Aotea

Aotea de Paul Moracchini aux Éditions Buchet.Chastel

” (…) Justin coupe la parole à tout va. Le voilà parti dans l’un de ces récits culino-historiques sur Aotea. Je dois dire que « son île de cœur » réunit beaucoup de qualité qui nous sont chères. C’est un concentré de tous les plus beaux paysages de Nouvelle-Zélande répartis sur trente-cinq kilomètres de côtes. Entre mer et montagne, on y compte une très faible densité de population, à la mentalité rebelle face à la toute-puissante Auckland, qui n’est qu’à quelques miles. Et puis c’est une formidable destination pour la pêche. C’est toujours pareil : là où il y a peu d’hommes, il reste de la place pour la vie. “

C’est sûr cette île paradisiaque découverte par les Maoris, dans un manoir néo-zélandais en cours de rénovation que se retrouve un trio d’amis le temps d’un été. Justin, Bradley et Joshua, trois hommes aux caractères très différents mais liés par certaines passions communes, notamment la pêche.

Ce nouvel été s’annonçait plutôt bien, mais une ombre apparaît au tableau. Cassandra, l’ex-compagne de Bradley a disparu.

Une étrange ambiance s’installe, chacun s’interroge et un climat de suspicion plane sur le manoir.

Et si l’un d’entre-eux était responsable de cette disparition plutôt étrange ?

Je songeais à mes amis, mes deux véritables amis. Je songeais au fait que j’avais réussi à les réunir sous le même toit, et que cet été passé tous les trois ensemble resterait le plus important et le plus beau de toute ma vie. Rien ne serait plus jamais pareil. J’avais su cristalliser ce pur moment d’amitié. Nous étions forts de notre alliance, unis face à l’inconnu. Nous resterions inséparables, soudés, envers et contre tous ! Et toutes les patrouilles de police, tous les drames, tous les malheurs du monde, n’y pourraient rien changer. “

Leur amitié est mise à l’épreuve, et risque d’imploser lorsque la vérité fera surface…

Ce que j’en dis :

Aotea, le magnifique roman de Paul Moracchini, est apparu dans le paysage littéraire juste avant le confinement, caché subitement tel un immense nuage qui recouvrirait cette île pour resurgir enfin une fois l’éclairci revenu après un terrible orage.

Une fois propulsé sur cette île, vous découvrirez des paysages de toute beauté mis en valeur par la plume singulière de l’auteur, tout en partageant la vie de ces trois hommes déjà malmenés par leurs névroses personnelles, qui se retrouvent confrontés à une disparition inquiétante.

Pourtant soudés par une belle amitié, ce trio se redécouvre jour après jour et laisse apparaître quelques failles qu’il sera peut-être difficile à combler.

Cette excursion littéraire nous plonge au cœur de la nature et nous révèle de façon pertinente comment elle façonne les hommes, pouvant parfois les élever au sommet pour subitement les détruire lorsque le destin s’en mêle.

C’est beau, c’est fort et terriblement touchant. Une aventure extraordinaire où le tragique côtoie le sublime, l’amitié côtoie la trahison, un univers paradisiaque où les désenchantés tentent de s’accrocher pour survivre avant la chute qui risque de les détruire.

Une très belle découverte, le genre de roman qui m’enchante autant par son style que par son histoire, alliant douceur et noirceur, aussi captivant qu’intrigant, dans un décor naturel auprès d’êtres tourmentés.

J’ai adoré et il serait vraiment dommage que vous ratiez ce voyage à Aotea en attendant les jours d’après…

Pour info :

Paul-Bernard Moracchini vit entre la Corse et Nice. Auteur-compositeur-interprète de profession, il ne se conforme pas aux cadres d’une carrière bien ordonnée. Il préfère régulièrement prendre la tangente pour se retrouver en pleine nature.

Ancien lauréat du PJE, il a publié son premier roman, La fuite, également aux Éditions Buchet/Chastel.

Je remercie les Éditions Buchet/Chastel pour cette lecture enivrante.

Gallmeister forever

Et si aujourd’hui nous partions pour un tour d’horizon sur mes dernières lectures des éditions Gallmeister.

Du passé au présent, tout à fait à l’esprit de cette maison qui nous offre des voyages américains extraordinaires en nous faisant découvrir l’Histoire de ce pays qui ne cesse de nous surprendre.

Partons tout d’abord au cœur de la guerre de sécession en compagnie d’Henry Fleming, un jeune soldat de l’armée nordiste, tout juste 17 ans, envahit par le doute, la peur et va se comporter en lâche face au combat qui fait chaque jour de nombreuses victimes innocentes.

– Jim, il t’es déjà arrivé d’penser qu’tu pourrais prendre la fuite, toi aussi ? demande-t-il .

Il conclut sa phrase paru. Rire, comme s’il avait été dans son intention de plaisanter. Celui qui parlait fort gloussa aussi.

Le grand soldat agita la main.

– Eh ben, dit-il d’un air inspiré, y m’est arrivé d’me dire qu’ça pourrait être chaud pour Jim Conklin, dans certaines de ces mêlées, et qu’si y avait plein de gars qui prenaient la tangente, ben, j’suppose que j’détalerais moi aussi. Et qu’si j’commencais, j’déguerpirais comme si j’avais le diable aux trousses, ça ferait pas un pli. Mais qu’si tout le monde tenait sa position et combattait, et ben j’la tiendrais et j’combattrais. Nom d’une pipe, j’le ferais. J’suis prêt à l’parier. “

Malgré les paroles de ses supérieurs, il ira se mettre à l’abri sans prendre part au combat. Après la bataille, dans la confusion la plus totale, il sera pourtant décoré suite à une blessure. Il devient un héros malgré lui.

Un formidable récit de guerre paru aux États-Unis pour la première fois en 1885, que les Éditions Gallmeister ont eu la bonne idée de rééditer.

Un récit intense et assez fort, qui nous offre un fragment de cette guerre à travers les yeux d’un jeune soldat, complètement effrayé.

L’insigne rouge du courage de Stephen Crane, traduit de l’américain par Johanne Le Ray et Pierre Bondil.

Découvrons maintenant des nouvelles d’Amérique, nées sous la plume magnifique de James McBride, auteur de romans édités également aux éditions Gallmeister.

Nous allons au détour de ces pages, croiser un vendeur de jouets anciens, prêt à tout pour mettre la main sur le plus précieux des jouets qui pourrait bien changer sa vie à jamais. Puis cette bande de gamins amoureux de musique mais aussi Abraham Lincoln au grand cœur, sans oublier cette virée au zoo où les animaux parlent et ne se gênent nullement pour dégoiser sur la race humaine.

Autant d’histoires qui font de ce recueil une formidable aventure, portées par une plume où l’imaginaire côtoient la poésie, avec humour et tendresse et beaucoup d’humanité.

C’est aussi délicieux que votre friandise préférée.

” Lincoln, à sa manière habituelle, avait lâché une bombe à laquelle personne ne s’attendait. Il avait changé la nature de la guerre. Ce n’était plus une guerre entre États. C’était maintenant une guerre contre l’esclavage.  »

Le vent et le lion de James McBride, traduit de l’américain par François Happe.

En passant par le Montana, je n’ai pas boudé mon plaisir en retrouvant C.W. Sughrue, ce détective privé, très attachant que j’avais rencontré dans deux précédents romans.

Cette fois il est embauché par deux frères jumeaux, très amoureux des flingues, pour retrouver des poissons exotiques. Une affaire assez simple mais qui va très vite le conduire sur les traces d’une femme en fuite avec son chérubin.

Toujours aussi déjantée, cette nouvelle enquête illustrée par Pascal Rabaté m’a embarqué dans une aventure survoltée, arrosée d’adrénaline, d’alcool sans oublier une bonne quantité de drogue.

Ça se déguste comme un Shot de whisky, ça décoiffe et on en redemande encore une dose.

” -(…) Fait gaffe à ton cul, là-bas, vieille branche. Je ne peux pas dire que je suis fou de cette affaire. Et toi ?

– Moi, j’ai de la chance, je suis fou tout court.

– Et ça ne fait qu’empirer jour après jour, dit Solly sans rire. “

Le canard siffleur mexicain de James Crumley traduit de l’américain par Jacques Mailhos

Pour finir, direction les Appalaches où j’ai accompagné Jodi McCarty à sa sortie de prison vers la ferme de son enfance. C’est là qu’elle a grandi, élevée par sa grand-mère, aujourd’hui disparue. Elle est accompagnée de Miranda et de ses trois enfants, qu’elle vient de la rencontrer et dont elle s’est très vite attachée. Sur la route, elle est passée prendre Ricky, le frère de sa petite amie avant son incarcération, et compte bien tenir une vieille promesse en s’occupant dorénavant de lui.

Il est enfin temps de se tourner vers l’avenir, encore faut-il qu’on leur en donne l’occasion.

 » La route semblait n’avoir qu’une direction, s’enfonçant dans les montagnes jusqu’à ce qu’on se retrouve encerclé, les vastes versants des Appalaches oblitérant tout le reste. Jodi voulait revoir cet endroit, mais c’était aussi ce genre de prison et elle le sentit se refermer sur elle. D’une certaine manière, rentrer chez soi, c’était comme disparaître, retomber dans le passé. Une semaine et demie plus tôt, elle ne pensait pas revenir avant sa mort – un corps expédié à une famille qui s’en souvenait à peine, une carcasse à porter en terre dans la montagne –, pourtant elle était là, pas seulement un corps mais un entrelacs de pensées et d’émotions sauvages s’apprêtant à retrouver leur lieu de naissance. Elle se tourna vers Miranda, puis elle regarda le visage endormi de Ricky. Cette fois, ce serait différent, pensa t’elle, nouveau. Néanmoins elle continua de sentir l’oppression des montagnes, même celles qui étaient invisibles, le poids de tous ses souvenirs.  »

Mesha Maren fait une entrée remarquable chez Gallmeister, une maison d’éditions qui nous déniche régulièrement de nouveaux talents de qualité.

Elle nous offre un premier roman somptueux à l’écriture singulière et aborde à travers cette histoire de nombreux thèmes, tous d’une importance capitale, autour du personnage de Jodi. Que ce soit, le milieu carcéral, la libération, l’homosexualité, la violence, le long chemin vers la rédemption, en passant par la famille recomposée mais aussi l’exploitation de gaz qui entraîne pollution et destruction de l’écosystème, l’auteur nous emporte dans une histoire contemporaine entre passé et présent, auprès de personnages forts attachants, au cœur de la nature des Appalaches.

Ce récit transpire la force et le courage dont Jodi doit faire preuve pour se reconstruire.

On se laisse porter avec parfois une certaine appréhension face aux événements qui s’enchaînent, laissant peu de répit à cette femme qui souhaitait reprendre le cours de sa vie.

Un roman magnifique, poignant et infiniment réaliste.

Une nouvelle plume américaine à suivre absolument.

Les auteurs :

La vie de Stephen Crane (1871-1900) est brève et aventureuse.

Dernier d’une famille méthodiste de 14 enfants, il est un enfant fragile, toujours malade, ce qui ne l’empêche pas d’apprendre à lire seul à l’âge de 4 ans. À 22 ans, il publie à compte d’auteur Maggie, fille des rues, qui fait scandale. 

L’Insigne rouge du courage, tableau réaliste de la guerre de Sécession, connaît un succès mondial et fait de lui l’auteur le mieux payé de son temps. Il décide alors de devenir correspondant de guerre. Il est envoyé à Cuba, mais son bateau fait naufrage : il passe 30 heures à dériver sur un canot. Il se rend ensuite en Grèce, où la guerre avec la Turquie s’achève, puis en Angleterre où il se lie d’amitié avec Joseph Conrad, Henry James et H.G. Wells.

Il décède de la tuberculose à vingt-huit ans, dans un sanatorium allemand. 

James McBride est né en 1957.

Écrivain, scénariste, compositeur et musicien de jazz, il est saxophoniste au sein du groupe Rock Bottom Remainders.

Il publie son premier livre en 1995, La Couleur d’une mère, un récit autobiographique devenu aujourd’hui un classique aux États-Unis. Son œuvre romanesque commencée en 2002 plonge au cœur de ses racines et de celles d’une Amérique qui n’a pas fini d’évoluer. 

James Crumley est né à Three Rivers au Texas en 1939. Il sert deux ans dans l’armée, aux Philippines, puis continue ses études et sort diplômé de l’Université de l’Iowa. Au milieu des années 1960, il part vivre et enseigner dans le Montana, un État qu’il ne quittera plus et où il côtoiera notamment Richard Hugo et James Lee Burke. Peu après son arrivée à Missoula, en 1969, il écrit son premier roman, Un pour marquer la cadence, avec comme toile de fond la guerre du Viêt Nam.

En 1975, il écrit Fausse Piste (The Wrong Case), le premier roman d’une saga mettant en scène Milo Milodragovitch, un privé mélancolique vétéran de la guerre de Corée. Suivront Dancing Bear en 1983, Bordersnakes et The Final Country en 1996.

En 1978, James Crumley écrit The Last Good Kiss, le premier livre d’une nouvelle saga qui introduit un nouveau privé : C. W. Sughrue. Puis, en 1993, The Mexican Tree Duck, Bordersnakes(où Sughrue et Milodragovitch se rencontrent) et The Right Madness en 2005. Ces deux personnages, antihéros excessifs en tout, qui rassemblent toutes les obsessions et pas mal des traits de caractère de leur créateur : vétérans du Viêt Nam, divorcés maintes fois, portés sur les femmes dangereuses, l’alcool, les drogues dures, les armes à feu et les nuits sans sommeil, toutes choses en général censées représenter un danger pour eux ou pour autrui.

James Crumley est aujourd’hui considéré par ses pairs comme un des plus grands auteurs de polar. Il décède le 17 septembre 2008, à Missoula.

Mesha Maren a grandi dans les Appalaches, en Virginie-Occidentales, en pleine nature. Son père, Sam, a fabriqué lui-même leur maison en rondins. Adolescentes, elle a construit dans leur jardin une grande cabane avec son père, avec le bois de pins plantés l’année de sa naissance.

Aujourd’hui, après avoir beaucoup voyagé, au Mexique notamment, elle est revenue avec son mari dans les Appalaches et habite dans la maison de son enfance. La cabane est devenue son studio d’écriture.

Je remercie les Éditions Gallmeister pour ces voyages littéraires aussi dépaysant qu’enrichissant.

Allegheny River

Allegheny River de Matthew Neil Null aux Éditions Albin Michel collection Terres d’Amérique

Traduit de l’américain par Bruno Boudard

” Après quelques années de vaches maigres, c’en fut fini des ours dans le comté de Tuscarora. Sans cesse harcelés par les chiens, ils semblaient se jeter littéralement en pâture aux canons des fusils. Sur chaque manteau de cheminée trônait l’un de ces crânes blanchis. Les orbites étaient énormes. Ce sourire idiot et étiré sur lequel on laissait courir son pouce. Une fine pellicule de poussière s’amoncelait sur les os jaunissants. Pour finir, ces trophées furent rangés dans des malles et des tiroirs, où ils rejoignirent la vieille vaisselle. (…) Mais la terre tourne et les anciens usages sont réexaminés. Les compagnies d’assurances affirment que l’augmentation de la population des cervidés entraîne celle du nombre d’accidents. Les algorithmes plaident en leur faveur. Il faut tuer davantage de cervidés. Il faut laisser vivre tous les prédateurs. “

En 2018, je découvrais la plume de Matthew Neill Null à travers son premier roman Le miel du lion (ma chronique ici) qui nous plongeait au cœur d’une forêt des Appalaches, auprès de bûcherons qui avaient créé un syndicat clandestin. Un récit dénonçant l’impact désastreux de la déforestation intensive sur l’environnement.

Ce fut l’occasion de savourer sa plume lyrique et puissante, celle d’un véritable conteur plein de talent.

Avec un plaisir non dissimulé, j’ai retrouvé son écriture à travers ses neuf nouvelles ancrées dans la région des Appalaches, où la faune et la flore omniprésentes, sont confrontées à la présence dévastatrice de l’homme.

” La biche se déplaça avec une légère torsion de la jambe antérieure qui lui donnait un pas pivotant. Sull se contracta. Il la connaissait ! Avant que son fils Eric ne soit incarcéré au pénitencier, Sull l’avait aidé à la traquer sur le site de la carrière abandonnée, où elle s’était couchée avec l’un de ses faons. Cette même danse lui avait alors sauvé la vie. Eric était jeune, impatient. Il avait tiré quatre coups précipités tandis qu’elle s’enfuyait. Chacun avait très largement raté sa cible. C’était contraire à tous les préceptes que Sull lui avait enseignés. Ses trois fils avaient fini par apprendre ce psaume avec le temps : Une cartouche, une touche. Le reste, c’est du gaspillage. “

Tel un photographe, il capture et nous dépeint avec style toute la beauté de la nature sauvage dans ces contrées reculées de l’Amérique.

Parfois violente, brutale mais d’un réalisme surprenant, ces nouvelles résonnent comme un écho lointain qui se répercute à l’infini.

Sa plume d’une grande sensibilité nous entraîne dans une valse destructrice du monde à l’équilibre déjà précaire.

Matthew Neill Null incontestablement amoureux de la nature réussi à nous éblouir par sa plume tout en nous inquiétant par les messages qu’il nous transmet.

C’est puissant, beau, poétique mais terriblement effrayant, car son monde, c’est aussi le nôtre.

Pour info :

Matthew Neill Null est un écrivain américain originaire de Virginie-Occidentale.

Il a étudié le Creative Writing à l’Iowa Writers’ Workshop et ses nouvelles ont été publiées dans plusieurs anthologies, dont la Pen/O. Henry Prize Stories. 

Le miel du lion, son premier roman, l’a imposé comme une nouvelle voix des plus prometteuses dans le paysage littéraire américain.

Son recueil de nouvelles, Allegheny Front, est son deuxième livre, traduit en français et publié chez Albin Michel.

Je remercie les Éditions Albin Michel pour avoir réuni et publié ce magnifique recueil de nouvelles.

Maître des eaux

Maître des eaux de Patrick Coudreau aux Éditions de La manufacture de livres

Ce qu’ils avaient fait, c’était pas pardonnable, c’était même pas possible de l’envisager une seconde, fallait vraiment être un Grewicz pour ça. Une sale race, une engeance maudite, ni plus ni moins. Il y avait combien de temps de ça, au juste? Quinze ans, peut-être plus, vingt. Oui, c’est ça, les mémoires se sont remises en marche, vingt ans et une poignée de mois ; on est en avril, le mois idéal pour reprendre les choses en mains, sceller les sorts. “

Mathias Grewicz est de retour au village où il a perdu tous les siens dans un incendie criminelle. Il avait onze ans à l’époque et n’a rien pu faire, mais aujourd’hui il est bien décidé à régler ses comptes avec les assassins de sa famille.

Ses parents possédaient un don particulier ce qui ne plaisait guère aux villageois qui les accusaient d’être responsable de la moindre catastrophe. Ils devenaient gênant et leur réussite dans le domaine de l’élevage commençait sérieusement à déranger les autres éleveurs.

Ce don, il le possède aussi, et il n’hésitera pas à s’en servir. La traque à commencé, mais Matthias peut compter sur mère nature pour le protéger et puis il y a aussi cette gamine dont il a fait connaissance et qui est plutôt encline à l’aider.

” C’est une crevasse qui a la forme de la cicatrice de Mathias, dans le flanc de la falaise qui domine et boucle le paysage, et d’où l’on a vue sur Lalonde, son clocher doté de campanile couvert de pigeons et de faucons crécerelles. (…) La lumière y prend ses aises dès tôt le matin et jusqu’à cinq, six heures l’après-midi. Ensuite, elle décroît peu à peu, dessinant des reflets bleutés puis violets sur la pierre aux arêtes vives, encombrées de végétation, moussue par endroit. C’est dans cette caverne que Mathias a décidé de s’établir, à deux mètres du sol pierreux ; “

Il est grand temps d’en finir…

Ce que j’en dis :

Cette rentrée littéraire 2020 nous offre de belle découverte, et pour un premier roman celui-ci est vraiment réussi.

Dès le début de ma lecture, je me suis retrouvée dans une ambiance qui m’a fait penser à  » La maison assassinée  » le film adapté du magnifique roman de Pierre Magnan.

Le monde rural, le retour d’un exilé, les habitants contrariés qui apparemment cachent de lourds secrets, et une bonne âme disposée à prêter main-forte dans une atmosphère sombre et inquiétante.

Mais la comparaison s’arrête là, laissons à César ce qui est à César.

Même si la plume de Patrick Coudreau est dans la lignée d’autres auteurs de cette maison d’éditions, l’auteur fait son entrée avec panache en nous offrant un roman noir surprenant, captivant, et magnifiquement écrit. Un déluge de bons mots et des passages de toutes beautés donnent à l’histoire une allure poétique comme seule la nature et certaine plume peuvent nous offrir.

La nature est depuis longtemps mise en péril par les mains de l’homme, mais il y a d’irréductibles protecteurs qui grâce à leur écriture aussi belle qu’un coucher de soleil l’ immortalise comme à travers ce récit.

Ici, il est question de vengeance suite au destin tragique d’une famille d’immigrés, installée dans cette campagne, qui souhaitaient juste vivre en paix, mais qui a subi la jalousie et son pouvoir destructeur. Une famille qui avait un don qui aurait pu tout détruire sur son passage mais qui savait s’en servir à bon escient. Mais hélas tous ne l’entendaient pas de cette oreille…

Même si j’aurais préféré au final sentir une odeur de pluie plutôt qu’une odeur de poudre (impossible d’être plus explicite…) cette lecture pleine de suspense, de poésie et de magie a été un pur ravissement.

J’attends le prochain avec impatience.

Pour info :

Né à Bourges, Patrick Coudreau devient journaliste, se spécialisant dans les questions d’écologie et de société, travaillant d’abord pour la presse écrite puis pour diverses institutions.

Il commence à écrire quand il a 14 ans et publie trois recueils de poésie qui lui vaudront de recevoir deux prix littéraires. Il s’intéresse par la suite à la prose, ne cessant jamais de travailler et d’aller d’un projet à l’autre. Au total, près de vingt-cinq manuscrits s’accumuleront dans les tiroirs de son bureau sans être publiés.

C’est en 2017 qu’il achève le projet de Maître des eaux et décide de l’envoyer à trois éditeurs.

Passionné d’ornithologie, Patrick Coudreau vit aujourd’hui dans les Yvelines.

Je remercie l’équipe Trames et les Éditions de la manufacture de livres pour cette lecture qui a eut le don de m’envoûter.

Le sourire du scorpion

Le sourire du scorpion de Patrice Gain aux Éditions Le mot et le reste

” La rivière qui coulait entre les parois vertigineuses du canyon étincelait d’une myriade d’éclats qui venait se ficher droit dans la rétine. Des parois d’une centaine de mètres, peut-être bien le double. Quelques pins audacieux jouaient les funambules sur le fil des crêtes. D’autres, plus intrépides encore, tentaient l’aventure d’une vie suspendue dans le vide, agrippés par une racine chevillée dans une fissure ou une encoignure propice. Les rives étaient recouvertes d’une abondante végétation et de bois mort. “

C’est aux abords du canyon de la Tara au Monténégro que s’est installée pour un temps la famille de Tom et Luna, sa jumelle. Ils vivent en véritable nomade, libres de toute attache.

Goran, un serbe qui leur sert de guide leur propose une descente de la Tara en raft. Malgré quelques réticences de la part de sa mère, la descente est programmée.

Accompagné de Goran, ils se lancent dans l’aventure mais très vite une tension palpable s’installe et un drame se produit…

” Les flots démontés ont ensuite frappé le pied de la falaise en faisant un bruit de tremblement de terre. Un séisme qui nous dévastait déjà. Il y avait la nuit et le tumulte de la rivière. La lune aussi. Une lune blanche qui montrait ses rondeurs dans les échancrures d’un ciel en rémission. Il éclairait alors les gorges d’une sinistre lumière falote. “

Jour après jour, ils vont devoir apprendre à gérer leur deuil, et tenter d’empêcher l’explosion du reste de la famille.

” Août tirait à sa fin et je me demandais comment on était arrivés là et ce qu’il fallait attendre des jours à venir. “

Tom, ne se résout pas à croire à un accident. Du haut de ses quinze ans, malgré la grande solitude qui l’accompagne il mène son enquête en étant loin d’imaginer le fin mot de l’Histoire.

Ce que j’en dis :

Tombée amoureuse d’une plume, la suivre, roman après roman et s’émerveiller à chaque fois, c’est un pur bonheur.

Patrice Gain fait partie de ces auteurs incontournables pour l’amoureuse de roman noir que je suis. Une fois de plus il nous offre un récit où ses personnages malmenés par leur destin s’acharnent malgré tout à s’en sortir quoi qu’il leur en coûte.

À travers cette histoire il explore la solitude d’un adolescent liée à la violence du deuil, au cœur d’une nature sauvage, si belle, confronté de plein fouet à la brutalité du monde adulte.

Aussi sombre soit elle, cette histoire s’illumine d’une plume singulière, où la nature est mise en valeur et honorée dans l’éclat sublime de certains passages.

On relit avec plaisir cette écriture poétique sans jamais se lasser bien au contraire.

Alors que vous soyez déjà des lecteurs fidèles de Franck Bouysse ou de Ron Rash, il ne tient qu’à vous de succomber à votre tour au dernier roman de Patrice Gain qui conjugue lui aussi de manière brillante le roman noir nature writing et la poésie.

Pour ma part, il m’a donné une folle envie de me plonger dans Délivrance de James Dickey, à dépoussiérer d’urgence.

Que l’on soit auteur ou lecteur, nous sommes tous des passeurs de livres.

Le sourire du scorpion est juste magnifique et c’est à découvrir absolument.

Mon premier coup de cœur de l’année 2020.

Pour info :

Patrice Gain est né à Nantes en 1961 et habite un chalet dans la vallée du Giffre, en Haute-Savoie.

Professionnel de la montagne, ingénieur en environnement, les territoires d’altitudes et les grands espaces l’attirent depuis toujours.

Le sourire du scorpion est quatrième roman.

Je remercie les Éditions Le mot et le reste et Aurélie de l’agence Un livre à soi, pour ce menu livresque d’exception

Retrouvez mes chroniques de ces deux précédents romans ci-dessous :

 » Denali « 

“ Terres Fauves ”

“ La montagne vivante ”

La montagne vivante de Nan Shepherd aux Éditions Christian Bourgeois

Traduit de l’anglais par Marc Cholodenko

 » Me voici donc allongée sur le plateau, sous le cœur central de feu depuis lequel a été lancée cette masse grommelante et grinçante de roc plutonique, au-dessus de moi l’air bleu, et entre le feu du rocher et le feu du soleil, les éboulis, le sol et l’eau, la mousse, l’herbe, la fleur et l’arbre, les insectes, les oiseaux et les bêtes, le vent, la pluie et la neige – là montagne au complet. Lentement j’ai trouvé mon chemin à l’intérieur. “

Toute sa vie durant, Nan Shepherd (1893/1981) a arpenté les montagnes écossaises de Cairngorm, un endroit aux hivers rudes et aux conditions de vies assez précaires.

” Certains portent à ces lieux sauvages un amour fervent et ne demandent rien de mieux que d’y passer leur vie. Ceux-là héritent du savoir de leurs pères et parfois l’enrichissent. Les autres, rétifs à ces conditions primitives, pour qui il n’y a que sentimentalisme à les célébrer, s’en vont. “

À travers La montagne vivante l’auteure nous entraîne au cœur de ses pérégrinations, elle nous invite à découvrir la faune et la flore, la montagne enneigée, les rivières, partage avec nous ses méditations, et nous présente ses camarades d’un jour ou d’une vie croisés ici et là sur les chemins montagneux lors de ses explorations.

” (…) souvent la montagne se donne le plus complètement quand je n’ai pas de destination, quand je ne cherche pas un endroit particulier, quand je suis sortie rien que pour être avec la montagne comme on rend visite à un ami sans autre intention que d’être avec lui. “

Ce récit, écrit dans les années 1940, durant les dernières années de la Seconde Guerre mondiale, est resté dans un tiroir pendant trente ans avant d’être publié en Grande-Bretagne, il est aujourd’hui enfin traduit et publié en France.

San Shepherd a mené toute sa vie une quête, elle est allée à la recherche de la « nature essentielle » des Cairngorms. Cette quête l’a conduite vers l’écriture de ce récit de méditation sur la magnificence des montagnes et sur l’imaginaire du monde sauvage qui nous entoure.

Ce que j’en dis :

En publiant pour la première fois en Français  » La montagne vivante « , les Éditions Christian Bourgeois nous offre l’occasion de faire connaissance avec Nan Shepherd, véritable pionnière du Nature writing, un univers jusqu’à présent plutôt masculin, comme l’ont prouvé les textes, à l’époque, de Bruce Chatwin (En Pantagonie), John McPhee (En Alaska), Peter Matthiessen (Léopard des neiges), mais aussi J.A. Baker (Le Pélerin).

Nan Shepherd connaît bien sa montagne, et en est même amoureuse, de ce fait elle entre en communion parfaite avec elle et nous livre une véritable déclaration d’amour, un bel hommage à cette montagne qui lui a tant donné.

Son regard féminin, posé sur cette faune et cette flore mais également sur les paysages qui changent selon le temps et les saisons, l’entraîne vers de profondes méditations et nous offre un spectacle touchant et un bien-être extraordinaire.

Ce livre apaise telle une balade, il aspire au dépaysement, il nous fait voyager au cœur d’un endroit sauvage en compagnie d’une femme tantôt exploratrice et tantôt poétesse.

Elle nous ensorcelle, nous captive, et nous fait aimer cette montagne, si belle et pourtant si rude.

Tel un peintre qui nous laisserait une toile en souvenir, Nan Shepherd nous laisse un récit magnifique et inoubliable sur la nature et les paysages de Grande Bretagne.

Elle rejoint les écrivains qui grâce à leurs romans préservent à leurs manières toutes les richesses de notre planète, et nous offrent des voyages exceptionnels.

Amoureux de la nature, la montagne vivante vous attend pour une balade inoubliable.

Pour info :

Nan (Anna) Shepherd (1893/1981) était une auteure et poète moderniste écossaise.

Le paysage et la météo écossais ont joué un rôle majeur dans ses romans et sont au centre de sa poésie. Shepherd a enseigné l’anglais au Aberdeen College of Education pendant la majeure partie de sa vie professionnelle.

Elle est aujourd’hui représentée sur les billets de 5 £ d’Écosse.

Je remercie les Éditions Christian Bourgeois pour cette balade écossaise de toute beauté.

“ La vie en chantier ”

La vie en chantier de Pete Fromm aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par Juliane Nivelt

” Taz ferme les yeux et reste rivé à sa chaise, comme si on l’y avait attaché avec des cordes. Des chaînes.

Il contemple ses mains. Rien que le faux cigare. Il a dû laisser le sac dans le pick-up. Les biberons. Les trois boîtes de lait premier âge fournies par l’hôpital, chose que Marnie avait juré qu’ils n’utiliseraient jamais. Il s’en souvient très bien. Pas de lait artificiel. Hors de question. Pas même pour rigoler. Et ce n’est pas une question d’argent, avait-elle précisé. Elle tirerait son lait pour que Taz puisse nourrir Midge et voir ce que ça faisait, puisque ses seins à lui étaient aussi inutiles que le sont les hommes en général. Revoyant son sourire à ce moment précis, Taz oublie de respirer. Comment respirer. “

Marnie et Taz sont amoureux, très amoureux. Ensemble, à Missoula, dans le Montana, il rénove une maison, leur nid d’amour. Rien n’est encore terminé, leurs moyens sont plutôt modestes, et voilà qu’ils apprennent qu’ils vont être parents. Un grand bouleversement se prépare, mais unis comme jamais ils sont prêts à relever ce nouveau challenge.

Mais hélas c’est sans Marnie que Taz rentrera de la maternité avec sa fille.

” Lorsque plus aucun son ne s’échappe du berceau ou de la chambre au bout du couloir, il pose ses coudes sur ses genoux et prends sa tête entre ses mains, trop perdu pour oser fermer les yeux, effrayé par ce qui l’attend dans l’obscurité, dans ses propres pensées. “

” Ici sur terre, sans elle. “

Anéanti par la perte de son amour, il n’en demeure pas moins un père exemplaire, partagé entre le doute, et les joies de la paternité. Au programme, insomnie, nouvelles responsabilités, nouveaux souvenirs, nouveaux bonheurs, la vie en chantier prends une nouvelle tournure et réserve malgré tout de belles surprises.

” Il lève les yeux et se met à contempler le ciel comme si c’était une manne providentielle. La pluie ne dure pas plus d’une minute ou deux, mais dans les montagnes, c’est de la neige qu’il doit tomber. Les feux vont peut-être finir par s’éteindre, et le monde paraîtra un peu moins apocalyptique, alors même que la fumée et le brouillard semblaient faire partie de leur quotidien. “

Ce que j’en dis :

C’est le cœur serré que je me suis aventurée entre ses pages, sachant pertinemment que dès le début des émotions intenses allaient m’envahir.

J’étais prête à faire un bout de chemin avec Marnie et Taz, ce jeune couple d’amoureux et vivre avec eux les plus beaux moments de leur vie. Alors quand tout s’est effondré, j’ai bien cru au désastre mais c’était sans compter sur le pouvoir de la plume de Pete Fromm capable de nous transporter au cœur des grands espaces et dans la vie intime de ses personnages en nous faisant rêver sans jamais perdre de vue l’espoir.

En créant de l’empathie envers ses personnages, Pete Fromm nous lie à jamais à eux.

Il nous offre cette fois un formidable portrait d’un jeune père confronté à une perte inestimable et qui pourtant ne rejettera jamais son enfant affrontant également, les difficultés face à la pénurie de travail dans cette région du Montana. Il pourra compter sur l’amitié indéfectible de son meilleur ami et sur tous les élans de générosité qui l’aideront à faire face à toute cette tragédie.

Un beau roman, une belle histoire sans pathos mais avec une pointe d’humour qui évite la sinistrose.

Un roman intimiste magnifique, une histoire d’amour, d’amitié, où l’éclaircie tant espérée surgira après la tempête.

Un gros coup de cœur.

Pour info :

Pete Fromm est né le 29 septembre 1958 à Milwaukee dans le Wisconsin.

Peu intéressé par les études, c’est par hasard qu’il s’inscrit à l’université du Montana pour suivre un cursus de biologie animale. Il vient d’avoir vingt ans lorsque, fasciné par les récits des vies de trappeurs, il accepte un emploi consistant à passer l’hiver au cœur des montagnes de l’Idaho, à Indian Creek, pour surveiller la réimplantation d’œufs de saumons dans la rivière. Cette saison passée en solitaire au cœur de la nature sauvage bouleversera sa vie.

À son retour à l’université, il supporte mal sa vie d’étudiant et part barouder notamment en Australie. Poussé par ses parents à terminer ses études, il s’inscrit au cours de creative writing de Bill Kittredge, ce cours du soir étant le seul compatible avec l’emploi du temps qui lui permettrait d’achever son cursus au plus tôt. C’est dans ce cadre qu’il rédige sa première nouvelle et découvre sa vocation.

Son diplôme obtenu, il devient ranger et débute chaque jour par plusieurs heures d’écriture avant de décider de s’adonner à cette activité à plein temps. 

Pete Fromm a publié plusieurs romans et recueils de nouvelles qui ont remporté de nombreux prix et ont été vivement salués par la critique. 

Indian Creek, récit autobiographique, a été son premier livre traduit en français. Il vit dans le Montana.

Je remercie les éditions Gallmeister pour ce roman fabuleux ❤️

“ Canyons ”

Canyons de Samuel Western aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par Juliane Nivelt

 » Il avait les idées merveilleusement claires, mais aucune trace du goût saumâtre qui l’envahissait chaque fois qu’il pensait à Ward. Soudain des événements anciens lui revinrent en mémoire : porter le cercueil de Gwen par une matinée d’octobre exceptionnellement froide et pluvieuse à Valentine ; traverser une forêt de stèles en marbre blanc d’un pas lourd, les chaussures trempées ; le bruit du train qui était passé pendant la cérémonie, noyant les paroles du pasteur de ses cliquetis et grondements ; le sang sur l’imperméable de son père qui , voulant regagner la voiture, s’était cogné le menton contre la portière, si violemment qu’il lui avait fallu des points de suture.

Une rage brûlante l’envahit, imprégnant ses muscles d’un feu glacé. “

Dans les années 70, en Idaho, Ward, Gwen sa petite amie, et Éric le frère jumeau de Gwen partagent une partie de chasse au cours d’une magnifique journée.

La vie semble sourire à ces trois jeunes adultes plutôt insouciants. Mais c’est sans compter sur le destin tragique que leur réserve cette journée.

Ward tue accidentellement Gwen en rangeant son fusil, anéantissant au passage leur avenir.

Vingt-cinq années passent, Ward et Éric ont survécu et construit leur vie du mieux qu’ils pouvaient, hantés par le douloureux souvenir. Eric est quasiment fauché malgré son immense talent de musicien, il n’a pas réussi à surmonter la perte de Gwen et Ward semble s’enfoncer chaque jour un peu plus dans une insurmontable dépression, pourtant bien entouré de sa femme et de ses enfants.

” Son cerveau était en proie à une douleur indescriptible, un genre de désespoir, une sensation qui l’avait saisi dès l’instant où il avait entendu rugir le fusil un quart de siècle plus tôt. “

C’est à l’occasion de retrouvailles improbables qu’Eric invite Ward dans son ranch pour une ultime partie de chasse. Peut-être, est enfin venu le moment de régler ses comptes ou de pardonner ?

Ce que j’en dis :

Dès le départ ça claque, à peine le temps de s’attacher aux personnages qu’un drame surgit, et c’est quelques années plus tard que l’on retrouve ceux qui restent.

Fracassés, chacun a tenté de survivre en dansant bien trop souvent au bord de l’abîme.

Malgré tout, une nouvelle partie de chasse est programmée et une certaine tension s’installe et laisse présager une rencontre sanglante sous le signe de la vengeance.

Et pourtant l’aventure prends des allures de rédemption et les deux hommes se retrouvent rattrapés par le destin et contre toute attente, apprivoisent la notion du pardon.

Un bon blues au cœur des rocheuses, sauvage, brutal, inquiétant, mais qui s’illuminera parfois, comme avec quelques notes d’espoir, tel un arc en ciel après l’orage.

Un roman aux beautés multiples, à savourer, accompagné d’un bon whisky, en se laissant porter par la plume touchante de l’auteur qui nous transporte dans ces vies tourmentées et ces paysages grandioses.

Pour info :

Samuel Western est né dans le Vermont et a servi dans la marine marchande suédoise, puis a travaillé comme bûcheron, pêcheur professionnel, docker et guide de chasse. Diplômé de l’Université de Virginie, il a enseigné l’anglais avant de s’installer à Sheridan, dans le Wyoming.

Canyons est son premier roman.

Je remercie les Éditions Gallmeister et les félicite pour réussir à toujours m’éblouir en me faisant découvrir de nouveau auteur de l’Ouest américain aussi talentueux.

“ Les morts de Bear Creek ”

Les morts de Bear Creek de Keith McCafferty aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par Janique-Jouin-de Laurens

” La femelle grizzly n’était pas difficile. Elle avait tenté de déterrer le corps humain plus tôt au cours du printemps, quand la surface de la terre à 2750 mètres d’altitude était aussi dure que l’ardoise d’une table de billard. Ses deux petits n’étaient à l’époque pas plus gros que des ballons de basket poilus. Désormais de la taille de border collies, débordant de la même énergie inépuisable, ils regardaient, le museau frémissant, leur mère extraire le corps décomposé de la terre. Même s’il fallait être généreux pour appeler ça de la chair, une seule bouchée putride valait une douzaine de campagnols montagnards et elle avait le grand avantage de rester immobile. Elle déchira goulûment les lambeaux de vêtements, mettant à nu la peau parcheminée et répugnante… “

Quand Katie Sparrow accompagnée de Lothar, son chien étaient partis à la recherche de Gordon Godfrey porté disparu, elle ne pensait pas tomber sur une tombe en pleine forêt. Cette macabre découverte, révélée grâce un grizzly affamé, va conduire les enquêteurs sur une histoire plutôt surprenante.

Le Shérif Martha Ettinger va demander de l’aide à Sean Stranahan un détective privé de la région. Déjà embauché par un club de pêcheurs excentriques pour retrouver de précieuses mouches de pêche disparues, Sean va vite s’apercevoir qu’il y a un lien entre les deux affaires, impliquant des personnes puissantes de la région.

” Il ne restait qu’à déchiffrer la piste. “

Ce que j’en dis :

Retrouver le Montana et les décors sublimes de l’Ouest américain pour une nouvelle aventure, en compagnie du shérif Martha Ettinger et du détective Sean Stranahan, découverts dans le premier volet : Meurtres sur la Madison (ma chronique ici), c’est comme retrouver une bande de potes pour des vacances pleines de belles surprises.

De nouvelles aventures palpitantes au rendez-vous qui ne manqueront ni d’humour, ni de suspens au cœur d’une nature luxuriante où la faune peut se révéler parfois dangereuse, il est donc fortement conseillé de ne pas oublier son spray au poivre.

Et pour profiter à fond des joies de la pêche toujours se munir d’une bonne canne et de quelques mouches, mais attention aux chasseurs et aux balles perdues.

Keith McCafferty nous fait cadeau d’un dépaysement extraordinaire grandeur nature à travers une histoire captivante et nous en mets plein les yeux avec le charme de cette région et des personnages fascinants.

On referme ce livre avec regret mais impatient de retrouver cet endroit et ses habitants pour une nouvelle aventure tout aussi divertissante.

Une fois encore l’auteur a fait mouche et m’a prise dans ses filets sans jamais me perdre en route, le livre dans une main et l’autre bien accrochée à un spray anti- grizzly, on ne sait jamais l’humour féroce peut parfois prendre une autre apparence…

Surtout n’hésitez pas à vous aventurer entre ses pages, merveilleusement distrayantes.

Pour info :

Keith McCafferty a grandi dans la region d’Amérique pauvre et peu peuplée des Appalaches, un pays de sombres vallons et de ténébreuses superstitions, avec la forêt qui poussait derrière sa maison. Sa première source de fascination fut les serpents, avec ou sans crochets, mais ce fut le projet de pêcher la truite qui l’emmena dans le Montana, dans les Rocheuses, où il devint le rédacteur du magazine de vie au grand air Field & Stream. L’une de ses missions consistait à passer deux nuits d’hiver en montagne, par très basse temperature, sans feu. Il survécut à la première en creusant le sol tel un ours, à la seconde en s’enveloppant dans une bâche. Répondant à un besoin naturel, il pissa malencontreusement sur la bâche et, allongé là, transi et miserable, se dit qu’il devait exister de meilleures façons de gagner sa vie, et que le moment était venu d’écrire ce roman qu’il avait toujours voulu écrire. C’était il y a sept hivers, et sept romans, dont la plupart se situent le long de la fameuse Madison River. Le Montana pouvant s’avérer un peu désert, il écrit souvent avec sur les genoux un chat nommé Rhett, ou au café, ou même dans un vieux truck garé près de la rivière, canne à pêche à portée de main. Les jours particulièrement froids, il suivrait bien les pas d’Ernest Hemingway (Keith pêchait souvent avec son fils Jack) pour écrire dans ces super cafés de Paris, remplaçant le chat par une de ces couvertures chaudes qu’on vous propose dans des endroits comme la Terrasse des Archives.

Je remercie les éditions Gallmeister pour cette aventure aussi dépaysante que palpitante.

“ Nuits Appalaches ”

Nuits Appalaches de Chris Offutt aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par Anatole Pons

” Tucker, encore dans l’Ohio, contempla les terres vertes et ondoyantes du Kentucky de l’autre côté du fleuve. Il était parti au début de l’été et revenait au printemps, un hiver de guerre entre les deux. (…) Sa solde de quatre cent quarante dollars était répartie en liasses compactes sur tout son corps dans chacune de ses poches. Les onze médailles qu’il avait reçues étaient au fond de son sac à dos. “

Tucker a tout juste dix-huit ans quand il rentre de la guerre de Corée, dans son Kentucky natal. À pied et en stop, il traverse les collines des Appalaches, qui ont un pouvoir apaisant sur ses souvenirs de guerre d’une grande violence.

Sur le chemin il rencontre Rhonda, une jeune fille de quinze ans, et c’est un véritable coup de foudre.

” Le corps tremblant de Rhonda et les battements de son cœur contre sa poitrine produisaient chez lui une série de sensations inconnues. Il avait subitement faim d’une sorte de nourriture dont il ignorait jusqu’alors l’existence. Il la tenait contre lui sans bouger. Ses bras et ses jambes picotaient comme si on y avait imprimé une légère décharge électrique. Il ne s’était jamais senti aussi calme. Il eut soudain envie que l’orage dure, qu’il gagne en intensité et qu’il prolonge cette nouvelle sensation en lui… “

Immédiatement amoureux, ils se marient, pour ne plus jamais se quitter.

C’est auprès d’un trafiquant d’alcool de la région que Tucker trouve un boulot qui lui permet de faire vivre sa famille. Malgré une grande précarité et une véritable malchance, leur foyer et leurs cinq enfants semblent heureux. Jusqu’au jour où les services sociaux interviennent et menace de séparer la famille si unie.

Tucker ne supportera pas la détresse de sa femme, et sera prêt à tout pour défendre les siens, mettant sa liberté en danger.

Ce que j’en dis :

Il aura fallu attendre 20 ans pour profiter du retour de la magnifique plume de Chris Offutt, qui écrivait pour les studios d’Hollywood et pour divers journaux.

À travers ce roman noir, se cache une merveilleuse histoire d’amour indestructible malgré toute la malchance qu’elle subit.

Dans un endroit très reculé où le paysage domine et le peuple s’autogére, ce jeune vétéran de guerre ne laissera jamais tomber sa femme et ses enfants.

Chris Offutt frappe fort avec ce roman déchirant, une histoire où la rédemption passe hélas par la vengeance mais où l’amour l’emporte sur la haine.

Un roman empli d’humanité porté par une plume lyrique maîtrisée au souffle envoûtant.

L’auteur nous offre pour son retour un récit puissant, noir, mordant qui nous brise le cœur.

Je ne suis pas prête d’oublier Tucker et toute sa famille.

Chris Offutt fait partie des auteurs qui mettent en lumière les oubliés de l’Amérique.

À découvrir également les magnifiques nouvelles publiées chez Gallmeister : Kentucky straight (retrouvez ma chronique ici) et son roman : Le Bon Frère.

Pour info :

Chris Offutt est né en 1958 et a grandi dans le Kentucky dans une ancienne communauté minière sur les contreforts des Appalaches. Issu d’une famille ouvrière, diplôme en poche, il entreprend un voyage en stop à travers les États-Unis et exerce différents métiers pour vivre. Il publie, en 1992, un premier recueil de nouvelles, Kentucky Straight, puis un roman autobiographique. Le Bon Frère est son premier roman. Il est également l’auteur de chroniques pour le New York Times, Esquire et quelques autres revues et a été scénariste de plusieurs séries télévisées américaines parmi lesquelles True Blood et Weeds.

Je remercie les Éditions Gallmeister pour ce roman noir extraordinaire.