Créatures de Crissy Van Meter aux Éditions La croisée

“ Winter Island est une butte de pierre volcanique à moitié sculptée par les glaciers, couverte de forêts verdoyantes et de large plages de sables. Des falaises abruptes s’effritent du haut d’éternités d’érosion. Il y avait autrefois des mammouths laineux. Des colons ont été abandonnés là, et si nous le savons, c’est parce que nous avons dépensé beaucoup d’argent et d’années à creuser la terre pour les mettre à jour. Les gens du continent racontent que notre île a été colonisée par des trolls, des Espagnols puis par toutes les âmes perdues et solitaires de ce monde. Notre marijuana est censée receler des pou magiques. Les rayons de notre soleil davantage encore. Le tout à un peu plus de soi à kilomètres d’une traversée spectaculaire depuis Los Angeles à bord d’un ferry transportant son lot de voitures et de renoncements. Il y a tout un tas de raisons de rester. ”
Evie demeure sur Winter Island depuis sa naissance. Elle est sur le point de se marier, mais son fiancé est porté disparu en mer. Ce n’est malheureusement pas la seule ombre au tableau. Une baleine s’est échouée dans le petit port de l’île, et voilà sa mère qu’elle n’a pas vu depuis longtemps qui débarque sans crier gare.

Mais Evie en a vu d’autres, elle qui a grandi auprès de son père très aimant mais aussi très négligent, sans sa mère partie rejoindre le continent et sa nouvelle vie.
“ Tu es juste une fille qui veut aimer son père. Mais ta vie est faite de ses leçons grandeurs nature : de mers calmes et après, de monstres marins mystérieux, si nombreux, de choses vivantes dans le Pacifique. Certains jours, les métaphores sont trop confus, trop détrempées, tu voudrais juste qu’il t’aime en retour. Qu’il te fasse un câlin. Il ne sera jamais le père que tu voudrais, il ne trouvera jamais la mère dont tu as besoin, et cependant il est à toi et tu es à lui, et il te faudra naviguer dans ces eaux-là avec lui. ”
C’est de débrouilles à la manière des hobos, jouant parfois les pirates ou les explorateurs qu’ils vécurent sur leur île, vivant principalement du commerce de la Winter Wonderland la légendaire marijuana locale.
Essuyant parfois quelques tempêtes, subissant les brûlures du soleil mais jamais au point de vouloir quitter l’île à laquelle ils sont fortement attachés à contrario de la mère.

Malgré tout, cette vie si particulière n’a pas été sans dommages sur le psychisme d’Evie qui doit faire face à de nombreuses incertitudes inhérentes à sa vie insulaire.
Ce que j’en dis :
Voilà un récit qui m’a capturé dans son filet pour me libérer sur la plage au milieu de créatures terrestres et marines en tout genre pour une aventure hors du commun.
Vague après vague, les souvenirs d’Evie se révèlent dans un ordre assez particulier. Parfois de manière chaotique comme un jour de tempête, sa vie n’étant pas de tout repos auprès de ce père quelque peu irresponsable et parfois de manière plus apaisante nous laissant le temps d’admirer le paysage et d’en prendre plein la vue. Car derrière ses mots et parfois ses maux on sent l’attachement qu’elle a pour les deux, son père et son île, qu’elle ne peut se résoudre à quitter, l’un comme l’autre.
“ Je ne pouvais m’empêcher de songer à tous les moments où nous nous étions perdus ensemble, combien il sera plus facile au fond d’être sans lui si je voulais vraiment trouver mon chemin. ”
En grandissant contre vent et marée, entourée de cette mer Pacifique loin de sa mère légitime, auprès de ce père abîmé par certains abus, il n’est pas toujours facile de faire face à certaines douleurs liées à l’absence et il n’est pas toujours aisé de pardonner, l’être humain est ainsi fait, il doit composer, s’adapter pour survivre et se libérer pour vivre à son tour.
Quelle soit humaine ou maritime, les créatures qui voguent à travers cette histoire m’ont touchées, me laissant au bord du rivage avec une folle envie d’y poser mes valises pour retrouver Evie et visiter son île, et fumer pourquoi pas un peu de Winter Wonderland et accéder au Paradis avec une vue spectaculaire sur cet endroit où la magie opère même dans les situations difficiles pour remettre un peu d’ordre dans le chaos, tel un éclairci après un orage.
Un premier roman qui ne manque ni d’humour, ni d’émotion, où les vies s’entrechoquent, et les éléments se déchaînent, laissant derrière eux toute une vie à poursuivre…
Les éditions Delcourt deviennent La croisée, accueillant d’entrée ces belles CRÉATURES littéraires où la magnifique couverture vous plongera direct vers vingt mille lieux sur une île que vous ne voudrez plus quitter.
Pour info :

Crissy Van Meter vit à Los Angeles. Elle enseigne l’écriture au Writing Institute du Sarah Lawrence College. Elle est la fondatrice de la plateforme Five Quaterly et responsable éditoriale de Nouvella Brooks.
Créatures est son premier roman.
Je remercie les Éditions La Croisée pour ce voyage maritime étourdissant.