» Dark net « 

DARK NET  de Benjamin Percy  aux éditions Super 8 

 

 » Internet a des trappes et des clôtures invisibles. Internet a des passages secrets, des chemins secrets et des codes secrets, des langages secrets. Internet a des coffres, et des caves, et des greniers remplis de ténèbres qu’aucune lumière ne peut percer. Vous pouvez voyager dans le temps, vous pouvez voyager à travers les murs. Par un simple tremblement de ses doigts, vous pouvez faire apparaître et disparaître les choses. Vous pouvez faire du mal aux gens. Vous pouvez acheter les gens. Internet est une décharge et une île au trésor. Ici, chaque objet, chaque personne, chaque endroit, chaque pensée, chaque secret existent. Internet peut satisfaire tous les appétits. À la différence d’un corps, à la différence du monde, Internet ne connaît pas de limites.  


 

Cheston observe, scrute, décortique la vie des gens qui l’entourent. Mais il est bien pire qu’un simple espion, c’est un Hacker. Internet est son lieu de vie, sa maison. Tellement à l’aise qu’il n’hésite pas à s’aventurer sur le Dark Net, le Far West d’Internet, un territoire sans foi ni loi. Mais aujourd’hui cette zône regorge de démons, qui projettent de hacker les esprits des utilisateurs et de les transformer en tueurs psychotiques.



 » Il y a des rumeurs à propos d’un homme des ténèbres. Quelqu’un qui sortait la nuit pour chasser. Chaque nuit, tous les refuges étaient pleins, et ceux qui ne trouvaient pas de place risquaient de ne pas voir le jour se lever. (…) Et l’homme des ténèbres laissait sa marque – une main droite rouge – sur les trottoirs, les immeubles, les fenêtres, de tout Portland, signant ses actes comme un chien qui pisse sur les boîtes aux lettres.  » 

Mike Juniper dirige l’un de ces refuges : le Repos du Voyageur où il y accueille les sans- abri de Portland. Personne ne se demande comment il a atterri là et ça l’arrange. Chacun a ses secrets.  » En outre, personne ne l’a reconnu… »

Lela, une journaliste technophobe se retrouve au cœur d’une enquête, persuadée d’être tombée sur une sale histoire que personne ne voudra couvrir.

 » C’est le genre d’articles qu’elle préfère, le genre d’articles qui lui donnent l’impression de ne pas seulement éduquer ou distraire les gens, mais de faire changer les choses ses lecteurs. Quand on sait que quelqu’un est trés en colère à cause de ce qu’on écrit – quand on sait que l’on est potentiellement en danger -, alors on a la certitude d’avoir fait son boulot. (…) Parce que, dans le journalisme, seuls les problèmes sont intéressants. « 

Hannah, sa jeune niéce de douze ans, récemment appareillée d’une prothèse futuriste qui lui a rendu la vue va se retrouver mêlée à cette chasse aux démons tout droit sortis de l’enfer.

La plus vieille amie de Mike Juniper, Sarin, une femme quasi immortelle sort de l’ombre à son tour et se prépare à combattre les ténèbres.

Seront-ils assez et seront-il prêts ?  » Le jour zéro »  si les portes de l’enfer s’ouvrent à Portland.

C’est ce que Benjamin Percy nous invite à découvrir dans ce techno-thriller démoniaque.

Héros malgré eux, dans les profondeurs du web, ses personnages vont devoir faire face à des êtres malfaisants, des apparitions horrifiques qui tentent de répandre le mal sur terre. Tel un virus, ils attaquent en force et déferlent sur notre monde.

Qui vaincra au final ?


Je retrouve la plume de l’auteur avec grand plaisir, dans un registre complètement différent, pour lequel je ne me serais peut-être pas attardée si je ne connaissais pas déjà les talents de l’écrivain. Et j’ai été qui plus est agréablement surprise au fil de l’histoire au titre un peu trompeur, car en fait le Dark Net n’est pas le sujet principal du récit.

Je me suis attachée à tous les personnages sans exception, ( du coté des gentils bien évidemment ), ils donnent une force et un rythme survolté au roman. Une histoire endiablée rondement menée, qui va ravir tous les fans du genre. Un thriller agrémenté d’une dose de surnaturel qui nous donne une histoire plutôt fantastique où des héros pas ordinaires vont s’unir pour sauver la planète.

Décidemment ça fait du bien de suivre son instinct de lectrice, de poursuivre avec un auteur que j’avais apprécié pour son roman,  » Le canyon » après une rencontre à Metz en 2012.

N’ayez pas peur, plongez-vous dans cette noirceur satanique, et laissez-vous porter par l’écriture de cet américain doué.




Benjamin Percy est né dans l’Oregon. Il est l’auteur de  » La bannière étoilée  »  ( 2009),  » Le Canyon  » ( 2012 ) et de deux recueils de nouvelles. Il est aussi scénariste chez DC Comics. Il a actuellement plusieurs projets de films en développement. 


Pendant un séjour en Californie, dans le cadre de la rédaction d’un article pour le magazine GO, il a visité les campus d’Apple et de Google. Là-bas, il a échangé avec de nombreux dirigeants et chercheurs et en a profité pour évoquer le sujet des Hackers. De retour chez lui, sa sœur et quelques amis ont été hacké, leur compte Facebook piraté, sa carte de crédit a été volé et utilisé en Espagne. Tout cela lui a fait comprendre à quel point nous étions vulnérables en ligne ; à quel point il était facile d’espionner, d’être piraté, trompé, intimidé… C’est ainsi que lui est venu l’idée de son dernier livre Dark Net. Il consacre beaucoup de temps à la recherche avant l’écriture, il veut que ses lecteurs aient le sentiment de lire quelque chose de véritablement authentique. 

Je remercie Nadia et les éditions Super 8 pour ce thriller possédé absolument infernal.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 » L’enfant-mouche « 

 

L’enfant-mouche de Philippe Pollet-Villard aux Éditions Flammarion



 » Anne-Angèle a été mordue, le mal est passé en elle, il est passé. Et c’est tout. 

     L’histoire commence ici.  » 

Anne-Angèle était infirmière à Casablanca avant d’être dans l’obligation de se rendre en France suite au décès de sa sœur Mathilde.

«  Mathilde était mythomane, elle aimait s’inventer des histoires, des liens de parentés alors qu’elle et sa sœur étaient orphelines. C’est Anne-Angèle qui récolait les morceaux quand ça dérapait. « 

À peine l’enterrement terminé, Anne-Angèle va être confrontée aux dernières tribulations de sa sœur, et une fois de plus elle va tenter d’arranger les choses.

« Se laisser porter par la destinée a parfois du bon.  » 

D’aventure en aventure, elle va se retrouver avec une enfant sur les bras, une petite Marie baptisée Mouche.

Élever une enfant sous l’occupation ne va pas être une mince affaire, mais l’on aurait tort de s’inquiéter pour Marie, pour elle :  » Tout est affaire d’imagination.  » 

 

– Ne me racontez pas d’histoire !

– Si des tas d’histoires

Vous n’êtes pas au bout de vos surprises, ici point d’ennui, vous pouvez compter sur l’enfant- mouche pour vous distraire, vous faire sourire malgré le contexte où se situe cette histoire. La guerre est déclarée à la morosité. Et si besoin Marie fera une petite prière : – Dieu, si tu existes et quels que soient ta tête et ton pouvoir, que tu portes la barbe du Christ, le bouc du diable ou la moustache du Maréchal, fais en sorte que je n’aie pas à manger aujourd’hui la chair de Jupiter. Délivre-nous du mal et de la faim. Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien, mais c’est tout… rien d’autre, s’il te plaît. 



Plutôt futée la petite Marie, un petit bout de femme pas ordinaire qui va nous faire vivre une aventure extraordinaire. Ce n’est pas une histoire qui nous est contée mais des milliers d’histoires qui défilent devant nos yeux complètement captivés. Je me suis attachée à cette enfant, j’ai tremblé pour elle, j’ai ri à ses facéties, j’ai admiré son courage, et c’est avec tristesse que je l’ai quitté un peu trop abruptement à mon goût. Mais une chose est sûre elle restera dans mes plus beaux souvenirs de lecture, et j’aurai grand plaisir à partager cette histoire, le destin inimaginable d’une enfant remarquable, tout comme l’a fait Philippe Pollet-Villard, en s’inspirant de l’enfance de sa mère, pour nous offrir ce fabuleux roman. Des souvenirs qui l’ont émus, et qu’il a admirablement réussi à transposer pour nous toucher en plein cœur…

Une plume qui m’a envoûtée, une histoire qui m’a séduite, un écrivain talentueux que j’ai été ravie de lire et de rencontrer. Un beau roman qui m’a permis en compagnie de  l’enfant-mouche de combattre le mal et d’oublier les douleurs.




Philippe Pollet- Villard, réalisateur de profession, est né à Annecy. Il est l’auteur de trois romans chez Flammarion : L’ homme qui marchait avec une balle dans la tête ( prix Ciné-Roman 2006 ), La Fabrique de souvenirs ( prix Marcel Pagnol ), et Mondial Nomade ( 2011 ). Il a également obtenu en 2008 le César puis L’Oscar du meilleur court-métrage pour Le Mozart des Pickpockets, hommage au Paris de Barbés et à ses petits malfrats. 

 

 

 

 

 

Nouvelle anonyme 1 

Amateurs de nouvelles, voilà de quoi vous réjouir. Chaque semaine grâce à la nouvelle édition du trophée Anonym’us, vous allez découvrir  » les mots sans les noms « . 

23 auteurs anonymes et leurs nouvelles 

Tout comme les années passées , chaque Dimanche je vous présenterai la Nouvelle de la semaine à lire ci-dessous :

Je vous souhaite une belle lecture. 

Nouvelle 1 : 

Quand j’étais Jessica Jones 



Je me réveille, il fait nuit. Une lune édentée ricane entre les barreaux. Des portes claquent au bout du couloir. J’attrape l’iPod et j’envoie Metallica exterminer leurs sales bruits. 


J’ai encore rêvé. Dès que je m’endors, la scène se reproduit à l’infini. Je me vois dans le miroir de ce faux Saloon, encore plus pâle que dans la vraie vie, mes longs cheveux noirs lâchés, le regard sombre, un rouge à lèvre trop rouge, trop épais, comme mis à l’arrache. J’ai toujours les mêmes fringues : un perf qui a vu toutes les guerres depuis Blitzkrieg Bop des Ramones, un jean, des bottes de motard. Mon armure trouée mais qui me protège un peu. Bobby règle un des projos, il me fait signe d’avancer. Il a de larges épaules, une tête ronde, un sourire gourmand. Il me regarde comme une friandise, me fait rouler un instant dans ses yeux et je sens le rouge à lèvres fondre à distance. Derrière lui Power Girl, Miss Hulk, Wonder Woman, Bat Girl et Super Jaimie attendent leur tour. Elles vont perdre et je vais gagner, comme à chaque fois. À part Cat Woman qui me fait un peu d’ombre, les autres ont du mal à tenir la distance. Derrière la caméra Norman se la joue. Super Nono, le producteur de cette belle émission, dans son costard sur mesure qui n’arrive pas à masquer son gros derrière et ses jambes trop courtes.


J’ouvre les yeux : retour brutal à la réalité. Un jogging gris informe pendouille sur une chaise en attendant mon réveil. L’ignorer… pour quelques heures. Si un jour je m’en sors, je ne mettrais plus jamais de survêtement. Au moins dans mes rêves, je retrouve mes fringues de Jessica Jones, celles qui ont fait de moi l’actrice la plus courtisée du PAF. Du moins, c’est ce que je croyais…


J’ai toujours rêvé d’être une actrice. Enfin non… ça a débuté un été pluvieux dans le Limousin quand j’avais une quinzaine d’années. Abandonnée chez ma grand-mère le temps des vacances, j’ai découvert un stock de vieilles cassettes vidéo dans l’ancienne chambre de mon père. C’est là, dans cette piaule à l’odeur de moisi que j’ai pris ma première claque : Mauvais sang. Plus rien d’autre n’avait d’importance. J’étais Alex, électrique, folle amoureuse, je courais à perdre haleine en gesticulant sur Modern Love et la caméra pouvait à peine me suivre. C’est dans cette vie-là que je voulais habiter. J’ai savouré chaque film. Je me repassais certaines scènes pour apprendre les dialogues par cœur ou juste pour le plaisir. Out of Africa, je crois que je l’ai vu dix fois. J’aurais voulu éjecter Meryl Streep et m’installer pour toujours avec Redford dans son petit avion. On aurait baisé là haut, intensément, en traçant des loopings parfaits dans les ciels africains. 


À partir de là, j’ai tout donné pour réussir. J’ai décroché mon bac de justesse et j’ai tout de suite enchaîné les boulots pouraves : ménages à l’aube dans les bureaux de La Défense, serveuse dans des bars de nuit et dans des fast-foods, testeuse de produits, téléprospectrice pour vendre des assurances ou des crédits… Tout ça pour me présenter à des castings la journée et me payer des cours de comédie. J’avais une pêche d’enfer. 


C’est à cette époque que j’ai rencontré Fred. Il était mon chef à l’agence de télémarketing. Il était cool par rapport aux autres chefaillons qui en avaient bavé pour devenir superviseurs et qui se vengeaient sur le petit personnel. Et puis il était joli, grand, mince, blond, aussi sexy que Brad Pitt. Je pouvais pas résister. On a eu Nils assez vite, c’était pas du tout programmé. On s’est mariés quelques années plus tard, comme des cons. On s’aimait pas assez mais on a cru que cette petite merveille de gosse nous souderait. Tu parles ! 


J’ai tenu des années, à courir après de grands rôles que je n’obtenais jamais. Mais je lâchais rien. Je faisais de la boxe française, je courais et je nageais dès que je pouvais. J’étais une bombe. Et puis… et puis les petits rôles encourageants, mais terriblement frustrants se sont enchaînés : la fille bien foutue, à peine floue, qui passe dans la rue derrière Sophie Marceau et Lambert Wilson, l’infirmière pressée qui donne un peu de réalité au décor d’hôpital… Je recevais aussi pas mal de propositions pour faire des pubs. J’ai même eu mon heure de gloire avec Findus, un spot où je donnais la réplique à Valérie Lemercier. J’étais toujours à deux doigts de réussir.


Avec Fred c’était l’enfer. Il me reprochait de ne pas raccrocher. D’après lui, j’aurais dû me résigner, faire une croix sur ce métier. Il me prédisait un avenir de rêve dans la téléprospection et il comptait bien me pistonner pour que je passe superviseuse de centre d’appels. Ça me permettrait d’avoir des horaires réguliers et de m’occuper enfin de ma famille. J’en bavais d’impatience. 


On a divorcé et il a eu la garde de Nils. Ce qui était logique, c’est lui qui s’en occupait le mieux. J’ai fait passer ma carrière avant mon gosse. Je m’en veux pour ça et je m’en voudrais sans doute toute ma vie, mais ça faisait trop longtemps que je galérais pour décrocher un rôle intéressant. Je pouvais pas renoncer, pas encore…

C’est plus tard que j’ai commencé à picoler et à prendre des trucs. Quand j’ai senti au fond de moi-même que c’était cuit. Je continuais à faire du sport et à m’entretenir mais je craquais de plus en plus sur l’alcool et sur la coke. Je traînais avec Sofia et Marilyn, deux autres reines de la figuration. On se retrouvait de castings en castings et on allait ensuite noyer nos déceptions dans les bars où il était soi-disant bien de se montrer.

Je voyais souvent Nils, les mercredis, pendant les vacances scolaires et un week-end sur deux. On se marrait bien. Je lui ai offert une guitare électrique pour ses dix ans et un pote musicos venait lui donner des leçons. Je l’entendais massacrer I can’t get No en boucle et même si je me plaignais pour la forme, j’adorais ça. On allait souvent au ciné. Avec mon job je récupérais plein de places pour des avant-premières. Ça se passait plutôt bien entre nous mais son père n’appréciait pas trop « la vie de bohème » que je lui faisais mener. Pfffffff… La vie de bohème ! Même Aznavour devait plus parler comme ça…


J’ai postulé à Marvel Story grâce à une petite annonce affichée dans l’entrée du club de boxe. J’ai fait ça pour rigoler. Enfin je sais pas trop… je commençais déjà à pas mal dérailler à cette époque. J’ai été retenue et j’ai signé dès que j’ai su que j’aurai le rôle de Jessica Jones. J’étais sacrément fière de reprendre le personnage joué par Krysten Ritter. Au début, j’ai pensé qu’ils m’avaient choisie pour mon corps de rêve et ma condition physique. J’ai vite déchanté en découvrant le reste de la troupe, une bande d’actrices sur le retour mais suffisamment en forme pour rentrer dans les costumes et enchaîner les épreuves sans trop en baver.


On s’entraînait la semaine et l’émission avait lieu chaque samedi soir. Escalade, tir, courses de voiture, catch… Mon kif c’était les duels de grimpe. Je gagnais à chaque fois, même face à Spider Woman. Normal, j’avais passé des années à faire du sport et à me muscler. Même si l’alcool et la dope avaient commencé à faire des dégâts, j’avais encore de beaux restes. 


Ce que je détestais, c’était le tournage de la vie quotidienne. On était obligé de s’y soumettre deux heures par jour. Le public voulait voir qui se cachait derrière les masques et les costumes des superhéroïnes. J’osais à peine imaginer comment Nils allait réagir en découvrant sa mère à la télé… Je savais à peu près ce qui était diffusé. On nous avait confisqué nos smartphones (difficile de refuser une fois le contrat signé) mais on nous passait les émissions chaque dimanche matin pour le traditionnel débriefing. Après on buvait un coup, on trinquait à nos exploits. C’était le meilleur moment, quand j’ai vraiment cru que ce jeu allait me propulser au sommet du box-office.


Aujourd’hui je ne grimpe plus. Le dernier duel m’a été fatal. Une prise qui a lâché alors qu’aucun assurage n’avait été mis en place. C’est vrai qu’on était des superhéroïnes, rien ne pouvait nous arriver… J’ai atterri cinq mètres plus bas et je me suis fracturé les talons et explosé le genou droit. Six semaines d’hosto et des mois de rééducation, pas de mutuelle, la boite de prod’ a fait faillite et Norman a disparu de la circulation. À part le misérable salaire qui nous était versé les premiers mois de l’émission, on a rien eu. Envolées les primes et les promesses. 


Dès qu’on a pu sortir du bunker dans lequel on nous avait isolées, on a compris l’arnaque. L’émission qu’on nous diffusait le dimanche était largement bidonnée pour qu’on accepte de continuer. Marvel Story nous faisait tout simplement passer pour des putes. Le compte-rendu des épreuves sportives était réduit à son strict minimum alors que nos repas, nos moments de repos et nos interviews étaient filmés sous toutes les coutures. Tout avait été systématiquement coupé et remonté pour qu’aucune de nous n’échappe aux scénarios dégueulasses imaginés par Norman. Mais le pire a été d’apprendre que des caméras avaient été planquées un peu partout, surtout dans les chambres et les salles de bain. J’ai aussitôt compris pourquoi Bobby et les autres techniciens étaient aussi canon. C’était des acteurs payés par Norman pour jouer des scènes clandestines que ce porc diffusait et vendait sur Internet. Bon, ce qui me console un peu c’est que j’ai vraiment pris mon pied avec Bobby…


J’ai pratiquement tout perdu dans cette histoire. Nils ne veut plus me répondre au téléphone et je ne marcherai plus jamais comme avant. Boiteuse à vie. Pas facile de décrocher un rôle avec ça, et d’autant moins évident avec l’image que je traîne depuis Marvel Story… Au début j’ai fait quelques castings, sans conviction et puis j’ai laissé tomber. Je me suis concentrée sur ma survie. J’étais pratiquement seule au monde. Plus de parents. Un ex-mari et un gosse qui me détestaient. Des voisins hostiles qui m’avaient vu faire la pute dans ce jeu à la con… Il ne me restait plus qu’Augusto, un vieil ami d’enfance de ma mère. J’ai fait le compte de mes économies… trois mille euros à tout casser. C’est là que j’ai regretté d’avoir acheté un nouveau canapé, quand tout allait bien. Il ne faut jamais croire que tout va bien, jamais. Je l’ai revendu sur le Bon Coin avec tout ce qui avait un peu de valeur, une bague et une guitare de flamenco héritées de ma grand-mère, ma veste en cuir, mon percolateur chromé, ma Golf en assez bon état, ma super télé avec écran géant, ma collection de DVD Blue Ray, mon frigo, ma chaîne hi fi, mon Mac. Je savais qu’un jour ou l’autre je ne pourrais plus payer mon loyer et j’ai accepté l’offre d’Augusto. J’ai emménagé à Bagnolet dans la caravane garée au fond du minuscule jardin de son pavillon de banlieue. 


Je croyais être tranquille pour un moment. Augusto était charmant. On se rendait des services. Je lui faisais ses courses, je l’aidais à faire son jardin, il me laissait utiliser sa baignoire et il me donnait des légumes… Il ne voulait absolument pas que je lui paye un loyer. C’était cool. Et puis il a senti une douleur dans l’estomac. Deux jours après il était hospitalisé d’urgence. Il est mort en trois semaines. J’ai même pas eu le temps de lui dire adieu. Cancer foudroyant. Le truc de fou !


Quand son fils est venu avec sa femme pour vider la maison, je me suis planquée. J’avais recouvert la caravane d’une vieille bâche et posé des outils de jardin tout autour mais ils savaient que j’étais là. Ils m’ont laissé un mot sur la porte : « Madame, vous avez un mois pour enlever vos affaires et déménager. Tout va être vendu. » Sympa le fils… 



Je cherchais donc à me reloger quand je suis tombé sur ma superhéroïne préférée…


J’étais venu refaire mon stock de whisky chez ED et puis je me suis dit que ce serait bien de prendre quelques bricoles à grignoter. Depuis quelque temps, mes repas se résumaient à ça : des cacahuètes, des petites saucisses ou des olives en apéro dînatoires comme ils disent dans les réceptions chics. Bref, je choisissais mes olives marinées au piment quand j’ai entendu :

— Putain je rêve ou c’est Jessica Jones sans son perf ?

C’était Cat Woman, un peu moins vaillante. L’alcool avait gagné du terrain sur le blanc de ses yeux qui virait au rouge mais elle avait encore une sacrée allure.

Alors on a fêté nos retrouvailles bien sûr ! On a embarqué mon whisky et sa Tequila, mes olives et ses cacahuètes plus un paquet de chips, des citrons verts et du rhum et on a foncé chez elle. Elle avait un vrai chez elle et une voiture. La classe. Quand je lui ai raconté ce qui m’arrivait, elle a tout de suite proposé de m’héberger.

— J’ai un bureau dont j’ai rien à foutre. Tu me vois dans un bureau ? Elle a fait son rire rauque que j’aimais bien. On va t’installer là Jess !

Son appart était pas mal du tout, un trois-pièces dont elle avait hérité, Porte de Bagnolet. Elle m’a montré ma chambre et on s’est installées pour l’apéro. On a picolé, on a fumé, on a rigolé comme des malades. Ça me faisait tellement de bien de ne plus être seule ! J’étais en train de rouler un joint, la télé était allumée, on regardait The Voice en se foutant de la gueule des candidats. 

— On se moque, j’ai dit, mais on devrait pas, après ce qu’on a fait dans Marvel…

— Tu m’étonnes !


De fil en aiguille on en est venu à parler de Norman.

— Je sais ou il habite… j’ai dit.

— C’est vrai ?!

— Ben ouais… tu te souviens de Bruce, le cadreur ?

— Très bien. Je me le suis tapé.

— Je l’ai croisé sur un casting. J’ai cru qu’il allait se défiler mais il est venu s’excuser. Il m’a dit qu’il regrettait, qu’il aurait dû nous prévenir qu’il y avait des caméras cachées et blablabla… Je l’ai envoyé paître en lui disant que c’était un peu tard pour regretter et que ça allait pas m’aider à retrouver Norman. Et là, il a regardé de tous les côtés et il m’a chuchoté un truc à l’oreille…

— L’adresse du gros ?!

— Ouais ! 

— Et t’as rien fait pour le choper ?!

— C’est arrivé en même temps que tous mes problèmes. J’attendais de me refaire, de trouver un avocat…

— Tu rigoles ou quoi ?! Un avocat ? Tu crois vraiment que ce pourri se laissera coincer par un avocat ? On va se le faire oui ! C’est quoi l’adresse ?


Je la connaissais par cœur ; j’avais même googlemapé sa rue. Il avait une chouette villa à Sceaux. Il s’emmerdait pas Nono !


Petit à petit l’idée s’est installée… on allait buter Norman. Sur le coup, ça nous paraissait évident. Cat m’a dit « Bouge pas, je vais te montrer un truc », elle a foncé dans son ex-bureau, elle a farfouillé un moment et elle est revenu en me braquant avec un flingue. Morte de rire.

— Confisqué à mon ex. Ça s’appelle un Glock.


J’ai arrêté de rire quand j’ai compris que c’était pas un jouet.


On a continué à boire et à fumer. Elle avait posé le revolver sur la table et j’ai pas pu m’empêcher de le manipuler. C’était lourd et excitant, ça donnait envie de l’essayer. 

On s’est préparées, toutes joyeuses. À aucun moment j’ai réalisé que c’était mal, qu’on allait réellement tuer un homme, lui ôter la vie. Sans doute parce que j’étais avec Cat Woman, comme si le jeu continuait, et aussi parce que j’étais complètement torchée.

— Il nous faut des masques et des gants a dit Cat. Faut pas qu’on laisse de traces et je suis sûr que Norman a installé des caméras. 

J’ai pensé aux bas qu’on pouvait s’enfiler sur la tête. On a fait ça et ça nous a fait pleurer de rire. Et puis on a dégotté des gants de vaisselle. Des roses pour moi et des jaunes pour Cat. 

Dans la bagnole, on a mis la BO de Pulp Fiction à fond. Je sais plus pourquoi mais c’est moi qui conduisais et Cat tenait son flingue à bout de bras en faisant semblant de tirer sur tout ce qui bougeait. Elle se tortillait sur Misirlou en répétant Glock Glock, pas Glock. 


On a trouvé facilement la villa de Norman, grâce au GPS. Sans cette voix nasillarde qui guidait deux filles complètement bourrées d’un bout à l’autre de Paris il aurait pu finir sa nuit sur ses deux oreilles… On a escaladé le portail et on est entré en ricanant par la porte-fenêtre du salon qu’il avait laissée entrouverte à cause de la chaleur. Vraiment pas de bol Norman !

C’est moi qui l’ai réveillé. Je me suis gaufrée en me prenant les pieds dans un pouf qui traînait devant sa télé. J’ai explosé de rire. Cat a mis sa main devant ma bouche mais on faisait un raffut terrible. Il est arrivé en pyjama, ce con, il a allumé le lampadaire et il a fait l’erreur d’avancer vers nous. On devait avoir l’air inoffensives tellement on se marrait. Cat planquait son flingue dans le dos. Quand le gros a essayé de m’attraper elle lui a mis une balle entre les deux yeux.


Le résultat nous a dessoûlées d’un coup. On avait du sang et des bouts de Norman plein les vêtements. J’ai vomi avec mon bas sur la tête. Ça nous a pas fait rire cette fois. Et puis on a entendu une voix d’homme qui criait « Les mains en l’air ! » J’ai arraché mon bas pour pas étouffer et j’ai revomi. La villa de Norman était surveillée à distance par une agence de sécurité. L’alarme a fonctionné mais lorsqu’un des gardes a regardé les moniteurs et nous a vues en train d’escalader son portail, c’était trop tard. Le temps qu’ils arrivent, le gros était rétamé.

Les vigiles nous ont menottées et ils ont appelé les flics. Ils nous ont fait attendre dehors tellement on puait. Avant de partir au poste, j’ai aperçu une jolie fille en peignoir qui m’a fait un clin d’œil. C’était sa femme, une Ukrainienne que ce brave Norman avait gagnée au poker. On a appris plus tard qu’elle était restée cachée sous le lit quand elle a entendu le coup de feu.

Cinq et quinze ans de prison, c’est ce qu’on a pris. Il paraît qu’on s’en est bien tirées. On avait rassemblé toutes nos économies pour se payer un bon avocat qui nous a conseillé de plaider le coup de folie. Ça se défendait, surtout quand le jury a vu la vidéo de sécurité prise chez Norman. On y voyait deux dingues en train de tituber avec des bas sur le visage et en pleine crise de rires. Notre avocat a bien mis l’accent sur le fait que monsieur Norman Bavay – même son nom était ridicule — avait ruiné nos carrières. J’ai beaucoup aimé son speech à ce moment-là. Il a énuméré les préjudices et terminé en beauté en décrivant les films pornos tournés à notre insu et diffusés sur le web.

Le témoignage d’Alyosha, la veuve de Norman, a aussi joué en notre faveur. Elle a raconté la maltraitance, les putes qu’il ramenait à la maison, les partouzes auxquelles elle était forcée de participer… C’est tout juste si elle ne nous a pas remerciées de l’avoir débarrassée de ce connard.



Je tire mes cinq ans au Centre pénitentiaire de Rennes. J’apprends l’anglais, je fais un peu de sport et je bosse tous les jours dans un atelier de couture. Je gagne une misère mais ça m’occupe. Et puis, quand j’ai deux minutes j’écris un scénario dans ma tête. C’est mon secret pour tenir. Si Cat était là, je lui en parlerais mais je ne sais même pas où elle a été écrouée. Dès que je serai libérée je partirai à sa recherche.

Fred a été correct, comme toujours, il m’a pas laissée tomber après ma condamnation. Il a demandé un droit de visite et il vient me voir tous les mois. Je sais qu’il fait ça pour Nils, même s’il m’a fait comprendre qu’il faudrait du temps pour que le gosse me pardonne, qu’il fallait patienter… C’est ce que je fais. Je passe ma vie à patienter, à penser à mon Nils et à ses solos de guitare foireux.


Dehors, la lune a disparu. Il n’est que quatre heures mais je sais que je n’arriverai plus à me rendormir. Je balance Rebel Rebel, je monte le son. Dans ses habits de lumière Bowie sautille autour du lit. Il entame un strip-tease de folie et vient se frotter contre moi… Hot tramp, I love you So !

 » Tout est brisé « 

Tout est brisé de William Boyle aux Éditions Gallmeister



 » Il savait que Nick lui manquerait alors encore plus désespérément. Pas à cause des baisers ni des caresses. Mais à cause de la conversation, de la compagnie, de ce qui l’empêchait de se sentir aussi seul qu’il se sentait à présent. Il n’était pas fait pour être célibataire. Il avait besoin de quelqu’un. Ne pas avoir d’amour, c’était se sentir oublié, totalement vide et totalement seule. « 

Jimmy est de retour chez sa mère, dans un piteux état, le cœur brisé, fauché, déprimé, et toujours alcoolisé. Et hélas, ce n’est pas l’ambiance familiale qui va l’aider à remonter la pente.

 » Ça l’avait toujours étonné. À jeun, il passait son temps à se plaindre de la laideur généralisée. Ivre ou avec la gueule de bois, le monde lui semblait d’une beauté parfaite, et il n’y voyait qu’un défaut, lui-même;  » 



Il y retrouve son grand-père de retour d’un sejour à l’hopital qui tyrannise sa mère Jessica. Sa mère, elle-même au bout du rouleau, épuisée, mais ravie de retrouver son fils qu’elle avait cru perdu. Pas simple pour chacun de recoller les morceaux quand tout est à ce point brisé.

L’histoire d’une famille malmenée par la vie, poursuivie par la malchance avec une matriarche qui refuse de baisser les bras, dans une ville qui ne dort jamais.

 » Un New-Yorkais qui a quitté sa ville a l’impression, à chaque fois qu’il y revient, de retrouver le New York des mauvais films, au rythme tout ce qu’il y a de plus faux, à la monstruosité artificielle. Il avait toujours pensé que la noirceur de New York était délibérée, et il lui semblait maintenant que le nouvel aspect ensoleillé de la ville devait lui aussi correspondre au choix de quiconque tirait les ficelles. 

Tout ce bruit venant de la rue. un coup de klaxon, peut-être. (…) Les taxis qui se déplaçaient avec une précision digne d’un jeu vidéo. Les gens aux épaules voûtées, les gens aux beaux vêtements, les gens dont l’ombre était gravée dans le trottoir. »

 

Malgré la noirceur de l’histoire, point de pathos ni de déprime à l’horizon pour le lecteur.  Au contraire, William Boyle décrit avec sensibilité les différents sujets de cette histoire. Qu’il s’agisse de solitude, de désespoir, de vieillesse, d’addiction, de la famille, du manque d’amour ou même de l’homosexualité, tout y est dépeint de manière mélancolique sans superflu. Un beau portrait d’une mère courage dans une ambiance sombre, une femme qui se sacrifie pour ses hommes, père et fils qui ne sont pourtant pas tendres avec elle.

Un roman brillant, une plume enivrante, une histoire étourdissante et touchante.

Tout est brisé mais toujours debout même si l’équilibre est fragile, tout comme New-York, souvent brutalisée, mais toujours battante.

 


William Boyle est né et a grandi dans le quartier de Gravesend, à Brooklyn, où il a exercé le métier de disquaire spécialisé dans le rock américain indépendant. Il vit aujourd’hui à Oxford, dans le Mississippi. Son premier roman, Gravesend, a été publié par les éditions Rivages en 2016. 


 

Je remercie Léa et les Éditions Gallmeister pour cette lecture d’une incroyable beauté sombre.

 

 » Nos vies « 

Nos vies de Marie – Hélène Lafon aux éditions Buchet Chastel 





 » Il y a comme ça des périodes où les plaques tectoniques de nos vies se mettent en mouvement, où les coutures des jours craquent, où l’ordinaire sort de ses gonds, ensuite le décors se recompose et on continue.  » 



Quel magnifique passage, comme une mise en bouche pour vous donner envie de découvrir cette petite merveille.

À travers le regard d’une femme plutôt solitaire, nous allons partager des moments particuliers de sa vie et celle de deux autres personnages. Tout se passe au Franprix rue du Rendez-Vous, un lieu propice aux rencontres.

 » C’est là, c’est donné, il suffit de regarder et d’écouter. Les femmes surtout, certaines comme elles sont vaillante, comme elles veulent y croire, et paient de leur personne, de tout leur corps qui fabrique les enfants, et les nourrit ; (…) 
C’est chaque jour et au bout des jours ça fait une vie. « 



Seule, la femme observe, analyse, compatit, c’est par elle que tout existe. Jour après jour la vie de Gordana la caissière et son handicap se révèlent, on s’y attache tout autant qu’ au client fidèle à cette caissière, comme un amoureux transi et à la foule qui vivote tout autour. Tous survivent comme elle, comme nous, au mieux et parfois au pire.

 » Le corps de Gordana, sa voix, son accent, son prénom, son maintien viennent de loin, des frontières refusées, des exils forcés, des saccages de l’histoire qui écrase les vies à grand coup de traités plus ou moins hâtivement ficelés. « 

Des fragments de vies au milieu de la nôtre qui nous touchent, nous bouleversent, parfois nous dérangent. Mais qui résonnent en nous, comme un écho dans la montagne.

 » … c’est de la mort, de la maladie, de la perte, de la trahison, de l’absence qui commence pour toujoursou pour  longtemps, on ne sait pas, on tient, on fait face, on attend et on s’arrange plus ou moins, on vieillit, on dure.  » 



L’auteure nous raconte les solitudes urbaines. Avec son style, sa plume singulière elle nous charme, nous ensorcelle, nous fascine. 

Nos vies réveille nos silences, nos soupirs, nos espoirs. Il bouscule notre propre solitude, nos vies ordinaires qu’on aimerait extraordinaires.

Au fil de l’histoire, à chaque nœud, on s’attache un peu plus, on résiste et on craque… pour ce roman.

C’est beau, c’est puissant, c’est vrai, c’est pas Nos vies mais pourtant ça y resssemble .

Une bonne nouvelle  » Gordana  » publiée au chemin de fer, retravaillée pour donner naissance à  » Nos vies »

Ce magnifique roman est entré dans ma vie et y laissera un souvenir fort agréable.

Et si vous, le laissiez entrer dans la vôtre ?

Marie – Hélène Lafon est originaire du Cantal. Elle est écrivain mais également professeur de lettres classiques à Paris.

Elle construit une œuvre exigeante qui, livre après livre, séduit un large public. Tous ses romans sont publiés Chez Buchet / Chastel dont certains récompensés. Elle a obtenu le Goncourt de la nouvelle en 2016.

Je remercie Claire et les Éditions Buchet Chastel pour ces vies de passage dans la mienne. 



 » Les sables de l’Amargosa « 

Les sables de l’Amargosa de Claire Vaye Warkins aux Éditions Albin Michel



 » L’Amargosa, c’était du sable et encore du sable, envolé de Central Valley et Grandes Plaines pour s’entasser en une longue traînée inerte quelque part entre là et Vegas. » 



Une terrible sécheresse a ravagé l’Ouest Américain. La californie offrait désormais un paysage d’apocalypse. Le pays devenait lunaire. 

 » Ici, tout n’était que cendres. Poussière et filaments. Ici, tout pouvait être anéanti d’un simple geste de la main… »



Beaucoup ont fui Central Valley devenue inhospitalière avant la fermeture des frontières. Seuls quelques marginaux résistants survivent dans le coin sous la menace de la dune qui avance au gré du vent en broyant tout sur son passage. 

 » La dune n’était pas sur le massif mauve devant eux, Mais bien au-delà des kilomètres et des kilomètres plus loin. Le blanc n’était pas une croûte de glace, une calotte de neige, mais une sécheresse ininterrompue, sourde à la prière, grâce à quoi les rivières, les lacs, les réservoirs et les nappes aquifères se vidaient, les cultures et les élevages succombaient, les végétations dépérissaient, ne laissant derrière elle que des racines sèches couvertes de résidus alcalins.  » 


Parmi eux, Luz, ancien mannequin, et Ray, un déserteur. Depuis leur rencontre, ils ne se sont plus quittés. Ils ont déserté la Maison oû ils avaient trouvé refuge après une rencontre avec une enfant que Luz se met en devoir de protéger. Ils reprennent la route vers l’Est pour tenter de rejoindre une colonie fondé par Levi un sourcier visionnaire. 

 » Ses mots avaient une façon de rendre réconfortant ce qui était compliqué, de transformer les nombreuses peurs de son auditoire en preuves de leur sensibilité et de leur bonne volonté. Il arrivait à faire surgir la confiance et la sérénité…(…) Il leur offrait, par ses paroles, un monde verdoyant – la désolation et les duretés de la colonie devenaient beauté et abondance de bienfaits.  » 



En ces temps incertains où la terre se révolte et semble vouloir reprendre possesssion de son territoire, ce roman résonne étrangement d’une brûlante actualité. Un genre de fiction prémonitoire pour réveiller les consciences. Un roman inquiétant et dérangeant portée par une belle plume où les paysages prennent vie de manière sidérante, tout autant que les personnages qui l’habitent. 

Complètement envoûtée par le récit, je me suis laissée porter à travers ces paysages, dans cette atmosphère apocalyptique et j’ai quitté à regret les dunes de l’Amargoza. 

Un formidable premier roman, audacieux, de toute beauté que je vous encourage à découvrir. 


Claire Vaye Watkins est l’auteur d’un recueil de nouvelles  » Nevada » édité chez Calmann- Lévy en 2012, qui lui a valu de nombreuses récompenses littéraires. 

Saluée par la National Book Foundation comme l’un des cinq auteurs de moins de trente- cinq ans les plus talentueux, et par le magazine Granta comme l’un des meilleurs jeune écrivain de la décennie, elle signe ici un roman qui a fait sensation sur la scène littéraire américaine. 

Je remercie les Éditions Albin Michel pour ce fantastique voyage dans les dunes de l’Amargosa

 » Glaise « 

Glaise de Franck Bouysse Aux Éditions La Manufacture de livres

 » Le balancier d’une pendule répandait du temps en un lieu qui ne savait apparemment qu’en faire. « 

Dans le Cantal, au pied du Puy-Violent, le temps semblait ralenti, en août 1914 lorsque les hommes du village s’apprêtent à partir pour le front, en laissant sur place les êtres chers.

 »  (…) maintenant que son père était parti, elles ne lui apparaissaient plus comme telles, prenant conscience qu’il allait devoir apprivoiser différemment l’univers amputé de la part tendre de l’enfance. Devenir un homme avant l’âge d’homme.  » 

La guerre sépare ceux qui s’aiment et bien avant la première récolte, elle sème le désordre dans les vies de ceux qui restent. Les petits deviennent des hommes aussi grands que la peine qui les gagne.

Joseph prendra la place du père à la ferme et devra veiller sur sa mère.

 » Pour les femmes, la vie, c’était des actes et bien peu de mots. On leur avait appris que les mots représentaient la désinvolture de l’esprit s’ils n’étaient rattachés à des gestes concrets, comme égrener un épi de maïs, pétrir une pâte, fendre une bûche par le milieu, construire un feu. Les mots, quand ils sortaient, leur semblaient boursouflés de raison, jamais de légèreté et encore moins de folie. « 



Veille aussi Léonard, un vieux voisin sur qui Joseph pourra compter.

 » Léonard se rendait chaque jour à Chantegril. Les visites lui faisaient du bien, l’apaisaient. Malgré la chaleur, il s’amenait invariablement, coiffé de son chapeau fourbu, vêtu de sa veste de drap noir, démarche chancelante à force de s’être tant courbé et autant de fois relevé que ses os avaient fini par prendre le pli d’une douleur acceptée qu’il ne prenait plus la peine de combattre depuis longtemps.   » 

Dans une ferme voisine, chez les Valette, Eugène, le fils est parti à la guerre, laissant seul son père et sa mère. Un père exempté, plein de rage et de colère de ne pouvoir accomplir son devoir.

 » Valette, un homme qui conjuguait sans arrêt le verbe avoir au futur. Un type violent,sournois et envieux ( …) Valette ne respectait rien, pas plus la terre que les hommes. « 

Ce ne sera que l’arrivée dans le paysage de la belle Anna qui mettra un peu de lumière dans le cœur de Joseph, mais il faudra se méfier de Valette, son oncle qui l’a accueilli avec sa mère, le temps de la guerre.

«  Quelques minutes pouvaient suffire à porter une journée sur un nuage. Voleurs de temps habités d’urgence. Une urgence de peau et de regards. Ils n’étaient pas à un âge où on a peur de l’extrémité des désirs.   » 



Trois fermes, trois familles tourmentées, sur cette Terre qu’ils doivent chérir jour après jour, en attendant des nouvelles des leurs.

 » En ce temps de renaissance, les hommes ne se penchaient pas sur la terre, c’était elle qui se penchait sur eux, qui les prenaient, même s’ils n’en voulaient rien savoir. La terre globale et primordiale, qui s’amusait de ses vassaux temporaires, de leurs simples obstination à vouloir durer plus que leur vie en transmettant mieux quelques arpents arides crachés par la roche mère.  » 

De battre, mon cœur s’est arrêté, une larme a coulé puis il s’est de nouveau emballé au rythme des bombes pourtant si loin, prêt à exploser. Des battements  à la cadence de la mule la plus fidèle des fidèles, au rythme des soupirs de l’attente. Un battement plus fort aux prémices de l’amour et plus doux à chaque preuve d’amitié. Des battements qui accompagnent la colère des hommes, d’autres qui se révoltent pour leur méchanceté.

Oui de battre mon cœur s’est arrêté pour mieux repartir plus intensément avec ces protagonistes aussi attachants que Joseph et Léonard avec dans le voisinage le détestable Valette.

 » Une gamme infinie de sentiments humains.  » 

À travers une plûme toujours aussi élégante Franck Bouysse , cet artisan littéraire, créé un univers où le soucis du détail vehicule une quantité d’émotions. Notre cœur bat à l’unisson avec ses personnages. Chaque lettre, chaque mot, chaque phrase, chaque personnage, donne une sonorité particulière au récit. On ne peut pas être insensible à une telle qualité d’écriture. Tel un orfèvre il créé un véritable diamant noir.

 » Une suite de mots endoloris par le grondement du tonnerre.  » 

Déjà conquise depuis ma première lecture de  » Grossir le ciel  » en 2014 , l’auteur ne cesse de m’enchanter avec ses romans toujours plus beaux, toujours plus forts. Il a changé ma façon de lire et m’a rendu bien plus difficile et plus exigeante dans le choix de mes lectures. J’ai gouté au grand luxe de l’écriture française , du cinq étoiles, grâce à ses romans, et une fois encore je ne peux que vous encourager à découvrir, Glaise,  à le savourer, le déguster, page après page, d’où j’ai noté et partagé ( ne m’en voulez pas )  quelques – uns des magnifiques passages qu’il renferme, tel un photographe devant un spectacle grandiose.

Glaise n’est pas un coup de cœur, mais un véritable coup de foudre.

Pour continuer la découverte, voici le compte-rendu de quelques questions personnelles posées à Franck.

 Est-ce difficile de transposer une histoire à une époque que l’on n’a pas connu ?

Pas vraiment, dans la mesure où j’ai énormément lu sur cette période de l’histoire qui me fascine. Pour ne pas commettre d’impair, j’ai également fait appel à une historienne.

– C’est la première fois que tu donnes la voix à la jeunesse, cela te tenait à cœur ?

– Oui, vraiment, ce roman est aussi et peut-être avant tout un roman d’initiation.

–  Est-ce la première ou la dernière phrase la plus difficile ? 

– Je les avais dès le début du roman. 

– Comment choisis-tu tes citations que tu insères au début de tes romans noirs?

– Elles sont toujours liées au texte, je les pioche dans mes lectures passées. 

– Quelques mots personnels sur cette magnifique histoire ?

Je la porte en moi depuis quelques décennies, elle m’a été indirectement inspirée par mon arrière-grand-père. Même si c’est une fiction, il m’a poussé à écrire sur cette guerre qui me révolte, à ma façon.

J’espère sincèrement vous avoir donner envie de découvrir cette plume, poétique, racée, soignée, pour des histoires hors du commun.


Franck Bouysse est originaire de Brive-la-Gaillarde. En dehors de son métier d’écrivain, il est professeur de Biologie dans un lycée à Limoges. Il compartimente sa vie et dort peu pour réussir à conjuguer au mieux ces deux professions. Il écrit depuis son adolescence où il faisait ses gammes. Bien plus tard après avoir publié une trilogie d’aventure, des polars et des romans noirs, après neuf versions, encouragé par un ami ( je remercie cet ami )  qui l’incita à envoyer le manuscrit de Grossir le ciel , il sera publié à La Manufacture De Livres en 2014. Un livre qui a changé sa vie, qui sera prochainement adapté au cinéma, et a obtenu de nombreux prix littéraire, tel que le Prix Polar Michel-Lebrun ( 2015 ) , Prix Polars Pourpres ( 2015 ) … Et dernièrement Prix SNCF du polar cette année.



Il écrit à son bureau, à la plume d’un stylo de voyage sur des cahiers d’écoliers, entouré de ses pères Spirituels tel que Faulkner, McCarthy, qui lui ont donné la permission d’écrire en nous proposant son écriture singulière.

Passionné de littérature américaine, il sera prochainement en compagnie de Ron Rash à la librairie Page et Plume de Limoges le lundi 18 septembre, pour une fabuleuse rencontre. 


J’espère de tout cœur y être pour vous en parler prochainement. 

« … Avec ses mots, avec sa voix dans les mots, avec lui entier, ou plutôt une image de lui écrivant les mots.  » 


Je remercie Franck, et Pierre des Éditions La Manufacture de Livres pour ce must absolument fabuleux que j’ai découvert prématurément. 

 » Un funambule sur le sable « 

Un funambule sur le sable de Gilles Marchand aux Éditions Aux forges de Vulcain 



«  Bonjour, je m’appelle Stradi.  » 



Stradi n’est pas un enfant comme les autres, il est né avec un violon dans la tête. Privé pendant longtemps du cursus scolaire, il rejoint enfin le chemin des écoliers. Il va devoir se confronter à l’attitude,  pas toujours très cool, des petits et des grands face à son handicap.

 » À la maison, la douleur avait pris beaucoup de place Et mon violon était toujours perçu comme un ennemi qui s’était incrusté de force et avait un bémol à l’harmonie du foyer. Pour Max, il était le vecteur de mon anormalité, mon handicap. Pour Lélie, il s’agissait d’un drôle de don.  » 




Malgré tout, Il est un pro de l’optimisme et va transformer cette malédiction en atout, c’est clair que ce n’est pas donné à tout le monde de communiquer avec les oiseaux. Qui n’en rêverait pas ? 

 » Mais il jouait juste. C’était ma manière de me réconforter. Cela aurait pu être pire. J’imaginais le calvaire que ma vie aurait été si mon violon n’avait eu aucun sens du rythme ou de la mélodie, s’il avait massacré chaque morceau que j’écoutais. Dans mon malheur il m’avait au moins épargné. « 



Sans jouer du violon, ni du pipeau, il va rencontrer l’amour. Son doux prénom, Lélie, fait chavirer son cœur. Ils vont s’aimer, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, plus du tout…


C’est ça l’amour, même avec un violon dans la tête qui joue la sérénade. Mais Il n’a pas joué sa dernière note. D’autres partitions restent à venir.


 » Un matin alors que mon frère et moi étions sur le point de partir au collège, le facteur a glissé un courrier des États – Unis dans notre boîte aux lettres. Il y est tombé comme tous les courriers, sans faire de manière, sans pousser des cris de cow-boy ou de trader de Wall Street.  » 

À l’âge adulte, Stradi va se heurter à de nouveaux problèmes. Trouver un boulot entre autre. Et ça va pas être simple. 

 » La société avait établi tout un tas de règles mais n’avait rien prévu pour les gens qui n’étaient pas capables de les suivre pour des raisons indépendantes de leur volonté. Elle les acceptait mais ne leur donnait pas une réelle chance à part de rester bien sagement assis sans trop dérangé et surtout, surtout sans oublier de dire merci.  » 

Mais n’oublions pas que notre Stradi à de la ressource, des idées, et des notes plein la tête, alors en avant la musique. 

 » Et je comprenais aujourd’hui, que les vrais héros ne sont pas ceux qui ont des supers pouvoirs, mais ceux qui en sont démunis et continuent d’avancer. « 



Gilles Marchand est un magicien. Avec seulement vingt-six lettres il crée des mots, qui mis bout à bout te donne une histoire pleine de charme, de douceur et de poésie. À sa façon, il arrive à transformer le tragique en comique. Il te fait rêver et t’emmène dans son univers plein de fantaisie où son imagination te redonne ton âme d’enfant, dessine des sourires sur tes lèvres et transperce ton cœur. Des milliers d’étoiles plein les yeux, tu te laisses porter page après page dans ce récit hors du commun. 



Après ma découverte « d »Une bouche sans personne  » ( Ma chronique Ici ), j’étais impatiente de découvrir  » Un funambule sur le sable « . Un roman qui, sous ses airs musicaux nous livre un certain regard sur l’handicap, un roman sur la différence totalement innovant qui dégage de belles émotions et réveille notre imagination. Un texte aussi puissant qu’une partition, aussi doux qu’un slow, aussi fort qu’un rock. 

Une belle leçon d’éducation pour tout ceux qui sont bourrés de fausses notes. Un concert de mots absolument réussi où résonne l’optimisme, le courage, la fantaisie, l’amour, l’amitié. Un véritable feu d’artifice pour le cœur. 

À lire, à offrir, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie … 



Gilles Marchand est né en 1976 à Bordeaux. Son premier roman Une bouche sans personne, est paru en 2016 et a rencontré un grand succès. Il a notamment été le lauréat du Prix Libr’à Nous 2017. 

Un auteur à suivre absolument. 

je remercie David des Éditions Aux Forges de Vulcain pour cette lecture qui m’a remis le cœur à l’endroit. Et un grand merci à Gilles, qui fait de moi une super-woman à travers ce récit magnifique. 


 » Comme de longs échos « 

Comme de longs échos D’ Elena  Piacentini aux éditions Fleuve Noir 



 » Le regard de Vincent Dussart se rallume, sa voix se raffermit. Il paraît soudain plus grand.

 – Quentin est mon fils. On a assassiné ma femme et on m’a pris mon fils.  » 

Vincent Dussart ne s’attendait pas à ça en passant à l’improviste dans la maison de son épouse, qui lui avait dernièrement imposé un break.

Du coup la DIPJ de Lille est sur les dents. Une femme est morte et son enfant a disparu. Le mari fait un suspect idéal. Pas de temps à perdre pour le chef de groupe Lazaret et le capitaine Mathilde Sénéchal, une femme efficace, redoutable et inflexible.

Pour elle «  Le travail constitue la meilleure des thérapies et la pièce maîtresse de son armure. Affronter des adversaires de chair et de sang est une répétition du corps permanent engagés contre ses ennemis intérieurs. Les défaillances de Mathilde n’ont d’égale que son énergie à les vaincre. Elle n’est pas une femme à hisser le drapeau blanc, même dans la débacle. « 



Sénéchal trimbale sa part de félures qui font d’elle une flic brillante en cas d’urgence. Ses blessures la booste.

«  Ce que les gens  » normaux  » ne peuvent concevoir constitue l’essentiel de son quotidien. Les salauds sont plus créatifs que la moyenne.  » 

Dans une autre région, un flic à la retraite prends connaissance de cette affaire, ce fait divers vient réveiller de douloureux échos…

 » Les cliquetis des menottes ne lime pas le chagrin, ne couvre pas le zip de la housse mortuaire qui dit  » T’arrives trop tard.  » 


L’arrivée de cet homme des montagnes a tendance à perturber Mathilde. Elle a beau être flic, elle n’en n’est pas moins femme. Nouvelles perturbations dans l’air.

 » Les nuits étaient toutes miennes et j’étais à la nuit. Mes songes j’en étais convaincu, me disaient  » quelque chose  » J’y cueillais les clés d’or sans savoir dans qu’elles serrures les insérer ni qu’elles portes elles ouvriraient.  » 

N’oublions pas, elle a une enquête à résoudre et un enfant à retrouver, son équipe est prête. Elle s’attend à tout, même au pire scénario, et elle ne va pas être déçue.

Et vous non plus, si d’aventure il vous prenait la riche idée de lire Comme de longs échos

La plume d‘Elena Piacentini donne vie à une nouvelle enquête et met en scène une nouvelle héroïne : Mathilde Sénéchal.

À travers une écriture soignée, travaillée, tout en allant à l’essentiel, elle rends d’emblée cette nouvelle équipe attachante et l’enquête captivante. En s’inspirant d’un fait divers, Elena a réussi une fois de plus à conquérir mon cœur de lectrice et j’espère ne pas me tromper en attendant la suite et je garde l’espoir de retrouver Mathilde.

Un roman policier comme j’aime avoir entre les mains, une enquête bien ficelée, très visuelle qui rendrait à merveille à l’écran avec une foule de personnages charmants et un style d’écriture qui s’affirme et séduit.

Une auteure qui a sa place dans la cours des grands, alors messieurs les écrivains méfiez-vous Elena est dans la place. Et elle n’a pas fini de nous surprendre.

Vous l’aurez compris, j’ai apprécié retrouver mon auteure Corse préférée.

Vivement le prochain, heureusement pour moi, je n’en ai pas terminé avec Leoni, l’attente sera moins longue. Et vous c’est pour quand votre premier Elena Piacentini ? Faites gaffe, je mène l’enquête…



Elena Piacentini  est née en Corse à Bastia, comme le héros de ses premiers livres, Leoni, le commandant de police à la section homicide de la PJ de Lille, qu’elle a créé en 2008. . Elle y a passé son enfance et son adolescence, entre le maquis et les bras de sa grand-mère. L’un et l’autre lui ont appris le goût de la liberté, de la sincérité et de la pugnacité.

En 2012, sa carrière littéraire prends un nouveau tournant. Elle change de maison d’éditions. Elle affirme ses ambitions et confirme ses promesses. L’année suivante, elle reçoit le Prix Calibre 47 pour son roman «  Le cimetiére des chimères  » remis à l’occasion du Festival Polar Encontre à Bon encontre et le Prix Soleil Noir de Vaison La Romaine.

En juillet 2014, elle sort la sixième aventure de Leoni  » Des forêts et des âmes  » et  » Aux vents mauvais  » toujours aux Éditions Au-delà du raisonnable . puis    » Comme de longs échos  » aux Éditions Fleuve Noir.

 

Je remercie les Éditions Fleuve Noir pour cette lecture au label de qualité Corse.

 

 

 

 

 

 


 » Jusqu’à la bête « 

Jusqu’à la bête de Timothée Demeillers aux Éditions Asphalte 




« Et le sang. Le sang poisseux au sol. Comme une prémonition. Comme un signe avant- coureur. Mon ancienne caverne. Mon ancienne cabane ensanglantée. L’abattoir. Le sang. Le bruit. « 

Erwan est en prison depuis  » L’événement  » Deux ans déjà. Auparavant il était ouvrier dans un abattoir près d’Angers. Il travaillait aux frigos de ressuage dans un froid mordant, au rythme des carcasses qui s’entrechoquent sur les rails. Un travail à la chaîne répétitif, usant, pénible, laborieux.

 » Clac.

Jusqu’à la fin de la journée.Jusqu’à la fin de la semaine.

Jusqu’aux vacances.

Jusqu’à la retraite.

Clac.

Jusqu’à la mort. La Chaine. Cette maudite chaine qui ne nous quitte jamais.  » 



Pour échapper à son quotidien, Erwan se plonge dans sa mémoire. C’est tout ce qui lui reste, ses souvenirs.

 » À ressasser les souvenirs, à filer les histoires, les unes aprés les autres, comme ils viennent au gré des heures, au gré du cheminement de l’esprit, repenser à l’usine, à cette usine… « 


Pour tenir un jour de plus, pour remplir le vide, quitte à raviver ses angoisses.

 » (…) et qu’on occupe le vide comme on peut pour que le temps passe plus vite, que l’ennui s’amenuise, et de tenter de désengluer ses pensées, de se sortir de ce cycle infernal, gouverné  par la haine des autres, la haine du passé, la haine de soi et le rien, et puis ce rien qui devient tellement tout, le vide d’une journée blanche, et une deuxième, et une troisième…  » 

Le  » Planton des frigos » est devenu  » Le Boucher « , autre bagne, autre surnom. Les Clacs des portes du pénitencier ont remplacé les Clacs de l’usine. Là-bas le frigo, ici la cellule. D’un coté une liberté relative, de l’autre une liberté perdue. Mais que ce soit ici ou là-bas, les compteurs marquent seize années. D’un coté c’était  la retraite au bout, mais ici ce sera la liberté, enfin peut-être …

Jusqu’à la bête est le récit d’un basculement, écrit par un jeune auteur qui n’hésite pas à dénoncer la pénibilité du travail à la chaine. À travers cette immersion dans un abattoir, on découvre la face cachée des barquettes de viandes, des burgers et autres morceaux de choix,  leurs parcours avant d’atterrir dans nos assiettes. L’auteur léve le voile sur ces ouvriers, aux conditions de travail absolument inhumaines , avec sur le dos des chefs qui ne pensent qu’à la productivité sans jamais se salir les mains.

Un récit sanglant, brutal, féroce, noir, plein de fureur et de rage. Une écriture brillante, cinglante, abrupte, vive, directe. Une histoire pleine de haine, de solitude, et si peu d’espoir.

Un roman engagé, où résonnent des voix qu’on aimerait entendre davantage dans la littérature.

Comme un témoignage, c’est violent mais nécessaire.

À découvrir absolument, en gardant  le cœur bien accroché.

Timothée Demeillers

Timothée Demeillers est né en 1984. Il est passionné par l’Europe centrale et orientale. Après avoir longtemps vécu à Prague, il s’est désormais établi entre Paris et Londres, et il partage son temps entre le journalisme et la rédaction de guides touristiques.


Prague, faubourgs est, son premier roman, est paru Chez Asphalte en 2014.

Je remercie au passage Estelle et les Éditions Asphalte pour cette découverte aussi noire que brillante.