Justice Indienne

Justice indienne de David Heska Wandbli Weiden aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par Sophie Aslanides

Pourquoi ne partais-je pas ? les gens ici parlaient toujours de s’en aller à Rapid City ou Sioux Falls ou Denver, de trouver un boulot de faire une coupure. De mettre de côté le mode de vie amérindien et de s’assimiler, de s’adapter à la vie de l’Américain moyen. Mais je repensai au son des tambours dans les pow-wows, à l’odeur de la sauge, aux splendides costumes que les petits Indiens portaient pour leur première cérémonie, l’éclair du soleil montant au-dessus des collines. Je me démasque je pourrais un jour vraiment quitter la réserve, car elle se trouvait dans mon esprit, une réserve virtuelle, dans laquelle j’étais indéfectiblement coin. Puis je m’enfonçais dans un demi-sommeil, plongeai dans des rêves saccadés et des pensées fugaces, avec des images d’enfants indiens qui dansaient dans ma tête. ”

Virgil Wounded Horse vit sur la réserve indienne de Rosebud dans le Dakota du Sud. Il a déjà pensé à quitter cet endroit mais il doit veiller sur son neveu mais également mettre ses gros bras aux services des plus défavorisés car bien souvent même la police tribale censée enquêter sur les crimes commis dans les réserves n’est pas à la hauteur et les crimes restent impunis.

S’étant autoproclamé justicier, il loue ses services pour quelques dollars.

Alors, lorsque son neveu se retrouve impliqué dans ce qui semble être un trafic de drogue au cœur de la communauté, Virgile en fait une affaire personnelle. On touche pas aux siens, ni à sa réserve.

“ En vérité, j’avais peur de foirer avec Nathan. Même si j’avais bataillé avec l’alcool, je ne savais que dalle sur le traitement des addictions. Ma seule compétence, c’était tabasser des salauds. ”

C’est avec son ex-petite amie qu’il part à la chasse de ces trafiquants sans scrupules. En remontant la piste de ce trafic dévastateur, il sera contraint d’accepter l’aide de ses ancêtres pour réussir à mettre fin une fois encore aux massacres des blancs.

“ Je ne me prenais pas trop la tête – après tout, si les flics refusaient de faire quoi que ce soit, qu’y avait-il de mal à ce qu’un justicier autoproclamé agisse ?

Ce que j’en dis :

Ceux qui me connaissent bien ne seront pas surpris de mon engouement pour ce roman. Étant passionnée par tout ce qui touche aux peuples indiens et fidèle aux Éditions Gallmeister, je ne pouvais absolument pas passer à côté de cette nouvelle parution.

Et les bonnes surprises s’enchaînent pour ce premier roman traduit par la grande Sophie Aslanides que j’ai eu le plaisir de rencontrer à Oron, quand on pouvait encore se rendre en Suisse et assister à de merveilleux festivals de littérature américaine.

En attendant, une virée dans le Dakota, ça ne se refuse pas, surtout en compagnie d’un indien qui serait prêt à ressortir arcs, flèches et Tomahawks pour partir sur le sentier de la guerre s’il le fallait pour scalper cette bande de blancs porteurs de poisons.

Ses méthodes ont évolué par rapport à ses ancêtres, mais sa soif de vengeance reste intacte, et même s’il a parfois du mal avec les traditions ancestrales, la sagesse l’emporte du moment qu’elles lui permettent d’arriver à ses fins.

D’ailleurs on comprend la violence qui l’habite, opprimé depuis si longtemps il est normal qu’il se révolte et agisse au mieux pour protéger ceux qui restent.

David Heska Wanbli Weiden réussit à nous plonger dans une aventure digne des plus chouettes westerns en mêlant traditions ancestrales, et enquête policière ou un justicier n’hésite pas à intervenir pour défendre les siens tout en nous offrant des anecdotes sur l’Histoire et les traditions indiennes.

Une véritable chevauchée fantastique, qui nous emporte dans un tourbillon de violence mais nous montre à quel point la situation des indiens est toujours révoltante, parqués dans des réserves ils sont toujours la proie d’américains sans scrupules, n’ayant d’autres choix que de se défendre eux-mêmes puisqu’ils sont oubliés par le système légal américain.

C’est brillant, sauvage, et mon âme guerrière, défenseuse des peuples opprimés a adoré, même si hélas cette fiction rejoint très certainement l’affreuse réalité de la vie dans ces réserves.

Un premier roman très réussi, vivement le prochain.

Pour info :

David Heska Wanbli Weiden est un membre de la Nation Lakota Sicangu.

Il est diplômé de l’Institute of American Indian Arts et a reçu un doctorat de l’Université du Texas à Austin.

Justice indienne est son premier roman.

Je remercie les éditions Gallmeister pour cette histoire qui n’est que justice.

Les dynamiteurs

Les dynamiteurs de Benjamin Whitmer aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par Jacques Mailhos

” Le trou était un tunnel qu’on avait creusé dans le sol de terre battue tout près du mur du fond. On l’avait construit exprès pour ça, pour quand les clochards essaieraient de nous voler l’Usine. Il passait sous le mur, de sorte qu’on pouvait le prendre pour déguerpir en cas de besoin. On n’avait pas l’intention d’abandonner l’Usine sans se battre, mais on n’était pas non plus prêts à mourir pour elle. Y’a pas dans ce monde un seule droit assez sûr pour qu’on puisse s’abstenir de prévoir un plan de fuite. “

En 1895, Denver est sous l’emprise du vice, gangrenée par la pauvreté et la violence sous toutes ses formes.

Cora et Sam deux jeunes orphelins, ont trouvé refuge dans l’Usine désaffectée. Ensemble ils s’occupent des enfants perdus, abandonnés à leurs tristes sorts.

Cette Usine est devenue par la force des choses, leur nouveau foyer.

Malheureusement, cet endroit est convoité par les clochards qui n’hésitent pas à organiser de violentes attaques pour s’approprier le refuge de tous ces orphelins.

C’est au cours d’une de ces tentatives d’invasions que surgit un colosse d’allure plutôt effrayante.

Cora décide pourtant de lui venir en aide malgré les fortes réticences de Sam.

” J’étais pas vraiment sûr qu’aller chercher de l’aide pour ce grand fils de pute sur le toit était une bonne idée. Si vous attrapez un homme fort dans un moment de faiblesse, vous lui tranchez sa putain de gorge. Chaque fois. Vous ne le soignez pas pour qu’il se retape. Vous pouvez être sûr que c’est en mangeant quelqu’un comme vous qu’il a acquis sa force. Mais on discutait pas avec Cora. En plus, essayer de la persuader de ne pas s’occuper des cabossés et des brisés était comme essayer de persuader le soleil de ne pas briller. “

Sam, le seul à savoir lire, se rapprochera pourtant de l’homme-monstre qui semble muet et ne communique qu’à travers des mots griffonnés sur des morceaux de papier.

Très vite, en compagnie du colosse, il va découvrir les bas-fonds de Denver. Projeté en un rien de temps dans ce monde d’adultes répugnants où la violence règne en maître. Il sera à la fois fasciné et effrayé, contraint de s’éloigner de celle qu’il aime…

” Il y a des débuts et il y’a des fins. Mais si vous vivez assez longtemps, vous savez qu’il n’y a pas du tout de vrai début, que tout est seulement le début d’une fin. “

Ce que j’en dis:

Benjamin Whitmer a t’il un secret ?

A-t’il le pouvoir de voyager dans le temps ?

Une chose est sûre, à travers cette épopée noire, qui nous transporte à Denver en 1895, il nous prouve qu’il en est capable.

Benjamin Whitmer l’insoumis de l’Amérique, le rebelle au grand cœur, l’anarchiste fidèle à lui même, poursuit son cheval de bataille pour défendre les laissés pour compte, tous ces oubliés de l’Amérique qui lui sont chers à travers ce nouveau roman noir aux allures de western qui vous dynamite le cœur et vous explose la rétine.

Même s’il nous dépeint la misère, et nous confronte à une violence extrême, enragé contre l’injustice, il n’en oublie pas pour autant de poser un regard tendre, plein d’humanité sur l’amour comme celui que porte Sam pour Cora, prêt à tous les sacrifices pour ne jamais la perdre.

Il nous confère au douloureux passage de l’enfance dans ce monde adulte gangrené par l’alcool, la drogue et la corruption.

Tout comme dans ses précédents romans, sa plume s’habille de noirceur pour mettre en lumière les déshérités de la vie, quitte à paraître brutal mais cruellement réaliste.

Fidèle lectrice je suis, fidèle je resterai depuis ses tous débuts d’écrivain et j’en profite pour remercier au passage son traducteur Jacques Mailhos sans qui je ne pourrais point découvrir cet auteur que j’apprécie tant, tout comme son éditeur qui nous fait profiter de ces récits, souvent avant les américains, of course.

Les misérables de Benjamin Whitmer n’ont rien à envier à la cour des miracles de Victor Hugo, il se pourrait même qu’ils accueillent Quasimodo orphelin lui aussi de son créateur.

Les dynamiteurs confirment le talent de ce jeune auteur qui après seulement quatre romans s’est incrusté avec brio dans le panthéon américain des auteurs à suivre absolument.

La relève est assurée n’en déplaise au blondinet peroxydé.

Pour info :

Benjamin Whitmer est né en 1972 et a grandi dans le sud de l’Ohio et au nord de l’État de New York. Il a publié des articles et des récits dans divers magazines et anthologies avant que ne paraisse son premier roman, Pike, en 2010. Traduit en français en 2012, ce texte a immédiatement séduit tous les amateurs du genre.

 

En 2018, son nouveau roman Évasion paraît en France en avant-première mondiale.

 

Benjamin Whitmer vit aujourd’hui avec ses deux enfants dans le Colorado, où il passe la plus grande partie de son temps libre en quête d’histoires locales, à hanter les librairies, les bureaux de tabac et les stands de tir des mauvais quartiers de Denver.

Je remercie les Éditions Gallmeister pour cette dynamite littéraire explosive.

Betty

Betty de Tiffany McDaniel aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par François Hoppe

” Betty, moi, ma modeste personne. Je suis née en 1954 dans une baignoire vide à pieds de griffon dans l’Arkansas. Quand Maman a perdu les eaux, sur le siège des toilettes, l’endroit le plus proche où elle pouvait s’allonger était la baignoire. Au risque de rendre Flossie folle de jalousie, j’ai été nommée Betty en hommage à Bette Davis. “

Permettez moi de vous présenter Betty.

Betty n’est pas une fille comme les autres, c’est une petite princesse Cherokee.

Elle vit avec son père Cherokee, sa mère blanche et ses frères et sœurs, dans une vieille maison dans l’Ohio, située dans la petite ville de Breathed.

Betty ne peut renier ses origines indiennes et son père très fière la berce de belles histoires sur ses ancêtres, lui transmettant jour après jour tout son savoir.

” Flossie a mis sa main en l’air derrière sa tête comme si c’était une plume.

– Tu es une Cherokee aussi, espèce d’idiote, lui ai-je fait remarquer en lui pinçant le bras.

– Oui, mais toi, ton problème c’est que t’as vraiment l’air d’en être une, a-t-elle rétorqué en me pinçant aussi. “

Betty grandit entourée des siens, de l’amour immense de son père qui compense quelque peu la froideur de sa mère.

” Je ne voulais pas croire en l’existence d’un mauvais sort qui aurait été jeté sur la maison ou sur nous. Pas après tout le travail que nous avions accompli. […] Plus tard, avec la chaleur, le bois allait se dilater, racontant sa propre histoire. “

De douloureux secrets de famille se dévoilent peu à peu, alors Betty apaise sa douleur à travers l’écriture. Elle noircit des pages et des pages pour affronter le monde, qu’elle enfouit ensuite en secret, espérant pouvoir un jour nous raconter toute cette histoire.

” En fait, nous nous raccrochions comme des forcenées à l’espoir que la vie ne se limitait pas à la simple réalité autour de nous. Alors seulement pouvions-nous prétendre à une destinée autre que celle à laquelle nous nous sentions condamnées.

[…]

Ce serait tellement plus facile si l’on pouvait entreposer toutes les laideurs de notre vie dans notre peau – une peau dont on pourrait ensuite se débarrasser comme le font les serpents. Alors il serait possible d’abandonner toutes ces horreurs desséchées par terre et poursuivre notre route, libérée d’elles. “

Ce que j’en dis :

L’auteure Tiffany McDaniel, n’est autre que la véritable fille de Betty, et c’est en s’inspirant de son histoire qu’est né ce roman bouleversant.

À travers la voix de Betty, on s’immisce au cœur de cette famille qui semble poursuivie par une malédiction, transmise d’une génération à l’autre.

La famille de Betty n’est pas épargnée, le bien côtoie le mal, l’amour flirte parfois avec la haine, les cauchemars s’invitent dans les rêves, une vie faite de joie et de tourmente, un pied au paradis l’autre en enfer.

Mais lorsque la poésie s’invite dans le paysage, les mots et la nature s’unissent, apportant apaisement, et réconfort suprême.

Dans cette Amérique profonde, Betty garde enfouis ses secrets, et notre petite sauvageonne tente de survivre dans ce monde civilisé qu’elle a bien du mal à supporter.

Jusqu’au jour où son départ sera inévitable…

” – Tu dois t’envoler de ce livre en feu. “

Betty ma nouvelle héroïne a rejoint Turtle ” My absolute Darling ” et voyage en ”Sauvage“ avec Tracy, dans ma mine de souvenirs d’Amérique. Mais soyez certain qu’elle n’hésitera pas à faire un détour par votre bibliothèque pour faire connaissance avec vous et vous présenter sa famille à travers ce roman magnifique, puissant, absolument bouleversant, qui vous donnera envie de retrouver la plume de son auteure et de son premier roman ” L’été où tout a fondu  » Ma chronique ici, bientôt disponible dans la collection Totem.

Pour info :

Tiffany McDaniel  vit dans l’Ohio, où elle est née.

Son écriture se nourrit des paysages de collines ondulantes et de forêts luxuriantes de la terre qu’elle connaît.

Elle est également poète et plasticienne.

Son premier roman, ” L’été tout a fondu“, est à paraître aux Éditions Gallmeister.

Je remercie les Éditions Gallmeister pour cette rencontre inoubliable avec Betty, nouvelle héroïne de la maison ♥️

Bleu blanc rouge

Bleu blanc rouge de Lea Carpenter aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par Anatole Pons-Reumaux

” Ce qui arriva dans la boîte aux lettres d’Anna après la mort de son père, après l’enterrement et la lune de miel, avait l’air d’une énigme alors qu’il s’agissait d’un indice. Qui essayait de lui dire quelque chose. De le lui crier, pourrait-on dire. “

Anna était sur le point de se marier, lorsque son père meurt dans une avalanche en Suisse. Ayant toujours été très proche de lui, sa douleur est immense.

Quelques mois plus tard, pendant sa lune de miel dans le sud de la France, elle tombe par hasard sur un vieil ami de son père, un de ses anciens collègues qui semble vouloir lui révéler des informations étranges sur le passé.

À son retour à New-York, une clé usb l’attend dans sa boîte aux lettres. Il lui reste juste un court moment de plénitude avant que sa vie vole en éclat.

” Voici l’histoire de ton père, Anna. Tu as l’âge, maintenant. “

Ce que j’en dis :

Après avoir lu un commentaire de Kirkus Reviews sur la quatrième de couverture, je comprends mieux pourquoi je ressors de ce roman un peu déboussolée.

Ça ne fait aucun doute maintenant, les romans d’espionnage sont loin d’être mon univers de prédilection préféré.

En dehors de ce fait, il faut reconnaître que l’écriture de Lea Carpenter est remarquable, et on sent un long travail de recherche en amont afin d’être au plus juste pour nous révéler la face cachée de la CIA, et lever le voile sur certaines de ses fonctions.

À travers des personnages attachants, on remonte le fil de l’histoire de Noel, tout en suivant le jeune couple dans ses péripéties.

Une lecture qui s’avère exigeante mais qui m’a offert un final bluffant.

Même si l’histoire ne m’a pas entièrement conquise, j’ai vraiment apprécié la plume de Lea Carpenter que je retrouverai prochainement avec son premier roman Onze jours.

Pour info :

Lea Carpenter est née en 1972 dans le Delaware.

Diplômée de Princeton et de Harvard, elle a été éditrice du magazine de Francis Ford Coppola, Zoetrope.

Elle partage son temps d’écriture entre scénarios et œuvre romanesque. Onze jours est son premier roman, qu’elle a commencé à écrire après la mort de son père, espion dans l’Army Intelligence en Chine et en Birmanie pendant la Seconde Guerre mondiale. 

Lea Carpenter vit à New-York.

Je remercie les éditions Gallmeister pour cette immersion au cœur de la CIA en compagnie d’une jeune femme touchante.

Gallmeister forever

Et si aujourd’hui nous partions pour un tour d’horizon sur mes dernières lectures des éditions Gallmeister.

Du passé au présent, tout à fait à l’esprit de cette maison qui nous offre des voyages américains extraordinaires en nous faisant découvrir l’Histoire de ce pays qui ne cesse de nous surprendre.

Partons tout d’abord au cœur de la guerre de sécession en compagnie d’Henry Fleming, un jeune soldat de l’armée nordiste, tout juste 17 ans, envahit par le doute, la peur et va se comporter en lâche face au combat qui fait chaque jour de nombreuses victimes innocentes.

– Jim, il t’es déjà arrivé d’penser qu’tu pourrais prendre la fuite, toi aussi ? demande-t-il .

Il conclut sa phrase paru. Rire, comme s’il avait été dans son intention de plaisanter. Celui qui parlait fort gloussa aussi.

Le grand soldat agita la main.

– Eh ben, dit-il d’un air inspiré, y m’est arrivé d’me dire qu’ça pourrait être chaud pour Jim Conklin, dans certaines de ces mêlées, et qu’si y avait plein de gars qui prenaient la tangente, ben, j’suppose que j’détalerais moi aussi. Et qu’si j’commencais, j’déguerpirais comme si j’avais le diable aux trousses, ça ferait pas un pli. Mais qu’si tout le monde tenait sa position et combattait, et ben j’la tiendrais et j’combattrais. Nom d’une pipe, j’le ferais. J’suis prêt à l’parier. “

Malgré les paroles de ses supérieurs, il ira se mettre à l’abri sans prendre part au combat. Après la bataille, dans la confusion la plus totale, il sera pourtant décoré suite à une blessure. Il devient un héros malgré lui.

Un formidable récit de guerre paru aux États-Unis pour la première fois en 1885, que les Éditions Gallmeister ont eu la bonne idée de rééditer.

Un récit intense et assez fort, qui nous offre un fragment de cette guerre à travers les yeux d’un jeune soldat, complètement effrayé.

L’insigne rouge du courage de Stephen Crane, traduit de l’américain par Johanne Le Ray et Pierre Bondil.

Découvrons maintenant des nouvelles d’Amérique, nées sous la plume magnifique de James McBride, auteur de romans édités également aux éditions Gallmeister.

Nous allons au détour de ces pages, croiser un vendeur de jouets anciens, prêt à tout pour mettre la main sur le plus précieux des jouets qui pourrait bien changer sa vie à jamais. Puis cette bande de gamins amoureux de musique mais aussi Abraham Lincoln au grand cœur, sans oublier cette virée au zoo où les animaux parlent et ne se gênent nullement pour dégoiser sur la race humaine.

Autant d’histoires qui font de ce recueil une formidable aventure, portées par une plume où l’imaginaire côtoient la poésie, avec humour et tendresse et beaucoup d’humanité.

C’est aussi délicieux que votre friandise préférée.

” Lincoln, à sa manière habituelle, avait lâché une bombe à laquelle personne ne s’attendait. Il avait changé la nature de la guerre. Ce n’était plus une guerre entre États. C’était maintenant une guerre contre l’esclavage.  »

Le vent et le lion de James McBride, traduit de l’américain par François Happe.

En passant par le Montana, je n’ai pas boudé mon plaisir en retrouvant C.W. Sughrue, ce détective privé, très attachant que j’avais rencontré dans deux précédents romans.

Cette fois il est embauché par deux frères jumeaux, très amoureux des flingues, pour retrouver des poissons exotiques. Une affaire assez simple mais qui va très vite le conduire sur les traces d’une femme en fuite avec son chérubin.

Toujours aussi déjantée, cette nouvelle enquête illustrée par Pascal Rabaté m’a embarqué dans une aventure survoltée, arrosée d’adrénaline, d’alcool sans oublier une bonne quantité de drogue.

Ça se déguste comme un Shot de whisky, ça décoiffe et on en redemande encore une dose.

” -(…) Fait gaffe à ton cul, là-bas, vieille branche. Je ne peux pas dire que je suis fou de cette affaire. Et toi ?

– Moi, j’ai de la chance, je suis fou tout court.

– Et ça ne fait qu’empirer jour après jour, dit Solly sans rire. “

Le canard siffleur mexicain de James Crumley traduit de l’américain par Jacques Mailhos

Pour finir, direction les Appalaches où j’ai accompagné Jodi McCarty à sa sortie de prison vers la ferme de son enfance. C’est là qu’elle a grandi, élevée par sa grand-mère, aujourd’hui disparue. Elle est accompagnée de Miranda et de ses trois enfants, qu’elle vient de la rencontrer et dont elle s’est très vite attachée. Sur la route, elle est passée prendre Ricky, le frère de sa petite amie avant son incarcération, et compte bien tenir une vieille promesse en s’occupant dorénavant de lui.

Il est enfin temps de se tourner vers l’avenir, encore faut-il qu’on leur en donne l’occasion.

 » La route semblait n’avoir qu’une direction, s’enfonçant dans les montagnes jusqu’à ce qu’on se retrouve encerclé, les vastes versants des Appalaches oblitérant tout le reste. Jodi voulait revoir cet endroit, mais c’était aussi ce genre de prison et elle le sentit se refermer sur elle. D’une certaine manière, rentrer chez soi, c’était comme disparaître, retomber dans le passé. Une semaine et demie plus tôt, elle ne pensait pas revenir avant sa mort – un corps expédié à une famille qui s’en souvenait à peine, une carcasse à porter en terre dans la montagne –, pourtant elle était là, pas seulement un corps mais un entrelacs de pensées et d’émotions sauvages s’apprêtant à retrouver leur lieu de naissance. Elle se tourna vers Miranda, puis elle regarda le visage endormi de Ricky. Cette fois, ce serait différent, pensa t’elle, nouveau. Néanmoins elle continua de sentir l’oppression des montagnes, même celles qui étaient invisibles, le poids de tous ses souvenirs.  »

Mesha Maren fait une entrée remarquable chez Gallmeister, une maison d’éditions qui nous déniche régulièrement de nouveaux talents de qualité.

Elle nous offre un premier roman somptueux à l’écriture singulière et aborde à travers cette histoire de nombreux thèmes, tous d’une importance capitale, autour du personnage de Jodi. Que ce soit, le milieu carcéral, la libération, l’homosexualité, la violence, le long chemin vers la rédemption, en passant par la famille recomposée mais aussi l’exploitation de gaz qui entraîne pollution et destruction de l’écosystème, l’auteur nous emporte dans une histoire contemporaine entre passé et présent, auprès de personnages forts attachants, au cœur de la nature des Appalaches.

Ce récit transpire la force et le courage dont Jodi doit faire preuve pour se reconstruire.

On se laisse porter avec parfois une certaine appréhension face aux événements qui s’enchaînent, laissant peu de répit à cette femme qui souhaitait reprendre le cours de sa vie.

Un roman magnifique, poignant et infiniment réaliste.

Une nouvelle plume américaine à suivre absolument.

Les auteurs :

La vie de Stephen Crane (1871-1900) est brève et aventureuse.

Dernier d’une famille méthodiste de 14 enfants, il est un enfant fragile, toujours malade, ce qui ne l’empêche pas d’apprendre à lire seul à l’âge de 4 ans. À 22 ans, il publie à compte d’auteur Maggie, fille des rues, qui fait scandale. 

L’Insigne rouge du courage, tableau réaliste de la guerre de Sécession, connaît un succès mondial et fait de lui l’auteur le mieux payé de son temps. Il décide alors de devenir correspondant de guerre. Il est envoyé à Cuba, mais son bateau fait naufrage : il passe 30 heures à dériver sur un canot. Il se rend ensuite en Grèce, où la guerre avec la Turquie s’achève, puis en Angleterre où il se lie d’amitié avec Joseph Conrad, Henry James et H.G. Wells.

Il décède de la tuberculose à vingt-huit ans, dans un sanatorium allemand. 

James McBride est né en 1957.

Écrivain, scénariste, compositeur et musicien de jazz, il est saxophoniste au sein du groupe Rock Bottom Remainders.

Il publie son premier livre en 1995, La Couleur d’une mère, un récit autobiographique devenu aujourd’hui un classique aux États-Unis. Son œuvre romanesque commencée en 2002 plonge au cœur de ses racines et de celles d’une Amérique qui n’a pas fini d’évoluer. 

James Crumley est né à Three Rivers au Texas en 1939. Il sert deux ans dans l’armée, aux Philippines, puis continue ses études et sort diplômé de l’Université de l’Iowa. Au milieu des années 1960, il part vivre et enseigner dans le Montana, un État qu’il ne quittera plus et où il côtoiera notamment Richard Hugo et James Lee Burke. Peu après son arrivée à Missoula, en 1969, il écrit son premier roman, Un pour marquer la cadence, avec comme toile de fond la guerre du Viêt Nam.

En 1975, il écrit Fausse Piste (The Wrong Case), le premier roman d’une saga mettant en scène Milo Milodragovitch, un privé mélancolique vétéran de la guerre de Corée. Suivront Dancing Bear en 1983, Bordersnakes et The Final Country en 1996.

En 1978, James Crumley écrit The Last Good Kiss, le premier livre d’une nouvelle saga qui introduit un nouveau privé : C. W. Sughrue. Puis, en 1993, The Mexican Tree Duck, Bordersnakes(où Sughrue et Milodragovitch se rencontrent) et The Right Madness en 2005. Ces deux personnages, antihéros excessifs en tout, qui rassemblent toutes les obsessions et pas mal des traits de caractère de leur créateur : vétérans du Viêt Nam, divorcés maintes fois, portés sur les femmes dangereuses, l’alcool, les drogues dures, les armes à feu et les nuits sans sommeil, toutes choses en général censées représenter un danger pour eux ou pour autrui.

James Crumley est aujourd’hui considéré par ses pairs comme un des plus grands auteurs de polar. Il décède le 17 septembre 2008, à Missoula.

Mesha Maren a grandi dans les Appalaches, en Virginie-Occidentales, en pleine nature. Son père, Sam, a fabriqué lui-même leur maison en rondins. Adolescentes, elle a construit dans leur jardin une grande cabane avec son père, avec le bois de pins plantés l’année de sa naissance.

Aujourd’hui, après avoir beaucoup voyagé, au Mexique notamment, elle est revenue avec son mari dans les Appalaches et habite dans la maison de son enfance. La cabane est devenue son studio d’écriture.

Je remercie les Éditions Gallmeister pour ces voyages littéraires aussi dépaysant qu’enrichissant.

L’usine à lapins

L’usine à lapins de Larry Brown aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par Pierre Furlan

” Le canon du pistolet s’approcha à quinze centimètres de sa cible. Peut-être l’homme dans le fauteuil s’était-il endormi, ou du moins, s’était-il laissé emporter par les effluves parfumés des lotions du coiffeur. Le pistolet fit feu, un sang écarlate gicla sur le coiffeur silencieux. Le choc de la détonation réduisit un instant la musique en silence. “

Pendant qu’un homme se fait descendre dans un salon de coiffure, Arthur la soixantaine tente d’adopter un chaton pour sa femme, Helen, histoire de l’attendrir un peu, n’arrivant plus à la satisfaire au pieu. Perturbé par son impuissance, il craint de la perdre, son épouse étant beaucoup plus jeune que lui. Ce n’est pourtant pas un cadeau, elle est alcoolique, nymphomane et le trompe sans scrupules dès que l’occasion se présente.

” Arthur se demanda pourquoi cet histoire de chat devait s’ajouter à tous les autres problèmes – celui de ses érections et celui de l’alcoolisme d’Helen. Il se disait qu’un souci à la fois aurait dû suffire. Helen avait besoin d’aide, mais elle ne voulait pas en entendre parler. “

C’est en se rendant dans une animalerie qu’il va faire la connaissance d’Eric et de son inséparable Pit- bull.

Autour d’eux gravitent des loosers, hauts en couleur, poursuivis par la poisse, mais aussi par les flics. Ils se démènent pour survivre dans ce sud crasseux, tout en cherchant désespérant l’amour.

Jusqu’à ce qu’une collision accidentelle sème le chaos et entraîne cette contrée dans un véritable bain de sang.

” Et merde, où étaient les flics quand on avait besoin d’eux ? “

Ce que j’en dis :

C’est ma troisième excursion livresque dans les écrits de Larry Brown, et penser qu’un jour mes découvertes prendront fin puisque malheureusement il a quitté ce monde est toujours un déchirement.

Comme d’autres auteurs américains que j’affectionne particulièrement, il avait le talent pour nous offrir des romans noirs où les désespérés, les poissards, les bouseux, les laissés pour compte, étaient mis en lumière dans les coins les plus reculés des États-Unis. Les oubliés de l’Amérique étaient ses stars.

L’usine à lapins son dernier roman, auparavant publié chez Gallimard en 2005 et chez folio en 2008, fait dorénavant partie de la collection totem de chez Gallmeister avec une traduction révisée. Les fans de Larry Brown et de cette maison d’édition ne peuvent que se réjouir.

Derrière cette couverture, assez cocasse, se cache une petite merveille où les bêtes volent parfois la vedette aux humains et se révèlent même parfois bien plus malignes et moins dangereuses malgré les apparences.

L’histoire a beau être très sombre, parfois assez violente, on s’attache à chacun des personnages plus désespérés les uns que les autres. On comprend aisément leurs penchants pour l’alcool et autres substances illicites qui les aident certainement à supporter ces vies de merde. (N’ayons pas peur des mots, on n’est pas chez Disney, mais dans le Mississippi de Larry Brown.)

Et malgré la violence véhiculée dans cette histoire, malgré les rêves brisés, et les âmes perdues, ce récit absolument irrésistible fait sourire assez sournoisement.

Alors même si l’usine à lapins est dorénavant fermée, il ne tient qu’à vous de la faire revivre en vous plongeant dans cette histoire aussi succulente qu’un bon civet.

Des hommes, des femmes, des bêtes, de la picole, de la fumette, et même du sexe, et ouais tout y est, alors surtout ne tardez pas trop, ce serait dommage de passer votre chemin et de rater cette incontournable escapade américaine.

Pour info :

Larry Brown (1951-2004) est né et a vécu dans le Mississippi, près d’Oxford. Passionné par la pêche, la chasse et la lecture plus que par les études, il a exercé des métiers aussi divers que bûcheron, peintre en bâtiment ou droguiste, puis pompier pendant dix-sept ans, avant de se consacrer uniquement à la littérature. Il est le seul écrivain à avoir reçu à deux reprises le prestigieux Southern Book Award for Fiction.

Je remercie les éditions Gallmeister pour cet irrésistible aventure américaine.

Dry Bones

Dry Bones de Craig Johnson aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par Sophie Aslanides

” Ils se tournèrent tous les deux vers moi. J’étais plongé dans la contemplation du cadavre.

– Walt ?

J’avais déjà vu cet homme, dans mes rêves.

– Walt ?

Dans les rêves, il n’avait pas d’yeux non plus.

– Walt.

Les paroles de l’homme me revinrent et c’était presque comme s’il se trouvait à côté de moi, répétant l’avertissement incantatoire que j’avais gardé tout au fond de ma mémoire : Tu contempleras le bien mais tu verras aussi le mal. Les morts ressusciteront et les aveugles verront. “

Dans le comté d’Absaroka dans le Wyoming, un vieil indien vient d’être retrouvé mort, faisant le régal des tortues aquatiques à l’endroit où son corps a échoué.

Walt Longmire est évidemment sur l’affaire. Il connaissait le vieil homme et cette mort lui rappelle un de ces rêves. Étrange coïncidence ou prémonition, allez savoir, avec Walt on peut s’attendre à tout sauf à l’ordinaire.

Walt n’est pas un shérif comme les autres…

” – Il y a longtemps, le précédent shérif m’a transmis son étoile. (Je lui montrai d’un signe de mon pouce – peut-être n’en avait-il jamais vu de sa vie.) Et avec ce morceau de métal de sept ou huit centimètres, on m’a confié la responsabilité de veiller sur mes administrés, tous mes administrés, les 2483 d’entre eux. “

En attendant, voilà une mort qui arrange certaines personnes et d’autres beaucoup moins.

“ Voilà qui va introduire un aspect criminel fâcheux dans cette affaire.  »

Le FBI a remplacé les tuniques bleues, il y a dorénavant plus de chefs que d’indiens, et le shérif a échangé son cheval contre un pickup, mais l’affaire n’en demeure pas moins compliqué et tout ça à cause d’un tyrannosaure, qui l’eut cru ?

” Sauvez Jen. “

Walt ne change pas, toujours décidé à résoudre aux mieux les affaires. C’est accompagné du vieux Shérif Lucian Connally et de son plus fidèle ami, l’infatigable Indien Henry Standing Bear qu’il se lance dans une poursuite assez périlleuse et souvent imprévisible sans jamais perdre son humour mordant.

Ce que j’en dis :

En 2009 je découvrais Little Bird, et je faisais la connaissance de Walt Longmire et des éditions Gallmeister. Depuis je suis devenue accro à toute la came de cette maison et je suis restée fidèle à Craig Johnson et à Walt.

Dans cette nouvelle aventure, Walt a quelques rides et quelques cheveux blancs en plus mais il n’a rien perdu de son humour, même si cette fois elle est mise à rude épreuve face aux pertes humaines qui lui étaient assez proches,

Mais chut, il faut avant tout Sauvez Jen, même si elle est vieille de plusieurs millions d’années, elle vaut la peine qu’on se décarcasse pour sa carcasse.

Notre shérif et ses fidèles fantômes nous offrent une nouvelle enquête bien rythmée, pimentée d’humour, peut-être un peu plus sombre mais toujours aussi palpitante.

N’en déplaise au FBI, notre shérif n’est pas prêt de prendre sa retraite et c’est tant mieux.

Que ce soit dans l’univers littéraire ou cinématographique, Craig Johnson a su imposer Walt Longmire dans le paysage américain avec talent et réussi de ce fait à perpétrer certaines traditions indiennes, un bel hommage à ce peuple trop souvent oublié et maltraité.

Un emblématique shérif, des cow-boys, des indiens, un décor à couper le souffle de quoi faire des émules à travers le monde.

Vivement le prochain épisode…

Pour info :

Craig Johnson a grandi dans une petite ville du Midwest qui, malheureusement pour sa mère, était traversée par une voie ferrée. À l’âge de huit ans, il profite du fait que le train ralentit à chaque passage pour embarquer clandestinement. C’est sa première escapade dans le vaste monde qui s’achève lorsque son père, après avoir parcouru près de six cents kilomètres, vient le récupérer dans une gare de triage où le garnement a été repéré.

Après ses études, c’est chargé d’un sac de surplus de l’armée et d’un pistolet semi-automatique Colt que Craig se rend dans l’Ouest en auto-stop. Petit-fils de forgeron, il n’a pas de mal à se faire embaucher dans plusieurs ranchs du Montana et du Wyoming, et il fait même quelques incursions dans l’univers du rodéo. Il ne se débrouille pas trop mal aux épreuves de dressage, mais son lancer de lasso est assez minable.

Par la suite, il se balade pas mal à travers les États-Unis après l’obtention d’un doctorat d’études dramatiques, il devient pêcheur professionnel, chauffeur routier, charpentier ou cow-boy. Il enseigne également à l’université et fait un temps partie de la police de New York avant de se consacrer pleinement à l’écriture.

Son premier roman, Little Bird (The Cold Dish en VO), paraît en 2005 aux États-Unis. Il met en scène le shérif Walt Longmire et constitue le premier volet d’une saga qui compte à ce jour douze titres et fait régulièrement partie des listes de best-sellers aux États-Unis. Le douzième roman de la série y a été publié au printemps 2016.

La série Longmire, adaptation télévisée de l’univers de Craig Johnson, a connu un immense succès aux États-Unis. Elle est diffusée en France sur la chaîne D8.

Craig vit avec sa femme, Judy, au pied des Bighorn Mountains, dans le Wyoming. Son ranch est situé à la confluence des rivières Clear Creek et Piney Creek, à la sortie de Ucross, population 25 habitants. Il n’y a pas de voie ferrée.

Je remercie les Éditions Gallmeister pour cette aventure dans le Wyoming avec mon shérif préféré.

“ La vie en chantier ”

La vie en chantier de Pete Fromm aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par Juliane Nivelt

” Taz ferme les yeux et reste rivé à sa chaise, comme si on l’y avait attaché avec des cordes. Des chaînes.

Il contemple ses mains. Rien que le faux cigare. Il a dû laisser le sac dans le pick-up. Les biberons. Les trois boîtes de lait premier âge fournies par l’hôpital, chose que Marnie avait juré qu’ils n’utiliseraient jamais. Il s’en souvient très bien. Pas de lait artificiel. Hors de question. Pas même pour rigoler. Et ce n’est pas une question d’argent, avait-elle précisé. Elle tirerait son lait pour que Taz puisse nourrir Midge et voir ce que ça faisait, puisque ses seins à lui étaient aussi inutiles que le sont les hommes en général. Revoyant son sourire à ce moment précis, Taz oublie de respirer. Comment respirer. “

Marnie et Taz sont amoureux, très amoureux. Ensemble, à Missoula, dans le Montana, il rénove une maison, leur nid d’amour. Rien n’est encore terminé, leurs moyens sont plutôt modestes, et voilà qu’ils apprennent qu’ils vont être parents. Un grand bouleversement se prépare, mais unis comme jamais ils sont prêts à relever ce nouveau challenge.

Mais hélas c’est sans Marnie que Taz rentrera de la maternité avec sa fille.

” Lorsque plus aucun son ne s’échappe du berceau ou de la chambre au bout du couloir, il pose ses coudes sur ses genoux et prends sa tête entre ses mains, trop perdu pour oser fermer les yeux, effrayé par ce qui l’attend dans l’obscurité, dans ses propres pensées. “

” Ici sur terre, sans elle. “

Anéanti par la perte de son amour, il n’en demeure pas moins un père exemplaire, partagé entre le doute, et les joies de la paternité. Au programme, insomnie, nouvelles responsabilités, nouveaux souvenirs, nouveaux bonheurs, la vie en chantier prends une nouvelle tournure et réserve malgré tout de belles surprises.

” Il lève les yeux et se met à contempler le ciel comme si c’était une manne providentielle. La pluie ne dure pas plus d’une minute ou deux, mais dans les montagnes, c’est de la neige qu’il doit tomber. Les feux vont peut-être finir par s’éteindre, et le monde paraîtra un peu moins apocalyptique, alors même que la fumée et le brouillard semblaient faire partie de leur quotidien. “

Ce que j’en dis :

C’est le cœur serré que je me suis aventurée entre ses pages, sachant pertinemment que dès le début des émotions intenses allaient m’envahir.

J’étais prête à faire un bout de chemin avec Marnie et Taz, ce jeune couple d’amoureux et vivre avec eux les plus beaux moments de leur vie. Alors quand tout s’est effondré, j’ai bien cru au désastre mais c’était sans compter sur le pouvoir de la plume de Pete Fromm capable de nous transporter au cœur des grands espaces et dans la vie intime de ses personnages en nous faisant rêver sans jamais perdre de vue l’espoir.

En créant de l’empathie envers ses personnages, Pete Fromm nous lie à jamais à eux.

Il nous offre cette fois un formidable portrait d’un jeune père confronté à une perte inestimable et qui pourtant ne rejettera jamais son enfant affrontant également, les difficultés face à la pénurie de travail dans cette région du Montana. Il pourra compter sur l’amitié indéfectible de son meilleur ami et sur tous les élans de générosité qui l’aideront à faire face à toute cette tragédie.

Un beau roman, une belle histoire sans pathos mais avec une pointe d’humour qui évite la sinistrose.

Un roman intimiste magnifique, une histoire d’amour, d’amitié, où l’éclaircie tant espérée surgira après la tempête.

Un gros coup de cœur.

Pour info :

Pete Fromm est né le 29 septembre 1958 à Milwaukee dans le Wisconsin.

Peu intéressé par les études, c’est par hasard qu’il s’inscrit à l’université du Montana pour suivre un cursus de biologie animale. Il vient d’avoir vingt ans lorsque, fasciné par les récits des vies de trappeurs, il accepte un emploi consistant à passer l’hiver au cœur des montagnes de l’Idaho, à Indian Creek, pour surveiller la réimplantation d’œufs de saumons dans la rivière. Cette saison passée en solitaire au cœur de la nature sauvage bouleversera sa vie.

À son retour à l’université, il supporte mal sa vie d’étudiant et part barouder notamment en Australie. Poussé par ses parents à terminer ses études, il s’inscrit au cours de creative writing de Bill Kittredge, ce cours du soir étant le seul compatible avec l’emploi du temps qui lui permettrait d’achever son cursus au plus tôt. C’est dans ce cadre qu’il rédige sa première nouvelle et découvre sa vocation.

Son diplôme obtenu, il devient ranger et débute chaque jour par plusieurs heures d’écriture avant de décider de s’adonner à cette activité à plein temps. 

Pete Fromm a publié plusieurs romans et recueils de nouvelles qui ont remporté de nombreux prix et ont été vivement salués par la critique. 

Indian Creek, récit autobiographique, a été son premier livre traduit en français. Il vit dans le Montana.

Je remercie les éditions Gallmeister pour ce roman fabuleux ❤️

“ Les nouveaux héritiers ”

Les nouveaux héritiers de Kent Wascom aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par Éric Chédaille

En 1914, sur la côte sauvage de Floride vit un jeune artiste peintre très amoureux de la nature.

” Il y a eut quelques été où la famille ne vint pas du tout sur l’île, à la différence des migrateurs qui n’y manquèrent jamais. Et si l’on avait dit à Isaac qu’un jour viendrait où ceux-ci n’y paraîtraient plus, leurs aires de ponte retournées, leurs œufs changés en gelée par les pesticides, il aurait voulu mourir sur-le-champ. “

Son passé reste un mystère mais il ne semble pas en souffrir, contrairement à Kemper Woolsack, une jeune héritière qu’il vient de rencontrer.

” Les familles sont des machines en perpétuel mouvement, alimentées en permanence par tel ou tel principe. (Mythe, Orgueil, Attente, Espérance.) Or Kemper comprit dès l’enfance que les Woolsack étaient une machine qui fonctionnait au malheur. “

Angel son frère aîné aux mœurs différentes s’éloigne de cette famille étouffante, quand à son frère cadet, il semble habité par une grande violence qui effraie même toute sa famille.

Kemper, douce et rebelle tombe amoureuse d’Isaac. Un amour partagé qui les amènent à fuir ensemble vers des contrées plus paisibles sur la côte du Golf.

” Leurs hanches étaient contusionnées, leurs lèvres endolories, si bien que persistaient les élancements de leur union même quand ils étaient séparés.

(…) Elle se réveilla une nuit après le départ d’Isaac, humant dans le noir l’odeur de ses empreintes de pas humides sur le carrelage, et cela la laissa avec l’idée que c’étaient les dernières fois qu’elle se réveillerait seule.  »

Malgré une vie douce et paisible, ils vont devoir essuyer quelques tempêtes et à l’approche de la Première Guerre mondiale, ils seront rattrapés par l’Histoire.

Ce que j’en dis :

Quitte à lire, autant en prendre plein les yeux et c’est ce que nous propose Kent Wascom avec son dernier roman.

Tel Isaac, le peintre de cette histoire, l’auteur nous offre une fresque grandiose mettant en scène un couple à travers des tableaux de toutes beautés.

Qu’il invoque l’amour, la famille, la faune ou la flore tout y est magnifiquement représenté et mis en valeur par une plume singulière de toute beauté.

On sent derrière ses mots et cette histoire sa passion pour la nature et le règne animal mais également ses inquiétudes pour les trésors de cette planète qu’il aimerait tant préserver. Ses mots nous touchent, nous bouleversent tout comme ce couple, habité d’une passion dévorante qui pourrait vivre dans le luxe et préfère les plaisirs simples entourés de décors bucoliques où l’émerveillement est quotidien.

Les nouveaux héritiers se déguste, se savoure, on revient en arrière pour relire certains passages et admirer le talent de l’écrivain, poétique et mélodique, capable de nous plonger dans une histoire d’amour où les drames familiaux façonnent les êtres pour en faire des personnes hors du commun. Et quand la guerre s’invite dans l’Histoire, on s’accroche comme pour l’arrivée d’une tempête, et on espère qu’elle ne détruira pas tout sur son passage.

Vous l’aurez compris, j’ai un véritable coup de cœur pour ce chef-d’œuvre littéraire et je ne tarderai pas à découvrir Le sang des cieux, son premier roman déjà présent dans ma bibliothèque.

Kent Wascom s’impose avec classe dans le paysage littéraire américain et on ne peut que remercier Oliver Gallmeister de l’accueillir dans sa maison d’éditions et de lui offrir cette magnifique couverture qui donne le ton et l’envie de découvrir ce qui se cache derrière ce tableau luxuriant.

Pour info :

Kent Wascom est né en 1986 à La Nouvelle Orléans et à grandit à Pensacola, en Floride.

Son premier roman, Le Sang des cieux, (Bourgois, 2014) a fait partie des meilleurs livres de l’année sélectionnés par le Washington Post et la radio publique américaine. Il a également reçu le prix Tennessee Williams remis dans le cadre du festival littéraire de La Nouvelle Orléans. Il vit en Louisiane, où il enseigne à la Southeastern Louisiana Unversity. 

Les Nouveaux Héritiers est son troisième roman.

Je remercie les Éditions Gallmeister pour ce magnifique chef-d’œuvre littéraire.

“ Canyons ”

Canyons de Samuel Western aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par Juliane Nivelt

 » Il avait les idées merveilleusement claires, mais aucune trace du goût saumâtre qui l’envahissait chaque fois qu’il pensait à Ward. Soudain des événements anciens lui revinrent en mémoire : porter le cercueil de Gwen par une matinée d’octobre exceptionnellement froide et pluvieuse à Valentine ; traverser une forêt de stèles en marbre blanc d’un pas lourd, les chaussures trempées ; le bruit du train qui était passé pendant la cérémonie, noyant les paroles du pasteur de ses cliquetis et grondements ; le sang sur l’imperméable de son père qui , voulant regagner la voiture, s’était cogné le menton contre la portière, si violemment qu’il lui avait fallu des points de suture.

Une rage brûlante l’envahit, imprégnant ses muscles d’un feu glacé. “

Dans les années 70, en Idaho, Ward, Gwen sa petite amie, et Éric le frère jumeau de Gwen partagent une partie de chasse au cours d’une magnifique journée.

La vie semble sourire à ces trois jeunes adultes plutôt insouciants. Mais c’est sans compter sur le destin tragique que leur réserve cette journée.

Ward tue accidentellement Gwen en rangeant son fusil, anéantissant au passage leur avenir.

Vingt-cinq années passent, Ward et Éric ont survécu et construit leur vie du mieux qu’ils pouvaient, hantés par le douloureux souvenir. Eric est quasiment fauché malgré son immense talent de musicien, il n’a pas réussi à surmonter la perte de Gwen et Ward semble s’enfoncer chaque jour un peu plus dans une insurmontable dépression, pourtant bien entouré de sa femme et de ses enfants.

” Son cerveau était en proie à une douleur indescriptible, un genre de désespoir, une sensation qui l’avait saisi dès l’instant où il avait entendu rugir le fusil un quart de siècle plus tôt. “

C’est à l’occasion de retrouvailles improbables qu’Eric invite Ward dans son ranch pour une ultime partie de chasse. Peut-être, est enfin venu le moment de régler ses comptes ou de pardonner ?

Ce que j’en dis :

Dès le départ ça claque, à peine le temps de s’attacher aux personnages qu’un drame surgit, et c’est quelques années plus tard que l’on retrouve ceux qui restent.

Fracassés, chacun a tenté de survivre en dansant bien trop souvent au bord de l’abîme.

Malgré tout, une nouvelle partie de chasse est programmée et une certaine tension s’installe et laisse présager une rencontre sanglante sous le signe de la vengeance.

Et pourtant l’aventure prends des allures de rédemption et les deux hommes se retrouvent rattrapés par le destin et contre toute attente, apprivoisent la notion du pardon.

Un bon blues au cœur des rocheuses, sauvage, brutal, inquiétant, mais qui s’illuminera parfois, comme avec quelques notes d’espoir, tel un arc en ciel après l’orage.

Un roman aux beautés multiples, à savourer, accompagné d’un bon whisky, en se laissant porter par la plume touchante de l’auteur qui nous transporte dans ces vies tourmentées et ces paysages grandioses.

Pour info :

Samuel Western est né dans le Vermont et a servi dans la marine marchande suédoise, puis a travaillé comme bûcheron, pêcheur professionnel, docker et guide de chasse. Diplômé de l’Université de Virginie, il a enseigné l’anglais avant de s’installer à Sheridan, dans le Wyoming.

Canyons est son premier roman.

Je remercie les Éditions Gallmeister et les félicite pour réussir à toujours m’éblouir en me faisant découvrir de nouveau auteur de l’Ouest américain aussi talentueux.