L’archiviste

L’archiviste d’Alexandra Koszelyk aux Éditions Aux forges de Vulcain

L’artiste interrompit son geste sur une moue, la main arrêtée en l’air un instant, puis le reprit de façon plus marquée, appuyant à l’excès sur le papier :

« L’art n’est pas rien, justement. Si je m’obstine dans cette voie, ce n’est pas pour moi, il n’y a rien d’égoïste là-dedans. Moi, je ne suis rien, par exemple, seulement de passage ici. En revanche, je me dois de transmettre la mémoire de mon peuple. Si je ne me bats pas pour lui, qui le fera dans l’avenir ? Comment les futurs artistes pourront suivre notre tâche, si nous n’avons pas maintenu le lien ? Comment les générations futures pourront se construire, si nous nous taisons ? Je me dois de continuer, et j’ai une confiance absolue en la jeunesse, ils trouveront le moyen de s’extirper de cette dictature, d’être libres à nouveau, même si cela prendra du temps. »

En pleine guerre en Ukraine, K une jeune femme archiviste, s’emploie la nuit à veiller sur les œuvres d’art, après avoir veiller sur sa mère en fin de vie, le jour.

Toutes les œuvres qui ont pu être sauvés des bombardements lors de l’évacuation sont entassées dans la bibliothèque dont elle s’occupe.

Un soir, un des envahisseurs se présente, avec une demande très particulière, mettant en péril son laborieux travail de sauvetage.

Pour obtenir ce qu’il souhaite, il n’hésite pas à faire usage d’un odieux chantage concernant la famille de K.

Ce sera le début d’un jeu de dupes entre le bourreau et sa victime, où la mine de crayons dessine un horizon où l’espoir s’immisce malgré la tyrannie.

Dans les ruines d’Ukraine naissent parfois de belles histoires d’amour, là où les cendres ont remplacé la vie. Et qu’elles soient vraies ou imaginées, elles nous laissent un peu d’espoir face à la souffrance.

Alexandra Koszelyk nous a offert cet espoir, dans son premier roman “ A crier dans les ruines”.

Aujourd’hui, elle nous invite à nous souvenir, à nous rappeler la beauté de l’art, et l’importance de laisser une trace de toutes ces œuvres qu’on ne cesse de vouloir détruire à chaque guerre.

Heureusement de bonnes âmes résistent et trouvent parfois des parades pour conserver au mieux, le patrimoine de leur pays.

Avec style, Alexandra invite dans son histoire, les fantômes du passé, tous ces artistes du pinceau, de la plume, du marteau, du ciseau qui ont traversé les âges, laissant derrières eux des chefs-d’œuvre que K, l’archiviste tente de sauvegarder malgré la peur de perdre la famille qui lui reste.

Dans une ambiance douloureuse, l’art s’impose, telle une étoile dans la nuit, et nous fait espérer qu’au levée du jour notre héroïne aura accompli sa mission et que la guerre cessera enfin…

Alexandra Koszelyk nous offre un roman bouleversant, né dans l’urgence face à cette guerre en Ukraine pour qu’on n’oublie pas ce peuple qui se bat pour ne pas disparaître.

Cupidité

Cupidité de Deon Meyer à la Série Noire de Gallimard

Traduit de l’Afrikaans par Georges Lory

“ Comme c’est curieux. […] Il y a tant de choses qui nous divisent dans ce pays. Mais la cupidité nous unit. ”

Après avoir désobéit à leur hiérarchie Benny Griessel et Vaughn Cupido, nos deux Hawks, perdent leurs statuts et se retrouvent simples enquêteurs en plus de subir une mutation forcée qui prendra effet à la fin de leurs mises à pieds.

Très vite dans le bain, une enquête de disparition d’un étudiant leur est confiée.

Pendant ce temps là, une agente immobilière aux dents longues se voit confier dans le plus grand secret, la vente d’un prestigieux domaine viticole. Ce bien appartient à un escroc notoire, Jasper Boonstra, devenu milliardaire suite à de nombreuses malversations. Criblée de dettes, notre agente est prête à tout pour ne pas perdre sa commission de trois millions de rands minimum.

Sans lien apparent, mise à part le lieu, Stellenbosch, au cœur des vignobles du Cap, où une bonne dose de cupidité et une nouvelle disparition réuniront les deux affaires.

Même si Cupidité n’est pas véritablement la suite de La proie, il existe un lien par rapport aux sanctions que subissent Griessel et Cupido, puisqu’elles font suite à leurs précédents comportements, on ne peut pas impunément désobéir à la hiérarchie.

Deon Meyer, poursuit donc avec notre duo préféré, inséparables, toujours fidèle au poste même s’il est moins prestigieux, avec toujours autant d’intégrité et d’humour.

L’auteur nous offre deux enquêtes, deux intrigues en parallèle, tout en nous faisant part de la situation désastreuse dans laquelle l’Afrique du Sud est confrontée depuis la “ captation de l’état “, cadeau de l’ancien président Jacob Zuma, nous montrant à quel point l’appât du gain mène tout droit à la cupidité que l’on soit escroc notable ou en passe de le devenir.

Un bon cru, plutôt intense qui fera vite oublié : La femme au manteau bleu, plutôt léger, et donnera au fidèle, un prolongement intéressant et bien rythmé de La proie.

Trois passagers

Trois passagers de Dominique Fabre aux Éditions Les avrils

“ À la République dominicaine, toute l’énergie des garçons est tournée vers Puerto Rico, il n’y a pas de place pour tout le monde sur notre île. On a des fruits tropicaux et des jus de fruits meilleurs que partout ailleurs mais pour le reste, c’est pas le paradis sur terre. On a juste envie de trouver un passeur qui réussisse à nous emmener de l’autre côté, où c’est un nouveau chapitre qui commence, la vie qui continue ou qui repart. ”

Si certains passagers s’envolent pour les paradis tropicaux, d’autres demeurant sur place cherchent une embarcation et un passeur pour rejoindre l’Eden américain…

“ Chez nous, quand ça va mal, tous les jeunes parlent de partir et tu te demandes comment ça se fait qu’on est pas devenu un endroit vide sans personne dedans, sauf des vieilles toujours assises à regarder nulle part, des vieux qui jouent aux dominos, des chiens errants. ”

En France, dans une impasse parisienne, une femme vietnamienne attend, en transit vers un meilleur endroit, auprès d’autres exilés.

“ En général, ils ne disaient rien mais leur cœur semblait gonfler et saignait encore d’un tas d’histoires dont ils ne parlaient presque jamais. ”

Sur le banc d’une église, un homme fait ses adieux à son père qu’il n’a pas connu, en l’accompagnant dans son dernier voyage vers l’au-delà, cherchant encore à comprendre cet éternel absent.

“ […] tu es bien comme ton père, si si, tu ne peux pas savoir mais moi si, je ne dis pas ça pour te faire de la peine, mais parce que c’est la vérité, malgré tout elle avait voulu venir quand même, mue par la curiosité, et puis les souvenirs enfouis, les souvenirs cachés. Du coup nous étions côte à côte sur un banc des derniers rangs, je n’avais pas ma place dans la cérémonie, j’étais celui à qui j’avais ressemblé, comment on fait pour ne pas ressembler à quelqu’un qu’on ne connaît pas ? Il n’y avait plus personne qui aurait pu me dire les choses que j’aurais voulu savoir. Il n’y avait plus personne entre lui et moi. ”

À travers trois nouvelles, on côtoie trois passagers, trois histoires d’exilés racontées par des proches.

Dominique Fabre est le genre d’écrivain comme notamment Marc Villard, à mettre sous les projecteurs les oubliés, à faire des gens ordinaires, des héros extraordinaires, à travers une plume sensible, mélancolique en posant un regard très avisé sur les cabossés de la vie, et la vie en général, montrant du doigt les injustices .

Ça pique, et ça flingue le cœur, mais c’est tellement ça en fait.

Un auteur qui me bouleverse et me fait vibrer à chaque fois.

Cérémonie

Cérémonie de Leslie Marmon Silko aux Éditions Albin Michel

Collection Terres d’Amérique

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Michel Valmary

“ Le vieil homme posa sa sacoche sur ses genoux avant de fouiller des deux mains à l’intérieur. Il en sortit un paquet de plantes séchées et un petit sac rempli de farine de maïs bleu. Il posa le thé indien sur les genoux de Tayo, puis il se leva et mît le sac de farine sur la chaise. « Il y a des choses que l’on ne peut plus soigner comme avant, dit-il, et cela depuis l’arrivée des Blancs. Et parmi les autres vétérans qui ont participé à la Cérémonie du Scalp, certains ne vont pas mieux non plus

Il tira la casquette de laine bleue sur ses oreilles. « Je redoute ce qui va nous arriver à tous, si toi et les autres vous ne guérissez pas. » ”

Cérémonie a été publié auparavant par les Éditions Albin Michel en 1992, aujourd’hui réédité, ce qui nous permet de découvrir la plume majeure de la littérature américaine de Leslie Marmon Silko qui rejoint notamment James Welch, N. Scott Momaday et Louise Erdrich, à travers l’histoire de Tayo, un jeune indien du Nouveau – Mexique, de retour dans sa réserve de Laguna Puenlo.

Ce jeune vétéran, revient de la Seconde Guerre mondiale, et comme beaucoup de soldats, il souffre du syndrome post-traumatique, qui s’ajoute aux douleurs d’avoir perdu la terre de ses ancêtres.

Si certains de sa tribu choisissent l’alcool ou la drogue pour affronter leur douleur, Tayo de son côté aspire à retrouver une certaine sérénité, qu’il espère trouver dans les traditions ancestrales liées à ses origines indiennes du côté de sa mère.

Cérémonie nous offre une formidable errance littéraire entre passé et présent où s’invitent les fantômes de Tayo.

“ Mois et années s’étaient affaiblis, et les êtres pouvaient forcer un passage et se promener dans le temps. Peut-être qu’il en avait toujours été ainsi et que c’était juste la première fois qu’il le remarquait. ”

Une formidable balade littéraire mais qui n’en demeure pas moins exigeante, le récit étant loin de la linéralité habituelle des romans classiques mais proches du conflit intérieur qui perturbe Tayo.

La poésie s’invite entre ces pages aux côtés des traditions ancestrales, nous rapprochant au plus près de Tayo et des esprits qui semblent veiller sur lui, malgré sa grande souffrance qui se comprend tellement.

Un récit aussi bouleversant que surprenant. La promesse d’en sortir plus grand, pour qui osera s’y aventurer.

Désormais au programme des collèges et des universités américaines, nous donnant un peu l’espoir que l’Histoire de tous ces indiens ne s’efface pas à jamais.

“ À la fin, il n’en restait qu’un

qui n’avait pas étalé charmes et pouvoirs.

Ce sorcier se tenait debout dans l’ombre au-delà du feu

et absolument personne ne savait d’où il venait

ni de quelle tribu

ni si c’était une femme ou un homme.

Mais le plus important, c’est que

ce sorcier ne montrait ni noir charbon de tonnerre

ni perles rouges de fourmilière.

Il leur demanda simplement de l’écouter :

« Ce que j’ai, c’est une histoire. »

Dixième manche Une histoire américaine

Dixième manche Une histoire américaine d’Alexandre Bertin aux Éditions Souffles littéraires

[…] Cet article, c’est l’occasion de remettre Richard Stoke dans la lumière et dans l’histoire du baseball ! Je peux au moins faire ça pour honorer sa mémoire.

– J’y vois surtout un baroud d’honneur pour Nathan Bergman.

– Peut-être, oui. Tu as sûrement raison. C’est sans doute l’article qui manque à ma carrière. Je suis sans doute qu’un égoïste qui refuse de plonger dans sa tombe.

En 2018 à Chicago, le jour de son pot de départ à la retraite, Nathan Bergman, journaliste tombe sur un vieil article inachevé concernant, Richard Stoke, un jeune prodige du baseball trop tôt disparu.

Afin de lui rendre un dernier hommage et de lui restituer ce qu’il considère comme une injustice, Nathan décide de reprendre cet article, histoire de partir avec élégance et de faire en sorte de sortir de l’oubli le nom de Stoke.

Un long travail d’investigation débute et une vérité jusque là bien cachée va refaire surface.

Pour un premier roman, on peut déjà reconnaître qu’Alexandre Bertin s’en sort bien.

Que l’on soit passionné ou pas par le baseball, Dixième manche ce roman d’investigation nous offre une partie pleine de surprises. nous entraînant auprès d’un journaliste en fin de carrière, avec quelques regrets qu’il compte bien effacer de sa liste

En plus de l’univers du baseball, on découvre le long travail de recherche auquel les journalistes peuvent se retrouver confrontés lors de leur enquête avant l’article final.

Également agrémenté de faits historiques s’intégrant comme il se doit à l’histoire.

Et plus l’enquête progresse plus certains secrets refont surface, le rêve américain pouvant vite virer au cauchemar quand le passé se mêle au présent.

Alexandre Bertin, le petit frenchy réussi une première manche sans rester sur le carreau, de quoi lui mettre des étoiles américaines plein les yeux pour les prochaines manches littéraires.

Cette terre que je croyais mienne

Cette terre que je croyais mienne d’Alain Choquart aux Éditions Les arènes collection Equinox

Le capitaine de police Paul Brunel n’est plus apte au service suite à une commotion cérébrale subie lors de sa dernière opération d’infiltration où il a failli rester sur le carreau.

Gardant de terribles séquelles, il rejoint sa terre natale dans le Vercors pour prendre ses nouvelles fonctions.

“ […] les flashes de ses souvenirs étaient toujours négatifs. C’est peut-être ce qui l’avait décidé à revenir sur les terres de son enfance. À se confronter à sa mémoire. Des pans entiers de son passé restaient pétrifiés, la chronologie de sa propre histoire s’était grippée. Quand il regardait derrière lui, il avait le sentiment de visiter les coulisses d’un spectacle de marionnettes après la représentation. Les personnages étaient immobiles, rangés sur des étagères. Il les reconnaissait. Les traits de leurs visages, leurs vêtements lui étaient familiers, mais plus aucune lumière ne les animait, ni aucun son de voix, et il ne savait pas si le spectacle avait été triste ou gai. ”

La région a bien changé et semble presque à l’abandon, gangrenée par la misère, seule la nature majestueuse semble résister.

Le monde rural est en souffrance, les hommes et les femmes proches du point de rupture. Pour s’en sortir, pas d’autres solutions que de s’adonner à d’autres cultures, quitte à franchir l’illégalité.

“ La nature se nourrissait de la mort et Paul savait que l’espace était déjà lavé par la pluie, nettoyé par les animaux de toutes espèces, du plus petit insecte rampant au massif hibou grand duc dont le vol traverse la nuit sans un bruit. ”

Et lorsque le corps sans vie d’un agriculteur est retrouvé, Paul réalise à quel point la violence des villes a rejoint la campagne autrefois si paisible.

Alain Choquart est connu pour sa belle carrière de chef opérateur notamment auprès du grand Bertrand Tavernier avec qui il a tourné dix films. Réalisateur et scénariste, il passe de la bobine à l’encre , nous offrant un premier roman de haut-vol, dans un décor rustique où la nature, un personnage à part entière côtoie des hommes et des femmes qui semblent être au bout de leur vie.

Si l’histoire peut paraître peu originale, pour qui s’est déjà gavé de polar, la mise en scène et l’écriture risque d’en surprendre plus d’un.

Aussi rythmé qu’un bon thriller, nous immergeant dans un décor naturel, nous faisant profiter du paysage, et nous offrant un casting de choix et un scénario sans concession face à la violence.

Qu’il soit du côté de la bobine ou de l’encre, Alain Choquart a un talent fou, il serait vraiment dommage de ne pas le découvrir.

C’est vivement recommandé aux amoureux du noir cinq étoiles.