Respirer le noir

Respirer le noir, recueil de nouvelles aux Éditions Belfond

Pour ce nouveau recueil de nouvelles et cette nouvelle expérience sensorielle, sous la direction d’Yvan Fauth, se sont prêtés à l’exercice douze auteurs adeptes du noir, cités ci-dessous :

Barbara Abel

Franck Bouysse

Hervé Commère

Adeline Dieudonné

François-Xavier Dillard

Chrystel Duchamp

R.J Ellory

Karine Giebel

Vincent Hauuy

Sophie Loubière

Jérôme Loubry

Dominique Maisons

Mo Malø

Depuis de nombreuses années, grande amoureuse du noir je suis une partisane des nouvelles, et cette expérience littéraire est d’autant plus intéressante que je suis anosmique depuis apparemment ma naissance.

Il faudra donc à ces auteurs, une certaine dose d’inventivité et de persuasion pour réussir à me convaincre et à me satisfaire.

Connaissant la plupart des auteurs, tous n’auront pourtant pas grâce à mes yeux. L’exercice de la nouvelle est difficile, un bon romancier ne fera pas forcément un bon nouvelliste, et vice-versa.

Ayant fait partie il y a quelques temps d’un jury pour un prix de la meilleure nouvelle, je me suis remise en situation et j’avoue que mon trio gagnant ne surprendra personne, car ils remplissent à merveille le cahier des charges. Car si certain ont choisi la facilité en restant dans leur zone de confort, assez fidèle à leur thème de prédilection, mes trois Winners ont réussi à me surprendre et à me faire ressentir la bonne odeur de l’encre noire.

Pour rendre hommage au directeur de la collection, Yvan Fauth qui chaque fin d’année sur son blog, EmOtionS ( https://gruznamur.com) remonte le compte à rebours de ses lectures préférées pour arriver à son super chouchou je vais donc citer mes trois nouvelles préférées et leurs auteurs de la troisième à la première place.

Pour les autres, j’ai bien aimé mais, oui il y a un mais, suivi d’un sans plus.

À la troisième place, le monde d’après d’Hervé Commère même si ça manque un peu d’odeur, mais qui au final ne vous claquera pas la porte au nez.

À la seconde place, une habituée des nouvelles, qui une fois de plus s’en sort à merveille, Sophie Loubière qui vous fera respirer la mort, l’odeur de la dévastation à sa manière.

Et à la première place, ce qui ne surprendra personne, mais qui sincèrement respecte à la lettre ce défi littéraire, Franck Bouysse, et sa nouvelle Je suis un poisson, qui réussit haut la main à créer une histoire originale, crédible, ingénieuse. Une excellente nouvelle à l’odeur teintée d’humour noir, un auteur aussi à l’aise qu’un poisson dans l’eau.

Mais rien de tel que de Respirer le noir, mais également d’Écouter le noir , de Regarder le noir, de Toucher le noir, pour vous faire votre idée et poursuivre l’expérience sensorielle à travers les mots de ces plumes noires qui éveilleront vos sens sans risque de contagion mise à part de devenir accro aux nouvelles.

Une collection qui ne manque pas frissons.

Petiote

Petiote de Benoît Philippon aux Éditions Les arènes

Collection Équinox

“ – Tu sais que tu vas pas en sortir vivant.

– Je sais qu’il y a un risque, mais je le prends.

[…] L’opération est enclenchée. Ses mains ne suent plus. Son cœur a trouvé un rythme de croisière. Le stress évacué, il sait pourquoi il est là. Alors qu’il devrait se pisser dessus de trouille, Gus irradie de joie. La foi guide ses gestes. Pour la première fois, il sait ce qu’il fait. Il a l’espoir fou de réussir. Il se pensait coincé dans une impasse, il entrevoit une issue. ”

Puisque Gus a tout perdu, pourquoi ne pas tenter le tout pour le tout. Il n’est plus à une connerie près. C’est vrai quoi, puisqu’il est soit disant un looser, autant garder ce costume qui semble lui aller à merveille, puisqu’il lui colle à la peau depuis si longtemps. Toute façon, tout est la faute de la juge, ils ne pourront s’en prendre qu’à elle. Ah elle est belle la justice, c’est clair.

Quoi qu’il en soit, c’est trop tard, le top départ est lancé et rien ne pourra le faire changer d’avis. On prive pas un père de sa fille, looser ou pas, même si cette prise d’otage risque de l’envoyer derrière les barreaux.

“ – Le don de ce type pour s’enfoncer dans les sables mouvants, c’tout bonnement fascinant. ”

Toute façon, quand tu vois la tronche des otages, pas sûr qu’ils manqueront à quelqu’un, mise à par Émilie la fille du looser, une ado en pleine crise. Car entre Cerise, cette prostituée qui décide de lui prêter main forte, en passant par Georges, le tenancier de cet hôtel miteux, sans parler de Boudu, un sdf sauvé des eaux qui se noie dans l’alcool, de Fatou une migrante enceinte jusqu’au yeux , de Gwen et Dany ce couple adultère, sans oublier ce livreur Uber jamaïcain et Sergueï, un serbe marchand d’armes et trafiquants de drogue, pas sûr que ça fasse les gros titres du JT, à moins que la Capitaine de police Mia Balcerzak, chargée des négociations fasse bien le job pour lequel on la paye.

Reste-t-il une once d’humanité dans ce monde cruel, où depuis pas mal de temps, le malheur des uns fait le bonheur des autres ?

Et ben ma Petiote, t’es pas sortie de l’auberge.

Heureusement, on peut compter sur Benoit Philippon et de sa plume jubilatoire pour te sortir de là et te conduire direct dans les arènes des librairies. Il faut que tout le monde fasse connaissance avec toi et avec ton créateur qui met sous le feu des projecteurs les oubliés du système, faisant d’eux des stars.

En plus des chemises à fleurs, on peut dire de lui qu’il les aime les cabossés de la vie, les mamies porte- flingue, et les joueuses de grand chemin, alors pas étonnant que ton père ma petiote ait trouvé grâce à ses yeux, aussi looser soit-il.

Et une fois de plus, il nous prouve de ne jamais se fier aux apparences, car derrière ce roman déjanté, bourré d’humour et d’adrénaline se cachent de belles leçons de vie, d’humanité, de fraternité et de paternité.

Loin de nous faire la morale, il réveille les consciences jetant à sa façon un pavé dans la marre. Rien de tel que la pointe d’un stylo pour faire passer des messages.

N’oublions pas que Benoît Philippon est également scénariste et réalisateur, alors c’est clair, il sait raconter et mettre en scène ses histoires. Et puis si t’as des doutes, tu le lis et après on en cause. D’autres ont déjà testé et ils en jasent encore, tout est bon chez Philippon, t’as qu’à voir.

Allez Ma Petiote, quoi qu’il arrive, on va pas t’oublier de si tôt. Et connaissant ton créateur, il se pourrait même qu’on te croise au hasard des pages du prochain roman, va savoir avec cet auteur faut s’attendre à tout sauf à l’ennui.

Pour info :

Né en 1976, Benoit Philippon grandit en Côte d’Ivoire, aux Antilles, puis entre la France et le Canada. Il devient scénariste puis réalisateur pour le cinéma.

Après Cabossé, Mamie Luger et Joueuse, Petiote, roman noir et déjanté dernier né d’un talent du polar.

Le serpent des blés

Le Serpent des blés de T.M. Rives aux éditions Zulma

Traduit de l’anglais (États-Unis)par Lucien d’Azey

“ Feldon est constitué d’une vingtaine de collines aussi hautes que des dunes, couvertes d’une herbe sauvage et entourées de petits bouquets d’arbres. Des collines jaunes qui se succèdent, des sillons qui serpentent parmi les collines. Un endroit immédiatement reconnaissable. L’air même y était familier, comme un drap blanc qui claque au vent sur son fil. Sauvage. Lumineux et léger. […] « C’est joli ici. » ”

Pourquoi diantre, ai-je pensé à Adam et Ève en m’aventurant dans cet Eden littéraire ? Peut-être parce qu’il est question d’une rencontre entre homme et une femme, puis de l’arrivée d’un serpent qui viendra semer la discorde, sous les yeux d’un petit ange qui servit d’appât à cette femme pour attirer l’homme dans ses filets.

Nous sommes au cœur de l’Amérique profonde, où une veuve tente désespérément de mettre le grappin sur un homme plutôt charmant et même charmeur.

“ Et il continua à discourir de cette manière observant en silence quand il écoutait, faisant des gestes avec son long doigt et se tirant les cheveux chaque fois qu’il avait quelque chose à dire. De drôles de mots, agencés les uns aux autres en grappes discordantes, régis par un dessin audacieux, jusqu’à ce que l’éclat de la phrase suivante les efface. Et toujours l’énigmatique sourire, la part non-dite, cachée. Un prédateur bienveillant. ”

Est-ce un péché de vouloir combler un vide ? Le serpent est-il là pour nous le rappeler ? Et cet homme, serait-il un prédateur tout aussi dangereux ? Et l’enfant dans tout ça ?

T.M.Rives possède une plume pleine de charme, et devient en quelques pages un charmeur littéraire qui nous emmène avec style dans un Eden littéraire où le bien et le mal jouent une partie endiablée dans l’univers des adultes.

Chacun l’interprètera à sa manière, mais une chose est sûre, ce petit roman américain s’apparente à ce qu’on appelle, un chef-d’œuvre.

Pour info :

T.M. Rives est né en Californie en 1972. Globe-trotter et polyglotte, il séjourne plusieurs années en Europe avant de s’installer à New-York, ville à laquelle un guide Secret New-York (New-York insolite et secret). Aujourd’hui photographe, il reste l’auteur d’un seul roman, Le Serpent des blés, et c’est un coup de maître.

La chambre du fils

La chambre du fils de Jørn Lier Horst à la Série Noire de Gallimard.

Traduit du Norvégien par Aude Pasquier

– Des cartons bourrés d’argent ? répéta-t-il. De quoi parle-t-on exactement ? Quelle somme au total ?

– Des devises étrangères, répondit le procureur général. Des euros et des dollars. Environ cinq millions de chaque. […] Wisting essaya de faire le calcul dans sa tête. Le total devait avoisiner les quatre-vingt millions de couronnes norvégiennes.

Quand un ex-ministre, ancien membre du parti travailliste, est retrouvé mort dans son chalet après une terrible crise cardiaque, laissant derrière dans la chambre du fils, une multitude de cartons remplis de devises étrangères datant des années 2000, il y a de quoi s’interroger.

Le procureur général de Norvège charge l’inspecteur Wisting de percer le mystère de cette trouvaille suspecte.

D’autant plus que des élections approchent.

Et lorsqu’une lettre anonyme, rappelle aux bons souvenirs des enquêteurs une disparition en 2003 mettant en cause le ministre défunt, l’enquête prends une toute autre dimension.

Un long travail d’investigation commence pour Wisting et son équipe, qui leur permettra peut-être de résoudre un cold cases en plus de remonter les traces de ce mystérieux butins.

Jørn Lier Horst, et William Wisting son inspecteur, sont de retour pour une nouvelle affaire , pour le plus grand plaisir de ceux qui comme moi suivent la nouvelle carrière d’écrivain de cet ancien ancien flic, et les enquêtes de son personnage récurrent.

Bien loin des romans nordiques qui se traînent parfois en longueur, Jørn Lier Horst nous offre un suspens qui ne manque ni de précision, ni de réalisme, et surtout bien rythmé. On sent le passé d’enquêteur et ce besoin de résoudre les cold-cases, à travers sa plume et sa façon de nous présenter l’histoire hyper réaliste, porté par une plume d’une grande maîtrise.

Pas étonnant que ce véritable page Turner et l’inspecteur Wisting aient inspiré un scénariste qui en fait une série télé.

On ne s’en lasse pas bien au contraire, et on se doute bien que son ancien job, lui permettra de trouver l’inspiration pour poursuivre l’écriture, en tout cas je l’espère.

Pour info :

Jørn Lier Horst, né le 27 février 1970 à Bamble, dans le comté de Telemark, en Norvège, est un écrivain norvégien, auteur de roman policier et de littérature d’enfance et de jeunesse.

Ancien inspecteur de la police, Jorn Lier Horst met sa connaissance des méthodes d’investigation au service de ses thrillers. Il figure parmi les auteurs les plus vendus en Norvège et l’un des plus importants auteurs de roman noir scandinave

Duchess

Duchess de Chris Whitaker aux Éditions Sonatine.

Traduit de l’anglais (Écosse) par Julie Sibony

« – Je suis une hors-la-loi, putain. Quand est-ce que tu vas comprendre ? Je suis pas là pour me pomponner et sortir avec des garçons. J’ai des choses plus importantes à faire. »

Duchess, treize ans, Hors-la-loi. Ça vous surprend, c’est pourtant comme ça qu’elle se présente.

Duchess est une légende, une héroïne qui n’a pas froid aux yeux, ni la langue dans sa poche.

“ Je suis la hors-la-loi Duchess Day Radley et je leur mettrai une balle entre les deux yeux. ”

En même temps quand tu connais son histoire, ça se comprend et ça impose un certain respect. Et même si elle est encore trop jeune pour porter un flingue, pas de problème, elle a les yeux revolver alors faites gaffe quand même.

Elle n’était pas encore née quand cette histoire a commencé, quand sa tante, la sœur de sa mère perdit la vie, fauchée dans la fleur de l’âge par une voiture, entraînant Vincent King, un gamin derrière les barreaux et sa mère vers un long naufrage où jour après jour elle se noie, là rendant incapable de s’occuper de ses enfants, Duchess et Robin son petit frère de six ans.

Mais Duchess a beau être une hors-la-loi, elle s’occupe de son petit frère et veille sur sa mère, aidée par le Shérif Walk.

Jusqu’au jour où Vincent King sort de prison, ravivant les blessures du passé, entraînant une nouvelle cascade de violence qui n’épargnera pas Duchess et sa famille.

Il est temps pour Duchess de libérer la hors-la-loi qui est en elle, afin de protéger les siens.

“ Elle hurlait tellement qu’elle en avait mal à la gorge. Chaque fois, Robin observait sans rien dire, il réclamait du silence et elle lui accordait, sortait marcher des kilomètres en injuriant le soleil couchant comme une foldingue. ”

Des héroïnes de cette trempe, j’en ai déjà croisé quelques unes dans mes errances littéraires, et chaque fois, elle me flingue le cœur, bousille mon maquillage et laisse leur empreinte indélébile en moi un peu comme un tatouage qu’on ajoute sur sa peau pour rendre un ultime hommage à ceux qu’on aime.

Duchess naît sous la plume extraordinaire de Chris Whitaker, n’est point une pâle copie de ses prédécesseurs, loin de là. Elle possède un charisme incroyable, une personnalité déjà très affirmée pour son âge, un caractère pas piqué des hannetons entretenue jour après jour par cette vie qui ne lui fait pas de cadeau, et malgré la colère qui l’habite, elle n’en demeure pas moins responsable et protectrice , surtout vis-à-vis de son petit frère et de sa mère.

Et lorsque comme moi on aime les rebelles, on ne peut que succomber à son charme, et ressentir pour elle une grande admiration et un amour éternel, même si elle pense le contraire, elle se trompe c’est certain.

Duchess n’est pas un roman comme les autres, il a sa propre identité, son histoire, et ses personnages aussi désespérés soient-ils nous bouleversent, nos entraînant avec eux dans une course poursuite vers la justice.

Chris Whitaker, possède une plume incroyable, en formidable conteur il nous offre un roman marquant au suspens extraordinaire avec des personnages qu’il est bien difficile de quitter.

N’hésitez surtout pas à faire connaissance avec Duchess, cette petite hors-la-loi, digne héritière de sa lignée, qui vous permettra de découvrir son créateur, un auteur qui possède un immense talent que j’espère retrouver très vite.

Coup de foudre garantie.

Pour info :

Chris Whitaker est né à Londres.

Son premier roman, Tall Oaks, paraît en 2016, reçoit les louanges de la critique et se voit couronné du CWA John Creasey New Blood Dagger.

Avec All the Wicked Girls (2017), son deuxième roman, Chris Whitaker explore les thèmes de la disparition, de la jeunesse et des regrets au sein d’une Amérique dépeinte de manière magistrale.

Avec Duchess, il achève de convaincre ses pairs et les critiques littéraires, qui ont salué la beauté de son récit, devenu un best-seller en Angleterre, en Allemagne et aux États-Unis. Chris Whitaker vit aujourd’hui dans le Hertfordshire avec sa femme et ses trois enfants.

Les saisons et les jours

Les saisons et les jours de Caroline Miller aux Éditions Belfond, collection Vintage

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Michèle Valencia

À présent, les bois lâchaient de brèves respirations sous les rafales de vent ; l’hiver leur tombait dessus et ils avaient peur. Cramoisies, les feuilles semblaient prises de fièvre. Des arbrisseaux sauvages tremblaient, tournaient leurs feuilles de-ci de-là, pour échapper au vent froid qui soufflait la mort sur eux. Les vieux pins soupiraient sans cesse; l’hiver ne tuerait pas leurs longues aiguilles luisantes ; ils conserveraient leur splendeur verte, de nouvelles aiguilles pousseraient pour remplacer celles qui tombaient , si bien que, en observant leur costume, personne ne pourrait deviner en quelle saison on était. Les érables en revanche, secs et élimés, ressemblaient à des balais-brosses appuyés contre le ciel; les chênes vacillaient, tels de gigantesques églantiers morts ; car l’hiver précipitait toutes les feuilles, à l’exception des aiguilles de pin, vers la terre imbibée de pluie, durcie par un soleil implacable, la grande tombe où elle pourriraient peu à peu comme n’importe quel être humain. Les autres créatures vivantes partiraient en même temps que les feuilles ; elle se cacheraient dans l’obscurité froide de creux d’arbre et de grottes jusqu’à ce qu’une nouvelle année fasse glisser la peau mouchetée des serpents à sonnette, incite les lapins à se frotter de leur doux museau et à s’unir pour proclamer l’arrivée du printemps. ”

Difficile de rester insensible devant tant de beauté littéraire, pas étonnant que ce roman dont je vous offre un extrait ait reçu le prestigieux Prix Pulitzer en 1934, après avoir connu un immense succès aux États-Unis dès sa parution, et réédité par la suite plus de trente fois.

Nous sommes en Géorgie entre 1820 et 1850, en pleine campagne où tout est à construire, pour ce jeune couple fraîchement marié. À l’époque, le dur labeur commençait en premier lieu par la construction de la maison, des meubles, puis de la grange, et du jardin afin de subvenir de manière complètement autonome au besoin de sa famille, et de pouvoir procéder à des échanges et vendre une partie de la récolte quand le moment serait venu de se rendre en ville.

“ Sa mère l’avait avertie : aux femmes les fruits, le potager, le lait, le beurre et les enfants ; aux hommes l’élevage et l’abattage des animaux, les semailles et la moisson. ”

Au fil des saisons, la famille s’agrandit, les plantations poussent, certaines récoltes permettent de renflouer les finances et parfois la colère du Dieu qu’on tentait toujours de satisfaire semblait envoyer un ouragan qui détruisait toute la plantation. Mais que ce soit la venue d’un enfant qui donnait une bouche de plus à nourrir ou le décès de l’un d’entre eux, qui apportait un immense chagrin ou encore une mauvaise saison qui mettait à mal les récoltes, pas le temps de s’apitoyer sur son sort, il fallait travailler dur pour poursuivre son chemin.

Et quand la guerre civile fut déclarée, on remerciait Dieu de ne pas avoir que des garçons et on s’en remettait une fois de plus à Lui pour qu’il protège ceux qui partaient mais aussi ceux qui restaient.

Porté par une plume extraordinaire, pleine de grâce et de poésie, Caroline Miller nous offre un magnifique roman qui retrace la vie d’une famille de fermiers blancs du vieux Sud, où les saisons et les jours apportent son lot de joies et de peines.

Un roman incontournable que nous offre la collection Vintage des éditions Belfond, qui ont la bonne idée de rééditer les chef-d’œuvres de la littérature parfois trop méconnu et pourtant à découvrir absolument.

Pour info :

Caroline Miller est née en 1903 à Waycross en Géorgie. Elle a entrepris un véritable travail historique et ethnologique en collectant dans les petits villages de Géorgie des temoi et des récits de vie qui vont lui fournir l’inestimable matériau pour Les saisons et les jours.

En forme d’hommage aux paysans du Grand Sud, ce roman connaît un immense succès à sa parution aux États-Unis avec pas moins de trente-sept réimpressions de la première édition. Publié en France dans une version incomplète en 1938 (Hachette), il a paru une première fois chez Belfond en 2012 dans une nouvelle traduction, rejoignant ensuite la collection Vintage.

Caroline Miller écrira tous les jours jusqu’à sa mort en 1992.

Le cercle des rêveurs éveillés

Le cercle des rêveurs éveillés d’Olivier Barde-cabuçon aux Éditions Folio

“ Il n’y a pas de bons ou de mauvais rêves. Il y a juste des rêves à interpréter. ”

À Paris, en 1926.

Alexandre Santaroga, anciennement psychiatre, devenu un psychanalyste plutôt atypique, vient de perdre un de ses patients qui fréquentait le cercle des rêveurs éveillés.

Son patient semble avoir réalisé son rêve macabre, ce qui intrigue Alexandre et le pousse à mener une enquête pour découvrir la vérité sur le sens de ce rêve qu’il lui avait été confié lors de la dernière séance.

Tout semble lié à ce cercle.

Santaroga qui vient de faire connaissance avec une belle femme russe, récemment échappée de Russie Bolchevique, sollicite ses services pour l’aider dans sa quête, en l’incitant à s’introduire dans ce fameux cercle.

Un pacte est scellé, même si un mystère demeure autour de Varya qui semble fuir quelque chose ou quelqu’un…

Peut-être que son prochain rêve éclairera Santaroga, il lui suffira juste de bien l’interpréter.

Olivier Barde-Cabuçon, nous entraîne cette fois dans les années folles, qui sert de toile de fond pour cette nouvelle intrigue.

Les artistes et les aristocrates se libèrent et profitent des plaisirs que la vie parisienne leur offre, savourant chaque instant, se laissant entraîner par ce vent de liberté de l’après-guerre.

L’intrigue est assez légère pour ce polar historique, un rêve éveillé qui laisse entrevoir la montée du fascisme, et le danger face à certaines alliances, et à certains enjeux politiques à travers une galerie de personnages surprenant.

Pas toujours facile à suivre, mais une immersion agréable dans cette ambiance année folle où une multitude d’artistes deviendront célèbres et même incontournables par la suite, de véritables précurseurs avant-gardistes.

Pour info :

Passionné d’intrigues et d’histoire, Olivier Barde-Cabuçon est notamment l’auteur, chez Actes Sud, d’une série se déroulant au dix-huitième siècle, saluée par la critique et récompensée par des prix polar prestigieux dont le prix Dora-Suarez 2020.

Le cercle des rêveurs éveillés marque l’entrée de l’auteur au catalogue de la Série Noire. Premier tome de sa nouvelle série policière.

Tout ce qui brûle

Tout ce qui brûle de Lisa Harding aux Éditions Joëlle Losfeld

Traduit de l’anglais (Irlande) par Christel Gaillard-Paris

« C’est la première fois que je partage mon histoire. » Jusque-là, je reste polie. Un tonnerre d’applaudissements. Je respire profondément. « Je m’interroge souvent sur notre capacité à nous illusionner. » Le ton parfait, la voix basse : j’entre dans mon domaine. Tous mes talents de comédienne se déploient, un élan m’emporte. J’emplis l’espace, mon public est sous le charme. « J’ai entendu beaucoup de témoignages sérieux sur la toxicomanie et sur le passé qui nous conditionne, mais très peu sur les ravages que nous causons dans la vie des autres.» L’essaim s’échappe de ma bouche : « Les choses que nos parents nous ont faites, et que nous répétons. Il ne s’agit pas seulement de ce qu’on nous a fait, mais de ce que nous faisons à ceux qui nous entourent, notamment à nos enfants. »

Dans la banlieue dublinoise, la vie n’est pas simple pour Sonia, cette jeune femme célibataire, maman d’un petit garçon de quatre ans, anciennement comédienne qui n’arrive plus à se retrouver sous le feu des projecteurs, et qui commence à défaillir dans son rôle de mère. Et pourtant elle l’aime son petit bonhomme, énormément au point que sa vie tourne quasiment qu’autour de lui, en compagnie de leur chien.

Mais hélas, l’alcool s’est immiscé au sein de leur foyer, et petit à petit la mère aimante prend un mauvais chemin mettant en péril son foyer, et la vie de son enfant.

Jusqu’au jour où son père débarque et l’entraîne contrainte et forcée dans un couvent réhabilité en centre de désintoxication. Pour retrouver son fils, elle n’a pas le choix que de se plier au programme qu’on lui impose.

« Que se passera-t-il quand j’en aurai fini ici ? Est-ce que j’obtiendrai un certificat de réussite, un diplôme de mère sobre et pleinement fonctionnel ? »

Lisa Harding nous offre un beau portrait de femme, sans fards ni paillettes, loin des caricatures idéales, loin de ce qu’on attend d’elle une fois devenue mère. Car en plus d’être femme, elle est aussi mère et qui plus est mère célibataire et c’est pas simple, j’en sais quelque chose. Et c’est pourtant le rôle de sa vie, mais là pas question de rembobiner, d’effacer les erreurs une fois l’action passée, il faut faire avec.

L’auteure met en avant les difficultés pour Sonia d’être mère, malgré tout l’amour qu’elle porte à son fils, qui essaie de faire abstraction à son passé familial, essayant de ne pas reproduire le même schéma que ses parents. Devenant mère protectrice, très fusionnel, peut-être trop, culpabilisant parfois et cherchant un ultime réconfort dans l’alcool, un excès supplémentaire qui détruit tout.

Mais il n’est jamais trop tard pour éteindre tout ce qui brûle, pour retrouver la chaleur de son foyer, et reprendre ce rôle de mère qui lui sied tant, pour le bonheur de son fils.

Un roman très touchant.

Pour info :

Lisa Harding est dramaturge et actrice.

Son premier roman, Abattage (Éditions Joëlle Losfeld, 2019) salué par la critique, mettait en lumière les très jeunes filles victimes de la prostitution forcée en Irlande.

Avec ce deuxième roman, elle continue d’explorer le thème de l’innocence de l’enfance, abîmée par le monde des adultes.

Chez Paradis

Chez Paradis de Sébastien Gendron à la Série noire de Gallimard

Chez Paradis, point de Vanessa, c’est Max Dodman le patron de ce garage tout droit sorti de l’enfer.

Max est le genre de mec que l’on déteste d’entrée de jeu, tellement il est imbuvable. Un gros con qui ne respecte rien ni personne. Pas surprenant qu’un paquet de mecs aimeraient lui faire la peau, même son chien, Bécaud, censé être le meilleur ami de l’homme le déteste.

Quand à sa femme,elle préfère se taper le chien, c’est vous dire.

En même temps, à force d’avoir les mains dans le cambouis de sniffer un peu trop de coke, sans oublier ses conneries du passé et ses nouvelles combines, il ne peut pas fini propre comme un sou neuf. Tout se paye, un jour ou l’autre avec une facture plus ou moins salée.

Si au moins il était un malfrat sympa, j’aurais un peu de compassion, mais là impossible, faut pas déconner. Il mérite tout ce qui lui tombe sur la tronche, et si ça suffit pas, j’irai l’achever moi-même.

Toute façon, je crois que pour lui ça sent déjà le sapin, la bonne odeur des cercueils, surtout depuis la disparition de Martha, ça rajoute du monde à la liste de ses ennemis.

Je lui souhaiterais bien bonne chance, mais je préfère lui dire d’aller au diable. Du Paradis à l’enfer, toute façon, sa route est déjà toute tracée.

Alors voilà, si comme moi tu préfères le whisky sec aux cocktails sirupeux , le rock aux mélodies langoureuses, les films d’actions qui déménagent aux histoires d’amour ennuyeuses, si comme moi tu préfères les romans noirs qui claquent aux romans feel-good, ce livre est fait pour toi comme il était fait pour moi.

Sébastien Gendron en bon scénariste nous offre un roman noir de haut vol qui ne laisse aucune place à l’espoir. Y’a pas de place pour les gentils ici, tous les personnages à l’affiche méritent ce qui leur arrive, en dehors de Martha et de Bécaud, deux victimes collatérales.

L’auteur ne fait pas dans la dentelle, il nous plonge dans une ambiance bien crade, vulgaire, violente, immorale et quand l’humour se pointe c’est toujours habillée de noirceur.

Et si Fin de siècle, son précédent roman ne m’avait pas vraiment conquise, il s’est bien rattrapé avec celui-ci.

Et vu la dernière daube que j’ai vu au ciné avec Nicolas Cage, je serais d’avis d’envoyer ce roman noir bien déjanté aux producteurs en mal de bons scénarios. Car chez Paradis, tout est nickel, les personnages bien fêlés, l’histoire pleine de suspens, qui ne manque pas d’action , ni de X, dans une ambiance survoltée assez obscure.

Allez faites pas votre chochotte, faites un tour chez Paradis, un Gendron de cette facture, ça mérite bien votre attention.

Pour info :

Sébastien Gendron écrit des romans noirs, des histoires pour la jeunesse et des scénarios. Ses livres ne racontent pas sa vie, sans quoi il serait en prison ou chez les dingues. Il passe néanmoins le monde en revue avec des lunettes qui en grossissent l’absurdité. Fort de tout ça, il essaie d’être drôle ; ce qui, l’âge venant, est de moins en moins simple.