au bord de l’abîme.

Oui il est comme ça Marc Villard, à travers neuf nouvelles il envoie au Paradis, les plus paumés, des hommes et des femmes qui n’ont guère connu que l’échec mais qui grâce à sa plume, franchissent la porte avec dignité.

Pas étonnant qu’il soit publié chez Joëlle Losfeld qui apprécie tout autant que moi l’homme au doigts d’or, qui a l’art et la manière de nous offrir de bonnes nouvelles dans sa maison d’éditions mais aussi chez les copains, permettant à ses héros de voyager parfois d’un livre à l’autre.

Oui il est comme ça Marc Villard, généreux jusqu’au bout de sa plume.

Pas surprenant qu’on l’aime autant.

Pour info :

N’hésitez pas à le suivre ci-dessous : ⬇️⬇️⬇️et découvrir sa biographie extraordinaire.

https://www.marcvillard.net/