Les gentils

Les gentils de Michaël Mention aux Éditions Belfond

Anaconda.

Marseille.

Fourmi.

Machette.

Amérindiens.

Moustiques.

Keith.

Montparnasse, ta mère, puis l’autre pêcheur et sa gueule éclatée, tous succombent sous la lame du rasoir. Plus je racle, plus ça saigne, plus ça jungle en moi. Incantations saturées aux décibels d’agonie. Je n’ai pas peur. ”

Pour raconter une histoire, il y a la manière classique que beaucoup pratique et puis il y a la manière “ Mention ”, qui sort des sentiers battus.

Je t’explique à quoi t’attendre, si tu décides d’aller plus loin dans cette histoire où un père en deuil franchit toutes les lignes pour assouvir sa vengeance.

Complètement hors contrôle, cet homme va traverser l’enfer, laissant quelques cadavres sur son passage sans jamais abandonner sa traque vers l’homme qui l’a privé de sa fille, devenant à son tour le chasseur sanguinaire à la poursuite de sa proie à abattre.

Michaël Mention dans un style percutant, balance les décibels tel un bon rock endiablé où le guitariste n’aurait pas oublié sa petite dose de poudre pour obtenir la poussée d’adrénaline nécessaire pour tenir le choc. Après avoir trempé sa plume dans le napalm, pour bien t’exploser les rétines il t’embarque avec lui en Guyane où le danger est partout, et t’invite dans son délire à trembler pour sa survie, car solidaire tu es évidemment, on ne touche pas aux enfants mêmes de manière collatérale.

“… et le chaos se durcit, hypnotique, fait palpiter les boulons tout autour. Tempo claustro en stéréo. Yannick. Jonestown. « Reviens, je t’en supplie ! » Et le moteur en surchauffe, comme moi, homme-camion qui beat toujours plus frénétique. Transe indus’ obsessionnelle…

« Trans ! Europe ! express ! »

… qui s’envenime avec Metal on Metal, plus froid, plus glauque, plus vite, à en déboiser toute l’Amazonie. Les branches – pulvérisées. Les portières – martelées. Fracas, perçus, grattement, aliénants, et l’acier mord l’acier, la vie tue la vie dans le déchaînement des cris, des crissements des pneus me suppliant d’arrêter… ”

Donc tu comprends quand tu lis l’extrait pourquoi je dis qu’ils y a “ Mention ” et il y’a les autres…

Par contre, j’ai eu beau chercher, j’ai jamais trouvé Les gentils, le titre est trompeur, c’est comme le visage de l’auteur en bas de la couverture, on dirait un ange et pourtant sous ses airs gentillets se cache un auteur démoniaque.

Vous voilà prévenus.

Les Gentils c’est mortellement efficace, ça t’en met plein les yeux et les oreilles, faut juste pas oublier de reprendre son souffle de temps en temps car dans cette course folle, sous tension permanente, ton cœur et tes tympans ne seront pas épargnés.

“ Mention ” spéciale dans tous les Bacs des libraires, pour lecteurs avertis.

La Vallée des Lazhars

La Vallée des Lazhars de Soufiane Khaloua aux Éditions Agullo

“ Face à nous s’élevait une montagne habitée, à mi-hauteur, par une ferme aux bâtiments blancs. « Voilà », me dit-il simplement, et il ajouta, comme chaque fois que nous étions allés là-bas : « J’ai été élevé dans ces montagnes. » ”

Six ans ont passé depuis leurs dernières visites à la famille. C’est là que son père a grandi, dans cette vallée reculée au cœur des montagnes à la frontière Est du Maroc.

Amir Ayami est né en France, bien loin de l’inconfort de la ferme marocaine avec une enfance bien différente de celle de son père.

“ Nous étions seul au monde. […] Ici, éleveurs et agriculteurs s’échangeaient leur marchandise, la vallée pourvoyait à l’eau potable, l’essence venait des trabendos postés au milieu de nulle part, leur bidons étalés devant eux; il n’y avait pas encore de courant ni d’égouts à cette époque ; nous étions coupés du reste du pays, vivant en complète autonomie dans cette espèce d’enclave à cheval sur deux frontières. ”

Dans cette vallée, d’un versant à l’autre s’affrontent depuis plusieurs générations deux clans, les Ayami dont il fait partie, face aux Hokbani.

“ Cet isolement prit une dimension insoupçonnée un jour où je me fis la réflexion, alors qu’on croisait un des Hokbani à l’air belliqueux au détour d’une promenade, que s’il y avait un meurtre dans les alentours, la vallée saurait l’enterrer dans le silence, et personne dans le pays n’en saurait rien. ”

Cet été, où un mariage se profile à l’horizon, qui unira une Ayami à un Hokbani, sera peut-être l’occasion d’enterrer les vieilles querelles entre les deux clans qui se vouent une haine tenace sans trop savoir pourquoi depuis tout ce temps.

Mais peut-être également l’opportunité pour Amir de s’approprier enfin son identité, de mieux connaître sa famille paternel, de franchir certaines frontières et peut-être même de connaître l’amour.

“ Ils appartenaient à un temps qui me semblait une fiction, je n’avais rien à voir avec eux, dans mon quotidien, dans certains de mes principes, et pourtant, nous étions tous le résultat d’une succession de hasards qui voulut qu’une poignée de gens s’installât ici plutôt qu’ailleurs, des siècles plus tôt. J’étais relié à chacune de ces personnes dont les vies étaient si différentes de la mienne. Et ce lien, si ténu soit-il, était ce qu’il y a de plus important à mes yeux. Comprends-moi : dans ce lien, croyais-je, je pourrais trouver mon identité. […] si je n’étais pas tout à fait marocain, je ne me sentais pas pour autant français. Alors je souhaitais être Ayami avant tout, et la vallée des Lazhars devait être ma patrie. ”

Un été pour découvrir les secrets de cette vallée et de cette famille.

Un été qui va tout bousculer dans la vie d’Amir.

Depuis 2016, la maison d’éditions Agullo ne cesse d’abolir les frontières nous offrant un panel d’auteurs d’ici et d’ailleurs à travers toute l’Europe, du roman noir au polar, avec des textes de qualité pour une belle ligne éditoriale qui nous fait voyager à travers les mots, les histoires, les pays dans une langue universelle : la littérature.

Pas étonnant que la vallée des Lazhars figure aux paysages de cette rentrée Agullo et nous offre l’occasion de faire connaissance avec un jeune auteur : Soufiane Khaloua, qui nous offre un été au Maroc loin des cartes postales avec un roman noir époustouflant.

Dans un décor authentique, sec, sauvage, brûlant où vivent deux familles qui se transmettent les vieilles querelles comme un héritage d’une génération à l’autre, Amir part à la quête de son identité, découvrant l’amour et la haine, la loyauté mais aussi la trahison au sein de sa famille.

Soufiane Khaloua, possède un style et une écriture d’une force incroyable pour une premier roman, et nous emporte avec brio au sein de la filiation et de la transmission parfois dures à gérer pour un jeune homme attaché à ses racines, à ce pays qui est aussi le sien, à cette famille pleine de secrets où l’amour se révélera plus forte que la haine.

Soufiane Khaloua, professeur de français possède un immense talent d’écrivain ça ne fait aucun doute. Un auteur à suivre absolument. Vivement le prochain.

Ton absence n’est que ténèbres

Ton absence n’est que ténèbres de Jón Kalman Stefánsson aux Éditions Folio

Traduit de l’islandais par Éric Boury

“ QUEL GENRE DE PERSONNE SUIS-JE ?

De celle qui empêche la vie de se figer.

Puis nous mourons, ce que rien ne saurait empêcher. La mort vous frappe si lourdement que même les dieux la craignent. ”

Un homme est de retour dans les fjords de Reykjavik, après une longue absence, et pourtant il semble complètement perdu. Sa mémoire semble s’être envolée, mais les personnes qu’il croise ne lui sont pas inconnues, alors peut-être pourront-elles l’aider à se souvenir ?

“ […] Voilà, j’ai dit une bêtise, je me suis trahi, me voici démasqué et je vais devoir leur avoué que j’ai tout oublié. Que je ne sais qui, je ne sais quoi, a effacé de mon cerveau la totalité de mon existence, m’a éteint comme une chandelle, m’a ensuite installé au premier rang d’une vieille église où je me suis réveillé, amnésique, en compagnie du diable, assis trois rangs derrière moi. Que j’ai oublié tout ce qui me conserve. Que la seule chose dont j’ai conscience, c’est que des gens me manquent douloureusement et que tout porte à croire que j’ai jadis été amoureux de Sóley. En d’autres termes, on a réussi de manière radicale à effacer l’ensemble de mes souvenirs, mais pas l’amour. Cela signifie-t-il qu’il est plus fort que la mort, qu’il survit à tout, et que c’est la seule chose capable de voyager entre les galaxies ? ”

Chacun leur tour, les habitants de cette contrée islandaise vont lui raconter leurs histoires familiales, leurs souvenirs et à travers cet immense puzzle, il va reconstruire une véritable fresque familiale du dix-neuvième siècle à nos jours, où l’amour et la mort se sont côtoyés, apportant joie et peine à ces hommes et ces femmes fortement attachés à ce lieu, même lorsqu’ils s’en étaient parfois éloignés.

“ Certaines vies semblent si dénuées d’événements notables qu’il est difficile de les décrire. Tout autant que les poteaux d’une clôture. Et pourtant, ce sont ces poteaux qui soutiennent tout. ”

Jón Kalman Stefánsson nous offre à travers son dernier roman une quête d’une ampleur incroyable, un voyage extraordinaire en Islande à la rencontre de personnages authentiques qui nous entraînent à nous interroger sur la puissance de l’amour, sur les liens qui nous unissent parfois à un lieu tout en confrontant la vie et la mort liées inéluctablement.

“ N’est-ce pas une loi fondamentale ? Tout bonheur se paie ailleurs au prix d’un malheur ? ”

Un récit atypique qui se fond dans le décor de ce pays où l’amour et la mort, le jour et la nuit se partagent le lieu.

“ Que dire d’autre à part : quelle époque !

Pourquoi des jours pareils doivent-ils s’achever, pourquoi le bonheur ne reste-t-il pas quand il vient à nous, pour que nous puissions l’emporter à travers la vie comme la tortue emporte sa maison, comme un bouclier invincible qui nous protègerait des flèches que décoche le malheur ? ”

Une errance littéraire apaisante, réconfortante, et même pertinente par toutes les réflexions qu’elle véhicule en nous, même si parfois le chemin est laborieux, il mérite qu’on s’y attarde.

Sinon :

“ Qu’adviendra-t-il de toutes les histoires du monde, qui en prendra soin ? ”

Le roitelet

Le roitelet de Jean-François Beauchemin aux Éditions Québec Amérique

“ Puis, un beau soir, j’ai poussé la porte du jardin et je suis moi aussi devenu quelqu’un d’autre. […] Du jour au lendemain, j’ai commencé à ne m’intéresser qu’aux gens ordinaires, à ceux qui passent dans cette vie sans qu’on les remarque, à ne visiter sur les fermes avoisinantes que les vaches les plus solitaires, à vivre plus ou moins en retrait des choses et du Monde. […] Je ne veux pas laisser croire que je me suis transformé alors en une personne sombre, asociale ou privée de son courage. Seulement, au bout de treize années de bonheur partagées avec lui, mon frère était entré depuis peu dans une autre phase de sa jeune existence, infiniment plus tragique, vacillante, obscure et semée de dangers. ”

La jeunesse s’en est allée, et l’aube de la vieillesse approche et amène avec elle un flot de souvenirs et de réflexions sur ces années passées pour cet écrivain qui a vu sa vie basculer à ses quinze ans, lorsqu’il se retrouva confronté à la schizophrénie de son jeune frère, âgé de treize ans.

À travers ce destin semé d’embûches, d’incompréhension, le grand frère a su rester proche de son frère, très protecteur, ne cessant de l’observer pour mieux le comprendre, prenant lui-même un autre chemin, posant un regard différent sur le Monde qui les entoure.

[…] « Pourquoi m’as-tu sauvé ? » a-t-il dit. Et c’était comme si j’avais ramené à la vie un fantôme dont les chaînes allaient tinter, désormais, dans les moindres recoins de ma vie, de ma raison, et derrière chacun de mes pas. ”

À peine terminée ce récit, que j’ai déjà envie de reprendre cette errance littéraire, de revenir sur certains passages pour revivre les émotions qu’il m’a apporté, et redécouvrir la puissance des mots pour décrire ces vies où la maladie s’est installée laissant dans son sillage une foule de tourmente que seul l’amour fraternel pourra sauver du pire.

“ J’ai fini par comprendre qu’il recherchait dans la lecture au moins un peu de la proximité humaine qu’il ne trouve pas dans sa vie . ”

Avec une infinie douceur et une grande pudeur, Jean-François Beauchemin nous offre un magnifique roman où la nature omniprésente et la poésie adoucissent la peine, la solitude. Avec beaucoup de tendresse et un regard bienveillant, il revient sur ces années où l’amour pour son frère a apaisé d’une certaine manière la douleur de cette terrible maladie avec laquelle il a fallu composer et apprendre à vivre.

“ Mon frère ne parlait pas, mais je ne m’étonnais plus depuis longtemps de ce mutisme de façade, intérieurement mitraillé de mots. Au bout d’un temps, pourtant, et comme en réponse à mon commentaire, il a déclaré ceci : « Les gens comme toi, je veux dire les écrivains, s’émeuvent plus douloureusement que nous autres, les normaux, devant ce monde catastrophique et merveilleux, traversé de beauté, de drame, d’humour et de désolation. » C’était la deuxième fois ce jour-là que je l’entendais dire qu’il m’aimait. ”

Un récit tellement beau et puissant qu’il laisse à penser aux lecteurs à une autobiographie, et c’est là que le pouvoir de la littérature et le talent de l’écrivain interviennent pour nous emporter à travers les mots vers des émotions inattendues à travers une pure fiction.

Le roitelet, sifflote à notre oreille un chant d’amour d’un frère à un autre. C’est juste magnifique.

Abondance

Abondance de Jakob Guanzon aux Éditions La Croisée

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Charles Bonnot

“ Henry fait défiler dans sa tête un anti-inventaire long comme une ritournelle railleuse. La liste des absents pour cet anniversaire – ballons et banderoles, bougies gâteau, une pile de cadeaux, un tas de copains, une mère – semble s’inscrire au fur et à mesure sur la surface du miroir tagué. Henry a claqué quatre litres d’essence pour venir dans ce McDonald’s précisément, trois villes à l’est de l’école primaire du garçon. […] Gravés sur le miroir rayé, des numéros de téléphone, des initiales, des nique ta mère. Pile au milieu, un message d’encouragement griffonné veut croire que ça va aller. ”

C’est l’anniversaire de son fils aujourd’hui, ce qui devrait être un jour de fête et réjouir petits et grands se transforme en jour de culpabilité, un jour de plus à compter chaque dollars, car depuis qu’ils vivent dans leur pick-up c’est ainsi.

Henry a tout perdu, son boulot, le toit au-dessus de sa tête, sa vie de famille, mais heureusement il lui reste son fils et le pick-up qui leur permettra de ne pas finir dans la rue.

“ Tout ce qui comptait, c’était ce petit garçon. ”

Demain, contre toute attente, Henry a un entretien d’embauche. Une lueur d’espoir au bout de ce long tunnel.

Il peut s’en sortir, il doit s’en sortir, pour son fils.

“ Ils roulent vers l’ouest et le crépuscule qui s’épaissit en une grandiose traînée jaquier et améthyste. Le ciel est si beau qu’il le remarque et c’est dommage qu’il n’ait personne à qui le dire. Le garçon est trop occupé à ronger le cône comme demandé pour réagir. Ne pas partager ce coucher de soleil avec quelqu’un, ne pas s’en émerveiller en duo ne le rends pas moins joli. Il irait même jusqu’à décrire ce paysage comme sublime et une telle observation lui paraît étrange. Inhabituelle pour lui. Il n’arrive même pas à se souvenir de la dernière fois qu’il a pris un moment pour donner un sens à un événement aussi banal que la disparition quotidienne du soleil. ”

Une abondance de galères voilà dont il est question ici, et si j’ai fait quasiment dès le départ un lien avec : La route de Cormac McCarthy, c’est parce qu’il est question de survie pour un père et son fils même si on est loin du contexte post apocalyptique mais bien au contraire en plein cœur de l’actualité où la précarité mène des milliers d’américains à la rue, les obligeant à vivre en marge de la société.

Jakob Guanzon nous présente les faits, accompagnés de la poignée de dollars en poche, jour après jours, remontant le fil du temps oscillant entre le passé et le présent pour nous confier l’histoire d’Henry, l’histoire d’une vie jalonnées de galères parfois gérables où parfois quelques petits bonheurs laissaient un peu d’espoir, jusqu’au point de non retour où tout bascule.

À travers cette histoire, on se rends compte à quel point, comment, la descente en enfer était presque prévisible tant la vie peut s’avérer difficile quand certains obstacles la jalonnent rendant la remontée extrêmement laborieuse face aux étiquettes qui s’ajoutent, épreuves après épreuves au fardeau déjà si lourd à porter comme le passage par la case prison qui ne facilite pas les nouvelles embauches ou encore les impayés de loyer qui en plus de te priver d’un toit te freine pour en obtenir un nouveau face au fichage sur liste rouge des mauvais payeurs.

L’auteur pose un regard extrêmement avisé sur ceux généralement, appelés les laissés-pour-compte, sur les difficultés pour rester digne et pour ne pas tomber encore plus bas comme pour ce père qui n’espère qu’une chose, prendre un nouveau départ pour rendre son fils heureux.

Au pays de l’abondance, la misère s’installe jour après jour un peu plus, laissant en bord de route des hommes, des femmes et même des enfants en mode survie.

Un roman déchirant aux émotions multiples, cri du cœur d’un père à son fils, tantôt poétiques, tantôt très sombres quasi désespérant, porté par une plume extraordinaire, singulière.

Un premier roman sélectionné pour le National Book Award, véritable uppercut littéraire qu’il sera difficile d’oublier.

Rétiaire(s)

Rétiaire(s) de DOA à la Série Noire de Gallimard

“ Hadjaj, Nourredine, né aux Lilas le 7 avril 1989 et défavorablement connu des services de police, s’effondre. Son visage, un masque grotesque, sanguinolent et cabossé.

Les larmes aux yeux, son meurtrier rigole. Dernier crachat sur le cadavre et le pistolet remonte, file vers sa bouche ouverte. […] ”

C’est mon premier DOA, va savoir pourquoi ? Pourtant la bonne came littéraire j’adore, la bibliothèque est là pour le confirmer et même que DOA s’y trouve déjà, mais voilà je fais mon baptême avec Rétiaire(s) et que la fête commence.

Tu l’as lu, l’extrait pioché dans les premières pages, ça envoie du lourd, sur pellicule t’aurais même droit à un avertissement.

Et puisque justement il passe du projet bobine au bouquin bien réel, ça tu l’apprends plus tard, mais tu comprends d’autant plus pourquoi c’est carrément époustouflant.

Je vais pas te raconter le scénario, déjà parce qu’il est intense, percutant, violent, d’une noirceur absolue mais aussi parce que je suis sûre que tu ne vas pas faire comme moi, attendre des plombes pour le lire.

“ […] Pour accompagner ses regrets, de n’avoir pas voulu voir, ou faire, ou être, autre chose. Meilleur. Ses reproches aussi. À tous les enculés qui passaient leur temps à tuer, à braquer, à abuser, à profiter, à arracher, à piétiner, et qu’il fallait poursuivre, arrêter, neutraliser, pour stopper la gangrène. Ou du moins la contenir. […] ”

Je peux juste dire que tu vas y croiser un flic des Stups, borderline (c’est dingue, c’est ceux que je préfère).

“ Tordu.

S’il ne l’était pas au départ, au contact de sa clientèle et de la merde qu’elle génère non-stop, il a fini par le devenir. Le pire, dedans et dehors, a été la plus grande constance de sa vie de policier, le sale, le médiocre, le veule. Ce pire dont la violence n’est, finalement, que la partie la plus visible. Le pas simple, une usure en vérité, se niche là et arrive de tous les côtés, tout le temps, insidieuse. […]

Mais également une enquêtrice de l’Office anti-stupéfiants, élite de la lutte anti-drogue, car évidemment la drogue circule entre ces pages en plus de circuler d’un pays à l’autre, de la rue aux centres pénitentiaires pour enrichir les trafiquants et même les ripoux et faire crever à petit feu les consommateurs et permettre des deals en tout genre.

Puis t’y croiseras des manouches d’ici et d’ailleurs, en liberté ou derrière les barreaux. Par contre pas d’enfants de cœur au casting.

“ Pas de fenêtre, plus de ciel, déjà le jour n’est plus qu’artifice électrique. La vie s’éloigne. ”

Enfin tu vois le tableau, et plus vrai que nature, à croire que DOA s’est infiltré dans tous les milieux, là où la violence mène parfois à une certaine solitude.

Mon baptême littéraire dans l’univers de DOA fut un kiff de malade, plus qu’à rêver qu’il passe maintenant de l’encre à la bobine, le cinéma français a grand besoin de se redorer le blason, à moins que quelqu’un me file l’adresse de Taylor Sheridan, suis certaine qu’il en ferait un film à la hauteur du talent de DOA.

Une dose d’encre qui envoie du lourd, ça ne se refuse pas.

À prendre ou à laisser

À prendre ou à laisser de Lionel Shriver aux Éditions Belfond

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Catherine Gibert

En rentrant de l’enterrement du père de kay, Cyril et sa femme prennent un verre, histoire de se détendre un peu, plus par soulagement que par tristesse. Il faut dire que ces dix dernières années ont été éprouvantes pour Kay qui s’est énormément occupée de son père atteint de la maladie d’Alzheimer.

La discussion qui suit leur donne l’occasion de faire un genre de bilan, et amène Cyril à proposer un pacte à sa femme, ne souhaitant pas finir comme son beau-père ou pire encore en pleine déchéance à leurs tours à la charge de leurs enfants, imposant également un coût terrible à l’État

“ – Attends une seconde. Que les choses soient claires, dit Kay en reposant les pieds par terre et en se redressant. Tu proposes qu’on vive jusqu’à quatre-vingts ans et qu’ensuite, on se suicide ? ”

Ils ont 50 ans, reste à profiter aux mieux des trente années à venir.

C’est à prendre ou à laisser.

Lionel Shriver d’origine américaine a posé ses valises à Londres depuis quelques temps et a de ce fait pu observer la vie anglaise, ça ne fait aucun doute, ce nouveau roman en est la preuve.

Après avoir exploré dans son précédent roman paru en 2021 (ma chronique ici, disponible en format poche chez Pocket) de manière corrosive l’activité sportive au cœur d’un couple et l’acceptation du temps qui passe qui impose de nouvelles règles d’hygiène de vie pour espérer finir vieux, elle pousse ici son introspection sur les possibilités de finir sa vie le plus dignement possible en passant éventuellement par la méthode suicide.

À travers douze nouvelles, on découvre les péripéties de ce couple face à leur choix, le jour J, et les différentes options qui s’offrent à eux, car évidemment tout ne se déroule pas forcément comme prévu, et tout ne sera pas sans conséquences. Trente ans pour peaufiner le projet, et pourtant tout peu basculer, ne dit-on pas il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.

Et n’oublions pas les enfants, toujours là quand il ne faudrait pas.

En attendant, Lionel Shriver nous entraîne dans le tourbillon de fin de vie de ce couple à travers une multitude de variations qui virevoltent d’un choix à un autre, imposé ou pas qui va de l’arrivée de maladie dégénérative, à l’acte manqué ou encore reporté, en passant par le placement en Ehpad d’infortune, ou encore en résidence de luxe tout confort, explorant également la possibilité d’une cure de jouvence éternelle et même la cryogénie.

Tout ça avec un regard avisé, acéré, un style percutant,mordant Lionel Shriver lève le voile sur l’envers du décor de la vieillesse, avec une grande précision, piquant là où ça fait mal, allant jusqu’à écrire ce qui ne se dit pas.

Quand la date de péremption approche, quel scénario choisir ?

C’est à prendre ou à laisser, mais c’est surtout à prendre au second degré malgré tout le sérieux et le réalisme incroyable que véhicule ce récit. Vieillir n’est pas une tache facile, la retraite s’éloignant de plus en plus, il y a de quoi avoir envie d’en finir un jour…

Qui lira, verra, mais attention humour noir a l’horizon, vous n’êtes pas à l’abri d’un électrochoc après vous être frotté à l’humour anglais de notre américaine.