Murmurer le nom des disparus

Murmurer le nom des disparus de Rohan Wilson aux Éditions Albin Michel

Traduit de l’anglais (Australie) par Étienne Gomez

“ Il écouta la nuit en essayant de mettre au point une feuille de route pour retrouver son petit dans cette ville misérable. Sous la canopée, des cris d’opossums, un fracas de brindilles. Comment ne pas imaginer un homme surgissant des fourrés, pour lui mettre la main dessus ? Pourtant, autour de lui, les ténèbres régnaient. Une nuit semée d’étoiles. Il se rallongea sur sa couche et observa le parcours tranquille de la lune qui montait dans le ciel vide. Il serra la lettre contre lui et la porta à ses lèvres. ”

Au cours de l’été de 1874, à Launceston en Tasmanie, William Toosey se retrouve seul au monde, malgré toute la détermination et le courage dont il a fait preuve pour tenter de porter secours à sa mère.

En rassemblant ses maigres biens avant de s’enfuir de la maison, il fait une découverte qui va lui lui apporter un peu de réconfort et lui permettre peut-être de retrouver son père, maintenant qu’il possède son nom et son adresse.

Avec soin, il rédige une lettre, et l’envoi telle une bouteille à la mer, avec un faible espoir qu’elle parvienne à son destinataire.

Dans cette ville en proie aux émeutes, un père et son fils vont tenter de se retrouver fuyant chacun de leur côté une certaine violence qui semble leur coller à la peau.

Tout le monde y allait de sa question sur la violence des événements qui déchiraient la ville, sur les gangs d’émeutiers, les interventions de la police et les actes de vandalisme. Chacun avait traîné sa chaise pour se rapprocher du garçon et se penchait pour mieux entendre ses réponses. Il était frêle et émacié mais il avait dans le regard une dureté que sa douleur n’avait pas éteinte. Des gouttes de sang lui coulaient du nez pendant qu’il parlait. Joueurs, marins et catins, tous l’écoutaient avec la plus grande attention, comme pour témoigner leur désapprobation quant à l’impôt sur le chemin de fer. ”

Une terrible chasse à l’homme commence au cœur du chaos environnant.

Rohan Wilson possède une écriture extraordinaire qui vous emporte dès les premières pages, dépeignant à merveille cette ambiance chaotique où règne une véritable misère, où les gamins des rues tentent de survivre aux côtés de hors-la-loi en tout genre.

Une plume habitée de noirceur qui fait penser à Cormac McCarthy, sans le comparer pour autant, car en seulement deux romans, il frappe fort avec un style parfaitement maîtrisé, nous plongeant dans la plus sombre nature humaine à travers des personnages auxquels on s’attache pourtant.

Dans un rythme effréné, où la violence est omniprésente, on y découvre pourtant des amitiés improbables et parfois de l’entraide totalement inespérée qui permet à certains de s’en sortir un jour de plus.

Un véritable western australien où les hommes tirent plus vite que la part d’ombre qui les possède.

C’est brillant, porté par une plume singulière de toute beauté, une véritable pépite littéraire que je vous invite à découvrir d’urgence.

La ruée vers les librairies n’est pas prête de s’arrêter avec des romans de cette qualité.

Rohan Wilson, brillant espoir de la littérature australienne mérite évidemment toute votre attention.

Pour info :

Rohan Wilson est né en 1980 en Tasmanie. Son premier roman La Battue a été couronné par plusieurs prix, dont le prestigieux Australian Vogel’s Literary Award et le Sydney Morning Herald Award, qui récompense le meilleur jeune auteur australien de l’année.

Après nous le déluge

Après nous le déluge d’ Yvan Robin aux éditions in8

“ Vraiment, la veille du premier jour, rien ne vint perturber l’ordre immuable du monde. La nuit tomba. Le vent siffla. L’enfant ouvrit le livre. ”

Il est parfois difficile de présenter certains livres, habituellement cela m’arrive lorsque je n’ai pas aimé, ce qui n’est pas le cas pour celui-ci, bien au contraire.

Les mots sont parfois plus difficiles à trouver pour la lectrice que je suis devenue et qui se retrouve face à son manque de bagage littéraire.

Mais voilà, il serait injuste de ne pas parler de ce roman et de cette plume qui m’avait déjà conquise lors des deux précédents romans, publiés aux éditions Lajouanie.

Après nous le déluge nous embarque dans un nouveau monde où le soleil n’apparaît plus, laissant place à une pluie sans fin.

Nuit après nuit, un homme et son fils tente de se retrouver tout en essayant de survivre, aidant au passage les derniers rescapés de ce monde qui se noie.

“ Arrivés à mi-parcours, alertés par un déchirement du ciel, nous nous tournons pour contempler la vue. Le pont suspendu vient de céder. Il tire une langue de route que les flots absorbent en la déportant paresseusement. Les véhicules s’y étant finalement aventurés s’enfoncent dans une effusion de bulles. Des plaques de tôle ondulée traversent notre champ de vision, des morceaux de bois, des débris non identifiés. À coup de tonnerre, de Klaxons hystériques, de filins d’acier claquant comme des fouets, de hurlements d’automobilistes restés sur la chaussée, la bande son prend un tour diabolique. ”

Yvan Robin possède une âme de poète, et son écriture illumine le noir permettant au lecteur d’apprécier une sortie littéraire loin des des sentiers battus, et de voguer à travers ses mots en savourant chaque passage.

À travers cette apocalypse, Yvan Robin réinvente le récit Mythique, nous offrant une épopée lyrique extraordinaire où les hommes s’unissent une fois encore pour sauver ce qu’il restera peut-être après le déluge.

Publié aux éditions In8, c’est à découvrir, à offrir aux amoureux du noir en attendant Son prochain : La fauve, avec un titre déjà férocement tentant.

Pour info :

Yvan Robin vit à Bordeaux. Arrivé en littérature par la musique et la poésie, il écrit des romans noirs depuis une dizaine d’années, publiés aux éditions Baleine et Lajouanie.

Adieu poulet !

Adieu poulet ! De Raf Vallet à la Série Noire de Gallimard

Chez Gallimard, on ne badine pas avec le noir, bien au contraire.

Chez Gallimard, les têtes d’affiche passe de l’encre à la bobine pour notre plus grand plaisir.

Du passé au présent, une nouvelle couv’, mais également une nouvelle préface et le noir et blanc s’illumine à nouveau.

Car bien que ce roman ait déjà quelques années à son compteur, il fait bon de le retrouver surtout pour moi qui était une toute petite fille à sa sortie loin d’imaginer un jour qu’elle se passionnerait pour le noir, autant vestimentaire que littéraire.

On ne peut bouder son plaisir en retrouvant une époque lointaine retranscrite avec un réalisme étonnant à travers un polar qui ne manque ni d’intrigue ni d’une bonne dose d’humour grinçante.

Raf Vallet, alias Jean Laborde, alias Jean Delion, véritable médium de l’actualité de l’époque, créateur d’histoire presque vraie, par anticipation.

Pour ceux qui comme moi ont vu par la suite l’adaptation cinématographique de Granier Deferre, qui était sortie en 1975, ne peuvent oublier les regrettés Lino Ventura et Patrick Dewaere. Des vraies gueules du cinéma français qui crevaient l’écran rendant justice à ce polar tout comme le fera Delon pour Mort d’un pourri également réédité cet automne qui avait été adapté en 1977 par Lautner, accompagné d’Audiard pour le scénario.

Relire ces deux polars qui n’ont pas pris une ride et réaliser qu’ils rappellent étrangement notre actualité toujours habitée par un système politique corrompu où les premiers criminels portent plus souvent des costards cravates que des blousons noirs.

La série noire de Gallimard déroule le tapis rouge et remets sur la scène littéraire ces deux classiques du genre et nous promet déjà de futures rééditions qui ravira tous les collectionneurs.

Mes chers concitoyens, l’essentiel est là et le meilleur reste à venir.

Pour info :

Jean Laborde est un journaliste et romancier français.

Il est également connu sous les pseudonymes de Jean Delion et de Raf Vallet.

Licencié en droit, il débute à Lyon sa carrière de journaliste avant de rejoindre en 1945 la capitale et le journal « France-Soir », à la demande de Pierre Lazareff, pour en devenir le principal chroniqueur judiciaire.
C’est là qu’il suivra les grandes affaires de l’après-guerre, relatant les procès de Victor Kravchenko, de Marie Besnard, ou encore de Gaston Dominici.

En 1964, il rejoint « L’Aurore » dont il restera le directeur de la chronique judiciaire durant quatorze ans. Il démissionne en 1978 lorsque le journal est vidé de sa substance par son nouveau propriétaire, « Le Figaro ».

En parallèle de son activité de journaliste, il se lance dans l’écriture de romans policiers et/ou d’espionnage sous les pseudonymes de Jean Delion d’abord puis de Raf Vallet.

Il signe ainsi Jean Delion neuf romans dont cinq récits policiers humoristiques publiés à la Série noire entre 1966 et 1968. Sous le pseudonyme de Raf Vallet, il inaugure notamment la collection Super noire en 1974 avec le roman « Adieu poulet ! » qui remporte le Prix Mystère de la critique l’année suivante.

Il collabore à de nombreux scenarii de cinéma, tirés ou non des ses propres romans : « Le Pacha » (1968), « Mort d’un pourri » (1977), « Peur sur la ville » (1975), « Adieu poulet ! » (1975).

Il a également écrit « Les Assassins de l’ordre » (1970), sur le mauvais rôle du Parquet dans la Justice, livre dont a été tiré une adaptation cinématographique, par Marcel Carné, en 1971.

Le visage de pierre

Le visage de pierre de William Gardner Smith aux Éditions Christian Bourgois

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent

“ Quel long voyage! pensa-t-il. l’Amérique était derrière lui, son passé aussi ; il était en sécurité. La violence ne serait pas nécessaire, le meurtre non plus. Paris. La paix. ”

En 1960, Simeon, un noir américain n’en peut plus du racisme qu’il subit dans son pays, et il décide de le quitter une fois pour toute, en s’enfuyant pour Paris, la capitale de la France.

À peine arrivée, le changement est radical. Très vite il s’aperçoit que les noirs sont libres et ne subissent aucune brimades, bien au contraire.

Pourtant, alors que tout semble idyllique pour une certaine partie de la population, c’est l’enfer pour le peuple algérien.

La guerre d’Algérie fait rage, et les algériens présents sur le sol français sont arrêtés, battus, et même assassinés.

C’est après avoir sympathisé avec Hossein, un militant algérien, que Simeon comprend sa méprise, et réalise qu’il ne pourra jamais être heureux dans ce monde empli de haine, et ne pourra pas rester de marbre face à tant d’injustice.

On ne peut que remercier Brice Matthieussent le traducteur et les Éditions Christian Bourgois de nous avoir permis de découvrir cette petite merveille qui avait pourtant été écrit en 1963.

Mais une chose est sûre, même si presque soixante années sont passées, elles n’effacent pas la honte que chaque pays peut ressentir face à la discrimination raciale qui traverse les frontières et perdurent encore de nos jours.

William Gardner Smith possède une plume stylée qui nous transporte dans une atmosphère sombre qui font penser à James Baldwin ou encore William Melvin Kelley, des écrivains tout aussi talentueux qui nous offrent des romans bouleversant et engagés pour défendre le peuple afro-américain.

Un roman à découvrir absolument pour faire honneur à sa publication française et pour ne jamais oublier certains pans d’Histoire, mêmes si il n’y a pas de quoi être fier.

Pour info :

William Gardner Smith est un journaliste et écrivain afro-américain, né le 6 février 1927 à Philadelphie et mort le 5 novembre 1974 à Thiais (Val-de-Marne).

Je remercie les éditions Christian Bourgois pour cette pépite enfin libérée de l’ombre.