Allegheny River

Allegheny River de Matthew Neil Null aux Éditions Albin Michel collection Terres d’Amérique

Traduit de l’américain par Bruno Boudard

” Après quelques années de vaches maigres, c’en fut fini des ours dans le comté de Tuscarora. Sans cesse harcelés par les chiens, ils semblaient se jeter littéralement en pâture aux canons des fusils. Sur chaque manteau de cheminée trônait l’un de ces crânes blanchis. Les orbites étaient énormes. Ce sourire idiot et étiré sur lequel on laissait courir son pouce. Une fine pellicule de poussière s’amoncelait sur les os jaunissants. Pour finir, ces trophées furent rangés dans des malles et des tiroirs, où ils rejoignirent la vieille vaisselle. (…) Mais la terre tourne et les anciens usages sont réexaminés. Les compagnies d’assurances affirment que l’augmentation de la population des cervidés entraîne celle du nombre d’accidents. Les algorithmes plaident en leur faveur. Il faut tuer davantage de cervidés. Il faut laisser vivre tous les prédateurs. “

En 2018, je découvrais la plume de Matthew Neill Null à travers son premier roman Le miel du lion (ma chronique ici) qui nous plongeait au cœur d’une forêt des Appalaches, auprès de bûcherons qui avaient créé un syndicat clandestin. Un récit dénonçant l’impact désastreux de la déforestation intensive sur l’environnement.

Ce fut l’occasion de savourer sa plume lyrique et puissante, celle d’un véritable conteur plein de talent.

Avec un plaisir non dissimulé, j’ai retrouvé son écriture à travers ses neuf nouvelles ancrées dans la région des Appalaches, où la faune et la flore omniprésentes, sont confrontées à la présence dévastatrice de l’homme.

” La biche se déplaça avec une légère torsion de la jambe antérieure qui lui donnait un pas pivotant. Sull se contracta. Il la connaissait ! Avant que son fils Eric ne soit incarcéré au pénitencier, Sull l’avait aidé à la traquer sur le site de la carrière abandonnée, où elle s’était couchée avec l’un de ses faons. Cette même danse lui avait alors sauvé la vie. Eric était jeune, impatient. Il avait tiré quatre coups précipités tandis qu’elle s’enfuyait. Chacun avait très largement raté sa cible. C’était contraire à tous les préceptes que Sull lui avait enseignés. Ses trois fils avaient fini par apprendre ce psaume avec le temps : Une cartouche, une touche. Le reste, c’est du gaspillage. “

Tel un photographe, il capture et nous dépeint avec style toute la beauté de la nature sauvage dans ces contrées reculées de l’Amérique.

Parfois violente, brutale mais d’un réalisme surprenant, ces nouvelles résonnent comme un écho lointain qui se répercute à l’infini.

Sa plume d’une grande sensibilité nous entraîne dans une valse destructrice du monde à l’équilibre déjà précaire.

Matthew Neill Null incontestablement amoureux de la nature réussi à nous éblouir par sa plume tout en nous inquiétant par les messages qu’il nous transmet.

C’est puissant, beau, poétique mais terriblement effrayant, car son monde, c’est aussi le nôtre.

Pour info :

Matthew Neill Null est un écrivain américain originaire de Virginie-Occidentale.

Il a étudié le Creative Writing à l’Iowa Writers’ Workshop et ses nouvelles ont été publiées dans plusieurs anthologies, dont la Pen/O. Henry Prize Stories. 

Le miel du lion, son premier roman, l’a imposé comme une nouvelle voix des plus prometteuses dans le paysage littéraire américain.

Son recueil de nouvelles, Allegheny Front, est son deuxième livre, traduit en français et publié chez Albin Michel.

Je remercie les Éditions Albin Michel pour avoir réuni et publié ce magnifique recueil de nouvelles.

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