Lorsque le dernier arbre de Michael Christie aux Éditions Albin Michel
Traduit de l’anglais (Canada) par Sarah Gurcel
“ 2038 […] le Grand Dépérissement. À mesure que succombent et disparaissent les forêts primaires partout sur le globe, le sol se dessèche faute d’arbres pour protéger la terre des rayons du soleil implacables, ce qui entraîne la formation de nuages de poussière assassins. Leurs particules extrafines étouffent la terre, comme les tempêtes de poussière des années 1930 qui dévastèrent les plaines du sud des États-Unis, mais cette fois-ci à une échelle bien supérieure : les plus grandes fermes industrielles se retrouvent ensevelies et des villes entières, étranglées. ”
S’aventurer entre ces pages, c’est comme s’aventurer dans la forêt de séquoias en Californie. On profite de l’instant, admirant ces arbres majestueux qui ont traversé plusieurs générations tout en ayant une pensée pour les années passées qui ont vu grandir cette forêt. Et lorsqu’une souche se présente, elle nous offre la possibilité de comptabiliser les années à chaque cerne, de sa naissance à sa chute.
En voyageant à travers le temps, tel l’arbre qui à chaque sillon nous offre une tranche de vie, Michael Christie tisse son histoire à travers des hommes et des femmes d’une génération à l’autre, enracinées à cette terre, liées à jamais à ces arbres, qu’ils les protègent ou les détruisent.
“ 1934 […] Le lendemain matin, ils traversent la partie incendiée pour rejoindre la zone où Harris sait que se dressent les géants de l’île. Feeney s’arrête au pieds du plus impressionnant de tous, un pin d’Oregon monumental de plus de soixante mètres de haut, enrobé dans une écorce de trente centimètres d’épaisseur. Main dans la main, la tête renversée, les deux hommes l’examinent quelques instants en silence.
« Magnifique, finit par dire Feeney. Je ne vois pas d’autre description possible. […] Ils regardent toujours vers le haut et Harris fait de son mieux pour imaginer l’entrelacs des branches. « C’est étrange, tu ne trouves pas, Liam, qu’il suffise d’acheter la terre où un arbre pareil est enraciné pour avoir le droit de le détruire à jamais ? Et le plus étrange, c’est qu’il n’y a personne pour nous en empêcher. » ”
Du Grand Dépérissement de 2038, en passant par Greenwood Island, un coin de paradis perdu en Colombie Britannique, puis revenant en 1974 où l’on fait connaissance d’une militante écologique qui tente de sauver les forêts, passant ensuite en 1930 au cœur de la grande dépression , puis découvrant 1908, là où tout à commencer…
“ 1908.De nos jours, on parle beaucoup d’arbres généalogiques, de racines, de liens du sang etc., comme si les familles existaient de toute éternité et que leur ramifications remontaient sans discontinuer jusqu’à des temps immémoriaux. Mais la vérité, c’est que toute la lignée familiale, de la plus noble à la plus humble, commence un jour quelque part. Même les arbres les plus majestueux ont d’abord été de pauvres graines ballottées par le vent, puis de modestes arbrisseaux sortant à peine de terre.
Nous le savons avec certitude parce que, la nuit du 29 avril 1908, une famille a pris racine sous nos yeux. ”
1908. Suite à un accident de train, Harris et Everett, deux jeunes garçons de familles différentes, devenus orphelins deviendront frères. Livrés à eux-mêmes, ils grandiront dans les bois, Harris fera par la suite des études et deviendra un magnat du bois, tandis qu’ Everett moins chanceux, connaîtra un tout autre destin.
Le temps poursuivra son œuvre, 1934, 1974, 2008, 2038 et la destinée de Willow, de Jacinda, de Liam suivra…
1974. “ Pourquoi les gens sont-ils programmés pour vivre juste assez longtemps pour accumuler les erreurs, mais pas pour les réparer ? Si seulement nous étions comme les arbres, se dit-elle […] Si seulement nous avions des siècles devant nous. Peut-être alors pourrions-nous redresser tous les torts que nous avons causés. ”
Au milieu des arbres, quatre générations se succèdent sans jamais nous perdre à travers la formidable fresque familiale de Michael Christie qui voyage à travers le temps.
Dans un style unique et une construction remarquable , l’auteur nous offre une œuvre aussi écologique que sociale à travers des personnages incroyables et une trame extraordinaire.
Un roman passionnant, enrichissant qui nous fait réaliser à quel point les arbres sont précieux, l’arbre symbolisant la vie mais lorsque le dernier arbre tombera, un avenir sombre suivra.
Après un formidable recueil de nouvelles en 2012, Michael Christie s’impose avec ce roman de toute beauté, une plume canadienne talentueuse à ne pas rater.
Mon plus beau coup de foudre de la rentrée.
Pour info :
Originaire de Vancouver, en Colombie Britannique, Michael Christie avait fait une entrée remarquée sur la scène littéraire avec son premier recueil de nouvelles, Le Jardin du mendiant (Albin Michel, 2012).
Traduit dans une quinzaine de langues, Lorsque le dernier arbre a été finaliste du prestigieux Giller Prize et récompensé par le Arthur Ellis Award for Best Novel.
Je remercie les Éditions Albin Michel pour ce roman terriblement majestueux.