Se cacher pour l’hiver

Se cacher pour l’hiver de Sarah St Vincent aux Éditions Delcourt

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Eric Moreau

Se cacher pour l’hiver, qui n’en rêverait pas en ce moment pour de multiples raisons, même isolé au bout du monde.

Kahtleen vit depuis quelques temps déjà dans ce coin perdu de Pennsylvanie, au cœur d’un parc naturel, sur le sentier des Appalaches.

Les beaux endroits c’est comme partout ailleurs. On y souffre quand même. ”

Elle s’occupe du snack où s’arrêtent parfois les gens des randonneurs.

Elle n’est donc pas surprise quand elle voit apparaître cet étranger dans le paysage, en dehors de son drôle d’accent et de son allure peu adaptée à la randonnée.

Le croyant de passage, elle commence à s’interroger au bout de quelques jours, ne le voyant pas reprendre la route.

Apparemment cet homme semble se cacher.

Vivant reclus depuis un moment avec sa part de traumatisme à surmonter, elle est d’autant plus amène à le comprendre. Sortant chacun de leur réserve, une amitié prends forme et jour après jour chacun se délivre.

Mais dans le silence apaisant de l’hiver le danger se rapproche…

Je comprenais la peur panique, surtout la peur ancrée dans le passé et donc beaucoup plus coriace.

Ce que je comprenais plus que tout, c’était le désir de se couper du monde.

“ J’ai pourtant fini par perdre patience. Quoi que cet homme très étrange soit venu faire ici, croyait-il vraiment qu’il pourrait resté caché à tout jamais dans un trou perdu au fin fond de la Pennsylvanie ? Ce n’était pas réaliste. Il était plus intelligent que ça – et moi aussi ”

Ce que j’en dis :

Certains livres ont le pouvoir de vous embarquer dès les premières pages vers une aventure hors du commun et donne une folle envie de Se cacher pour l’hiver, pour les savourer.

Se cacher pour l’hiver comme Kathleen et Daniil nos deux personnages qui hantent les pages de cette histoire.

Se dévoilant peu à peu l’un à l’autre, nos deux écorchés, blessés physiquement et psychologiquement tentent de s’apprivoiser nous livrant peu à peu leurs blessures et leurs secrets par petites touches comme lorsque le printemps libère l’hiver de ses paysages enneigés avec l’espoir de voir renaître des jours meilleurs.

Avec douceur et subtilité malgré la violence des faits, l’auteure Sarah St Vincent aborde la violence conjugale, la culpabilité et l’espoir du pardon par la rédemption.

Une histoire tragique portée par une plume magnifique qui sied à ravir à ce décors hivernale des Blue Ridge Mountains où nos deux âmes perdues s’apprivoisent, s’entraident malgré la noirceur qui les habitent.

Un magnifique premier roman qui donnent vies à des personnages inoubliables dans une ambiance sous tension où l’intrigue se libère au fil des pages, pour que la souffrance s’envole et que le soleil illumine enfin leur vie.

Une superbe découverte comme sait nous offrir la maison d’éditions Delcourt.

Pour info :

SARAH ST VINCENT a grandi en Pennsylvanie.

Avocate spécialiste des droits de l’homme, elle s’est investie notamment auprès de victimes de violences domestiques.

Elle travaille aujourd’hui pour l’organisation Human Rights Watch en tant qu’observatrice des politiques et pratiques de sécurité intérieure. Se cacher pour l’hiver est son premier roman.

Rosine une criminelle ordinaire

Rosine une criminelle ordinaire de Sandrine Cohen aux Éditions du Caïman

Tu l’as vue ?

Oui, j’ai demandé l’affaire. Le parquet m’a saisi. J’ai été la voir à l’hôpital. Elle a tué ses filles hier vers vingt heures, le petit ami était là, c’est lui qui a appelé le SAMU et les flics. Elle était en état de choc, d’où l’hospitalisation. Elle dit qu’elle est un monstre, qu’elle ne veut pas d’avocat. Elle ne dit rien d’autre. Elle ne sait pas pourquoi elle a fait ça. Elle veut mourir. Le petit ami venait de lui dire qu’il voulait réfléchir.

Et tu crois qu’il y a quelque chose derrière.

– J’en suis sûr. Regarde.

Qu’est-ce qui peut bien conduire une mère si protectrice et si aimante envers ses deux filles à commettre un telle ignominie.

Clèlia, enquêtrice de personnalités auprès des tribunaux, va tout tenter pour comprendre ce qui a poussé cette femme à cet acte indicible. Cette femme est coupable là n’est pas la question, mais si elle prouve que cette mère peut bénéficier de circonstances atténuantes, sa peine d’emprisonnement pourrait être amoindrie. Clèlia veut comprendre, persuadée que derrière cette histoire tragique se cache un drame enfoui dans les méandres de la mémoire de Rosine, cette mère coupable d’infanticide.

[…] « Qui peut dire avec certitude qu’il connaît tout de lui-même ? Qui peut dire avec certitude qu’il n’est pas une Rosine Delsaux en puissance ? Qui peut dire avec certitude qu’il n’est pas un criminel ordinaire en puissance ? » De quoi donner des frissons. Et convaincre un jury.

Ce que j’en dis :

Ayant été confronté à un drame aussi tragique dans mon quartier en 2017, (Une jeune femme a mis fin à la vie de ses deux jeunes enfants) j’appréhendais cette lecture, après avoir lu quelques lignes de la quatrième de couverture. Je me souviens encore de la marche blanche qui avait été organisée, en souvenir de ces enfants. Dans l’impossibilité de marcher cette année là, j’avais partagé leurs émotions douloureuses du haut de mon balcon. Il y a quelques semaines, cette femme a été jugée et a écopé de trente années d’emprisonnement.

Bien évidemment, dans ce polar, le drame ne nous est pas épargné, mais l’histoire est centrée sur l’enquête de Clèlia qui tente à démontrer que derrière cet acte se cachent de terribles secrets qui ont conduit cette mère à commettre l’innommable, sans être prémédité mais malheureusement inévitable.

Elle veut comprendre et prouver que Rosine n’est pas la seule responsable, même si rien n’excusera son horrible geste.

Pour elle, seul un traumatisme a pu amener cette femme à tuer ses enfants, elle ira jusqu’au bout pour trouver ce qui a déclenché cette folie meurtrière.

Elle a beau être une enquêtrice hors paire, sa mauvaise réputation liée à son comportement borderline la précède et ne lui facilite pas la tâche, elle n’hésite pas à sortir des limites autorisées pour réussir à prouver que son intuition ne la trompe pas. Si son attitude et son humour au premier degré ne plaisent guère à sa hiérarchie, elles apportent à cette histoire dramatique un peu de légèreté et permet de poursuivre la lecture avec moins d’appréhension car faut bien le reconnaître, elle m’a plus cette nana au caractère bien trempé et je me suis très vite attachée à elle.

Si Rosine, la coupable est une femme ordinaire, ce polar est loin de l’être. Sandrine Cohen nous confronte à l’impensable, donner une deuxième chance à une criminelle en nous prouvant par l’intermédiaire de son enquêtrice qu’elle avait des circonstances atténuantes en nous le démontrant pas après pas en explorant les mécanismes du passage à l’acte.

Contre toutes attentes, ce polar est vraiment une belle découverte, et je suis persuadée qu’il plaira à tous les fan de la série MINDHUNTER.

Ce serait dommage de passer à côté…

Pour info :

Sandrine Cohen est comédienne, scénariste et réalisatrice de fictions et de documentaires.

Passionnée de faits divers, elle a notamment réalisé trois documentaires sur des crimes de proximité, passionnels et familiaux.

Elle s’est intéressée, au-delà du sensationnel au mécanisme du passage à l’acte. Rosine, une criminelle ordinaire est tiré de ces expériences.

Je remercie Olivia et les Éditions du Caïman pour ce polar surprenant terriblement addictif.

Manaus

Manaus de Dominique Forma aux Éditions de La Manufacture de livres

Si on me repère, m’arrête, ou m’exécute avant mon retour sur le territoire national, l’État niera toute responsabilité ; les services affirmeront sur ce qu’il y a de plus sacré, la Constitution par exemple, ne pas me compter parmi leurs employés. Il est entendu qu’on salira ma mémoire si nécessaire, qu’on dénaturera mon histoire afin de couper court à toute supposition reliant ma mission à la France. […] N’étant pas en Amérique du Sud, ma mission n’existe pas. ”

Les hommes de l’ombre, ils sont partout dans le monde, et pourtant on ignore tout d’eux, jusqu’à leurs existences. Pourtant chaque année, ils sont chargés de missions assez délicates, dangereuses, et surtout secrètes.

Dans l’ombre, ils protègent mais parfois assassinent des personnes devenus gênantes.

C’est en Argentine qu’à lieu la première mission de notre homme. Sous couvert de l’escorte qui accompagne le général de Gaulle, il devra trouver son contact, s’approcher de sa cible, puis l’éliminer, avec efficacité et sans poser de questions.

Mais en cours de route, le Services l’envoient à Manaus.

Je devrais être dans un avion pour Cayenne, à préparer mon mémo de mission. Je suis seul, accompagné de deux autres solitudes, dans un monde où tout peut arriver ; le manque de lumière, la forêt si proche, épaisse, dans laquelle des centaines d’ennemis peuvent se terrer ; autant d’autres pièges sont imaginables, des chausse-trappes, des sous-bois minés, et aucune autre voie de fuite que la barque en bois de João. Et ce bateau rouillé, au loin, qui annonce le pire. ”

C’est dans la moiteur de cette jungle qu’il va se retrouver face à un homme, un témoin dérangeant de son passé qu’il désirerait tant oublier.

Ce que j’en dis :

Il fut un temps où lire une Novella était synonyme de frustration, trouvant toujours le texte trop court à mon goût surtout lorsque je connaissais déjà l’auteur. Puis j’ai apprivoisé le style jusqu’à grandement l’apprécier maintenant.

Malgré la brièveté de récit, l’auteur nous offre une histoire palpitante habitée de noirceur, où la nouvelle mission de notre homme révèle une vieille trahison.

En allant droit à l’essentiel, dans une ambiance poisseuse, on découvre un pan d’histoire de l’époque du Général de Gaulle où les secrets honteux étaient déjà de rigueur.

Chacun peut réécrire l’Histoire après avoir fait le ménage.

Brute, intense, idéal pour faire connaissance avec l’auteur.

Pour info :

Né en 1962, Dominique Forma a vécu plus de quinze ans aux États-Unis, où il a fait carrière comme scénariste et réalisateur.

De retour en France, il publie son premier roman, Skeud, suivi de quatre autres aux éditions Rivages et d’Albuquerque à La Manufacture de livres.

Depuis, il partage son temps entre Paris et Limoges, l’écriture et la photographie.

Je remercie la Manufacture de livres pour nous dénicher des pépites qui nous embarquent toujours vers d’autres horizons.

Beautiful Boy

Beautiful Boy de Tom Barbash aux Éditions Albin Michel

Traduit de l’américain par Hélène Fournier

“ Le Dakota Building, où nous avions emménagé quand j’avais quatre ans, est l’un des immeubles les plus connus au monde. […] La liste des habitants de cet immeuble et des invités qui y ont défilé est le Who’s Who d’un siècle de culture américaine. Le Dakota aurait dû figurer au beau milieu de cette vieille couverture du New Yorker qui représente une petite partie de Manhattan entourée de minuscules points symbolisant le reste du monde, car c’est l’image qu’on avait de lui quand j’étais petit. ”

New-York 1980. À l’angle de la 72 éme rue, face à Central Park, le Dakota Building domine depuis une centaine d’années. C’est dans ce lieu mythique que vit le jeune Anton Winter avec sa famille.

Il est de retour d’une mission humanitaire en Afrique et espère bien se refaire une santé auprès des siens.

“ Je me suis senti chanceux d’avoir eu une enfance relativement ordinaire, bien qu’extraordinaire. Je n’avais pas été enlevé par un de mes parents, et aucun des deux ne s’était fait renverser par un flic ivre, du moins pas encore.

Notre période d’infortune, c’est maintenant que nous la traversions. ”

Son père, Buddy, fait également une pause, après avoir été sous les projecteurs en tant qu’animateur de télévision. Il se remet doucement d’une dépression nerveuse et espère que son fils l’aidera à relancer sa carrière.

Quand à sa mère, ex- mannequin elle se consacre à la campagne de Ted Kennedy.

Sans oublier l’illustre John Lennon un des ses voisins dont il se rapproche sans pour autant profiter de sa notoriété. Une belle amitié s’installe entre eux qui sera hélas écourtée par Mark David Chapman qui fera couler beaucoup d’encre après avoir fait couler le sang au pied du Dakota Building.

Ce que j’en dis :

Tom Barbash nous offre une errance New-Yorkaise de toute beauté en nous transportant dans les années 80 au sein du Mythique Dakota Building en compagnie de la famille Winter.

Anton très proche de son père lui apporte son soutien mais avec une folle envie de s’affirmer et de prendre enfin son envol.

L’auteur pose un regard avisé sur cette famille qui a connu la célébrité dans cette ville en pleine mutation, permettant même à John Lennon de s’illustrer une dernière fois, à travers ses moments d’amitié avec le jeune Anton, qui ne l’oubliera jamais.

La violence rôde dans les rues de New-York sans pour autant mettre fin aux rêves qui hantent de nombreux américains.

Tom Barbash est l’image de sa ville, après son magnifique recueil de nouvelles , il prends de la hauteur avec ce superbe roman et grimpe sur les podiums littéraires en route vers le succès.

Une belle plume américaine, qui ravira tous les amoureux de New-York.

Pour info :

Diplômé de Stanford et de l’université de l’Iowa, Tom Barbash s’est fait connaître en France en 2015 avec un recueil de nouvelles, Les Lumières de Central Park, largement salué par la presse.

Il vit aujourd’hui en Californie et enseigne la littérature au California College of Arts.

Je remercie les Éditions Albin Michel pour cette balade new-yorkaise pleine de nostalgie.