C’est plus beau là-bas

C’est plus beau là-bas de Violaine Bérot aux Éditions Buchet.Chastel

“ […] aujourd’hui tu n’es plus cet homme instruit, éduqué, non aujourd’hui tu es un corps qui se vide et ne rêve que de se remplir, et tu te dis que ce n’est pas possible, ce doit être un cauchemar, ce ne peut être qu’un cauchemar, tu vas te réveiller et tu te retrouveras dans ta chambre, dans ton lit, et au pied de ton lit il y aura tes piles de livres, et en haut de l’une des piles celui que tu viens de terminer, ce petit livre de rien du tout que quelqu’un t’a demandé de lire, que tu as pris par politesse sans le regarder, sans y prêter attention, ce petit livre que tu as reposé sur la pile la plus proche de ta main une fois lues à dernière ligne, ce petit livre qui se terminait, tu t’en souviens, sur ces mots, « de ce qu’il adviendra, aucun de nous ne pourra se plaindre ». ”

Découverte en 2018 avec : Tombée de nues, (Ma chronique ici) puis retrouvée en 2021 avec : Comme des bêtes, ( Ma chronique ici) à travers deux romans formidables qui m’avaient complètement sidérée, tant par l’histoire que par l’écriture, j’étais donc impatiente de lire ce dernier roman de Violaine Bérot : C’est plus beau là-bas paru à cette dernière rentrée 2022.

Dès le départ, on assiste au kidnapping d’un homme qui s’avère être un professeur. S’agit-il d’un canular orchestré par ses élèves, où tout autre chose ? L’homme s’interroge, tout en subissant cet enfermement. Ses élèves auraient-ils mis en pratique la théorie qu’il leur avait enseigné, notamment la création d’une société idéale uniquement possible si elle était portée par la jeunesse.

Entre ses pensées et les nombreuses questions qui envahissent son esprit , l’homme cherche des réponses et le lecteur aussi.

À travers ce roman assez court, genre de Novella dystopique, je suis restée spectatrice de l’aventure de cet homme sans hélas réussir à m’y intéresser vraiment. Trop de questions qui amènent d’autres questions mais sans réponses à l’horizon.

Bien sûr j’ai retrouvé le style de Violaine Bérot qui nous emmène loin des sentiers battus, mais sans retrouver la chute finale dont elle m’avait habituée qui laisse sans voix.

C’est plus beau là-bas, certainement mais existe-t-il encore un échappatoire pour qu’on se libère de ce monde qui part à la dérive ? Et– on prêt à changer pour y parvenir ?

Un roman étrange, qui laisse derrière lui beaucoup d’interrogations.

Les enfants endormis

Les enfants endormis de Anthony Passeron aux Éditions Globe

“ Dans la famille, tous ont fait pareil à propos de Desiré. Mon père et mon grand-père n’en parlaient pas. Ma mère interrompait toujours ses explications trop tôt, avec la même formule : « C’est quand même bien malheureux tout ça. » Ma grand-mère, enfin, éludait tout avec des euphémismes à la con, des histoires de cadavres montés au ciel pour observer les vivants depuis là-haut. Chacun à sa manière a confisqué la vérité. Il ne reste aujourd’hui presque plus rien de cette histoire. Mon père a quitté le village, mes grands-parents sont morts. Même le décor s’effondre. ”

Dans les années 80 le virus du Sida fait son apparition aux États-Unis, et très vite des rumeurs circulent sur sa propagation, on s’en souviens tous. Lorsque l’on a commencé à en parler en France, c’était déjà trop tard, le mal était déjà fait, et le virus du Sida était devenu un sujet tabou qui coulait parfois dans les veines de jeunes personnes qui n’avaient pourtant jamais eu de relations sexuelles, ni même touchées à la drogue, mais avaient seulement été transfusé.

C’est comme ça que j’ai découvert le virus du SIDA, en perdant Loïc, un copain du village qui était hémophile, il avait une dizaine d’année comme moi.

C’est le genre de souvenir qui nous marque à jamais. Ma première fois face à l’injustice.

Pour Anthony Passeron, c’est la mort de son oncle qui l’a marqué, mais également tout le déni autour de cette mort dans cette famille de taiseux qui l’on amené à écrire cette histoire.

“ Quand l’image disparaît brusquement du mur de ma chambre, je comprends qu’ils auraient pu avoir une vie en dehors de la drogue. Une vie où ils auraient été heureux. Une vie où j’aurais pu les connaître. Une vie simple qui n’aurait sans doute pas mérité d’être racontée, mais une vie toute entière. C’est à ce jour-là qu’il faudrait pouvoir remonter pour tenter de tout recommencer autrement. Désormais, il n’y a plus qu’en regardant les super-8 de mon père dans le désordre qu’on peut ramener ces gens à la vie. ”

En alternant l’histoire de sa famille et la maladie côté scientifique, il nous confie les secrets tabous des siens, de cette famille de boucher en milieu rural, complètement dépassée par cette maladie qui engendrait tellement de honte qu’ils préféraient l’ignorer jusqu’au déni total, tout en revenant sur la découverte de ce virus, les premières recherches, les premières rumeurs, les mensonges, les premiers espoirs, les premiers traitements qui m’ont ramené direct à la dernière épidémie en date et m’a donnée des sueurs froides, à croire que les scientifiques ne retiennent jamais la leçon et que le schéma se répète inlassablement.

Tout est vrai, dans ce récit et c’est d’autant plus déchirant.

Tout en sobriété et avec délicatesse, pour un sujet extrêmement sensible, douloureux, trop longtemps caché sous le manteau de la honte et du mensonge.

“ Le sida ne voulait rien savoir. Il se jouait de tout le monde ; des chercheurs, des médecins, des malades et de leurs proches. Personne n’en réchappait, pas même le fils préféré d’une famille de commerçants de l’arrière-pays. ”

Pour info :

Anthony Passeron est né à Nice en 1993. Il enseigne les lettres et l’histoire- géographie dans un lycée professionnel.

Les enfants endormis est son premier roman.

Pas de souci

Pas de souci de Luc Blanvillain aux Éditions Quidam

“ – Vous souffrez, dit la thérapeute.

Le terme paraissait excessif. C’était juste que la vie était désespérante. Pas la sienne particulièrement, mais elle était née au mauvais moment, juste avant la fin du monde. Certains jours, ça plombait l’ambiance. À la base, elle aimait beaucoup le bonheur et l’avait envisagé comme une fin désirable. Ses parents, sa mère surtout, l’y encourageait. […]

– Ils vous cachent quelque chose, déclara la thérapeute.

Chloé se redressa dans son voltaire.

– Qui ?

– Vos parents. ”

À la trentaine, Chloé est envahi par un terrible mal de vivre. Il faut bien reconnaître que l’ambiance générale sur terre n’encourage pas à une euphorie permanente. Mais tout de même, rien d’insurmontable. Mais lorsqu’elle commence à se libérer à la thérapeute qu’elle s’est résolue à consulter, celle-ci lâche une remarque qui va faire basculer sa vie de manière complètement inattendue.

Une thérapeute est pourtant censée apporter une aide à ses patients, pas de déclencher un tsunami dans leur vie en balançant comme ça, mine de rien en fin de séance une petite phrase anodine. À 70€ la séance, on s’attend à un minimum de considération.

La première vague s’annonce, d’autres suivront. Un véritable fléau avec comme patient zéro, la thérapeute qui a mine de rien inoculé la rumeur. Le mal est fait.

Petit à petit, cette divine comédie prendra des allures de tragédie.

Pas de souci, elle croyait, Chloé, c’était bien avant de rencontrer cette thérapeute.

Après avoir fait appel à un imitateur pour aider un écrivain débordé, dans son premier roman : Le répondeur (ma chronique ici) Luc Blanvillain fait appel à une audio descriptrice pour ce nouveau scénario, qui verra sa vie basculée après avoir consulté une thérapeute.

Chloé habituée de par son métier à décrypter les attitudes pour retranscrire au mieux devra étudier avec attention son entourage afin de lever le voile sur cette rumeur si vraiment elle s’avère fondée.

Personne ne sera épargné et la vérité va en éclabousser plus d’un au passage. Ce qui était au départ qu’une rumeur va s’avérer cruellement dévastateur.

Luc Blanvillain a l’art et la manière de concilier humour et tragédie avec beaucoup d’esprit à travers une belle mise en scène où se côtoient l’espèce humaine dans toute sa splendeur et même sa noirceur.

Les vies qui basculent c’est sa came, et Pas de souci ça le fait cette fois encore.

Alors n’hésitez pas à mettre le répondeur et à vous allonger sur votre divan pour consulter non pas la thérapeute mais ce nouveau roman aussi intrigant que cruel, bien plus passionnant et bien moins cher qu’une séance de psy…

C’est aux Éditions Quidam, une maison toujours pleine de belles surprises littéraires.

L’homme peuplé

L’homme peuplé de Franck Bouysse aux Éditions Albin Michel

“ Lorsque Caleb sort de sa rêverie, le soir est tombé et la neige enfle au sol. Un bruit se fait entendre au loin. Il reconnaît le ronronnement d’un moteur qui approche et bientôt la lueur des phares éclaire la brume et traverse timidement la combe. Quelqu’un vient d’arriver. Caleb attend un long moment. Il n’y a plus de bruit, plus de lumière. Sa mémoire éclatée commence tout juste à recomposer l’histoire. ”

Derrière la fenêtre où ce matin même, une mésange bleue s’était perchée, Caleb observe l’arrivée de l’homme dans la ferme voisine.

Cet étranger qui semble s’installer dans ce lieu isolé à l’écart du village, l’intrigue et l’inquiète.

D’un naturel méfiant et plutôt solitaire, Caleb est bien décidé à garder un œil sur lui.

Harry, de son côté sent bien qu’on l’épie.

Harry est un jeune écrivain, et pour retrouver un nouveau souffle d’écriture pour son prochain roman , il a acheté cette demeure éloignée du village et loin du tumulte parisien. Mais à peine arrivé, il commence à douter de son choix sentant l’endroit quelque peu hostile un brin angoissant.

“ Au loin, une bête inconnue émet un cri plaintif. […] L’inquiétude se diffuse dans son corps, tenace. Avec le brouillard qui l’enveloppe, le paysage tout entier semble se replier autour de lui, comme pour isoler un parasite, l’enfermer dans une gangue. Il n’est pas à sa place et chaque élément de l’environnement le lui signifie clairement. ”

Il va devoir trouver ses marques dans ce nouveau territoire, apprivoiser les lieux et surtout se faire adopter par les habitants qui semblent de prime abord assez suspicieux comme s’ils redoutaient que l’on découvre leurs secrets.

Tout comme Harry, c’est pas à pas que nous allons traverser cette histoire, faire connaissance avec ce lieu, ces habitants, accompagnés du chants des oiseaux très présents dans cette contrée.

Un voyage qui va nous transporter insidieusement entre le passé et le présent convoquant parfois certains fantômes qui laissent traîner dans leur sillage une trace de leur passage , à jamais ancré sur ces terres. Qu’il soit sorcier ou sourcier, les hommes de ce territoire possèdent un don qui ne plait guère à tout le monde. Mais quand on creuse la terre, ce n’est pas forcément l’eau qui apparaît mais parfois de bien sombres secrets…

“ Elle disait des choses qu’un enfant ne peut pas comprendre, qu’un adolescent n’entend pas et qu’un adulte ressasse le restant de sa vie :

– Orphelins de souvenirs, c’est ce qu’on devrait tous devenir, comme ça au moins on hériterait que de ce qu’on fait et on éviterait de penser. Si je te raconte un jour des choses qui te concernent pas directement, c’est que je serai pas loin de la tombe, mais même à ce moment-là, je ferai tout pour pas être tentée. ”

Pour tous ceux qui comme moi, sont tombés sous le charme de l’écriture de Franck Bouysse à travers Grossir le ciel, seront ravis de retrouver cette ambiance et cette écriture qui lui sied si bien. Une atmosphère sombre, suspicieuse, dans un décor naturel, authentique, où le chant du monde y trouve une place de choix.

À travers ce roman choral, riche en personnages possédant chacun sa propre histoire, parfois liée à une autre pour ne faire plus qu’une, on y découvre des hommes et des femmes face à leur destinée souvent déterminée par leur passé et par les rumeurs qui peuvent s’installer au sein d’une communauté face aux aprioris, aux attitudes et aux jugements de certaines personnes face à la différence. On sent comme toujours l’attachement de l’auteur à la nature mais également sa colère face à ceux qui maltraitent la faune et la flore de notre planète. Je me trompe peut-être, mais il me semble qu’il a mis une bonne part de lui même notamment dans les personnages de Caleb et Harry.

Mais gardons pour l’homme peuplé, la part de mystère qu’il possède et laissons lui se forger une place au cœur de vos territoires, pour que errent jusqu’à vous les fantômes de cet endroit, libérés par l’écriture toujours aussi mélodieuse de Franck Bouysse, un merveilleux conteur.

Il renoue avec ses premiers amours et ça va faire plaisir à plus d’un, c’est certain.

Pour info :

Présentation et autres chroniques par ici.

Né d’aucune femme ❤️

Buveurs de vent ❤️

Arpenter la nuit

Arpenter la nuit de Leila Mottley aux Éditions Albin Michel

Collection Terres d’Amérique

Traduit de l’américain par Pauline Loquin

“ Personne ne nous attend nulle part et ça nous va très bien comme ça. Alé fait partie des chanceuses. […] elle n’a jamais connu la faim. Ici, il y a différents degrés de survie, et à chaque fois que je la prends dans mes bras ou que je la regarde faire du skate sur le trottoir, je peux sentir la puissance de ses battements de cœur. Mais qu’on ait de la chance ou pas, on doit quand même travailler pour rester en vie les bons comme les mauvais jours pendant que là-bas quelqu’un est rayé de la carte, réduit à une poignée de cendres éparpillées autour de la baie. ”

Bien qu’elle n’ait que dix sept ans, Kiara doit se résoudre à trouver du travail. Depuis qu’elle et son frère se sont retrouvés seuls, complètement livrés à eux-mêmes depuis la mort d’un parent et de l’emprisonnement de l’autre, leur vie est devenue une vraie tragédie . L’expulsion de leur appartement n’est plus qu’une question de temps à moins que Kiara ne trouve une solution, son frère étant déjà plongé dans sa musique, elle doit se démener pour deux et même pour trois, la voisine ayant laissé son gamin derrière elle.

Alors Kiara arpente la nuit, malgré sa jeunesse, insouciante du danger et des prédateurs qui errent dans l’obscurité.

Et puis un soir, une rencontre suivi d’un malentendu, va plonger Kiara vers une voie dangereuse, immorale mais qui rapporte les dollars dont elle a tant besoin.

“ Je crois que je suis passée à côté du moment où on bascule dans une partie de bras de fer avec son bonheur. ”

Arpenter la nuit, vendre son corps, éviter les coups, éviter les balles…

Arpenter la nuit, pour ne pas mourir de faim, arpenter la nuit pour ne pas perdre son toit…

Arpenter la nuit, éviter la police, jusqu’à l’impensable…

“ La mort est toujours une possibilité quand on fait le trottoir, mais ça n’avait pas l’air si réel jusqu’à maintenant, jusqu’à ce que j’apprenne qu’Alé aurait pu être en train d’organiser l’enterrement de sa sœur et que je devienne un mémento de ce qui est peut-être arrivé. ”

Arpenter la nuit, rejoindre la noirceur de la ville, assez semblable à la noirceur de sa vie, où il était si bon pourtant d’y laisser entrer la lumière et même quelques couleurs dans un temps pas si lointain, avant que tout lui échappe.

“ En rentrant des cours je trouvais désormais Marcus assis sur notre coin de tapis avec du carton et des tubes étalés devant lui, prêt à me tendre un pinceau. C’était la plus belle chose qu’il pouvait faire pour moi, m’offrir des couleurs. Parfois j’osais même imaginer que je pourrais devenir davantage que la sœur de Marcus, que je pourrais devenir le genre d’artiste qui met un cadre autour de ses œuvres. ”

Dès les premières pages, la plume de cette jeune auteure nous percute, avec son écriture à la fois brute et raffinée, violente et passionnée, où se côtoient la noirceur et la poésie.

D’emblée on s’attache à Kiara, on tremble pour elle, on espère pour elle, on s’insurge pour elle, sachant très bien que là-bas en Amérique c’est comme ça que ça peut se passer pour une jeune fille noire livrée à elle-même.

Leila Mottley aborde de nombreux sujets à travers cette histoire bouleversante, qu’il soit question des drames familiaux, des montants des loyers (non réglementés aux USA) des arrestations ciblées, de l’abus de pouvoir, de la violence envers les femmes, de la prostitution en passant par la drogue et même l’amitié sans oublier l’amour, tout est lié et donne une réelle vision de la vie de Kiara confrontée trop jeune à un univers emplit de violence juste pour qu’elle puisse survivre un jour de plus bien loin du rêve américain et toujours raconté sans une once de pathos.

À seulement 17 ans, Leila Mottley fait une entrée remarquable, vraiment extraordinaire avec ce premier roman époustouflant tiré d’un véritable scandale touchant certains membres de la police d’Oakland et de la baie de San Francisco. Après cette lecture, il vous sera difficile de ne pas penser à Kiara, cette jeune héroïne lorsque le moment d’Arpenter la nuit viendra et que vous apercevrez au loin des silhouettes en attente de jour meilleur.

C’est terriblement émouvant mais qu’est-ce que c’est beau d’Arpenter la nuit à travers cette plume de toute beauté.

Une nouvelle étoile est née.

Une auteure à suivre éternellement.

Pour info :

Leila Mottley est une auteure et poétesse américaine de dix-neuf ans, originaire d’Oakland en Californie.

Arpenter la nuit, qu’elle a écrit à l’âge de dix-sept ans, a suscité l’enthousiasme d’éditeurs du monde entier.

Sa publication apparaît déjà comme un événement et l’acte de naissance d’une formidable carrière d’écrivain.

De la jalousie

De la jalousie de Jo Nesbø à la Série Noire de Gallimard

Traduit du Norvégien par Céline Romand-Monnier

“ C’était vrai ce qu’on disait, que des aveux étaient un récit qui attendaient de trouver un public. ”

Des aveux, chers lecteurs , vous allez en découvrir à travers ces sept nouvelles, et comme il est souvent dit : « Faute avouée à moitié pardonnée. » vous verrez qu’il vous sera difficile de ne pas donner l’absolution à ces pêcheurs qui ont fauté face à toute cette jalousie qui les a habité à un moment de leur vie les conduisant parfois au pire.

Vous risquez même de découvrir :

– Que Freud avait raison.

– Sur quoi ?

Me direz-vous ?

– Sur le fait que les gens, à quelques exceptions près, ne valent pas grand-chose. »

Et ce n’est pas l’enquêteur qui détecte la jalousie qui vous diras le contraire. Ni même ce ripper qui a le job parfait pour faire disparaître les corps.

“ Il faut bien que quelqu’un fasse le ménage. ”

Qu’il soit question de tromperie, d’injustice face à certains privilégiés, il n’y a parfois qu’un seul remède pour assouvir sa soif de vengeance avec ou sans préméditation face à la jalousie, et c’est avec beaucoup d’élégance, et d’ingéniosité que nos protagonistes bafoués, rivalisant presque entre eux vont réaliser les crimes parfaits.

La jalousie conduit vers une douce folie meurtrière, laissant dans son sillage, une amoureuse effondrée, une caissière serial killeuse, un enquêteur novateur, un éboueur ingénieux, un chauffeur de taxi rusé, et même un photographe démoniaque.

Vous l’aurez compris, ces histoires ne sont pas à dormir debout, bien au contraire, il vous est même conseillé de ne pas les mettre entre les mains des personnes qui un temps soit peu vous jalousent, cela pourrait leur donner de mauvaises idées.

Si Jo Nesbø est devenu un incontournable de la Série Noire avec ses polars et ses romans noirs de haut vol, il fait une entrée remarquable avec ce premier recueil de nouvelles, l’exercice de la nouvelle n’est pourtant pas facile, d’autres avant lui se sont plantés, de quoi susciter De la jalousie face au talent de ce grand auteur scandinave.

La jalousie, un des sept péchés capitaux, à travers sept nouvelles parfaitement accomplies, un véritable bâtisseur littéraire, un grand architecte capable de construire en quelques pages des histoires édifiantes.

Je rêve déjà qu’il poursuive cette aventure, et nous offre dans un futur proche avec son regard d’écrivain avisé d’autres nouvelles sur les six autres péchés capitaux qui mettent tant à mal la nature humaine. Il en est capable, la preuve.

Pour info :

Né en 1960 à Oslo, musicien, économiste et scénariste, Jo Nesbø est le chef de file du roman policier scandinave.

Traduit dans une cinquantaine de langues, il a vendu plus de cinquante millions d’exemplaires dans le monde, avec notamment la série « Harry Hole» et des romans noirs comme Leur domaine.

De la jalousie est son premier recueil de nouvelles traduit en France.

Le silence est ma langue natale

Le silence est ma langue natale de Sulaiman Addonia aux Éditions La croisée

Traduit de l’anglais par Laurent Bury

Asmara, capitale de l’Érythrée est frappée par la guerre, obligeant les hommes et les femmes à fuir, laissant tous leurs biens derrière eux, comme Saba, Hagos et leur mère.

“ Saba pensa à Hagos. Il était devenu davantage que la culpabilité qu’elle portait. Tout ce qu’elle faisait, elle le faisait pour deux. Elle parlait pour deux, elle étudiait et rêvait pour deux, posait des questions pour deux. Les yeux de Saba étaient les yeux de Hagos, comme tous ses autres sens. Et maintenant en regardant Samhiya, Saba aurait voulu combler l’absence de passion dans la vie de son frère de façon pragmatique, tout comme elle allait chercher de l’eau pour étancher sa soif, lui rapportait de la nourriture du centre de secours et des épinards sauvages pour apaiser sa faim. Tout comme elle tenait le rôle de meilleure amie ainsi que celui de sœur, elle imaginait possible qu’il puisse faire l’amour à travers elle. ”

Confrontés à l’exil, ils se retrouvent dans un camp de réfugiés où se côtoient une foule de personnages d’âges et d’horizons différents, aux traditions multiples.

“ Tout se recycle dans notre camp, le bonheur aussi bien que le désespoir. ”

Auprès de ces déracinés aux destins brisés, ils vont tenter de survivre et apprendre à s’aimer différemment quitte à briser quelques tabous au milieu de la violence où l’espoir a bien du mal à ne pas s’éteindre face au chaos assourdissant et au silence d’Hagos, un homme qui possède pourtant tant de sagesse.

Hagos n’est pas muet. Mais le monde n’est pas préparé à écouter.”

Fortement marqué par les années qu’il a passé dans un camp de réfugiés, Sulaiman Addonia nous livre un récit poignant qui nous emporte au cœur même de l’un de ces camps, où l’on découvre à travers quelques personnages cette survie mais également la violence envers les femmes. Un livre qui bouscule qui nous confronte à la douleur de l’exil pour ces hommes et ces femmes qui ont déjà tant perdu et resteront peut-être à jamais des apatrides.

“ Saba se demanda si cette mort les avait pris par surprise aussi, dans cet endroit censé leur apporter la sécurité. Elle avait adhéré à l’illusion qu’échapper à la guerre c’était échapper à toutes les formes de mort. Autrement pourquoi se donner le mal de s’exiler ici ? ”

Un récit déchirant, admirable qui donne voix au silence des exilés.

Pour info :

Sulaiman Addonia a fui l’Erythrée durant son enfance. Il a passé sa jeunesse dans un camp de réfugiés au Soudan puis a vécu en Arabie saoudite avant de poursuivre ses études à Londres.

Son premier roman, Les amants de la mer rouge (Flammarion, 2009) a été traduit dans plus de vingt langues.

L’auteur vit désormais à Bruxelles, où il a créé le festival littéraire Asmara-Addis.