“ Adieu fantômes ”

Adieu fantômes de Nadia Terranova aux Éditions La Table Ronde

Traduit de l’italien par Romane Lafore

Afin d’aider sa mère à faire du tri dans les affaires du passé, Ida revient dans la maison de son enfance, celle qu’un jour son père a quitté sans explication.

 » Nous avions habité là, ensemble, pendant plus de vingt ans, de ma naissance au jour où j’étais partie pour Rome ; mon enfance et mon adolescence étaient là à veiller sur l’appartement, comme les hirondelles dont je perçus un battement d’ailes hors saison tandis que ma mère retournait son sac à main à la recherche de son trousseau de clés. ”

Se retrouver au milieu d’objets anciens réveillent immanquablement les souvenirs enfouis et les vieilles blessures.

“ La chambre dans laquelle j’avais dormi, joué, travaillé était restée figée dans le temps, à ceci près qu’à présent plancher et mur étaient encombrés par le magma d’objets échappés du débarras de la terrasse, que ma mère avait dû déblayer avant mon arrivée pour laisser le champ libre aux ouvriers. Une chambre morte, envahie par les flots de souvenirs. ”

La maison tout comme sa mémoire semblent envahies de fantômes, il serait peut-être temps de leur dire enfin adieu, et de les laisser partir.

» On ne peut pas désirer ce qu’on a déjà, tandis qu’aimer un absent, si ; c’est ce que je faisais depuis que j’avais treize ans. “

Ce que j’en dis :

J’ai découvert la plume de Nadia Terranova à travers son premier roman « Les années à rebours  » (Ma chronique ici) que j’avais adoré, et c’est avec grand plaisir que j’ai retrouvé son écriture stylée pleine d’émotions où les personnages sont emplis d’une profonde sensibilité.

Dans cette histoire, l’auteure explore les difficultés de faire le deuil des disparus auxquels nous sommes toujours attachés. Ida porte en elle des blessures profondes, réveillées par le fantôme de son père qui erre dans cette maison pleine de souvenirs.

Nadia Terranova pose un regard d’une grande précision sur les liens familiaux, les rapports mère fille. Elle nous emporte à travers cette histoire où le passé s’affronte avec le présent et permet au final l’ultime lâché prise pour un futur plus serein.

Décidément cette auteure me ravie à chaque fois, une belle plume italienne lumineuse à découvrir absolument.

Pour info :

Nadia Terranova est née à Messine.

Elle a suivi des études de philosophie et d’histoire. 

Pour son premier roman, Les années à rebours, elle a reçu en Italie le prix Bagutta Opera Proma, le prix Brancati, le prix Fiesole et le prix Grotte de la Gurfa. 

Adieu fantômes est son second roman.

Je remercie les Éditions de La Table Ronde pour cette fabuleuse balade italienne.

“ À la ligne ”

À la ligne de Joseph Ponthus aux Éditions de La Table Ronde

” Demain

En tant qu’intérimaire

L’embauche n’est jamais sûre

Les contrats courent sur deux jours une semaine tout au plus

Ce n’est pas du Zola mais on pourrait y croire

On aimerait l’écrire le XIX° et l’époque des ouvriers héroïques

On est au XIX° siècle

J’espère l’embauche

J’attends la débauche

J’attends l’embauche

J’espère “

Ici nous est conté l’histoire peu ordinaire d’un homme ordinaire. L’histoire d’un ouvrier intérimaire qui embauche dans les conserveries de poissons et les abattoirs bretons.

Jour après jour il inventorie son travail, les gestes répétitifs, la fatigue qui envahit le corps, les douleurs qui s’accumulent, les rituels épuisants, ses états d’âme avec précision et une lucidité étonnante.

” J’éprouve un sentiment très aigu d’être au monde

En adéquation presque spinoziste avec mon

environnement

Le Grand Tout qu’est l’usine

Je suis l’usine elle est moi elle est elle et je suis moi

Cette nuit

Nous œuvrons “

Un combat quotidien sauvé par son autre vie auprès de sa femme, de son chien et de sa mère, accompagnés par tout ce qu’il aime, la musique, les livres, et ses balades en bord de mer.

” L’usine bouleverse mon corps

Mes certitudes

Ce que je croyais savoir du travail et du repos

De la fatigue

De la joie

De l’humanité “

C’est son refuge, contre tout ce qui blesse, tout ce qui aliène. Pour réussir à embaucher jour après jour et ne pas sombrer en cours de route.

 » Retour à la maison

Le chien me lèche les mains sans doute encore imprégnées du sang des bêtes

Il y a les restes de la nuit d’hier

Extraordinaire

Ton anniversaire

Mon épouse amour

Les autant de roses que de bougies sublimes

Le cadavre d’une bouteille de champ’

Tout ce qui n’est pas l’abattoir

Où demain il faudra retourner

Pour une journée ordinaire “

Ce que j’en dis :

À croire qu’il l’a écrit avec ses tripes voir même son sang, tellement ce récit est puissant et parfois violent, brutal. Il y a mis aussi du cœur et lui a apporté une certaine poésie pour l’adoucir un peu.

À travers ce récit autobiographique, il nous parle de l’autre côté du miroir, de l’envers du décor, de ce que l’on ne nous dit pas, forcément c’est pas reluisant l’univers des usines agro-alimentaires.

Mais en tant qu’amoureux des mots, il nous confie ses maux avec élégance, et une lucidité étonnante dans une prose singulière, poétique qui nous bouleverse par sa sincérité.

Un livre qui donne à réfléchir, à comprendre que si tout travail mérite salaire, il mérite aussi une certaine considération.

Un livre à découvrir, autant pour son écriture que pour tout ce qu’il contient de courage. Oui, un livre courageux, exemplaire. Un bel hommage au monde ouvrier quel qu’il soit mais aussi une belle déclaration d’amour aux deux femmes de sa vie.

Vous l’aurez compris, moi qui revendique souvent mon statut de fille d’ouvrier d’usine et fière de l’avoir été, ce roman est un véritable coup de cœur qui ne peut laisser personne indifférent.

Accueillez le comme il le mérite, les bras grands ouverts et chérissez le à votre tour.

Vous m’en direz des nouvelles.

Pour info :

Joseph Ponthus est né en 1978. Après des études de littérature à Reims et de travail social à Nancy, il a exercé plus de dix ans comme éducateur spécialisé en banlieue parisienne où il a notamment dirigé et publié Nous… La Cité (Editions Zones, 2012). Il vit et travaille désormais en Bretagne. 

Quelques mots de l’auteur pioché dans un article :

« Mon livre ? C’est un chant d’amour pour mon épouse, pour mes collègues, une ode à la classe ouvrière et à la littérature ».

Je remercie les éditions de La Table Ronde pour cette immersion au cœur du monde ouvrier, les invisibles qui œuvrent tant.

“ La libraire ”

La libraire de Penelope Fitzgerald aux Éditions Quai Voltaire / La Table Ronde

Traduit de l’anglais par Michèle Lévy-Bram

” En 1959, Hardborough ne possédait ni fish and chips, ni laverie automatique, ni cinéma, bien qu’il y eût une projection nocturne un samedi sur deux. Si on ressentait le besoin de ces commodités, personne n’avait jamais envisagé l’ouverture d’une librairie – personne en tout cas n’avait songé que Mrs. Green eût pu l’envisager. “

Hardborough, une sympathique petite ville de l’East Anglia plutôt paisible s’apprête à vivre quelques bouleversements. Une jeune veuve se met en tête d’ouvrir une librairie se mettant illico tous les notables à dos. Cette femme était loin d’imaginer qu’elle devrait faire face à tant de médisances.

Sans oublier l’ostracisme féroce d’une partie de la population.

Et pourtant…

” Un bon livre est l’élément vital et précieux d’un esprit supérieur ; il est embaumé et chéri pour attendre une vie située au-delà de la vie. En tant que tel, on peut sûrement le considérer comme une denrée de première nécessité, non ? ”

Et lorsqu’elle met en vente Lolita, le sulfureux roman de Nabocov, on lui déclare la guerre. Florence se retrouvera très seule face au conformisme ambiant.

” Chère Mrs. Green,

Je reçois ce jour une lettre lettre (…) Ils nous informent que la marchandise exposée dans votre vitrine attire, de la part de certains clients potentiels et effectifs, une attention jugée indésirable en ce qu’elle crée sur la voie publique une obstruction qu’on pourrait qualifier de déraisonnable, tant par le quantum que par la durée. (…) Qui plus est, les usagers habituels de votre bibliothèque de prêt qui, je vous le rappelle, jouissent légalement du statut d’invités, se sont vus importunés, voire poussés, bousculés, ou apostrophés par des personnes étrangères au quartier sous les termes de « vieux lapin », «vieille bique », « vieille dinde » et même « vieille carne »…

(…) Je pense aussi que nous devrions cesser d’offrir à la vente ce qui, par son sensationnalisme, est devenu un sujet de plainte – j’ai nommé le roman de V. Nabokov… “

Pourra-t’elle faire face à tant de mauvaise fois ? Arrivera- t’elle à surmonter tous ces obstacles mis en travers de sa route ?

Ce que j’en dis :

Étant très cinéphile mais également bibliophile, il me tenait à cœur de découvrir ce petit bijou de la littérature anglaise et faire également connaissance avec la délicieuse écriture de l’auteure. Un premier rendez-vous qui a tenu toutes ses promesses et m’a embarqué dans une histoire qui ravira tous les amoureux des livres et des librairies.

Impossible de ne pas succomber aux charmes de cette plume et de cette histoire truculente qui nous plonge au cœur de la bourgeoisie anglaise de province où notre héroïne se verra confrontée à une société ignorante, avide d’argent, sans scrupules, et attirés par les rivalités.

L’humour « So brtish ” est de mise, dans ce tableau plein d’ironie grinçante et n’épargnera pas cette population où les différentes classes sociales sont magnifiquement représentées. Bien difficile de faire accepter la littérature dans des esprits aussi étroits.

Ce roman est une pépite, une petite merveille et on ne peut que remercier les éditions Quai Voltaire d’avoir réédité ce livre fantastique, tout en y apportant une touche soignée et extraordinaire qui rend à cet objet littéraire, tout le charme dont il mérite.

Je ne peux que vous inciter à le découvrir à votre tour et vous verrez que même si les années ont passé, certaines idées préconçues face à la lecture et au métier de libraire sont loin d’être abolies. Alors n’hésitons pas à continuer à partager notre passion, à arpenter les librairies, à lire, tout n’est pas encore perdu, bien au contraire…

La libraire, un magnifique roman à lire et à offrir sans modération.

Pour info :

Après avoir connu plusieurs vies en France sous les titres « L’Affaire Lolita » et « La Libraire », le roman de Penelope Fitzgerald devient un film d’Isabel Coixet intitulé « The Bookshop ».

Aujourd’hui dans les salles !

Ce film a été primé des Goyas du Meilleur film, du Meilleur réalisateur et de la Meilleur adaptation en Espagne.

Penelope Fitzgerald

Romancière et biographe anglaise de très haute réputation, Penelope Fitzgerald a été lauréate des trois prix littéraires les plus prestigieux.

Elle est diplômée de Somerville College de l’Université d’Oxford en 1938. Elle a travaillé comme journaliste à la BBC pendant la Seconde Guerre mondiale, créé un magazine culturel, « World Review », et animé une librairie avant de connaître le succès.

Après avoir écrit son premier ouvrage, la biographie du peintre Edward Burne-Jones, en 1975, elle publie son premier roman, « The Golden Child », en 1977.

Elle obtient le prix Booker en 1979 pour « À la dérive » (Offshore, 1979), un roman autobiographique.

En 2012, « La fleur bleu » (The Blue Flower, 1995), son dernier roman, a été nommé dans la catégorie du meilleur roman historique par « The Observer ».

La réalisatrice espagnole Isabel Coixet adapte le roman « La Libraire » ( aussi réédité sous le titre « L’Affaire Lolita ») (The Bookshop, 1978), en 2017.

Mère de trois enfants, Penelope Fitzgerald est célèbre pour sa prose raffinée et son humour noir.

Je remercie les éditions Quai Voltaire / LaTable Ronde pour cette délicieuse aventure très British qui ne manque ni d’humour ni de grâce.

“ La neuvième heure ”

La neuvième heure de Alice McDermott aux Éditions La Table Ronde

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Cécile Arnaud

” Il avait un problème avec le temps. Ça tombait mal pour un cheminot, même employé de la BRT. Son problème, c’était qu’il aimait refuser le temps. Il se délectait de le refuser. (…) Il n’avait qu’à murmurer. Je n’y vais pas. Rien ne m’y oblige. Bien sûr, il n’était pas toujours nécessaire de refuser la journée entière. Parfois, le simple fait d’avoir une heure ou deux de retard suffisait à lui rappeler que lui, au moins, était libre, que les heures de sa vie – possédait-il un bien plus précieux ? – n’appartenait qu’à lui. “

Jim après un jour de trop à profiter du temps, à paraisser, vient d’être licencié de son emploi au chemin de fer. Ne supportant pas cette situation, il décide de mettre fin à ses jours dans son appartement. Précautionneux, il a envoyé Annie sa femme faire quelques courses, mais il a oublié que le gaz pouvait faire d’horribles dégâts.

Sœur Saint-Sauveur avait pour vocation d’entrer chez les gens qu’elle ne connaissait pas, surtout des malades et des personnes âgées, de pénétrer dans leur foyer et de circuler dans leur appartement comme si elle était chez elle, d’ouvrier les armoires à linge, leur vaisselier ou les tiroirs de leur commode – d’examiner leurs toilettes ou les mouchoirs souillés serrés dans leurs mains –, mais le nombre de ses visites chez des inconnus n’avait pas atténué, au fil des années, son premier réflexe, consistant à rester à l’écart et à détourner les yeux. “

Sœur Saint-Sauveur était passée le soir après le drame, elle prend la relève des pompiers auprès d’Annie la jeune femme enceinte et des voisins sinistrés de ce petit immeuble de Brooklyn. Elle va tenter d’aider Annie, pour que son mari soit enterré dans la concession déjà payée, dans le cimetière catholique, malgré le suicide.

Annie sera très vite embauchée au couvent par Sœur Lucy, où sa fille grandira sous l’œil bienveillant de sœur Illuminata.

Là en bas, Annie le savait, les mots étaient comme des produits de contrebande. Aucune des sœurs, à cette époque, ne parlait de sa vie au couvent, dans ce qu’elles appelaient dédaigneusement le monde. Prononcer ses vœux signifiait laisser tout le reste derrière soi: la jeunesse, la famille et les amis, tout l’amour qui n’était qu’individuel, tout ce qui dans l’existence nécessitait un regard en arrière. La coiffe qu’elles portaient comme des œillères faisait plus que limiter leur vision périphérique. Elle rappelait aux sœurs qu’elles devaient regarder uniquement leur tâche en cours. “

Quand Annie s’octroiera du bon temps sous prétexte de prendre l’air, son enfant élevé au couvent qui aspire à devenir sœur, se verra mise à l’épreuve par Sœur Jeanne qui l’emmènera dans sa tournée auprès des malades.

Chaque sœur de la congrégation possède son histoire et ses secrets, elles sont l’âme de ce quartier. Un endroit et des habitants qu’elles protègent jour après jour, tel le berger, elles veillent sur le troupeau.

« Est-ce que votre mari est gentil avec vous ? » demande-t-elle.

Sœur Lucy dit à Sally qu’un bon mari était une bénédiction – un bon mari qui allait au travail tous les jours, ne dilapidait pas son salaire au bar ou sur les champs de courses, ne battait pas ses enfants et ne traitait pas sa femme en esclave – mais une bénédiction rare à tout le moins.

Ce que j’en dis :

Jamais je n’aurais imaginé être aussi captivé par une histoire de bonnes sœurs.

L’auteure nous invite à partager le quotidien des sœurs de la congrégation de Marie dans une communauté Irlandaise de Brooklyn.

Toujours discrètes et bienveillantes, les sœurs se dévouent entièrement à ce quartier et veillent sur chaque famille dans le besoin.

Parfois drôle et souvent touchante, la plume délicate et minutieuse d’Alice McDermott en véritable orfèvre des mots, nous fait cadeau d’un magnifique bijou.

Un véritable conteuse qui réussit sans se faire prier à embarquer les lecteurs dans une balade irlandaise pleine de charme en compagnie de religieuses phénoménales.

Un joli coup de cœur qui a reçu le Prix Femina étranger 2018.

Pour info :

Alice McDermott est née à Brooklyn en 1953. Ses nouvelles ont notamment été publiées dans le New York Times, le New Yorker et le Washington Post. Elle est l’auteur de huit romans, dont cinq ont paru à Quai Voltaire. Elle vit près de Washington et occupe la chaire de littérature de l’université John Hopkins. Finaliste du Kirkus Prize et du National Book Critics Circle Award, La Neuvième Heure figure en 2017 parmi les meilleurs romans de l’année de la New York Times Book Review, du Wall Street Journal, de Time Magazine et du Washington Post.

Je remercie les éditions de la Table Ronde pour cette divine lecture.

“ Des nouvelles du monde ”

Des nouvelles du monde de Paulette Jiles aux Éditions Quai Voltaire

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch

(…) maintenant il gagnait sa vie en allant de ville en ville, dans le nord du Texas, ses journaux et ses revues à l’abri dans un carton à dessin étanche, et le col de son manteau relevé pour se protéger des intempéries. Il se déplaçait sur un très bon cheval, avec la crainte que l’on tente de lui voler, crainte infondée pour l’instant. Il était donc arrivé à Wichita Falls le 26 février, il avait punaisé ses affiches et enfilé sa tenue de lecture dans l’écurie.  »

Le capitaine Jefferson Kyle Kid, parcourt le nord du Texas et lit à voix haute des nouvelles du monde, devant un public prêt à se libérer de quelques cents pour l’entendre. Kyle est un vieil homme, veuf qui a connu trois guerres et était auparavant imprimeur. Même si l’argent se fait rare, il profite de sa liberté et sillonne les routes malgré la souffrance que lui inflige son corps fatigué.

C’est lors d’une étape à Wichita Falls, qu’il fit la connaissance de cette jeune orpheline.

” Âgée d’une dizaine d’années, elle était vêtue à la manière des Indiens d’une robe droite en daim, ornée de quatre rangées de dents d’élan cousues sur le devant. Une couverture épaisse reposait sur ses épaules. Elle portait dans ses cheveux couleur de sucre d’érable deux plumes de duvet dont les minuscules tiges s’enroulaient autour d’une mèche et encadraient une plume d’aigle royale, attachée par un fil tout fin. (…) Elle avait les yeux bleus et la peau d’une étrange couleur vive, comme quand une peau claire a été brûlée et burinée par le soleil. (…) Il s’agit de Johanna Leonberger, capturée à l’âge de six ans, il y a quatre ans, près de Castroville. Dans la région de San Antonio. “

Une pièce d’or lui est offerte pour qu’il ramène Johanna à la seule famille qui lui reste près de San Antonio. Elle avait été enlevée et élevée par l’essentiel indiens Kiowa quatre auparavant. Le capitaine accepte la mission, sachant combien le voyage sera long est difficile.

« Tu représentes une masse d’ennuis, dit-il. On sera bien content tous les deux quand tu seras avec les tiens et que tu pourras transformer leur vie en enfer. »

Le périple qui les attend à travers des territoires vierges sur des routes impitoyables, s’avère périlleux. Le capitaine devra se méfier des voleurs, des Comanches, et des Kiowas autant que de l’armée fédérale, et en même temps tenter d’apprivoiser la petite sauvage.

Et pourtant jour après jour, une complicité s’installe et une aventure tout autre prends forme…

Ce que j’en dis :

À travers d’autres romans j’avais déjà croisé la petite sauvage aux yeux bleus mais cette fois l’aventure fut bien différente. J’ai partagé avec Johanna et le Capitaine Kidd, « Kep Dun » comme elle le surnomme, une aventure extraordinaire. Un voyage fabuleux qui m’a été conté par une plume riche et puissante. Au côté de deux personnages aussi attachants l’un que l’autre, j’ai voyagé dans le passé et découvert une époque lointaine où les nouvelles transmises par la parole permettaient à tous de découvrir le monde. C’était également une chance pour les nombreux illettrés de ne pas rester en marge de la société.

Une relation particulière est née entre le vieil homme et l’enfant, pleine de tendresse et de pudeur comme le serait un grand-père en charge de sa petite fille, et c’est par ces deux personnages que l’auteur explore des sujets universels tels que la transmission, les origines, l’honneur et la confiance.

Un roman fascinant, raffiné, intense, rempli d’humanité planté dans un décor du Texas du dix-neuvième siècle, magnifié par une belle plume poétique.

Une belle découverte, un récit qui offre un voyage émouvant et passionnant.

Un beau coup de cœur.

Paulette Jiles

Paulette Jiles est née dans le Missouri. Poète, auteur de mémoires et romancière, elle a notamment publié aux États-Unis The Colour of Lightning et Lighthouse Island. Elle vit dans un ranch près de San Antonio, au Texas.

Je remercie les éditions Quai Voltaire pour ce voyage bouleversant.

“ Valse hésitation ”

Valse hésitation d’Angela Huth aux éditions Quai Voltaire

Traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff

Dés la fin de la matinée je me mis à chercher Joshua. Je le cherchais dans l’annuaire et dans un vieux répertoire que David avait oublié l’année d’avant. Je le cherchai pendant trois jours. J’achetai des tas de quotidiens et de magazines et les parcourus tous, au cas où il aurait été journaliste. J’épluchai les affiches de tous les théâtres, au cas où il aurait été acteur. Je le chercher dans les foules estivales du lac Serpentine et de l’Albert Memorial ; j’erre le long des rangées de parcmètres dans l’espoir de repérer sa voiture. Mais je ne le trouvai pas. „

Clare est séparée pour une durée déterminée de son second mari, Jonathan. Lors d’une fête elle rencontre Joshua, un homme d’un tout autre genre. Elle tombe sous le charme. Encouragée par son amie Mrs Fox, elle tente de le retrouver.

Supportant plutôt mal la solitude, elle va tenter une nouvelle aventure amoureuse. Prendre un amant pour combler le vide laissé par Jonathan et profiter de la vie. Et pourquoi pas suivre les conseils de Mrs Fox…

« Il paraît que vous êtes provisoirement séparée de votre mari, beugla- t-elle, joyeuse, par dessus la musique. Eh bien, si vous voulez mon avis, vous devriez prendre un amant tant que la voie est libre. En ce qui me concerne, je n’en ai jamais eu, car si Henry l’avait appris, il aurait tenu à se battre en duel. (…) Non, vaut mieux avoir un amant quand on est jeune qu’une névrose quand on est vieille. »

Valse-hésitation aurait pu prendre pour titre : Tout plutôt qu’être seule, car il est évident que Clare ne supporte pas la solitude et qui plus est prête à tout pour y remédier. Clare est une femme dépendante, soumise, indécise, naïve et manque indubitablement de caractère. Après avoir joué la femme-enfant lors de son premier mariage, elle va tout droit vers le statut de femme-objet si elle poursuit sa route au côté de ces affreux salauds.

Clare est totalement le genre de femme qui m’horripile. Le genre de femme capable de tout supporter pour le plaisir des hommes qu’elle aime ou croit aimer. Une femme perdue dés que son homme s’éloigne, totalement victime d’une dépendance affective même face au pire des goujats. Heureusement Mrs Fox m’a conquise et m’a permis d’apprécier davantage cette divine comédie anglaise aussi douce que cruelle.

Angela Huth nous offre de beaux portraits de femmes, et pose un certain regard sur leurs histoires d’amour à travers une plume élégante non dépourvue de style.

Un roman qui ne donne vraiment pas envie de se passer la corde au cou, même pour une rivière de diamant, et qui confirme ce vieil adage : ” Mieux va être seule que mal accompagnée ” .

Tendre, mélancolique et caustique, Valse-hésitation est une histoire d’amour britannique où les hommes n’oublient pas de filer à l’anglaise.

À savourer pour ne pas signer aveuglément au bas d’une page, si votre propre histoire d’amour y ressemble, conseil avisé d’une lectrice féministe indépendante.

Angela Huth vit dans le Warwickshire. Elle est l’auteure de plusieurs recueils de nouvelles et de nombreux romans. Les filles de Hallows Farm a été adapté à l’écran en 1998 sous le titre Trois Anglaises en campagne. Elle est aussi l’auteur de L’invitation à la vie conjugale, Tendres silences, Souviens-toi de Hallows Farm, Quand rentrent les marins, Mentir n’est pas trahir, La Vie rêvée de Virginia Fly, tous parus aux Éditions La Table Ronde.

Je remercie les Éditions Quai Voltaire pour cette valse anglaise toute en élégance.

“ Midwinter ”

Mindwinter de Fiona Melrose au Éditions La Table Ronde

Traduit de l’anglais par Édith Soonckindt

 » J’étais là à éprouver le genre de tristesse qui se coince dans la gorge. Je ne pleurais pas et je n’avais toujours pas bougé de là où j’étais. (…) S’il me cherchait dans la nuit, je reviendrais lui dire qu’on oubliait tout, que je ne l’accusais de rien. Je voulais lui expliquer que Ma me manquait à moi aussi. « 

Landyn Midwinter et Vale son fils, sont agriculteurs dans le Suffolk. Ce sont des hommes du terroir. En ces temps difficiles, où ils doivent déjà faire face à la concurrence des grandes entreprises pour garder leur ferme, ils mènent un combat familial face à un drame survenu dans le passé.

«  Cette sensation maladive qui précède le moment d’ouvrir une porte et de voir ce qu’on ne peut plus esquiver, je l’avais déjà éprouvée, je l’avais déjà connue. ”

Vale avait dix ans quand il fut privé de sa mère à jamais. À l’époque ils étaient en Zambie où son père avait déjà tenté de sauver l’entreprise familiale.

“ Un arbre fort peut subir une mauvaise gelée ou perdre une branche entière dans une tempête, ce sont les racines qui le maintiennent droit. C’était le cas de Vale. ”

Lors d’un hiver particulièrement rigoureux, les douleurs de Landyn et Vale, se réveillent et mettent en péril l’équilibre familial déjà très malmené.

Vale se perd dans son désespoir tandis que son père se réfugie auprès de sa terre et de ses bêtes.

« Je sais pas quoi faire.

– Tu trouveras. Ouvre l’œil.

– Pourquoi ?

– Tu le sauras. Tu le sauras dans ton cœur.

– L’autre soir j’ai cru que ça pouvait bien être elle qui m’avait aider à trouver le rivage.

– J’en doute pas. Pas une seule seconde. Elle veille sans cesse sur nous tellement on est bon à rien. »

Chacun se raccroche à ce qu’il peut, rongé par la culpabilité et essaye de réparer ses erreurs.

“ (…) j’ai vu à travers la pluie, un grand panache roux bordé de blanc filer vers les buissons. Ma renarde. Elle était là. ”

Il affronte enfin le souvenir qui les hante, et mettent à l’épreuve le fragile tissu de leur relation.

 » Ce jour-là, ce vieil arbre m’a encouragé. Il était porteur d’une histoire et d’une guérison. Il y en avait un qui lui ressemblait dans notre ferme à Kabwe, un arbre du coin, je n’ai jamais su son nom mais je connaissais son cœur. Il y a comme ça des arbres qui vous offrent leur ombre un jour de grande chaleur. Et qui vous laissent vous asseoir très près avec tout votre être. ”

À travers ce roman sombre illuminé par une sublime plume lyrique, Fiona Melrose nous offre un premier roman absolument réussi.

Situé entre le Suffolk et la Zambie ce récit nous est conté en alternance par Vale et son père Landyn, deux hommes hantés par des souvenirs tragiques. Deux hommes qui se livrent et se délivrent chacun à sa manière à travers un va- et-vient temporel et géographique admirablement bien construit.

Une histoire d’hommes qui ont la rage de vivre, malgré tous les obstacles qui parsèment leurs vies.

Un roman naturaliste tout en poésie, qui dépeint à merveille la fragilité des relations, traite de la culpabilité qui ronge les cœurs, tout en gardant une lueur d’espoir.

Un roman sensible, qui réunit les hommes et les bêtes pour mieux les réconcilier et les aider à combattre leur chagrin. On rêve, on pleure, on espère, on s’émerveille à travers ce récit magistral plein d’humanité.

Un premier roman de toute beauté , une magnifique découverte, un voyage livresque enchanteur.

Née à Johannesburg, Fiona Melrose a eu plusieurs carrières, notamment dans l’analyse politique pour des ONG et le secteur privé. Elle a vécu à Londres et dans le Suffolk et continue de vivre entre l’Afrique du Sud et l’Angleterre. Mindwinter a été sélectionné pour le Baileys Women’s Prize for Fiction 2017. Johannesburg, son deuxième roman, vient de paraître en Angleterre.

Je remercie Anne-Lucie et les Éditions de la Table Ronde pour ce roman aussi touchant qu’époustouflant.