Denali de Patrice Gain aux Éditions Le mot et le reste
« Jack avait raccroché. L’espace autour de moi s’était démesurément agrandi. Il était sans limite. Seul. Rien autour, rien à l’horizon et rien à attendre. Seul. Abominablement. La crainte d’un enfant abandonnique qui prend corps. J’aurais aimé pleurer. J’avais déjà tellement peur que je redoutais plus encore les heures à venir. Alors pleurer, c’était un stade déjà dépassé. J’étais retourné dehors et j’avais noyé mes angoisses dans mon livre. Me concentrer sur le texte. S’y fondre. Si j’avais su que Christopher McCandless devait mourir à la fin, j’aurais sûrement balancé le bouquin. Mais à cet instant, ma solitude avait trouvé un écho et cela m’avait été d’un grand réconfort. «
Matt Weldon 14 ans vient de perdre son père. Sa mère anéantie par cette disparition s’éffondre et se retrouve placée en hôpital psychiatrique. À cela s’ajoute la fuite de Jack son frère aîné. Il refusait de partir avec lui chez leur grand-mère qui vit toujours dans le Montana, où son père a grandi.
» Ma mère me manquait. Mon père me manquait. Jack me manquait aussi, mais à cet instant, je le détestais. Il était devenu imprévisible depuis l’internement de notre mère. Il avait agi en lui comme un électrochoc. Pas de ceux qui vous ramènent vers la réalité des choses et des sentiments. Non, de ceux qui vous enfoncent dans un tourment acide et violent, qui vous isole du monde. »
Il arrive chez sa grand-mère avec » un passé douloureux et un futur incertain ». Livré à lui-même, il y découvre l’autre vie de son père, celle qu’ils n’avaient pas connue, ni lui ni Jack, et ce ne sera pas sans surprise.
« Appréhender la douleur avant la mort c’est souffrir deux fois. Une fois par l’esprit et l’autre par la chair. Je voulais vivre et si possible qu’avec de rares et fugaces tourments. Gommer les derniers mois, les dernières heures et redessiner les jours heureux. »
Poursuivit par la malchance, sa quête interrompue par le retour innopiné de son frère habité par la rage, il sera confronté à une violence qui le mènera à commettre l’irréparable.
» Ce serait rassurant, déculpabilisant, de pouvoir justifier chacun de nos actes par des influences passées, des éléments malveillants dont on n’a même pas idée, tapis au fond de notre subconscient et s’affranchir ainsi des plus sombres. »

Denali est un roman noir nature-writing envoûtant aussi magnifique que les romans de Ron Rash ou David Vann pour ne citer qu’eux. Et pourtant Patrice Gain est une plume française.
Et quelle plume ! Si belle que je n’ai pas cessé de noircir mon carnet de toutes les belles citations que l’auteur nous offre dans ce roman.
» Seul le présent compte… Quand on ne sait pas profiter de la vie aujourd’hui, il ne faut pas s’attendre à le faire demain. »
Dés le départ j’ai senti un attachement féroce pout Matt, confronté si jeune à tant de douleur. Impossible de lacher ce récit chargé de rage, de colère, de fureur mais aussi d’amour, de fraternité, d’amitié, où seule la communion avec la nature apportera un peu de plénitude et permettra aux lecteurs un peu de répit dans la folie des hommes.
Un roman nerveux, puissant, vibrant, une écriture aussi belle que les paysages du Montana et qui dégage à elle seule une montagne d’émotions. Un formidable voyage dans les grands espaces américains en compagnie d’un jeune garçon en quête de réponse.
» Un petit bonheur pour habiller une tranche de vie, pour exalter le présent. »
Immense coup de cœur.
Patrice Gain est né à Nantes en 1961 et habite un chalet dans la vallée du Giffre, en Haute-Savoie. Professionnel de la montagne, ingénieur en environnement, les territoires d’altitudes et les grands espaces l’attirent depuis toujours. Des voyages pour voir plus large. Du blues pour écrire, comme une béquille. Son précédent roman » La naufragée du lac des dents blanches » également aux Éditions Le mot et le reste vient de recevoir ( août 2027) le grand prix du pays du Mont-blanc.
Un auteur à suivre absolument.