Aotea

Aotea de Paul Moracchini aux Éditions Buchet.Chastel

” (…) Justin coupe la parole à tout va. Le voilà parti dans l’un de ces récits culino-historiques sur Aotea. Je dois dire que « son île de cœur » réunit beaucoup de qualité qui nous sont chères. C’est un concentré de tous les plus beaux paysages de Nouvelle-Zélande répartis sur trente-cinq kilomètres de côtes. Entre mer et montagne, on y compte une très faible densité de population, à la mentalité rebelle face à la toute-puissante Auckland, qui n’est qu’à quelques miles. Et puis c’est une formidable destination pour la pêche. C’est toujours pareil : là où il y a peu d’hommes, il reste de la place pour la vie. “

C’est sûr cette île paradisiaque découverte par les Maoris, dans un manoir néo-zélandais en cours de rénovation que se retrouve un trio d’amis le temps d’un été. Justin, Bradley et Joshua, trois hommes aux caractères très différents mais liés par certaines passions communes, notamment la pêche.

Ce nouvel été s’annonçait plutôt bien, mais une ombre apparaît au tableau. Cassandra, l’ex-compagne de Bradley a disparu.

Une étrange ambiance s’installe, chacun s’interroge et un climat de suspicion plane sur le manoir.

Et si l’un d’entre-eux était responsable de cette disparition plutôt étrange ?

Je songeais à mes amis, mes deux véritables amis. Je songeais au fait que j’avais réussi à les réunir sous le même toit, et que cet été passé tous les trois ensemble resterait le plus important et le plus beau de toute ma vie. Rien ne serait plus jamais pareil. J’avais su cristalliser ce pur moment d’amitié. Nous étions forts de notre alliance, unis face à l’inconnu. Nous resterions inséparables, soudés, envers et contre tous ! Et toutes les patrouilles de police, tous les drames, tous les malheurs du monde, n’y pourraient rien changer. “

Leur amitié est mise à l’épreuve, et risque d’imploser lorsque la vérité fera surface…

Ce que j’en dis :

Aotea, le magnifique roman de Paul Moracchini, est apparu dans le paysage littéraire juste avant le confinement, caché subitement tel un immense nuage qui recouvrirait cette île pour resurgir enfin une fois l’éclairci revenu après un terrible orage.

Une fois propulsé sur cette île, vous découvrirez des paysages de toute beauté mis en valeur par la plume singulière de l’auteur, tout en partageant la vie de ces trois hommes déjà malmenés par leurs névroses personnelles, qui se retrouvent confrontés à une disparition inquiétante.

Pourtant soudés par une belle amitié, ce trio se redécouvre jour après jour et laisse apparaître quelques failles qu’il sera peut-être difficile à combler.

Cette excursion littéraire nous plonge au cœur de la nature et nous révèle de façon pertinente comment elle façonne les hommes, pouvant parfois les élever au sommet pour subitement les détruire lorsque le destin s’en mêle.

C’est beau, c’est fort et terriblement touchant. Une aventure extraordinaire où le tragique côtoie le sublime, l’amitié côtoie la trahison, un univers paradisiaque où les désenchantés tentent de s’accrocher pour survivre avant la chute qui risque de les détruire.

Une très belle découverte, le genre de roman qui m’enchante autant par son style que par son histoire, alliant douceur et noirceur, aussi captivant qu’intrigant, dans un décor naturel auprès d’êtres tourmentés.

J’ai adoré et il serait vraiment dommage que vous ratiez ce voyage à Aotea en attendant les jours d’après…

Pour info :

Paul-Bernard Moracchini vit entre la Corse et Nice. Auteur-compositeur-interprète de profession, il ne se conforme pas aux cadres d’une carrière bien ordonnée. Il préfère régulièrement prendre la tangente pour se retrouver en pleine nature.

Ancien lauréat du PJE, il a publié son premier roman, La fuite, également aux Éditions Buchet/Chastel.

Je remercie les Éditions Buchet/Chastel pour cette lecture enivrante.

September September

September September de Shelby Foote aux Éditions Gallimard

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jane Fillion

Traduction révisée par Marie-Claude Aubert

” Demain c’était l’équinoxe d’automne, nous annonçait la météo, et la nouvelle lune.

Puis tout s’est déclenché aux infos de cinq heures trente. Faubus, au cours d’une pause de la conférence réunissant les gouverneurs des États du Sud, à Seattle Island, a été assailli par des journalistes. Il leur a donné enfin les réponses qu’ils attendaient, tout comme nous d’ailleurs. La garde nationale n’étant plus là pour s’y opposer, leur a-t-il dit – et beaucoup de gens partageaient son opinion –, il redoutait « les pires violences » si ces foutus Négros tentaient à nouveau de pénétrer dans le lycée au moment où sonnerait la cloche, le lendemain matin. J’ai regardé Reeny, elle m’a regardé, et tous deux on a interrogé Podjo du regard.

« Très bien, a-t-il dit. C’est le moment. On fera ça demain. » “

Nous sommes en septembre en 1957 aux États-Unis.

À Little Rock, des jeunes noirs s’apprêtent à franchir les portes des lycées jusqu’alors réservés aux blancs.

Au même moment Reeny, Podjo et Rufus, trois apprentis gangsters, véritables pieds nickelés débarquent à Memphis. Ils veulent profiter de l’agitation que va engendrer cette rentrée scolaire qui ne plaît pas à une grande majorité de blancs, pour kidnapper un enfant d’une riche famille du coin.

Ce trio pense avoir élaboré le plan parfait, et espèrent obtenir une rançon faramineuse en s’attaquant à cette famille de nantis.

” C’est ainsi que s’écoula la troisième semaine de septembre, et la lune, en son dernier quartier, n’était plus qu’un mince croissant. Le vendredi, la Mid- South Fair qui durait huit jours ouvrit ses portes, et les enfants me harcelèrent pendant toute la semaine pour que je les emmène à la fête foraine où ils se réjouissaient d’assister aux nombreux spectacles et exhibitions tels que le Lone Ranger, et de monter sur les manèges. Je leur promis, s’ils étaient sages, de les y conduire après l’école le jeudi, jour réservé aux gens de couleur. J’ignorais alors que je ne serais pas en état de le faire.

Nous étions vendredi. Puis viendraient le samedi, le dimanche, et le traditionnel déjeuner chez Tio et Mamma Cindy, qui terminait la semaine. C’est ainsi que les choses se passèrent jusqu’à ce que le malheur s’abatte sur nous. “

Ces trois blancs pas très futés vont pourtant enlever un enfant noir, et ce n’est que le début de cette histoire, la suite est bien pire…

Ce que j’en dis :

Après avoir lu cette pépite américaine, je ne suis pas du tout surprise qu’elle ait rejoint La Noire, divine collection des éditions Gallimard.

Derrière cette intrigue assez classique, se cache un roman noir d’exception, tel un diamant planqué derrière un simple caillou.

À travers des personnages ciselés à la perfection, qui s’expriment à tour de rôle, que ce soit du côté des kidnappeurs ou du côté de la famille de l’enfant, on découvre ce drame.

Une tension extrême grandit au fil des pages, et instaure une profonde inquiétude au lecteur.

Se profile à l’horizon, le pire scénario possible sans oublier en toile de fond, les événements de Little Rock qui amplifient un peu plus le climat d’insécurité et de révolte. Ici et là, les noirs sont mis à mal.

Shelby Foote nous offre un fabuleux roman noir, d’une construction remarquable qui se savoure, se déguste mot après mot, avec douceur, histoire de ne pas en perdre une ligne.

C’est du haut de gamme à dévorer sans modération, surtout après ce confinement où il fait bon de s’offrir des menus littéraires de qualités supérieurs.

Ne le ratez surtout pas, il vous attend chez votre libraire indépendant préféré.

Pour info :

Shelby Foote est né en novembre 1916 à Greenville dans l’État du Mississippi.

Romancier et historien, il a signé six romans, parmi lesquels L’enfant de la fièvre (1975) et L’amour en saison sèche(1978), ainsi qu’une magistrale Histoire de la guerre de Sécession, événement charnière de l’histoire du Sud.

Plus jeune que Faulkner, Shelby Foote est l’auteur d’une œuvre exigeante et forte.

Il a consacré sa vie à «dire le Sud», à tenter d’y trouver la vérité : «Pour la trouver, il faut parler, se souvenir. Il faut que tout soit révélé, coûte que coûte», y compris ses fautes, ses crises, bref son humanité. 

Shelby Foote est mort le 27 juin 2005 à l’âge de quatre-vingt-huit ans.

Je remercie les Éditions Gallimard pour cette divine lecture.