L’île invisible

L’île invisible de Francisco Suniaga aux éditions Asphalte

Traduit de l’espagnol (Venezuela) par Marta Martinez Valls

“ […] Margarita , l’île de l’utopie, le seul endroit de la planète où tout le monde commande et personne n’obéit. “

Lorsque Edeltraud Kreutzer, originaire de Düsseldorf débarque sur l’île Margarita pour une quinzaine de jours, ce n’est hélas pas pour un séjour d’agrément mais pour tenter de découvrir ce qui est arrivé à son fils Wolfgang, retrouvé noyé sur la plage près du bar dont il était propriétaire.

« Oui, je me souviens très bien de ce qui est arrivé à votre fils et, croyez-moi, je l’ai beaucoup regretté. Cela s’est produit sur une plage dangereuse, où malheureusement de nombreux baigneurs se sont déjà noyés, y compris quelques Allemands, dit-il sans empêcher ses mots ressemblent à une vaine consolation. ”

Sur place, elle fait appel à un avocat pour l’aider dans ses démarches.

Dans ce décor paradisiaque, où l’on vit avec nonchalance, certains s’adonnent à la corruption pendant que d’autres organisent des combats de coqs, dont Wolfgang était devenu accro.

L’enquête se poursuit dans cette jungle tropicale sur cette île invisible du Venezuela envoûtant au passage les nouveaux lecteurs .

Ce que j’en dis :

Les éditions Asphalte ont eu la bonne idée de rééditer ce roman paru une première fois en 2013.

Il rencontre un immense succès au Venezuela, véritable best-seller, le livre en est à sa treizième édition.

Ce roman exotique nous fait voyager entre ici et ailleurs, entre passé et présent bien loin des ambiances de cartes postales, dévoilant son intrigue au rythme de l’île.

Ce roman absolument passionnant nous envoûte dès les premières pages. Au cœur de cette île qui semble à première vue paradisiaque, on va vite découvrir l’envers du décor, face à une violence sauvage qui pousse certains à la folie.

Les insulaires semblent aussi perdus sur cette île, que l’île elle-même face à une bureaucratie défaillante, ils sont vite oubliés et deviennent vite invisibles.

Un délicieux cocktail caribéen, doux, rafraîchissant tout en étant pimenté, mettant tous vos sens en éveil.

Une très belle surprise de cette rentrée, un roman latino-américain à découvrir absolument.

Pour info :

Né en 1954 à La Asuncion, Francisco Suniaga enseigne le droit international à l’université centrale de Caracas jusqu’en 2006.

En parallèle, il est chroniqueur pour des journaux du pays, notamment pour El Nacional.

En 2005, il publie son premier roman L’Île invisible, qui connaît un énorme succès au Venezuela. Il y raconte l’histoire d’un homme qui perd son fils sur l’île de Margarita et fait appel à l’avocat José Alberto Benitez pour comprendre les circonstances de sa mort.

Le roman est traduit en français et publié aux éditions Asphalte en 2013.

L’auteur a publié deux romans depuis.

Je remercie les Éditions Asphalte pour ce voyage qui sort des sentiers battus.

Devenir quelqu’un

Devenir quelqu’un de Willy Vlautin aux Éditions Albin Michel

Collection Terres d’Amérique

Traduit de l’américain par Hélène Fournier

“ Horace attrapa un vieux cahier posé sur une étagère à côté du lit. Sur la première page, on pouvait lire « Journal des Mauvais Rêves » écrit au stylo bleu. Le jeune homme tourna une demie-douzaine de pages et s’arrêta à celle qui était intitulée « Abandonné à Tonopah ». Il avait tracé dessus trente-deux petits bâtons, et il en ajouta un trente-troisième. Puis, en bas d’une des dernières pages, qui était quasiment remplie, il nota la date du jour et écrivit ce qu’il avait déjà écrit la veille et l’avant-veille : « Je vais devenir quelqu’un. » ”

Horace a vingt ans. Il est moitié Irlandais, moitié indien païute. Il vit et travail dans le ranch des Reese, dans le Nevada. Abandonné très jeune par ses parents, les Reese sont devenus plus ou moins sa famille de substitution. Ce couple âgé le considère comme leur fils et veille sur lui tout comme il veille sur eux.

Seulement, Horace est passionné de boxe, et rêve de devenir un champion. Écartelé entre ses origines indiennes et blanches, il se cherche, s’interroge jusqu’au jour où il décide de tout quitter pour partir vers le sud, à la poursuite de son rêve avec le désir de Devenir quelqu’un.

Malgré la force de ses poings, saurait-il faire face à l’inconnu, à la solitude et à certaines rencontres bienveillantes et d’autres hypocrites même si parfois l’espoir lui permet de toujours se relever. Jusqu’où est-il prêt à aller pour Devenir quelqu’un ?

Ce que j’en dis :

Tout comme dans son précédent roman La route sauvage (Ma chronique ici), tenant très certainement du fait que l’auteur est très attaché à son grand-père, il met en scène un jeune homme assez écorché par la vie et un couple d’anciens, bienveillants et protecteurs.

Horace, ce jeune métis amérindien cherche désespérément à prouver qu’il peut à travers son rêve devenir quelqu’un, lui qui manque cruellement d’assurance. Tandis que ce couple confronté à la crise économique en plus de la vieillesse ne rêve que de transmettre leur ranch à ce jeune rêveur.

À travers ce trio, où l’auteur confronte les générations on découvre des personnages combatifs, profondément humains qui poursuivent leur route entre désillusion et optimisme.

Willy Vlautin, est écrivain mais également musicien folk, rien d’étonnant à ce que ce récit résonne comme un blues poignant et triste où pointent des notes d’espoir.

Quelqu’un de bien nous met un coup de poing en plein cœur et nous laisse K.O à la dernière page, en regrettant secrètement un dernier round, une dernière note, un dernier souhait, un nouveau rêve avant de quitter le ring.

Sous sa plume, les gens ordinaires deviennent de véritables héros.

Si un jour Willy Vlautin a rêvé de Devenir quelqu’un, qu’il soit rassuré, il est un formidable écrivain, incontournable dans le paysage littéraire américain.

Pour info :

Rencontre au festival America en 2016

Né en 1967 à Reno, Nevada, Willy Vlautin est l’auteur de Motel Life(2006), Plein nord (2010) et Ballade pour Leroy (2016), La route sauvage (2018) tous publiés chez Albin Michel, quatre romans dont trois ont déjà été portés à l’écran.

Il est également auteur-compositeur et chanteur du groupe folk-rock Richmond Fontaine.

Devenir quelqu’un est son cinquième roman.

Je remercie Albin Michel pour cet uppercut littéraire bouleversant.

Les choses humaines

Les choses humaines de Karine Tuil aux Éditions Folio

“ Il relisait souvent les mots que Steve Jobs avait prononcés devant les étudiants de l’université de Stanford dix ans plus tôt, en juin 2005 alors qu’il se savait atteint d’un cancer : « La mort est très probablement la meilleure invention de la vie. […] Votre temps est limité, alors ne le gaspillez pas en vivant la vie de quelqu’un d’autre. » C’était peut-être les seules leçons qu’il avait tirées de toutes ces épreuves: tout peut basculer, à tout moment. ”

Les Farel forment un couple de pouvoir. Jean est un célèbre journaliste politique, Claire son épouse est également très connue notamment pour ses engagements féministes. Leur fils, Alexandre étudie dans une prestigieuse université américaine.

Mais hélas, même les familles les plus en vue peuvent se retrouver mise à mal, lorsqu’une accusation de viol entache leurs réputations et fait voler en éclats ce qu’ils avaient si chèrement acquis.

Comme l’a dit Darwin : « Les espèces qui survivent ne sont pas les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements. »

Ce que j’en dis :

Même si j’arrive après la bataille pour ce roman de Karine Tuil publié chez Gallimard en 2019, récompensé par le prix Interallié en 2019, et par le Goncourt des lycéens en 2019, j’ai très envie de vous inciter à le découvrir.

Après L’invention de nos vies publié en 2013, que j’avais trouvé extraordinaire, je ne pouvais pas faire l’impasse sur ce récit mais en laissant passé un peu de temps pour mieux l’apprécier, ayant été confronté à ce genre de faits dans mon entourage proche.

Les choses humaines devenant parfois inhumaines lorsque la perversion de certains individus sans scrupules entre en jeux.

À travers ce récit d’une construction magistrale, Karine Tuil nous présente en premier lieu les quatre principaux personnages, tous liés d’une certaine manière à cette histoire.

Sous une tension extrême, laissant déjà planer le doute sur qui sera l’ accusé au final, l’engrenage est en route, et on se rends bien compte que beaucoup de faits pouvant paraître anodins à certains sont pourtant répréhensibles et mériteraient aux protagonistes d’être poursuivis en justice.

Le mouvement « Me too » #balancetonporc est en route, et l’auteur aborde avec justesse ce thème où une accusation de viol va plonger une famille bien sous tout rapport dans l’enfer médiatique et judiciaire.

Un récit d’autant plus nécessaire à notre époque où certains abus peuvent détruire des vies, mais qui prouve également que personne n’est à l’abri de se retrouver piégé dans un redoutable engrenage.

La presse, les médias font leurs choux gras de ce genre d’affaire. À se demander parfois si c’est « tendance » d’étaler sur la place publique ces comportements perverses, et si vraiment ça aide les victimes dont l’intimité est une fois de plus mise à mal.

Les choses humaines un thriller psychologique contemporain redoutablement efficace qui ne peut laisser indifférent.

Karine Tuil est un écrivain français.

Elle vit et travaille à Paris. Elle est diplômée d’une maîtrise de droit des affaires et d’un DEA de droit de la communication (Université Panthéon Assas).

Elle est l’auteur de onze romans traduits en plusieurs langues. « Les choses humaines », son dernier roman a obtenu le prix Interallié 2019 et le Goncourt des lycéens 2019.

Il est en cours d’adaptation au cinéma.

Tant qu’il reste des îles

Tant qu’il reste des îles de Martin Dumont aux éditions Les Avrils

“ – Attend Léni, t’es d’accord avec lui ? Tu défends le pont maintenant ?

J’ai soupiré en expliquant que non, moi aussi j’étais contre, mais ça ne servait à rien d’en discuter des heures. Ça faisait des mois qu’on ne parlait que de ça. Au bar, au supermarché, même dans la rue chaque fois qu’on se croisait. Depuis que les barreaux et la plateforme de forage avaient envahi la baie. Le pont, le pont, le pont. Tout le monde n’avait que ce mot à la bouche. ”

Rien d’étonnant à ce qu’on ne parle que de ça sur l’île. Le pont déjà baptisé le monstre ne peut pas passer inaperçu. Il commence déjà par défigurer le paysage en s’incrustant jour après jour, on ne risque pas de l’oublier.

Et évidemment, pas encore terminé qu’il divise déjà les îliens.

“ Oui, tout le monde pouvait trouver un intérêt au pont, une bonne raison de le voir apparaître. La question, c’était plutôt de savoir ce qu’on voulait vraiment. Les sacrifices qu’on était prêt à faire pour préserver son territoire.

Quand même, a murmuré Gauthier, tu te rends compte de ce qu’on est en train de vivre ? […]

– Quoi ? La construction d’un pont ?

Il a souri tristement en détournant les yeux.

– Non, les derniers jours d’une île… ”

Léni vit sur l’île. Il y est resté même séparé de sa femme et par le fait de sa fille qu’il ne voit qu’un week-end sur deux.

Il répare les bateaux sur le chantier de Marcel, et s’évade en naviguant sur un Fireball. Comme beaucoup il s’interroge. Il l’aime son île même s’il se rend bien compte que l’économie insulaire s’essouffle.

Mais il est également conscient que certains changements sont nécessaires pour lui mais aussi pour la survie des îliens.

C’est vrai qu’elle a du charme cette île, pas étonnant qu’ils y tiennent tous et restent prêt à tout pour défendre leur territoire.

C’est pas rien, une île. C’est un truc magique, un endroit d’où tu peux pas te barrer comme ça, juste sur un coup de tête. Une île, ça se mérite. ”

Ce que j’en dis :

Qu’il fut bon de débarquer sur cette île, même en pleine tourmente, car très vite on se met à la place de ces îliens attachés à leur île. Comme une mère envers ses petits, l’instinct protecteur est ancré en eux, on touche pas à l’île, on la protège des invasions qui pourrait la détruire.

Difficile, d’accepter de partager un endroit si beau, si paisible même s’ils sont conscients qu’un nouveau souffle serait le bienvenu pour aider l’économie. Mais le changement fait peur, d’autres avant eux ont perdu leurs îles quand les colons ont débarqué, il y a de quoi s’inquiéter…

Martin Dumont nous offre un voyage magnifique chargé d’émotion et empli d’humanité.

À travers sa plume toute en délicatesse, on navigue entre les pages avec Léni, un homme assez introverti qui aimerait pourtant s’ouvrir davantage aux autres. Peut-être que le pont est la solution, un passage entre ici et ailleurs. Bien sûr, il n’est pas à l’abri de faire quelques vagues, tout comme ce pont.

C’est l’histoire d’une île qui possède une charme fou, habitée par des gens incroyables, très attachés à elle et qui l’aiment de bien des façons.

Une île, un pont, peut-être le début de belles histoires d’amour et d’amitié entre îliens et continentaux, tout est possible Tant qu’il reste des îles.

Pour info :

Martin Dumont travaille comme architecte naval.

Il a passé son adolescence à Rennes où il s’est épris de l’océan et de la voile.

Il a longtemps vécu en Bretagne, le décor de son premier roman, « Le chien de Schrödinger », paru en 2018 chez Delcourt.

Tant qu’il reste des îles est son deuxième qui fait son entrée dans la collection Les avrils des éditions Delcourt.

Les Avrils :

Des romans, des récits, des auteur·ice·s de langue française. Des enthousiasmes littéraires. Des histoires d’aujourd’hui. Une ligne sélective mais toujours généreuse. Une collection de littérature contemporaine portée avec conviction au côté de tou·te·s ceux·elles qui font la vie du livre. Voici Les Avrils.

Sandrine Thévenet est éditrice depuis vingt ans et a révélé des auteur·ice·s de premier plan. Elle a formé Lola Nicolle qui à son tour est devenue éditrice accomplie et autrice. En 2020, elles créent Les Avrils au sein du groupe Delcourt grâce à Guy Delcourt et Anne-France Hubau.

Les jardins d’éden

Les jardins d’éden de Pierre Pelot à la Série noire chez Gallimard

“ Bien entendu tu es content d’être sorti du fracas. Sauf que tu en traînes toujours des lambeaux avec toi, que l’échappée prend son temps, la garce, qu’on dirait bien n’en avoir jamais vraiment fini avec elle, au fond. ”

Jip Sand est de retour à Paradis dans la ville de son enfance. Il revient de loin, après avoir vaincu son cancer avec l’impatience de revoir enfin sa fille. Mais Annie dite Na reste introuvable.

“ Les temps changent JIP. T’es ressuscité des morts, mais t’es journaliste, non ? ”

Dans le passé, Manuella, l’amie de Na avait été retrouvé sans vie dans les bois. Jip n’avait pas chercher à élucider cette mort étrange mais cette fois c’est sa fille qui a disparu.

[…] Pourquoi personne n’a cherché à comprendre ce qui lui était arrivé, à Manu, hein ? Ce qui lui était arrivé vraiment ? Pourquoi ça a été classé vite fait par tout le monde et même les flics au rayon des faits divers de rôdeurs, des putains de chiens écrasés, hein ? Et ça aussi je suis sûr que tu le sais très bien. ”

Au fil des saisons, entre ses souvenirs brumeux et le présent assez flou, Jip part à la recherche de sa fille, réveillant jour après jour le passé et certaines vérités plus douloureuses et plus mortelles que certaines maladies. Sa rémission prend des chemins de traverse bien sinueux pour atteindre la rédemption.

“ Tu la tiens, ton histoire, mon vieux. Tu la connais, maintenant. […] Sauf que bien sûr c’est la réalité, c’est vrai, mais tu n’y peux pas croire. Pas crédible. Incroyable. ”

Ce que j’en dis :

Pierre Pelot sort de sa retraite pour faire une entrée remarquable à la série noire chez Gallimard. On se demande d’ailleurs bien pourquoi ils ont attendu si longtemps pour lui dérouler le tapis rouge, car il y a indéniablement sa place, c’est certain. Et c’est pas la chauvine qui parle mais la lectrice fidèle à l’auteur et à la maison d’édition.

Dans un style qui n’appartient qu’à lui, à travers une langue riche sculptée au cordeau, il tisse son histoire, mettant en scène des âmes écorchées dans une nature éclatante et sauvage.

Une lecture qui demande une attention particulière, le temps d’apprivoiser cette écriture riche et envoûtante pour l’apprécier à sa juste valeur. Un voyage entre passé et présent, indispensable pour dénouer le fil de cette histoire,

Les jardins d’Eden nous plonge dans la mémoire d’un homme qui tente de réparer les erreurs du passé et cherche la rédemption auprès de sa fille qui a malheureusement disparue.

À Paradis, certaines portes cachent l’enfer et certains secrets de village peuvent conduire direct au purgatoire.

La Bête des Vosges (comme on dit par chez moi) a bien fait de sortir de sa tanière pour nous embarquer vers son Jardin d’Eden. Si sombre soit-il, il n’en demeure pas moins extraordinaire et suis même sûre que notre cher Bachri aurait été de cet avis et serait encore bien capable de râler de là-haut s’il n’obtient pas le rôle de Jip, pour l’adaptation ciné à titre posthume.

On peut toujours rêver…

Pour info :

Pierre Pelot est un auteur vosgien né en 1945.

Il a écrit près de deux cents romans dans les genres les plus divers, de la science-fiction au thriller, en passant par le western et la littérature générale, dont beaucoup ont été traduits dans plus de vingt langues.

Avec des œuvres telles que Delirium Circus ou La Guerre olympique, il est l’un des meilleurs auteurs de SF française. En compagnie d’Yves Coppens, il a signé Le Rêve de Lucy et Sous le vent du monde.

Son Été en pente douce a été adapté au cinéma avec le succès que l’on sait.

Justice Indienne

Justice indienne de David Heska Wandbli Weiden aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par Sophie Aslanides

Pourquoi ne partais-je pas ? les gens ici parlaient toujours de s’en aller à Rapid City ou Sioux Falls ou Denver, de trouver un boulot de faire une coupure. De mettre de côté le mode de vie amérindien et de s’assimiler, de s’adapter à la vie de l’Américain moyen. Mais je repensai au son des tambours dans les pow-wows, à l’odeur de la sauge, aux splendides costumes que les petits Indiens portaient pour leur première cérémonie, l’éclair du soleil montant au-dessus des collines. Je me démasque je pourrais un jour vraiment quitter la réserve, car elle se trouvait dans mon esprit, une réserve virtuelle, dans laquelle j’étais indéfectiblement coin. Puis je m’enfonçais dans un demi-sommeil, plongeai dans des rêves saccadés et des pensées fugaces, avec des images d’enfants indiens qui dansaient dans ma tête. ”

Virgil Wounded Horse vit sur la réserve indienne de Rosebud dans le Dakota du Sud. Il a déjà pensé à quitter cet endroit mais il doit veiller sur son neveu mais également mettre ses gros bras aux services des plus défavorisés car bien souvent même la police tribale censée enquêter sur les crimes commis dans les réserves n’est pas à la hauteur et les crimes restent impunis.

S’étant autoproclamé justicier, il loue ses services pour quelques dollars.

Alors, lorsque son neveu se retrouve impliqué dans ce qui semble être un trafic de drogue au cœur de la communauté, Virgile en fait une affaire personnelle. On touche pas aux siens, ni à sa réserve.

“ En vérité, j’avais peur de foirer avec Nathan. Même si j’avais bataillé avec l’alcool, je ne savais que dalle sur le traitement des addictions. Ma seule compétence, c’était tabasser des salauds. ”

C’est avec son ex-petite amie qu’il part à la chasse de ces trafiquants sans scrupules. En remontant la piste de ce trafic dévastateur, il sera contraint d’accepter l’aide de ses ancêtres pour réussir à mettre fin une fois encore aux massacres des blancs.

“ Je ne me prenais pas trop la tête – après tout, si les flics refusaient de faire quoi que ce soit, qu’y avait-il de mal à ce qu’un justicier autoproclamé agisse ?

Ce que j’en dis :

Ceux qui me connaissent bien ne seront pas surpris de mon engouement pour ce roman. Étant passionnée par tout ce qui touche aux peuples indiens et fidèle aux Éditions Gallmeister, je ne pouvais absolument pas passer à côté de cette nouvelle parution.

Et les bonnes surprises s’enchaînent pour ce premier roman traduit par la grande Sophie Aslanides que j’ai eu le plaisir de rencontrer à Oron, quand on pouvait encore se rendre en Suisse et assister à de merveilleux festivals de littérature américaine.

En attendant, une virée dans le Dakota, ça ne se refuse pas, surtout en compagnie d’un indien qui serait prêt à ressortir arcs, flèches et Tomahawks pour partir sur le sentier de la guerre s’il le fallait pour scalper cette bande de blancs porteurs de poisons.

Ses méthodes ont évolué par rapport à ses ancêtres, mais sa soif de vengeance reste intacte, et même s’il a parfois du mal avec les traditions ancestrales, la sagesse l’emporte du moment qu’elles lui permettent d’arriver à ses fins.

D’ailleurs on comprend la violence qui l’habite, opprimé depuis si longtemps il est normal qu’il se révolte et agisse au mieux pour protéger ceux qui restent.

David Heska Wanbli Weiden réussit à nous plonger dans une aventure digne des plus chouettes westerns en mêlant traditions ancestrales, et enquête policière ou un justicier n’hésite pas à intervenir pour défendre les siens tout en nous offrant des anecdotes sur l’Histoire et les traditions indiennes.

Une véritable chevauchée fantastique, qui nous emporte dans un tourbillon de violence mais nous montre à quel point la situation des indiens est toujours révoltante, parqués dans des réserves ils sont toujours la proie d’américains sans scrupules, n’ayant d’autres choix que de se défendre eux-mêmes puisqu’ils sont oubliés par le système légal américain.

C’est brillant, sauvage, et mon âme guerrière, défenseuse des peuples opprimés a adoré, même si hélas cette fiction rejoint très certainement l’affreuse réalité de la vie dans ces réserves.

Un premier roman très réussi, vivement le prochain.

Pour info :

David Heska Wanbli Weiden est un membre de la Nation Lakota Sicangu.

Il est diplômé de l’Institute of American Indian Arts et a reçu un doctorat de l’Université du Texas à Austin.

Justice indienne est son premier roman.

Je remercie les éditions Gallmeister pour cette histoire qui n’est que justice.

Bluebird, bluebird

Bluebird, Bluebird dAttica Locke aux Éditions Liana Levi

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Rabinovitch

“ Deux cadavres en une semaine.

Comment diable était-ce arrivé ? ”

C’est au bord du bayou Attoyac que le corps d’un homme noir est retrouvé. Il n’était pas du coin, mais de Chicago. La police penche pour un vol qui aurait mal tourné. Seulement voilà, deux jours plus tard quasiment au même endroit derrière le café de Geneva Sweet, on découvre le corps d’une fille blanche.

“ Quarante ans et quelques après la mort de Jim Crow, presque rien n’avait changé ; Geneva’s était le vestige d’un autre temps, comme les calendriers jaunis sur les murs du café. C’était une constante au bord d’une route où passaient en continu des véhicules qui ne s’arrêtaient jamais. ”

Darren Mathews un Rangers noirs de la police du Texas, provisoirement suspendu de ses fonctions, en attendant un jugement est justement de passage dans ce comté de Shelby lorsque surviennent ces deux cadavres. Fier du badge qu’il porte, et toujours prêt à rendre service, il accepte de se joindre à l’enquête de manière officieuse pour le compte d’un ami du FBI.

Le petit restaurant traditionnel de Geneva Sweet est réservé à la population noire du coin, il est situé juste en face de maison de Wallace Jefferson lll, un homme qui possède quasiment toute la ville et notamment le Jeff’s Juice House un bar où se retrouvent une Fraternité Aryenne du Texas.

En plus du trafic d’armes et de drogue, cette Fraternité impose un rite initiatique à tous les nouveaux membres de leur gang qui consiste à tuer un noir.

C’est dans ce climat profondément raciste, que Darren Mathews va tenter de mener à bien son enquête, persuadé que les deux meurtres sont liés.

Ce que j’en dis :

Après s’être fait connaître chez Gallimard à la série noire avec trois romans remarquables, Attica Locke poursuit son exploration du Texas dont elle est originaire à travers ce nouveau roman Bluebird, Bluebird.

Sous ses allures d’enquête policière ce récit nous emporte tel un bon blues âpre et poisseux vers un coin reculé de l’Amérique profonde où le KKK a pris une nouvelle dimension, remplacé par un tout nouveau genre de Fraternité tout aussi raciste et même plus dangereuse afin de pouvoir commercer de trafics en tous genres en toutes illégalités et qui n’hésite pas à se débarrasser des témoins gênants.

C’est dans ce contexte que notre Rangers Black réussira plus ou moins à délier les langues grâce à son étoile qu’il arbore fièrement même si sa couleur de peau lui cause un sérieux handicap dans cette contrée où il ne fait pas bon être noir.

Une tension raciale extrême pèse sur cette communauté et démontre une fois de plus, qu’aucun lieu de l’Amérique n’est épargné.

Attica Locke confirme son talent en mêlant intrigue et réflexions sociales à travers ce nouveau roman envoûtant impossible à lâcher.

Une étoile montante de l’Amérique qui n’a pas fini de briller.

Pour info :

Attica Locke est l’auteure de romans publiés à la Série Noire: Marée noire, Dernière Récolte et Pleasantville.

Avec Bluebird, bluebird (Liana Levi, 2021), lauréat de l’Edgar Award et de l’Anthony Award 2018 du meilleur roman, elle confirme qu’elle est l’une des grandes voix du roman policier américain.

Je remercie les Éditions Liana Levi pour ce blues envoûtant.

Créatures

Créatures de Crissy Van Meter aux Éditions La croisée

“ Winter Island est une butte de pierre volcanique à moitié sculptée par les glaciers, couverte de forêts verdoyantes et de large plages de sables. Des falaises abruptes s’effritent du haut d’éternités d’érosion. Il y avait autrefois des mammouths laineux. Des colons ont été abandonnés là, et si nous le savons, c’est parce que nous avons dépensé beaucoup d’argent et d’années à creuser la terre pour les mettre à jour. Les gens du continent racontent que notre île a été colonisée par des trolls, des Espagnols puis par toutes les âmes perdues et solitaires de ce monde. Notre marijuana est censée receler des pou magiques. Les rayons de notre soleil davantage encore. Le tout à un peu plus de soi à kilomètres d’une traversée spectaculaire depuis Los Angeles à bord d’un ferry transportant son lot de voitures et de renoncements. Il y a tout un tas de raisons de rester. ”

Evie demeure sur Winter Island depuis sa naissance. Elle est sur le point de se marier, mais son fiancé est porté disparu en mer. Ce n’est malheureusement pas la seule ombre au tableau. Une baleine s’est échouée dans le petit port de l’île, et voilà sa mère qu’elle n’a pas vu depuis longtemps qui débarque sans crier gare.

Mais Evie en a vu d’autres, elle qui a grandi auprès de son père très aimant mais aussi très négligent, sans sa mère partie rejoindre le continent et sa nouvelle vie.

Tu es juste une fille qui veut aimer son père. Mais ta vie est faite de ses leçons grandeurs nature : de mers calmes et après, de monstres marins mystérieux, si nombreux, de choses vivantes dans le Pacifique. Certains jours, les métaphores sont trop confus, trop détrempées, tu voudrais juste qu’il t’aime en retour. Qu’il te fasse un câlin. Il ne sera jamais le père que tu voudrais, il ne trouvera jamais la mère dont tu as besoin, et cependant il est à toi et tu es à lui, et il te faudra naviguer dans ces eaux-là avec lui. ”

C’est de débrouilles à la manière des hobos, jouant parfois les pirates ou les explorateurs qu’ils vécurent sur leur île, vivant principalement du commerce de la Winter Wonderland la légendaire marijuana locale.

Essuyant parfois quelques tempêtes, subissant les brûlures du soleil mais jamais au point de vouloir quitter l’île à laquelle ils sont fortement attachés à contrario de la mère.

Malgré tout, cette vie si particulière n’a pas été sans dommages sur le psychisme d’Evie qui doit faire face à de nombreuses incertitudes inhérentes à sa vie insulaire.

Ce que j’en dis :

Voilà un récit qui m’a capturé dans son filet pour me libérer sur la plage au milieu de créatures terrestres et marines en tout genre pour une aventure hors du commun.

Vague après vague, les souvenirs d’Evie se révèlent dans un ordre assez particulier. Parfois de manière chaotique comme un jour de tempête, sa vie n’étant pas de tout repos auprès de ce père quelque peu irresponsable et parfois de manière plus apaisante nous laissant le temps d’admirer le paysage et d’en prendre plein la vue. Car derrière ses mots et parfois ses maux on sent l’attachement qu’elle a pour les deux, son père et son île, qu’elle ne peut se résoudre à quitter, l’un comme l’autre.

“ Je ne pouvais m’empêcher de songer à tous les moments où nous nous étions perdus ensemble, combien il sera plus facile au fond d’être sans lui si je voulais vraiment trouver mon chemin. ”

En grandissant contre vent et marée, entourée de cette mer Pacifique loin de sa mère légitime, auprès de ce père abîmé par certains abus, il n’est pas toujours facile de faire face à certaines douleurs liées à l’absence et il n’est pas toujours aisé de pardonner, l’être humain est ainsi fait, il doit composer, s’adapter pour survivre et se libérer pour vivre à son tour.

Quelle soit humaine ou maritime, les créatures qui voguent à travers cette histoire m’ont touchées, me laissant au bord du rivage avec une folle envie d’y poser mes valises pour retrouver Evie et visiter son île, et fumer pourquoi pas un peu de Winter Wonderland et accéder au Paradis avec une vue spectaculaire sur cet endroit où la magie opère même dans les situations difficiles pour remettre un peu d’ordre dans le chaos, tel un éclairci après un orage.

Un premier roman qui ne manque ni d’humour, ni d’émotion, où les vies s’entrechoquent, et les éléments se déchaînent, laissant derrière eux toute une vie à poursuivre…

Les éditions Delcourt deviennent La croisée, accueillant d’entrée ces belles CRÉATURES littéraires où la magnifique couverture vous plongera direct vers vingt mille lieux sur une île que vous ne voudrez plus quitter.

Pour info :

Crissy Van Meter vit à Los Angeles. Elle enseigne l’écriture au Writing Institute du Sarah Lawrence College. Elle est la fondatrice de la plateforme Five Quaterly et responsable éditoriale de Nouvella Brooks.

Créatures est son premier roman.

Je remercie les Éditions La Croisée pour ce voyage maritime étourdissant.

Lëd

Lëd de Caryl Férey aux Éditions Les Arènes

“ Qui voulait vivre ici ? Il neigeait deux cent soixante jours par an – soit l’équivalent de dix tonnes de neige par habitant –, dont cent trente de tempête, quand le pourga devenait bourane, ce vent arctique qui filait du trente mètres à la seconde. Dès – 30°C, rester dehors présentait un risque mortel. Les jours de blizzard, les ferrailles volaient des toits, les enseignes, des magasins – des dangers constants dont on faisait peu de cas. ”

Perdue au milieu de la Russie, au nord du cercle polaire arctique se situe Norilsk, une ville industrielle qui abrite depuis une centaine d’années une exploitation de nickel et de palladium.

Chaque jour, l’usine rejette un gaz toxique dégageant une odeur épouvantable qui fait de cette endroit la ville la plus polluée du monde, en plus d’être la plus froide avec ses températures extrêmes qui peuvent descendre sous les 60°C.

C’est dans ce décor apocalyptique permanent, que l’on découvre après un ouragan arctique, le corps d’un Nenets, un éleveur de Rennes, près des décombres d’un immeuble.

Boris, flic flegmatique, banni d’Irkoutsk est chargé de l’affaire.

“ Le minerai alimentant l’industrie de la guerre, Norilsk était passée de statut de ville secrète sous Staline à celui de ville fermée : aujourd’hui encore, on n’y parvenait qu’avec l’assentiment du FSB, lequel delivryles tampons aux comptes gouttes. Il n’était pas question que le lieutenant Ivanov en revienne : une prison en liberté, voilà le sort qu’on lui avait réservé… Les adieux à l’aéroport d’Irkoutsk avaient été terribles, avec son père surtout.

Enfin Boris s’était fait à ses chaînes.

L’âme russe était né pour ça. ”

Dans cette prison à ciel ouvert, au cours de son enquête, Boris va faire connaissance avec cette jeunesse qui s’épuise à la mine, cherchant des échappatoires parfois dangereux au milieu de la corruption qui règne en maître, où chacun se surveille mutuellement et semble suspect.

La pollution tue a petit feu la population, et dans ce climat glacial une nouvelle menace rôde apportant dans son sillage une violence extrême qui détruira les entêtés cherchant à faire justice.

Sa présence est un obstacle à leur chute à venir, ils ne le savent pas et lui non plus : il avance au portant, car le vent s’est relevé. Le calme n’était qu’une escarmouche, relatif et mordant le blanc nocturne qui luit sous ses yeux. Pas de suspension sur ce nid de tonnerres, de repos en ces moments décharnés, les proies sont rares et les abris peu sûrs. Des blocs de pierre qui sentent la pisse froide et leur humeur domestique. […] Il le sent là au fond des trop, ce cri qui lui remonte à la gorge ; non, impossible de le retenir, de contenir cet instinct…Il cherche quelqu’un à tuer. ”

Ce que j’en dis :

Déjà 25 ans que cet écrivain baroudeur nous offre des romans noirs assez déchirants, puisant son inspiration dans les pays où il se rend, rendant hommage aux personnages qu’ils croisent sur son chemin en les mettant admirablement en scène dans ses histoires.

C’est en 2012 que je le découvre à travers Mapuche, une enquête qui nous transporte au cœur de l’Argentine. Un roman noir époustouflant, avec des personnages inoubliables qui m’ont bouleversé et qui ont fait de moi une lectrice fidèle à cette plume rebelle, engagée, incontournable.

Si vous pensiez avoir déjà croisé l’enfer dans ses précédents romans, attendez-vous à pire une fois débarqué à Norilsk. Et pourtant dans cette ville glaciale, délabrée, polluée, déprimante, de premier abord si peu accueillante vous risquez de tomber amoureux de certains personnages, ces russes courageux toujours prêt à tant de sacrifices.

Une enquête qui semble servir de prétexte pour nous permettre de faire connaissance avec les habitants de Norilsk en nous plongeant dans leur quotidien, où malgré la dureté de leur vie, ils savent prendre du bon temps, s’accrochant pour certains à un rêve même s’il sont conscients que leur espérance de vie est courte et se consume plus vite qu’une cigarette.

La plume stylée de Caryl Férey, toujours engagée et pleine d’humanité nous offre un récit dense, intense où malgré la noirceur de l’histoire les aurores boréales illuminent le cœur de chaque personnage lié à cette histoire. Un magnifique hommage à cette jeunesse Russe qui a croisé sa route dont on comprend qu’il en revienne bouleversé avec une folle envie de les coucher sur papier pour ne jamais les oublier.

Une fois de plus il revient de l’enfer avec dans ses bagages de nouveaux souvenirs, de nouveaux amis, de nouvelles anecdotes et un nouveau roman noir stupéfiant qui m’a fait verser quelques larmes tant les émotions sont fortes.

Il entre dans l’Arène, toujours fidèle à Aurélie Masson, et nous offre un spectacle glaçant qui le conduit pourtant au sommet de son art.

Fidèle je suis, fidèle je resterai.

Pour info :

Caryl Férey écrit des romans noirs dont l’action se situe le plus souvent à l’étranger ainsi qu’une série consacrée à l’enquêteur borgne Mc Cash. Breton de cœur, vivant à Paris, il écrit aussi pour la musique, le cinéma, la radio, le théâtre, la jeunesse et participe à des revues de voyage.

Je remercie Les Arènes pour virée glaciale qui pourtant réchauffe le cœur.