Little Louis

Little Louis de Claire Julliard aux Éditions Le mot et le reste

” Chez nous, c’était la nouvelle Babylone, le royaume du crime et de la dépravation à ce qu’on disait. Tout un bas monde se vautrait dans la fange. Mais en vérité, qui connaissait Storyville, à part ceux qui y vivaient ? Pas grand monde pour la bonne raison que le gratin n’y mettait guère les pieds […] Je n’ai jamais été malheureux dans ma ville. Nous, les gosses, on ne s’ennuyait pas. Du matin au soir, on cavalait à droite à gauche. Je crois bien n’être jamais resté en place plus d’une heure. Sauf quand j’écoutais Joe Oliver. Là je ne mouftais plus. J’étais muet, sidéré. Il fallait le voir souffler dans son cornet, un maître. Papa Oliver m’a tant apporté. J’enregistrais mentalement ses gestes, son style, ses morceaux. Tout ce que je sais, c’est dans nos rues que je l’ai appris. La vie, ça se passe dans la rue, dans la pleine lumière ou à la lueur d’un réverbère, pas derrière les persiennes des belles demeures. “

C’est à la Nouvelle-Orléans, à Storyville qu’a grandit Louis Armstrong.

Au départ il est élevé par sa grand-mère, Joséphine pour laquelle il a une grande affection, au point de la considérer comme sa véritable mère. La quitter pour rejoindre et s’occuper de sa mère malade est un véritable déchirement. Malgré tout, il va prendre soin de sa mère et de sa petite sœur malgré son jeune âge, jusqu’à ce fameux soir, où il tira en l’air avec un vieux pistolet chipé chez lui. Un geste malencontreux qui va le conduire direct dans une institution pénitentiaire mais qui s’avérera une véritable planche de salut.

” Joséphine suait sang et eau pour faire de moi un gamin éduqué et responsable. Elle m’apprenait le bien du mal. Quand j’avais fait une bêtise, elle fronçait les sourcils et me traitait de vilain garçon. Elle m’envoyait cueillir une petite branche sur l’arbre de la cour pour me rosser. J’étais déconfit, les larmes prêtes à jaillir. Alors elle éclatait de rire et levait la punition. Hélas, je ne passais pas toujours à travers les gouttes. “

C’est entre ses murs, que sa passion pour la musique va se concrétiser. En intégrant la fanfare dirigée par Peter Davis, qui deviendra son père de substitution, il va perfectionner son talent exceptionnel de cornettiste.

Et même si à sa sortie, il retourne pelleter du charbon pour aider sa famille, chaque soir il joue dans les honky tonks, bouges du quartier chaud de Storyville où le Jazz s’invente aux côtés des voyous et des prostituées.

” Quelque chose était en gestation et se développait un peu partout dans les rues de ma ville, autour de la place Congo qu’on appelait jass ou jazz. Un genre musical dont je percevais les vibrations au plus profond et qui a forgé mon destin. “

La musique ne le quittera plus, et quand à vingt ans, vint le moment de quitter la ville de son enfance, c’est à Chicago qu’il deviendra cet inoubliable artiste et embrassera le monde.

” J’ai grandi dans ce chaos où la frontière entre le bien et le mal n’existait pas. Les macs et les voyous, les artistes et les honnêtes gens trouvaient un terrain d’entente. Tout ça a influencé ma vision de la vie. Pour moi, nous évoluons dans un mouvement circulaire susceptible de renversements, de renouveau et de métamorphoses. J’en suis la preuve vivante. Regardez d’où je viens et ce que je suis aujourd’hui. J’ai connu le pire et le meilleur, du pire j’ai fait ma fortune et celle de mes proches, j’ai cru en mon destin, moi le petit Louis de Black O’ Town. “

Ce que j’en dis :

Mon père était trompettiste et saxophoniste, dans sa jeunesse il jouait dans les bals avec son frère aîné. N’étant pas encore née, je n’ai pas eu la joie de connaître cette époque mais à chacun de mes anniversaires je lui demandais de me jouer ses morceaux préférés.

Tout comme Louis Armstrong, il a rejoint les étoiles depuis bien longtemps et j’ose espérer que si l’occasion se présente, ils s’offrent un bœuf de temps en temps pour se rappeler le bon vieux temps.

En attendant, je sais d’où me vient ma passion pour le jazz, la musique en général et tous ces musiciens d’ici ou d’ailleurs.

Mais revenons à ce magnifique récit, laissons mes souvenirs nostalgiques errer dans mes pensées.

À travers ce récit, c’est toute l’enfance de Louis que l’on découvre, parfois chaotique mais malgré tout, toujours joyeuse.

L’histoire d’un petit garçon qui aurait pu devenir voyou mais qui sera sauvé par sa passion pour la musique.

Un enfant courageux, emplit d’amour et de générosité pour sa famille et ses amis et qui le restera une fois adulte.

Little Louis nous fait redécouvrir la Nouvelle-Orléans du passé, la naissance du jazz, dans un contexte ultra violent de ségrégation et de misère.

En s’inspirant des souvenirs de Louis Armstrong consignés dans Ma vie à la Nouvelle-Orléans [1952] (Coda, 2006, traduit par François Thibaut), et en rajoutant de nombreuses anecdotes, Claire Julliard nous fait cadeau d’un formidable roman sur la jeunesse tumultueuse de Satchmo, l’un des plus grands génies du Jazz.

Un magnifique blues qui nous emporte, nous bouleverse comme cette musique qui véhicule des émotions simple et sincères.

À découvrir absolument en s’accompagnant pourquoi pas d’un bon whisky et des sons merveilleux de la trompette de notre merveilleux Louis Armstrong.

Pour info :

Journaliste littéraire, Claire Julliard est née à Paris.

Elle a longtemps été nègre dans l’édition avant d’écrire ses propres romans.

Elle est notamment l’auteure d’une biographie de Boris Vian, de romans pour la jeunesse parus à l’école des loisirs, de l’Oie sur un lac gelé chez Leo Scheer et des Hors-venus chez Belfond.

Je remercie les Éditions Le mot et le reste et Aurélie de l’agence, un livre à soi pour ce magnifique blues à la Nouvelle-Orléans en compagnie d’un génie.

Le sourire du scorpion

Le sourire du scorpion de Patrice Gain aux Éditions Le mot et le reste

” La rivière qui coulait entre les parois vertigineuses du canyon étincelait d’une myriade d’éclats qui venait se ficher droit dans la rétine. Des parois d’une centaine de mètres, peut-être bien le double. Quelques pins audacieux jouaient les funambules sur le fil des crêtes. D’autres, plus intrépides encore, tentaient l’aventure d’une vie suspendue dans le vide, agrippés par une racine chevillée dans une fissure ou une encoignure propice. Les rives étaient recouvertes d’une abondante végétation et de bois mort. “

C’est aux abords du canyon de la Tara au Monténégro que s’est installée pour un temps la famille de Tom et Luna, sa jumelle. Ils vivent en véritable nomade, libres de toute attache.

Goran, un serbe qui leur sert de guide leur propose une descente de la Tara en raft. Malgré quelques réticences de la part de sa mère, la descente est programmée.

Accompagné de Goran, ils se lancent dans l’aventure mais très vite une tension palpable s’installe et un drame se produit…

” Les flots démontés ont ensuite frappé le pied de la falaise en faisant un bruit de tremblement de terre. Un séisme qui nous dévastait déjà. Il y avait la nuit et le tumulte de la rivière. La lune aussi. Une lune blanche qui montrait ses rondeurs dans les échancrures d’un ciel en rémission. Il éclairait alors les gorges d’une sinistre lumière falote. “

Jour après jour, ils vont devoir apprendre à gérer leur deuil, et tenter d’empêcher l’explosion du reste de la famille.

” Août tirait à sa fin et je me demandais comment on était arrivés là et ce qu’il fallait attendre des jours à venir. “

Tom, ne se résout pas à croire à un accident. Du haut de ses quinze ans, malgré la grande solitude qui l’accompagne il mène son enquête en étant loin d’imaginer le fin mot de l’Histoire.

Ce que j’en dis :

Tombée amoureuse d’une plume, la suivre, roman après roman et s’émerveiller à chaque fois, c’est un pur bonheur.

Patrice Gain fait partie de ces auteurs incontournables pour l’amoureuse de roman noir que je suis. Une fois de plus il nous offre un récit où ses personnages malmenés par leur destin s’acharnent malgré tout à s’en sortir quoi qu’il leur en coûte.

À travers cette histoire il explore la solitude d’un adolescent liée à la violence du deuil, au cœur d’une nature sauvage, si belle, confronté de plein fouet à la brutalité du monde adulte.

Aussi sombre soit elle, cette histoire s’illumine d’une plume singulière, où la nature est mise en valeur et honorée dans l’éclat sublime de certains passages.

On relit avec plaisir cette écriture poétique sans jamais se lasser bien au contraire.

Alors que vous soyez déjà des lecteurs fidèles de Franck Bouysse ou de Ron Rash, il ne tient qu’à vous de succomber à votre tour au dernier roman de Patrice Gain qui conjugue lui aussi de manière brillante le roman noir nature writing et la poésie.

Pour ma part, il m’a donné une folle envie de me plonger dans Délivrance de James Dickey, à dépoussiérer d’urgence.

Que l’on soit auteur ou lecteur, nous sommes tous des passeurs de livres.

Le sourire du scorpion est juste magnifique et c’est à découvrir absolument.

Mon premier coup de cœur de l’année 2020.

Pour info :

Patrice Gain est né à Nantes en 1961 et habite un chalet dans la vallée du Giffre, en Haute-Savoie.

Professionnel de la montagne, ingénieur en environnement, les territoires d’altitudes et les grands espaces l’attirent depuis toujours.

Le sourire du scorpion est quatrième roman.

Je remercie les Éditions Le mot et le reste et Aurélie de l’agence Un livre à soi, pour ce menu livresque d’exception

Retrouvez mes chroniques de ces deux précédents romans ci-dessous :

https://dealerdeligne.wordpress.com/2017/06/26/denali/

https://dealerdeligne.wordpress.com/2018/08/24/terres-fauves/

“ Terres Fauves ”

Terres Fauves de Patrice Gain aux Éditions Le Mot et Le Reste

” – J’en ai rien à foutre de ce que tu penses. Viens t’asseoir par là. Ne m’interromps pas et sers-nous un verre.

(…) Je ne savais pas ce qu’il espérait en m’obligeant à boire, mais la journée dans ce trou perdu et ses airs de vieux mercenaire suffisant et versatile m’avaient sévèrement déprimé, si bien que je n’avais pas eu à me forcer beaucoup pour m’anesthésier le cortex. “

David McCae écrivain new-yorkais débarque en Alaska. Quitter Brooklyn pour cette contrée sauvage est déjà une épreuve en soi pour ce citadin convaincu. En mal d’inspiration, il a accepté de terminer les mémoires du gouverneur Kearny. Il prête sa plume à ce politicien qui vise une réélection et tente d’étoffer ses mémoires d’un chapitre élogieux. Pour se faire, il va donc rencontrer le célèbre et très apprécié alpiniste Dick Carlson, ami de longue date du gouverneur qui aurait des souvenirs de leurs aventures à raconter.

Plus adepte du lever de coude que de l’amabilité, la rencontre avec cet homme se révèle tendue, mais l’alcool délie la langue de l’alpiniste qui va se dévoiler au cours de cette longue nuit et se confesser de manière inattendue.

Il ne faut pas s’attendrir sur soi-même. Chacun d’entre- nous est maître de son destin. Je chasse les fantômes comme je chasse l’ours, l’élan, ou les emmerdeurs : sans pitié. “

David en apprends beaucoup et même trop. Il devient un témoin gênant. Il va se retrouver face à la violence des hommes au milieu d’une nature hostile. En plein cœur de l’Alaska sauvage, sa résistance va être mise à rude épreuve. Il va tenter de survivre tout en combattant ses propres démons. Commence alors une course effrénée contre la mort…

J’ai fermé les yeux. Ce monde est vraiment étrange. Il cache sa violence derrière des scènes attendrissantes, des animaux à l’allure débonnaire et un calme apparent. C’est ce qui fait sa force. J’avais en tête : une nature traîtresse. Je me demandai combien de temps j’allais pouvoir tenir et quels types de combats j’allais devoir livrer. “

Ce que j’en dis :

Après avoir découvert l’année passée Denali, un fabuleux roman noir (retrouvez ma chronique ici), j’étais impatiente de retrouver cette plume qui m’avait tant charmée et envoûtée. Une petite appréhension m’accompagne, comme toujours à la lecture d’un nouveau roman d’un auteur que j’affectionne mais dès les premières pages la magie opère et elle s’envole. Je retrouve le style et la plume singulière de l’auteur que j’avais tant appréciés. Une fois encore, le bonheur est au rendez-vous.

Fan de littérature américaine, je retrouve tout ce que j’aime chez ce Frenchy qui s’approprie avec brio les codes du roman noir nature writing.

L’auteur dépeint à merveille ce territoire aussi magnifique que malveillant, et nous offre la possibilité de découvrir une intrigue surprenante en accompagnant David dans son combat empli de souffrances, pour survivre et échapper à toute cette violence à laquelle il se retrouve confronté, malgré lui.

Un récit immersif où la peur et l’angoisse ne nous quitte jamais.

Patrice Gain a l’art et la manière pour instaurer un climat terrifiant, pour rendre ses personnages attachants et nous offrir une histoire poignante dans un décor grandiose qui réserve des rencontres surprenantes, le tout sublimé par une écriture soignée, ciselée à la perfection.

Un livre dédié aux lecteurs amoureux du noir et des grands espaces, qui ne seront pas contre un voyage livresque aux nombreuses qualités.

Coup de foudre de cette rentrée littéraire. Un roman qui rejoint ceux que l’on oublie pas.

Patrice Gain est né à Nantes en 1961. Professionnel de la montagne, ingénieur en environnement, les territoires d’altitude et les grands espaces l’attirent depuis toujours. Il est déjà l’auteur de deux romans aux éditions Le mot et le reste : La Naufragée du lac des Dents Blanches (Prix du pays du Mont-Blanc et Prix « Récit de l’Ailleurs » des lycéens de Saint-Pierre et Miquelon) et Denali.

Je remercie l’auteur pour sa délicate attention et les Éditions Le Mot et Le Reste pour ce voyage aussi redoutable que merveilleux en Alaska.

 » Denali « 

Denali de Patrice Gain aux Éditions Le mot et le reste 


« Jack avait raccroché. L’espace autour de moi s’était démesurément agrandi. Il était sans limite. Seul. Rien autour, rien à l’horizon et rien à attendre. Seul. Abominablement. La crainte d’un enfant abandonnique qui prend corps. J’aurais aimé pleurer. J’avais déjà tellement peur que je redoutais plus encore les heures à venir. Alors pleurer, c’était un stade déjà dépassé. J’étais retourné dehors et j’avais noyé mes angoisses dans mon livre. Me concentrer sur le texte. S’y fondre. Si j’avais su que Christopher McCandless devait mourir à la fin, j’aurais sûrement balancé le bouquin. Mais à cet instant, ma solitude avait trouvé un écho et cela m’avait été d’un grand réconfort. « 

Matt Weldon 14 ans vient de perdre son père. Sa mère anéantie par cette disparition s’éffondre et se retrouve placée en hôpital psychiatrique. À cela s’ajoute la fuite de Jack son frère aîné. Il refusait de partir avec lui chez leur grand-mère qui vit toujours dans le Montana, où son père a grandi.


 » Ma mère me manquait. Mon père me manquait. Jack me manquait aussi, mais à cet instant, je le détestais. Il était devenu imprévisible depuis l’internement de notre mère. Il avait agi en lui comme un électrochoc. Pas de ceux qui vous ramènent vers la réalité des choses et des sentiments. Non, de ceux qui vous enfoncent dans un tourment acide et violent, qui vous isole du monde.  » 


Il arrive chez sa grand-mère avec  » un passé douloureux et un futur incertain ». Livré à lui-même, il y découvre l’autre vie de son père, celle qu’ils n’avaient pas connue, ni lui ni Jack, et ce ne sera pas sans surprise. 

« Appréhender la douleur avant la mort c’est souffrir deux fois. Une fois par l’esprit et l’autre par la chair. Je voulais vivre et si possible qu’avec de rares et fugaces tourments. Gommer les derniers mois, les dernières heures et redessiner les jours heureux.  » 




Poursuivit par la malchance, sa quête interrompue par le retour innopiné de son frère habité par la rage, il sera confronté à une violence qui le mènera à commettre l’irréparable.

 » Ce serait rassurant, déculpabilisant, de pouvoir justifier chacun de nos actes par des influences passées, des éléments malveillants dont on n’a même pas idée, tapis au fond de notre subconscient et s’affranchir ainsi des plus sombres. » 

Denali

Denali est un roman noir nature-writing envoûtant aussi magnifique que les romans de Ron Rash ou David Vann pour ne citer qu’eux. Et pourtant Patrice Gain est une plume française.

Et quelle plume ! Si belle que je n’ai pas cessé de noircir mon carnet de toutes les belles citations que l’auteur nous offre dans ce roman.



 » Seul le présent compte… Quand on ne sait pas profiter de la vie aujourd’hui, il ne faut pas s’attendre à le faire demain.  » 

Dés le départ j’ai senti un attachement féroce pout Matt, confronté si jeune à tant de douleur. Impossible de lacher ce récit chargé de rage, de colère, de fureur mais aussi d’amour, de fraternité, d’amitié, où seule la communion avec la nature apportera un peu de plénitude et permettra aux  lecteurs un peu de répit dans la folie des hommes.

Un roman nerveux, puissant, vibrant, une écriture aussi belle que les paysages du Montana et qui dégage à elle seule une montagne d’émotions. Un formidable voyage dans les grands espaces américains en compagnie d’un jeune garçon en quête de réponse.

 » Un petit bonheur pour habiller une tranche de vie, pour exalter le présent.  » 

Immense coup de cœur.


Patrice Gain est né à Nantes en 1961 et habite un chalet dans la vallée du Giffre, en Haute-Savoie. Professionnel de la montagne, ingénieur en environnement, les territoires d’altitudes et les grands espaces l’attirent depuis toujours. Des voyages pour voir plus large. Du blues pour écrire, comme une béquille. Son précédent roman  » La naufragée du lac des dents blanches  » également aux Éditions Le mot et le reste vient de recevoir ( août 2027) le grand prix du pays du Mont-blanc. 



Un auteur à suivre absolument.