Trencadis

Trencadis de Caroline Deyns aux Éditions Quidam

« J’ai eu la chance de rencontrer l’art parce que j’avais, sur le plan psychologique, tout ce qu’il faut pour devenir une terroriste. »

Que se cache-t’il derrière ce titre aux allures de mosaïque ?

Une femme ? Une artiste ? Une œuvre ? Une vie ? Ou tout simplement un peu tout ça pour nous faire découvrir une fresque littéraire aussi atypique que Niki de Saint Phalle.

Si au départ ce nom ne me disait rien, après quelques recherches j’ai relié l’artiste à ses œuvres d’art et j’ai poursuivi ma visite faisant doucement connaissance avec cette femme à la vie plutôt tumultueuse.

De cela, Niki ne s’en cachera jamais : « J’ai commencé à peindre chez les fous. »

Grâce à l’auteure Caroline Deyns, je découvre une femme tourmentée par un douloureux passé mais pleine de vie et d’extravagance qui très tôt se passionne pour l’art.

Une femme insoumise, rebelle, indépendante autant dans sa vie de femme que dans sa vie d’artiste. Elle laisse exploser ses blessures et les transforme en créations originales. En apportant de la couleur dans la noirceur, cette femme ne cessera de surprendre, d’émerveiller.

[…] comme seule en sont capables les filles, un peu barrées qu’ on oserait pas qualifier d’hystériques, mais quand même, parce que celle-ci elle en tient une couche avec sa carabine qui explose les entrailles de ses propres tableaux. Alors oui, cette bousculade volontaire comme une réparation, un essai de cicatrisation, mais aussi, pourquoi pas, une tentative pour édicter, à l’intérieur même du groupe avant-gardiste, un nouvel équilibre où elle, Niki, pourrait se tailler la place du (chasseur de) lion. Elle, et toutes les autres femmes avec.

Bien plus qu’une biographie, le portrait de cette femme présenté de manière originale, comme pourrait l’être une exposition, est un véritable enchantement.

Caroline Deyns nous offre à sa façon une aventure passionnante, bourrée d’anecdotes en nous offrant ce récit qui nous permet de découvrir la passion et l’admiration qu’elle a pour Niki.

Une magnifique découverte qui me permet de poser un regard différent sur l’artiste que je connaissais si peu, et qui me permettra dorénavant d’admirer ses œuvres à leurs justes valeurs.

C’est publié chez Quidam Éditeur, qui nous offre toujours une belle galerie d’artistes d’horizons différents pour toujours surprendre et émouvoir les lecteurs .

Une belle surprise complètement inattendue.

Pour info :

Originaire de Valenciennes, Caroline Deyns vit et enseigne à Besançon. Elle est l’auteure aux éditions Philippe Rey de Tour de plume (2011) et de Perdu, le jour où nous n’avons pas dansé (2015).

Je remercie Quidam éditeur pour ce récit extraordinaire

Ensemble, on aboie en silence

Ensemble, on aboie en silence de Gringe aux Éditions Harper Collins

“ – Moi, je te fais confiance, mais elles, elles sont pas toutes d’accord pour que j’en parle.

– Elles ?

– Les voix que j’entends. […]

Le connaissant, je le sais déjà tiraillé entre la volonté de ne pas trahir ses voix et celle de ne pas me décevoir. Quand à moi, je refuse d’instrumentaliser son affection. Que faire ? Jusqu’ici, j’ai toujours exclu la censure dans mon boulot, ce n’est pas pour me soumettre à la volonté de voix imaginaires ! Je pourrais les inviter à participer… C’est peut-être ça, la clé, les intégrer au processus d’écriture. Oui, mais comment ? Il éprouve déjà tant de mal à m’en parler, comment lui faire accepter l’idée de livrer son secret sur papier.

Deux frères, même père, même mère et pourtant tellement différent. L’un candide et l’autre rageur. Quand l’un fonce, l’autre reste prudent.

En 2001, Thibault est diagnostiqué schizophrène.

Thibault, lui, annonce à notre mère : « J’ai plus envie de vivre. Ça dure encore combien de temps ? »

Guillaume l’accepte mal, et une colère s’installe en lui. Une colère qui va l’éloigner de sa famille et de son frère, envahit d’une culpabilité extrême, se demandant ce qu’il a raté dans son rôle de grand frère protecteur.

Le grand frère malade de son frère malade.

Voilà ce que je suis devenu. ”

De loin, il observe, jusqu’au jour où son besoin de comprendre s’impose, avec une folle envie de reprendre sa place de grand frère.

Aujourd’hui, les dangers du monde qui t’entoure ont changé de nature. Et c’est de toi que j’aimerais te protéger.

Du regard des autres aussi.

Je n’ai pas vraiment été ce qu’on appelle un frangin exemplaire, mais ce Chevalier Lumière de deux ans ton aîné, le même qui filait des coups de pieds aux arbres, ce chevalier-là existe encore. Ça fait dix ans qu’il me souffle de jeter mes forces dans une bataille sans répits à tes côtés. ”

Ce que j’en dis :

N’écoutant pas de rap, j’ai cru que je ne connaissais pas Gringe (de son vrai nom Guillaume Tranchant) mais j’avais fait sa connaissance en tant qu’acteur dans le film d’Olivier Marchal : Carbone, où il jouait au côté de Benoît Magimel, excellent film soit dit en passant.

Je le découvre à présent auteur, dans ce récit qui donne également la voix à son frère.

À travers ce méli-mélo de voix, on découvre une part intime de leur vie, une vie bousculée par la maladie qui tantôt les éloigne l’un de l’autre jusqu’à les réunir enfin.

Un magnifique témoignage, sans fard qui nous transporte avec tendresse dans un univers trop méconnu, souvent mal jugé, et nous permet de mieux comprendre ce que vivent certains.

Un véritable chant d’amour de deux frères qui prennent des chemins de traverse pour exprimer la folie.

Un livre touchant où les mots tentent d’apaiser les maux.

Pour info :

Gringe est rappeur, en solo ou en duo avec Orelsan et les Casseurs Flowters. Également acteur comme dans la série Bloqués, ou dans le films, Comment c’est loin, et Carbone. Et à présent auteur.

Je remercie l’agence “ Un livre à soi  » et les Éditions Harper Collins pour cette découverte.

Ennemi public N°1

Ennemi public N°1 d’Alvin Karpis aux Éditions de La Manufacture de livres

Traduit de l’anglais (USA) par Janine Hérisson

Profession ? Gangster, braqueur, kidnappeur. Et j’étais sacrément bon à ça, peut-être le meilleur d’Amérique du Nord. Et ça pendant cinq ans, de 1931 à 1936. Non, je n’essaie pas de flatter mon ego quand j’utilise le mot de « professionnel ». Ce business est vraiment devenu mon vrai métier parce que c’est comme ça que je l’ai abordé : en professionnel. “

Dans les années 30, il était bien plus simple de devenir un truand, et cela en faisait rêver plus d’un, rendant d’un coup plus accessible le rêve américain.

Les nouvelles technologies dont nous disposons désormais étaient inexistantes à l’époque et le FBI devait bien souvent jouer au chat et à la souris avec les hors-la-loi.

On peut dire qu’ Alvin Karpis leur a donner du fil à retordre, lui qui rêvait depuis tout gamin de liberté, d’argent facile, d’aventures, n’a pas boudé son plaisir. Une fois capable de tenir une arme, il fit ses premiers pas de criminel devenant braqueur, kidnappeur, en obtenant très vite le statut d’ennemi public N°1.

Un titre qu’il sera le premier à obtenir dans l’histoire de la criminalité et le seul qui n’y laissera pas sa peau.

Voici son histoire.

Ce que j’en dis :

Pour qui s’intéresse à toute l’Histoire criminelle des États-Unis ne pourra faire l’impasse sur ce récit autobiographique d’Alvin Karpis , l’un des plus grands truands de l’histoire, aux côtés d’Al Capone, Bonnie & Clyde, Baby Face Nelson…

Paru une première fois en 1972 à la Série Noire, et jusqu’à ce jour épuisé, cette nouvelle traduction entièrement révisée, nous offre l’occasion de nous replonger dans l’univers de ces bandits de grand chemin, une belle époque pour ces gangsters notoires.

Un récit où l’on se sentirait presque coupable d’admirer cette bande de criminels qui réussissaient à déjouer le FBI en s’en mettant au passage plein les poches, pour mener la grande vie.

Et comme tout est vrai, c’est plutôt épatant.

C’est à redécouvrir dès maintenant à La Manufacture de livres.

Pour info :

Né en 1907 au Canada, Alvin Karpis devînt dans les années 1930 aux États-Unis le tristement célèbre leader du Gang Barker-Karpis, l’une des plus redoutable association de gangsters de l’époque. Il sévit jusqu’à 1936, date de son arrestation et deviendra le prisonnier d’état ayant effectué le plus long séjour à Alcatraz. Relâché en 1969, il écrira son autobiographie avant de s’exiler en Espagne où il mourra dans des circonstances troubles en 1979.

Judy Garland

Judy Garland de Bertrand Tessier aux Éditions de l’Archipel

Bertrand Tessier nous invite à travers son récit à découvrir l’histoire de Judy Garland, celle qu’on appelait «  la petite fiancée de l’Amérique ».

Très tôt, privée de son enfance par sa mère qui sentant une aubaine financière la propulsa sur la scène, tout en la rendant très tôt accro aux amphétamines afin que cette enfant épuisée par sa surcharge de travail puisse faire face et honorer les engagements des contrats cinématographiques.

Du paradis à l’enfer, sa route est déjà toute tracée.

Après le cinéma elle deviendra chanteuse et mènera une nouvelle carrière incroyable, entachée malheureusement par son addiction jusqu’à ce qu’une overdose l’emporte à l’âge de 47 ans.

Un récit très touchant, peut-être un peu trop journalistique par moment, mais qui nous montre l’envers du décor hollywoodien, et le fabuleux parcours d’une petite fille pleine de talents devenue une légende.

L’histoire d’une étoile qui brillera éternellement.

Je remercie Masse Critique de Babelio pour ce récit passionnant.

Pour info :

Né à Nantes en 1960, Bertrand Tessier est journaliste, auteur et réalisateur.

Il collabore aujourd’hui à Paris Match et Gala. Auteur de documentaires diffusés sur France  2 et France  5, il a publié Bernard Giraudeau, le baroudeur romantique, La Dernière Nuit de Claude François, Grace, la princesse déracinée (L’Archipel, 2011 à 2014), ainsi que des biographies de Jean-Paul Belmondo (Flammarion, 2009 ; Archipoche, 2010), d’Alain Delon et Romy Schneider (Le Rocher, 2010 ; Archipoche, 2012), et plus récemment de Jean-Pierre Melville (Fayard, 2017).

Little Louis

Little Louis de Claire Julliard aux Éditions Le mot et le reste

” Chez nous, c’était la nouvelle Babylone, le royaume du crime et de la dépravation à ce qu’on disait. Tout un bas monde se vautrait dans la fange. Mais en vérité, qui connaissait Storyville, à part ceux qui y vivaient ? Pas grand monde pour la bonne raison que le gratin n’y mettait guère les pieds […] Je n’ai jamais été malheureux dans ma ville. Nous, les gosses, on ne s’ennuyait pas. Du matin au soir, on cavalait à droite à gauche. Je crois bien n’être jamais resté en place plus d’une heure. Sauf quand j’écoutais Joe Oliver. Là je ne mouftais plus. J’étais muet, sidéré. Il fallait le voir souffler dans son cornet, un maître. Papa Oliver m’a tant apporté. J’enregistrais mentalement ses gestes, son style, ses morceaux. Tout ce que je sais, c’est dans nos rues que je l’ai appris. La vie, ça se passe dans la rue, dans la pleine lumière ou à la lueur d’un réverbère, pas derrière les persiennes des belles demeures. “

C’est à la Nouvelle-Orléans, à Storyville qu’a grandit Louis Armstrong.

Au départ il est élevé par sa grand-mère, Joséphine pour laquelle il a une grande affection, au point de la considérer comme sa véritable mère. La quitter pour rejoindre et s’occuper de sa mère malade est un véritable déchirement. Malgré tout, il va prendre soin de sa mère et de sa petite sœur malgré son jeune âge, jusqu’à ce fameux soir, où il tira en l’air avec un vieux pistolet chipé chez lui. Un geste malencontreux qui va le conduire direct dans une institution pénitentiaire mais qui s’avérera une véritable planche de salut.

” Joséphine suait sang et eau pour faire de moi un gamin éduqué et responsable. Elle m’apprenait le bien du mal. Quand j’avais fait une bêtise, elle fronçait les sourcils et me traitait de vilain garçon. Elle m’envoyait cueillir une petite branche sur l’arbre de la cour pour me rosser. J’étais déconfit, les larmes prêtes à jaillir. Alors elle éclatait de rire et levait la punition. Hélas, je ne passais pas toujours à travers les gouttes. “

C’est entre ses murs, que sa passion pour la musique va se concrétiser. En intégrant la fanfare dirigée par Peter Davis, qui deviendra son père de substitution, il va perfectionner son talent exceptionnel de cornettiste.

Et même si à sa sortie, il retourne pelleter du charbon pour aider sa famille, chaque soir il joue dans les honky tonks, bouges du quartier chaud de Storyville où le Jazz s’invente aux côtés des voyous et des prostituées.

” Quelque chose était en gestation et se développait un peu partout dans les rues de ma ville, autour de la place Congo qu’on appelait jass ou jazz. Un genre musical dont je percevais les vibrations au plus profond et qui a forgé mon destin. “

La musique ne le quittera plus, et quand à vingt ans, vint le moment de quitter la ville de son enfance, c’est à Chicago qu’il deviendra cet inoubliable artiste et embrassera le monde.

” J’ai grandi dans ce chaos où la frontière entre le bien et le mal n’existait pas. Les macs et les voyous, les artistes et les honnêtes gens trouvaient un terrain d’entente. Tout ça a influencé ma vision de la vie. Pour moi, nous évoluons dans un mouvement circulaire susceptible de renversements, de renouveau et de métamorphoses. J’en suis la preuve vivante. Regardez d’où je viens et ce que je suis aujourd’hui. J’ai connu le pire et le meilleur, du pire j’ai fait ma fortune et celle de mes proches, j’ai cru en mon destin, moi le petit Louis de Black O’ Town. “

Ce que j’en dis :

Mon père était trompettiste et saxophoniste, dans sa jeunesse il jouait dans les bals avec son frère aîné. N’étant pas encore née, je n’ai pas eu la joie de connaître cette époque mais à chacun de mes anniversaires je lui demandais de me jouer ses morceaux préférés.

Tout comme Louis Armstrong, il a rejoint les étoiles depuis bien longtemps et j’ose espérer que si l’occasion se présente, ils s’offrent un bœuf de temps en temps pour se rappeler le bon vieux temps.

En attendant, je sais d’où me vient ma passion pour le jazz, la musique en général et tous ces musiciens d’ici ou d’ailleurs.

Mais revenons à ce magnifique récit, laissons mes souvenirs nostalgiques errer dans mes pensées.

À travers ce récit, c’est toute l’enfance de Louis que l’on découvre, parfois chaotique mais malgré tout, toujours joyeuse.

L’histoire d’un petit garçon qui aurait pu devenir voyou mais qui sera sauvé par sa passion pour la musique.

Un enfant courageux, emplit d’amour et de générosité pour sa famille et ses amis et qui le restera une fois adulte.

Little Louis nous fait redécouvrir la Nouvelle-Orléans du passé, la naissance du jazz, dans un contexte ultra violent de ségrégation et de misère.

En s’inspirant des souvenirs de Louis Armstrong consignés dans Ma vie à la Nouvelle-Orléans [1952] (Coda, 2006, traduit par François Thibaut), et en rajoutant de nombreuses anecdotes, Claire Julliard nous fait cadeau d’un formidable roman sur la jeunesse tumultueuse de Satchmo, l’un des plus grands génies du Jazz.

Un magnifique blues qui nous emporte, nous bouleverse comme cette musique qui véhicule des émotions simple et sincères.

À découvrir absolument en s’accompagnant pourquoi pas d’un bon whisky et des sons merveilleux de la trompette de notre merveilleux Louis Armstrong.

Pour info :

Journaliste littéraire, Claire Julliard est née à Paris.

Elle a longtemps été nègre dans l’édition avant d’écrire ses propres romans.

Elle est notamment l’auteure d’une biographie de Boris Vian, de romans pour la jeunesse parus à l’école des loisirs, de l’Oie sur un lac gelé chez Leo Scheer et des Hors-venus chez Belfond.

Je remercie les Éditions Le mot et le reste et Aurélie de l’agence, un livre à soi pour ce magnifique blues à la Nouvelle-Orléans en compagnie d’un génie.

Profession romancier

Profession romancier de Haruki Murakami aux Éditions Belfond

Traduit du japonais par Hélène Morita

Écrire un roman n’est pas très difficile. Écrire un roman magnifique n’est pas non plus si difficile. Je ne prétend pas que c’est simple, mais ce n’est pas non plus impossible. Ce qui est particulièrement ardu, en revanche, c’est d’écrire des romans encore et encore. Tout le monde n’en n’est pas capable. Comme je l’ai déjà dit, il faut disposer d’une capacité particulière, qui est certainement un peu différente du simple « talent ».

(…) Depuis plus de trente ans, j’écris des romans et je gagne ma vie en tant que romancier. Ce qui signifie que je me suis maintenu debout sur le ring du monde littéraire depuis trente ans, ou bien, pour le dire à la façon ancienne, que je « vis de ma plume » depuis trente ans. Dans le sens le plus strict du terme, on parlera peut-être d’un «accomplissement ».

Que l’on soit passionnée ou pas de littérature japonaise, on connaît forcément Haruki Murakami, auteur connu et reconnu du monde littéraire, en tout cas je l’espère, l’appréciant pour ma part enormément.

À travers ce recueil, qui réunit douze essais autobiographiques de l’auteur, on découvre son parcours d’écrivain depuis son tout premier roman ” Écoute le chant du vent suivi de Flipper “ écrit en 1973 et qui sera enfin publié après son consentement en 2016.

James Joyce a déclaré, avec un certain laconisme : « L’imagination c’est la mémoire. » Je pense qu’il a raison. (…)

Notre tête – du moins la mienne – abrite un stock important de ce type de matériau. Chaque tiroir est bourré de toute sorte de souvenirs faisant office d’informations. Il y a de grands tiroirs. Des petits aussi. Et certains munis de poches secrètes. Quand j’écris, je les ouvre selon mes besoins, j’en sors le matériau voulu et je m’en sers pour une partie de mon roman (…) D’habitude, les souvenirs oubliés reviennent prestement à la vie, d’une façon naturelle. Quand mon esprit parvient à cet état de liberté et d’abandon, je me sens extrêmement bien. L’imagination s’est éloignée de ma volonté, elle se déplace maintenant librement, elle a acquis des formes et des volumes. Ces informations engrangées dans mes archives intérieures sont évidemment des biens irremplaçables, une immense fortune pour le romancier que je suis. “

Il nous offre, telle une longue interview, ses réflexions sur ce métier de romancier, sur l’écriture en général qui permet à l’imaginaire de devenir littéraire, en posant également un certain regard sur le monde de l’édition, les prix littéraires, tout en vouant une admiration sans bornes pour les traducteurs.

Il est parfois cynique, mais toujours sincère en dévoilant les coulisses de son quotidien d’écrivain et la face cachée de l’univers du livre avec les passionnés d’un côté et les intéressés de l’autre.

Dans son pays, les critiques ne lui ont pas fait de cadeaux et comme beaucoup d’écrivains, il est bien plus lu et apprécié à l’étranger.

” Critiquer une œuvre est toujours possible, l’apprécier également. “

Tout en s’interrogeant sur l’avenir du livre, il prodigue ses précieux conseils tels des encouragements pour les écrivains en herbe, tout en restant très lucide.

” Beaucoup de ces étoiles montantes de la littérature ont disparu sans tambour ni trompette. Certains d’entre eux – la plupart, sans doute – en ont eu assez d’écrire des romans ou bien se sont lassés de cette activité dans la durée et ont changé de voie. Et beaucoup de leurs livres, dont on ne cessait de parler au moment de leur gloire, sont à présent très difficile à dénicher dans les librairies ordinaires. Car, si le nombre des écrivains est presque illimité, l’espace des librairies ne l’est pas.

À présent, ses romans sont traduits dans plus de cinquante langues et font de lui un homme fier et heureux.

Profession romancier permettra aux lecteurs d’en découvrir un peu plus sur cet auteur assez réservé et donnera peut-être envie aux plus audacieux de se lancer dans l’écriture sur les traces de ce grand écrivain.

Pour info :

Né à Kyoto en 1949 et élevé à Kobe, Haruki Murakami a étudié le théâtre et le cinéma, puis a dirigé un club de jazz, avant d’enseigner dans diverses universités aux États-Unis.
En 1995, suite au tremblement de terre de Kobe et à l’attentat du métro de Tokyo, il décide de rentrer au Japon.
Ont déjà paru chez Belfond Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil (2002), Les Amants du Spoutnik (2003), Kafka sur le rivage (2006), Le Passage de la nuit (2007), La Ballade de l’impossible (2007 ; 2011), L’éléphant s’évapore (2008), Saules aveugles, femme endormie (2008), Autoportrait de l’auteur en coureur de fond (2009), Sommeil (2010), la trilogie 1Q84 (2011 et 2012), Chroniques de l’oiseau à ressort (2012), Les Attaques de la boulangerie (2012), Underground (2013), L’Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage (2014), L’Étrange Bibliothèque (2015), Écoute le chant du vent suivi de Flipper, 1973 (2016), le recueil de nouvelles Des hommes sans femmes (2017), Birthday Girl (2017), le diptyque Le Meurtre du Commandeur (2018) et De la musique, une série d’entretiens avec Seiji Ozawa (2018). Tous les livres de Murakami sont repris chez 10/18.
Plusieurs fois pressenti pour le Nobel d littérature, Haruki Murakami a reçu le prestigieux Yomiuri Literary Prize, le prix Franz Kafka 2006, le prix de Jérusalem pour la liberté de l’individu dans la société en 2009, le prix international de Catalogne 2011 et le prix Hans Christian Andersen en 2016.

Je remercie les Éditions Belfond pour cette lecture très enrichissante.

Le moine de Moka

Le moine de Moka de Dave Eggers aux Éditions Gallimard

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Juliette Bourdin

” Mokhtar ne pouvait pas parler aux autres de ce genre de choses, de sa capacité à flairer une occasion et à s’y préparer mentalement. Les gens ne comprenaient pas. Mais lui savait que si on lui donnait la moindre ouverture, le plus mince entrebâillement, sa tchatche était capable d’ouvrir grand la porte et de lui faire franchir le seuil. “

Lorsque Mokhtar découvrit la fabuleuse histoire de l’invention du café. Il exerçait le métier de portier à San Francisco dans un immeuble prestigieux. À vingt-quatre ans, ce jeune Américano-Yéménite était loin d’imaginer avoir en commun des origines avec le café qui occupe une place centrale au Yémen.

Autodidacte et fort débrouillard, il quitte sa famille et les États-Unis pour se rendre sur la terre de ses ancêtres et prospecter auprès des cultivateurs de café.

” Il lui dit qu’il appartenait à une famille yéménite qui avait cultivé le café depuis des siècles et qu’il retournerait bientôt au pays pour faire revivre l’art du café yéménite et l’amener sur le marché du café de spécialité. “

En plus de vouloir importer le café du Yémen, il veut lui redonner ses lettres de noblesse, mais également payer tous ces cultivateurs, cueilleurs, trieurs, les emballeurs, à leurs justes valeurs.

” Toute tasse de café requiert donc une vingtaine de mains, du producteur au consommateur. Et pourtant, elle ne coûte que deux ou trois dollars. Même une tasse à quatre dollars relève du miracle, compte tenu du nombre de personnes impliquées, compte tenu de l’attention et de l’expertise prodiguées aux grains dissous dans cette tasse à quatre dollars. Une attention et une expertise telles que en fait, même à quatre dollars, on peut soupçonner que, au cours du processus, des gens – peut-être même des centaines de gens – ont été escroqués, sous-payés, exploités. “

Hélas en 2015, alors que son projet ambitieux d’améliorer les conditions de travail et de changer l’image du Yémen aux yeux du monde prend forme, une guerre civile éclate.

Les bombes saoudiennes tombent, l’ambassade américaine ferme ses portes, et Mokhtar se retrouve coincé au Yémen, mais il refuse de sacrifier ses rêves et de laisser tomber tous ceux qui comptent et croient en lui.

Ce que j’en dis :

Êtes-vous prêt à vivre une aventure extraordinaire ? Car c’est ce qui vous attend dès les premières pages de cette histoire vraie aussi captivante que passionnante.

What else ?

Il est même fort possible que vous appréciez davantage votre prochaine tasse de café, en tout cas vous risquez fort de le voir différemment.

What else ?

Dave Eggers est un formidable conteur, tout en portant un regard éclairé et juste sur l’histoire du café, il emporte le lecteur dans une aventure bouleversante en plein milieu d’une guerre, où notre héros si courageux soit-il, risque de tout perdre.

What else ?

Ce récit instruit autant qu’il divertit, parfois drôle mais aussi inquiétant, et ne manque pas de suspense. Il est préférable de l’accompagner de quelques cafés car une fois commencé il est impossible de le lâcher avant le final où le champagne risque de s’inviter à la fête.

What else ?

Après Zeitoun que j’avais déjà trouvé formidable malgré le sujet douloureux qu’il relatait, j’ai retrouvé avec plaisir la plume de Dave Eggers et son talent d’écrivain, et j’ai hâte de poursuivre mes découvertes, notamment Les héros de la frontière.

En attendant je ne peux que vous recommander le moine de Moka, pour découvrir vous aussi l’histoire de ce jeune Américain musulman, un homme hors du commun. .

What else ?

Filez chez votre libraire…

What else ?

Je remercie infiniment Léa, fondatrice du Picabo River Book Club et les Éditions Gallimard pour cette aventure aussi enrichissante que palpitante.

Pour info :

Dave Eggers est né à Boston dans le Massachusetts.

Écrivain américain, scénariste il est aussi fondateur du magazine littéraire The Believer, de Might Magazine et de la maison d’édition McSweeney’s.

Il est l’époux de Vendela Vida également auteure.

Dave Eggers a écrit quatre livres populaires: A Heartbreaking Work of Staggering Genius (Une œuvre déchirante d’un génie renversant), You Shall Know Our Velocity, How We Are Hungry, et What Is the What: The Autobiography of Valentino Achak Deng.

Il est par ailleurs coscénariste, avec Vendela Vida, du film Away We Go(2009) réalisé par Sam Mendes.

Son livre Le Cercle traite de la toute-puissance des nouvelles technologies à cause desquelles les individus renoncent de leur plein gré chaque jour un peu plus à leur vie privée.

Il vit à Chicago et San Francisco. Il est enseignant à l’école 826 Valencia.

“ La montagne vivante ”

La montagne vivante de Nan Shepherd aux Éditions Christian Bourgeois

Traduit de l’anglais par Marc Cholodenko

 » Me voici donc allongée sur le plateau, sous le cœur central de feu depuis lequel a été lancée cette masse grommelante et grinçante de roc plutonique, au-dessus de moi l’air bleu, et entre le feu du rocher et le feu du soleil, les éboulis, le sol et l’eau, la mousse, l’herbe, la fleur et l’arbre, les insectes, les oiseaux et les bêtes, le vent, la pluie et la neige – là montagne au complet. Lentement j’ai trouvé mon chemin à l’intérieur. “

Toute sa vie durant, Nan Shepherd (1893/1981) a arpenté les montagnes écossaises de Cairngorm, un endroit aux hivers rudes et aux conditions de vies assez précaires.

” Certains portent à ces lieux sauvages un amour fervent et ne demandent rien de mieux que d’y passer leur vie. Ceux-là héritent du savoir de leurs pères et parfois l’enrichissent. Les autres, rétifs à ces conditions primitives, pour qui il n’y a que sentimentalisme à les célébrer, s’en vont. “

À travers La montagne vivante l’auteure nous entraîne au cœur de ses pérégrinations, elle nous invite à découvrir la faune et la flore, la montagne enneigée, les rivières, partage avec nous ses méditations, et nous présente ses camarades d’un jour ou d’une vie croisés ici et là sur les chemins montagneux lors de ses explorations.

” (…) souvent la montagne se donne le plus complètement quand je n’ai pas de destination, quand je ne cherche pas un endroit particulier, quand je suis sortie rien que pour être avec la montagne comme on rend visite à un ami sans autre intention que d’être avec lui. “

Ce récit, écrit dans les années 1940, durant les dernières années de la Seconde Guerre mondiale, est resté dans un tiroir pendant trente ans avant d’être publié en Grande-Bretagne, il est aujourd’hui enfin traduit et publié en France.

San Shepherd a mené toute sa vie une quête, elle est allée à la recherche de la « nature essentielle » des Cairngorms. Cette quête l’a conduite vers l’écriture de ce récit de méditation sur la magnificence des montagnes et sur l’imaginaire du monde sauvage qui nous entoure.

Ce que j’en dis :

En publiant pour la première fois en Français  » La montagne vivante « , les Éditions Christian Bourgeois nous offre l’occasion de faire connaissance avec Nan Shepherd, véritable pionnière du Nature writing, un univers jusqu’à présent plutôt masculin, comme l’ont prouvé les textes, à l’époque, de Bruce Chatwin (En Pantagonie), John McPhee (En Alaska), Peter Matthiessen (Léopard des neiges), mais aussi J.A. Baker (Le Pélerin).

Nan Shepherd connaît bien sa montagne, et en est même amoureuse, de ce fait elle entre en communion parfaite avec elle et nous livre une véritable déclaration d’amour, un bel hommage à cette montagne qui lui a tant donné.

Son regard féminin, posé sur cette faune et cette flore mais également sur les paysages qui changent selon le temps et les saisons, l’entraîne vers de profondes méditations et nous offre un spectacle touchant et un bien-être extraordinaire.

Ce livre apaise telle une balade, il aspire au dépaysement, il nous fait voyager au cœur d’un endroit sauvage en compagnie d’une femme tantôt exploratrice et tantôt poétesse.

Elle nous ensorcelle, nous captive, et nous fait aimer cette montagne, si belle et pourtant si rude.

Tel un peintre qui nous laisserait une toile en souvenir, Nan Shepherd nous laisse un récit magnifique et inoubliable sur la nature et les paysages de Grande Bretagne.

Elle rejoint les écrivains qui grâce à leurs romans préservent à leurs manières toutes les richesses de notre planète, et nous offrent des voyages exceptionnels.

Amoureux de la nature, la montagne vivante vous attend pour une balade inoubliable.

Pour info :

Nan (Anna) Shepherd (1893/1981) était une auteure et poète moderniste écossaise.

Le paysage et la météo écossais ont joué un rôle majeur dans ses romans et sont au centre de sa poésie. Shepherd a enseigné l’anglais au Aberdeen College of Education pendant la majeure partie de sa vie professionnelle.

Elle est aujourd’hui représentée sur les billets de 5 £ d’Écosse.

Je remercie les Éditions Christian Bourgeois pour cette balade écossaise de toute beauté.

“ Un insaisissable paradis ”

Un insaisissable paradis de Sandy Allen aux Éditions Belfond

Traduit de l’américain par Samuel Sfez

” Peut-être cette histoire était-elle un délire. Peut-être était-ce un mensonge. Ou peut-être Bob poursuivait un but précis. Par exemple, imaginais – je, peut-être qu’il était en colère contre son père et qu’il avait écrit cette histoire peu flatteuse pour se venger. (Si tel était le cas, je n’appréciais pas du tout qu’il cherche à m’impliquer.) (…) J’ai arrêté de lire. Le manuscrit me regardait. Il était hideux, même de loin. Ses pages puaient, littéralement. Je voulais l’ignorer, comme on ignore un tas de manteaux imbibés d’urine sur le trottoir ou un homme qui hurle des obscénités sur un banc. J’ai remis les pages dans leur enveloppe et l’ai glissé dans un tiroir que j’ouvrais rarement. “

En 2009, lorsque Sandy Allen reçoit dans une grande enveloppe, ce qui semble être l’autobiographie de son oncle, elle est assez surprise.

Son oncle a toujours été aux yeux de la famille, un être à part, étrange, et même considéré comme fou pour certains.

Jesuis Robert

C’est l’histoire vraie d’un garçon qui a grandi à berkeley californie pendant les années soixante et soixante-dix, incapable de s’identifier à la réalité et pour ça étiqueté schizophrène paranoïaque psychotique pendant le reste de sa vie. “

Comme on choisit un exécuteur testamentaire, Robert a choisi, Sandy sa nièce pour réécrire son histoire.

À travers ces feuillets, elle découvre l’histoire de ce gamin, fan de Jimi Hendrix, dont l’existence a basculé en 1970 après avoir été enfermé sans raison dans un hôpital psychiatrique. Isolé du monde, bourré de narcotiques, subissant même des électrochocs, il sera au final déclaré schizophrène.

 » Au réveil, il faisait la queue pour prendre des cachets, mangeait puis errait. Il faisait la queue pour reprendre des cachets, mangeait puis errait jusqu’à ce qu’il soit l’heure de dormir. Il se réveillait, faisait la queue pour prendre des cachets et ainsi de suite. Ce n’était pas des décisions qu’il prenait ; juste des choses qu’il faisait. Il n’y avait personne à combattre. Aucune raison de vivre. Pour autant qu’il sache, ça pouvait bien être le reste de sa vie. “

Sandy, réécrit l’histoire, tout en menant une véritable enquête sur sa famille qui semble avoir voulu cacher tout ce qui se rapporte à son oncle, mais également sur cette maladie pleine de mystère, dont on ignore tout. Une maladie qui isole, et laisse en marge de nombreuses personnes comme Robert.

Ce que j’en dis :

Sandy Allen ne s’est pas contentée de retranscrire l’histoire de son oncle, elle a mené une véritable enquête au sein de la famille et dans le milieu médical pour comprendre et analyser au plus juste le comportement de son oncle atteint de schizophrénie.

Elle démêle de ce fait le vrai du faux et mène de véritables recherches qui démontrent également les travers de la médecine face à cette maladie si méconnue à l’époque.

Bien plus qu’une biographie, Sandy Allen fait de cette histoire un véritable cas d’étude sur la schizophrénie, et le milieu psychiatrique à travers les âges.

En alternant, les feuillets de Robert et son analyse personnelle issue des ses investigations, Sandy Allen nous offre un récit atypique, passionnant en nous plongeant au cœur de la vie de Robert, tout en nous faisant part de ses découvertes parfois surprenantes.

Après lecture de cette histoire vraie aussi intéressante que bouleversante, je me demande encore si le destin de Robert aurait pris une autre tournure s’il n’avait pas été hospitalisé ce fameux jour, qui pour moi a tout déclenché, et plongé la vie de cet enfant vers d’insaisissables paradis.

À découvrir absolument.

Une découverte extraordinaire.

Pour info :

Sandy Allen, qui souhaite être identifié.e par le pronom iel٭, est un.e auteur.e de non-fiction, résidant dans les montagnes de Catskills. Son premier livre, Un insaisissable paradis, a été publié en janvier 2018 par Scribner, maison d’édition américaine.

Iel était auparavant chroniqueur.se pour BuzzFeed News.

Ses essais et ses reportages ont notamment été édités par BuzzFeed News, CNN Opinion et Pop-Up Magazine. Iel a également fondé et dirigé la revue littéraire pureplayer et trismestrielle Wag’s Revue.

Son travail cible essentiellement le système de santé mentale américain actuel, son histoire ainsi que ses évolutions ; mais aussi la notion de « normalité », en particulier ses constructions, incluant le handicap mental et le genre.

٭ Iel : pronom servant à désigner des personnes qui ne s’inscrivent pas dans un genre binaire.

Je remercie les Éditions Belfond pour cette formidable lecture.

“ Heartland au cœur de la pauvreté dans le pays le plus riche du monde ”

Heartland au cœur de la pauvreté dans le pays le plus riche du monde

De Sarah Smarsh aux Éditions Christian Bourgeois

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Hélène Borraz

” Quand j’étais jeune, les États-Unis s’étaient persuadés que les classes sociales n’existaient pas ici. Je ne suis même pas sûre d’avoir rencontré le concept avant d’avoir lu un vieux roman anglais au lycée. Ce manque de reconnaissance tout à la fois invalidait ce que nous vivions et nous montrait du doigt si nous essayons de l’exprimer. Les classes sociales n’étaient pas abordées, et encore moins comprises. Ce qui veut dire que, pour un enfant de mon tempérament – qui avait tendance à fouiller tous les secrets de famille, à fouiner dans les placards à la recherche d’indices sur les gens mystérieux que j’aimais –, chaque journée était doucement empreinte de frustration. Le sentiment qui a défini mon enfance a été de m’entendre dire qu’il n’y avait pas de problème alors que je savais fichtrement qu’il y en avait un. “

Sarah Smarsh a grandi dans une ferme du Kansas entre 1980 et 1990. À travers les portraits saisissants qu’elle brosse de sa famille, elle nous offre un récit autobiographique sur les oubliés de l’Amérique, ceux dont on ne parle pas et que l’on croise seulement dans certains livres comme ceux de Faulkner.

En s’adressant à sa fille qu’elle n’a pas eu par choix, elle se libère de tout le poids de cette pauvreté et brise la chaîne de cet héritage transmis d’une génération à l’autre comme une maladie génétique.

Ta présence dans ma vie m’a à la fois aidé et causé du souci. Déjà quand j’étais au collège, je savais que l’esprit que je sentais auprès de moi serait ma perte ou ma rédemption – que tu serais soit un destin non voulu pleurant dans mes bras, soit un schéma rompu par ma seule volonté. (…) je suis reconnaissante pour les premières années de ma vie mais je ne les souhaiterais à aucun enfant. “

Son vécu lui permet une analyse parfaite, précise sur la vie de ces travailleurs pauvres, et sur les difficultés de survivre dans de telles conditions au cœur d’un pays le plus riche du monde sans être gagné par la honte.

Si jeune et déjà très lucide, sans pour autant renier ses origines, elle poursuivra ses études jusqu’à devenir journaliste. Un métier qui lui permettra d’aborder les questions économiques et sociales à travers des articles publiés dans le Guardian et le New-York Times, et aborder également toutes les inégalités économiques entre les différentes classes sociales.

Un sujet qui lui tient à cœur et qu’elle retranscrit magnifiquement avec beaucoup de compassion et de clarté dans ce premier livre Heartland qu’elle nous offre après quinze ans de dur labeur.

Un récit nécessaire face à cette Amérique qui oublie un peu trop facilement la classe ouvrière « pauvre“…

” Ce n’était pas que j’avais eu tort de me méfier des programmes gouvernementaux, j’ai soudain pris conscience, mais que j’avais eu tort de croire au rêve américain. C’était les deux faces d’une même pièce de monnaie truquée – l’une promettant une bonne vie en échange de votre travail et l’autre qui vous maintenait juste assez en vie pour que vous continuiez de travailler. “

Ce que j’en dis aussi plus personnellement :

Issue moi-même de la classe ouvrière, ayant subit de plein fouet la dictature d’une prof de français qui a mis fin à mon rêve de devenir professeur de français en me disant : Mlle, vous êtes fille d’ouvrier, vous serez ouvrière ! Je ne pouvais qu’être touché par ce récit même si je suis loin d’avoir vécu le même parcours que Sarah Smarsh. Mais il est clair que ce soit, en France, en Amérique ou ailleurs, chaque jour la classe moyenne travaille plus pour gagner moins et que l’on se trouve n’importe où dans le monde, il ne fait pas bon d’être pauvre…

Pour info :

Sarah Smarsh a couvert, comme journaliste, les questions socio-économiques, la politique et les politiques publiques pour, entre autres, le Guardian, le New York Times, le Texas Observer et le Pacific Standard.

Récemment récipiendaire d’une bourse Joan Shorenstein à la Kennedy School of Government de l’université Harvard et anciennement professeur d’écriture de non-fiction, Sarah Smarsh est souvent appelée à parler des inégalités économiques et de leur traitement par les médias.

Elle vit au Kansas. 

Heartland est son premier livre.

Je remercie les Éditions Christian Bourgeois pour m’avoir permis de découvrir le récit et le travail extraordinaire de cette auteure qui défend les minorités.