Mictlán

Mictlán de Sébastien Rutés aux Éditions Gallimard, collection La Noire

Gros et Vieux sont à bord d’un poids lourd, transportant on ne sait quoi, vers on ne sait où. Ces deux hommes au passé sinistre roulent à travers le désert avec quelques règles à respecter sous peine de représailles. Il leur est interdit de s’arrêter en dehors des stations services, et surtout de jeter un œil sur la cargaison.

” (…) tu ne t’arrêtes jamais, tu roules en attendant que je t’appelle, tu roules une semaine, tu roules un mois, tu roules dix ans si besoin, on s’en fout, tu roules tant que je t’appelle pas, et tu laisses personne approcher, même pas les flics, si les flics font chier, tu leur parles de moi, connard, jamais du Gouverneur, c’est clair ?, à aucun prix, tu m’entends ?, tu leur dis juste de voir avec moi, ça devrait suffire, mais s’ils insistent, tu m’appelles, et s’ils deviennent dangereux, vraiment dangereux, tu leur fais la peau et tu jettes leur cadavre dans un fossé, c’est le seul cas où tu as le droit de descendre de ce putain de camion ailleurs qu’à une station service, c’est compris ? “

La proximité des deux hommes dans cette cabine, amène à la confidence sans pour autant les rapprocher.

(…) voilà ce qui fascine Gros, il se sent responsable de quelque chose, fier d’avoir été choisi pour conduire ce camion bien propre, bien frais, sur une route étroite dans ce désert qui ressemble à une peau d’animal malade, pelée, galeuse, grattée jusqu’au sang et couverte de plaies jusqu’à l’horizon, une route bien droite et bien lisse, qui scintille au soleil, que le soleil et le désert s’acharnent à dissoudre au loin comme ils dissolvent les cadavres, mais qui résiste, qui survit, malgré les nids-de-poule et les ordures qui menacent de déborder des fossés sur le bas-côté, une route en forme de destin, un peu plus étroite chaque matin…“

Sur la route, les tentations sont fortes pour déroger aux règles imposées, et lorsque s’ajoutent une multitude d’événements les mettant en danger, ils sont à deux doigts de tout envoyer balader.

Mais attention, le Gouverneur les surveille…

Ce que j’en dis :

Même si dès le départ, on sait le contenu de la remorque, j’ai fait le choix de ne pas le dévoiler, ne lisant pour ma part que très rarement les quatrième de couverture et préférant garder le suspens jusqu’au début de votre future lecture.

Car bien évidemment vous allez lire ce roman noir fraîchement débarqué dans La Noire de chez Gallimard. Ce serait une grave erreur de passer à côté de cette petite bombe livresque, autant pour sa plume percutante que pour cette histoire hallucinante, très certainement inspirée d’un fait divers survenu en 2018 au Mexique.

On peut dire qu’il claque, qu’il déchire ce récit. Tout comme ce camion, il trace sa route dans notre cerveau à vitesse non autorisée et laisse au passage toute sa rage, et quelques cadavres non identifiés.

Une écriture acérée,  » no limit « , un style décapant, fulgurant, extrême, au rythme infernal à vous couper le souffle, et qui vous éblouira tels des phares en pleine tronche par sa poésie qui s’incruste avec élégance dans cette noirceur absolue.

Un petit noir, bien serré, servi par La Noire, à consommer sans tarder.

Pour info :

De ses quinze ans à enseigner la littérature latino-américaine à l’université, Sébastien Rutés garde cette idée de Jorge Luis Borges qu’il n’y a pas de meilleure biographie pour un écrivain que ses oeuvres (et B. Traven ajoute : « sinon, soit ce sont les oeuvres qui ne valent rien, soit c’est l’homme »). 
On peut néanmoins ajouter qu’il est né dans les années 70, a publié plusieurs romans de genres très divers, dont un écrit à quatre mains et en deux langues avec un ami mexicain: Monarques Albin Michel, 2015) ; mais aussi La vespasienne (Albin Michel, 2018) ou Mélancolie des corbeaux (Actes Sud, 2011). Mictlán  (Gallimard, 2020) est son sixième roman.

Je remercie les Éditions Gallimard pour cette virée mortelle.

Gallmeister forever

Et si aujourd’hui nous partions pour un tour d’horizon sur mes dernières lectures des éditions Gallmeister.

Du passé au présent, tout à fait à l’esprit de cette maison qui nous offre des voyages américains extraordinaires en nous faisant découvrir l’Histoire de ce pays qui ne cesse de nous surprendre.

Partons tout d’abord au cœur de la guerre de sécession en compagnie d’Henry Fleming, un jeune soldat de l’armée nordiste, tout juste 17 ans, envahit par le doute, la peur et va se comporter en lâche face au combat qui fait chaque jour de nombreuses victimes innocentes.

– Jim, il t’es déjà arrivé d’penser qu’tu pourrais prendre la fuite, toi aussi ? demande-t-il .

Il conclut sa phrase paru. Rire, comme s’il avait été dans son intention de plaisanter. Celui qui parlait fort gloussa aussi.

Le grand soldat agita la main.

– Eh ben, dit-il d’un air inspiré, y m’est arrivé d’me dire qu’ça pourrait être chaud pour Jim Conklin, dans certaines de ces mêlées, et qu’si y avait plein de gars qui prenaient la tangente, ben, j’suppose que j’détalerais moi aussi. Et qu’si j’commencais, j’déguerpirais comme si j’avais le diable aux trousses, ça ferait pas un pli. Mais qu’si tout le monde tenait sa position et combattait, et ben j’la tiendrais et j’combattrais. Nom d’une pipe, j’le ferais. J’suis prêt à l’parier. “

Malgré les paroles de ses supérieurs, il ira se mettre à l’abri sans prendre part au combat. Après la bataille, dans la confusion la plus totale, il sera pourtant décoré suite à une blessure. Il devient un héros malgré lui.

Un formidable récit de guerre paru aux États-Unis pour la première fois en 1885, que les Éditions Gallmeister ont eu la bonne idée de rééditer.

Un récit intense et assez fort, qui nous offre un fragment de cette guerre à travers les yeux d’un jeune soldat, complètement effrayé.

L’insigne rouge du courage de Stephen Crane, traduit de l’américain par Johanne Le Ray et Pierre Bondil.

Découvrons maintenant des nouvelles d’Amérique, nées sous la plume magnifique de James McBride, auteur de romans édités également aux éditions Gallmeister.

Nous allons au détour de ces pages, croiser un vendeur de jouets anciens, prêt à tout pour mettre la main sur le plus précieux des jouets qui pourrait bien changer sa vie à jamais. Puis cette bande de gamins amoureux de musique mais aussi Abraham Lincoln au grand cœur, sans oublier cette virée au zoo où les animaux parlent et ne se gênent nullement pour dégoiser sur la race humaine.

Autant d’histoires qui font de ce recueil une formidable aventure, portées par une plume où l’imaginaire côtoient la poésie, avec humour et tendresse et beaucoup d’humanité.

C’est aussi délicieux que votre friandise préférée.

” Lincoln, à sa manière habituelle, avait lâché une bombe à laquelle personne ne s’attendait. Il avait changé la nature de la guerre. Ce n’était plus une guerre entre États. C’était maintenant une guerre contre l’esclavage.  »

Le vent et le lion de James McBride, traduit de l’américain par François Happe.

En passant par le Montana, je n’ai pas boudé mon plaisir en retrouvant C.W. Sughrue, ce détective privé, très attachant que j’avais rencontré dans deux précédents romans.

Cette fois il est embauché par deux frères jumeaux, très amoureux des flingues, pour retrouver des poissons exotiques. Une affaire assez simple mais qui va très vite le conduire sur les traces d’une femme en fuite avec son chérubin.

Toujours aussi déjantée, cette nouvelle enquête illustrée par Pascal Rabaté m’a embarqué dans une aventure survoltée, arrosée d’adrénaline, d’alcool sans oublier une bonne quantité de drogue.

Ça se déguste comme un Shot de whisky, ça décoiffe et on en redemande encore une dose.

” -(…) Fait gaffe à ton cul, là-bas, vieille branche. Je ne peux pas dire que je suis fou de cette affaire. Et toi ?

– Moi, j’ai de la chance, je suis fou tout court.

– Et ça ne fait qu’empirer jour après jour, dit Solly sans rire. “

Le canard siffleur mexicain de James Crumley traduit de l’américain par Jacques Mailhos

Pour finir, direction les Appalaches où j’ai accompagné Jodi McCarty à sa sortie de prison vers la ferme de son enfance. C’est là qu’elle a grandi, élevée par sa grand-mère, aujourd’hui disparue. Elle est accompagnée de Miranda et de ses trois enfants, qu’elle vient de la rencontrer et dont elle s’est très vite attachée. Sur la route, elle est passée prendre Ricky, le frère de sa petite amie avant son incarcération, et compte bien tenir une vieille promesse en s’occupant dorénavant de lui.

Il est enfin temps de se tourner vers l’avenir, encore faut-il qu’on leur en donne l’occasion.

 » La route semblait n’avoir qu’une direction, s’enfonçant dans les montagnes jusqu’à ce qu’on se retrouve encerclé, les vastes versants des Appalaches oblitérant tout le reste. Jodi voulait revoir cet endroit, mais c’était aussi ce genre de prison et elle le sentit se refermer sur elle. D’une certaine manière, rentrer chez soi, c’était comme disparaître, retomber dans le passé. Une semaine et demie plus tôt, elle ne pensait pas revenir avant sa mort – un corps expédié à une famille qui s’en souvenait à peine, une carcasse à porter en terre dans la montagne –, pourtant elle était là, pas seulement un corps mais un entrelacs de pensées et d’émotions sauvages s’apprêtant à retrouver leur lieu de naissance. Elle se tourna vers Miranda, puis elle regarda le visage endormi de Ricky. Cette fois, ce serait différent, pensa t’elle, nouveau. Néanmoins elle continua de sentir l’oppression des montagnes, même celles qui étaient invisibles, le poids de tous ses souvenirs.  »

Mesha Maren fait une entrée remarquable chez Gallmeister, une maison d’éditions qui nous déniche régulièrement de nouveaux talents de qualité.

Elle nous offre un premier roman somptueux à l’écriture singulière et aborde à travers cette histoire de nombreux thèmes, tous d’une importance capitale, autour du personnage de Jodi. Que ce soit, le milieu carcéral, la libération, l’homosexualité, la violence, le long chemin vers la rédemption, en passant par la famille recomposée mais aussi l’exploitation de gaz qui entraîne pollution et destruction de l’écosystème, l’auteur nous emporte dans une histoire contemporaine entre passé et présent, auprès de personnages forts attachants, au cœur de la nature des Appalaches.

Ce récit transpire la force et le courage dont Jodi doit faire preuve pour se reconstruire.

On se laisse porter avec parfois une certaine appréhension face aux événements qui s’enchaînent, laissant peu de répit à cette femme qui souhaitait reprendre le cours de sa vie.

Un roman magnifique, poignant et infiniment réaliste.

Une nouvelle plume américaine à suivre absolument.

Les auteurs :

La vie de Stephen Crane (1871-1900) est brève et aventureuse.

Dernier d’une famille méthodiste de 14 enfants, il est un enfant fragile, toujours malade, ce qui ne l’empêche pas d’apprendre à lire seul à l’âge de 4 ans. À 22 ans, il publie à compte d’auteur Maggie, fille des rues, qui fait scandale. 

L’Insigne rouge du courage, tableau réaliste de la guerre de Sécession, connaît un succès mondial et fait de lui l’auteur le mieux payé de son temps. Il décide alors de devenir correspondant de guerre. Il est envoyé à Cuba, mais son bateau fait naufrage : il passe 30 heures à dériver sur un canot. Il se rend ensuite en Grèce, où la guerre avec la Turquie s’achève, puis en Angleterre où il se lie d’amitié avec Joseph Conrad, Henry James et H.G. Wells.

Il décède de la tuberculose à vingt-huit ans, dans un sanatorium allemand. 

James McBride est né en 1957.

Écrivain, scénariste, compositeur et musicien de jazz, il est saxophoniste au sein du groupe Rock Bottom Remainders.

Il publie son premier livre en 1995, La Couleur d’une mère, un récit autobiographique devenu aujourd’hui un classique aux États-Unis. Son œuvre romanesque commencée en 2002 plonge au cœur de ses racines et de celles d’une Amérique qui n’a pas fini d’évoluer. 

James Crumley est né à Three Rivers au Texas en 1939. Il sert deux ans dans l’armée, aux Philippines, puis continue ses études et sort diplômé de l’Université de l’Iowa. Au milieu des années 1960, il part vivre et enseigner dans le Montana, un État qu’il ne quittera plus et où il côtoiera notamment Richard Hugo et James Lee Burke. Peu après son arrivée à Missoula, en 1969, il écrit son premier roman, Un pour marquer la cadence, avec comme toile de fond la guerre du Viêt Nam.

En 1975, il écrit Fausse Piste (The Wrong Case), le premier roman d’une saga mettant en scène Milo Milodragovitch, un privé mélancolique vétéran de la guerre de Corée. Suivront Dancing Bear en 1983, Bordersnakes et The Final Country en 1996.

En 1978, James Crumley écrit The Last Good Kiss, le premier livre d’une nouvelle saga qui introduit un nouveau privé : C. W. Sughrue. Puis, en 1993, The Mexican Tree Duck, Bordersnakes(où Sughrue et Milodragovitch se rencontrent) et The Right Madness en 2005. Ces deux personnages, antihéros excessifs en tout, qui rassemblent toutes les obsessions et pas mal des traits de caractère de leur créateur : vétérans du Viêt Nam, divorcés maintes fois, portés sur les femmes dangereuses, l’alcool, les drogues dures, les armes à feu et les nuits sans sommeil, toutes choses en général censées représenter un danger pour eux ou pour autrui.

James Crumley est aujourd’hui considéré par ses pairs comme un des plus grands auteurs de polar. Il décède le 17 septembre 2008, à Missoula.

Mesha Maren a grandi dans les Appalaches, en Virginie-Occidentales, en pleine nature. Son père, Sam, a fabriqué lui-même leur maison en rondins. Adolescentes, elle a construit dans leur jardin une grande cabane avec son père, avec le bois de pins plantés l’année de sa naissance.

Aujourd’hui, après avoir beaucoup voyagé, au Mexique notamment, elle est revenue avec son mari dans les Appalaches et habite dans la maison de son enfance. La cabane est devenue son studio d’écriture.

Je remercie les Éditions Gallmeister pour ces voyages littéraires aussi dépaysant qu’enrichissant.

Après le monde

Après le monde d’Antoinette Rychner aux Éditions Buchet Chastel

Le 5 novembre 2022, un samedi, soixante mille personnes sont mortes dans un ouragan frappant la baie de San Francisco. Celles qui survécurent s’empressèrent d’envoyer le message « Je suis en sécurité » à tous leurs contacts. Celles qui n’avaient ni famille ni amis là-bas reçurent tout au plus une notification émise par leur application d’information en continu : Oakland et San José étaient détruites, avons-nous lu.

Une vague compassionnelle a relié nos cœurs et nos écrans.

Dans notre majorité, nous pensions en rester là. “

Tout à commencé sur la côte ouest des États-Unis, lorsqu’un cyclone d’une ampleur phénoménale ravagea toute la baie de San Francisco.

Les dégâts sont d’une telle importance que les assurances ne peuvent plus faire face aux remboursement, et tombent en faillite, puis c’est tout le système financier américain qui s’effondre, entraînant dans sa chute le système mondial.

Mois après mois, les catastrophes s’enchaînent, plus d’argent, plus de sources d’énergie, plus de communications, les conditions climatiques deviennent désastreuses…

En quelques mois, notre monde tel que nous le connaissions disparaît.

En s’inspirant des théories de la « Collapsologie » (étude de l’effondrement de la civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succéder), l’auteure bâtit son roman, nous racontant en alternance l’avant et l’après catastrophe à travers deux voix féminines .

” Pour décrire le monde qui les entourait, tous les témoignages comptaient. Elle s’efforçaient de retracer l’histoire récente de la région, mais ce qui les intéressait le plus, c’était le précieux matériau offert par les itinérants et personnes de passage, en particulier ceux venus de loin, qui avant-dernière s’établir à Meuqueux avaient traversé toutes sortes de territoires. Entre recoupements et passionnantes discordances, ces récits-là leur permettaient, lorsqu’elles les combinaient à l’expérience des formes sociales rencontrées de Maramures à La Chaux-de-Fonds, d’extrapoler ce qui se passait à large échelle. “

C’est l’histoire de survivants qui tentent de reconstruire un monde dans des conditions difficiles où il faut d’une part tout réinventer mais surtout faire face parfois à la barbarie.

Ce roman extrêmement perturbant pour ma part, tellement visionnaire fait étrangement écho à la série ” L’effondrement “ diffusée en novembre 2019.

L’auteur nous offre un conte cauchemardesque et pose un regard avisé et terrifiant sur ce futur si proche et invite le lecteur à s’interroger, à réfléchir, peut-être même à prendre certaines précautions en cas où…

Plus le temps passe, plus les catastrophes diverses à travers le monde se suivent, plus on s’approche de l’effondrement.

Antoinette Rychner, véritable prophète nous emporte dans le monde d’après et ce n’est guère accueillant.

Un récit fort qui me hante encore…

Pour info :

Antoinette Rychner est née en Suisse en 1979.

Après des études à l’Institut Littéraire Suisse, elle se consacre à l’écriture dramatique et romanesque. En 2013, elle a obtenu le prix SACD de la dramaturgie de langue française pour Intimité Data Storage (Les Solitaires Intempestifs).

Après cinq pièces de théâtre, un recueil de nouvelles et un roman épistolaire, elle a publié en 2015 son premier roman, Le Prix, dans la collection Qui Vive. Il a obtenu le prix Michel-Dentan et le prix suisse de littérature 2016, les deux plus importantes récompenses littéraires de Suisse romande. 

Après le monde est son deuxième roman paru chez Qui Vive-Buchet/Chastel.

Je remercie Nathalie et les Éditions Buchet Chastel pour cette belle découverte.

City of Windows

City of Windows de Robert Pobi aux Éditions Les arènes

Traduit fe l’anglais (États-Unis) par Mathilde Helleu

 » La vue sur Park Avenue ressemblait à une tranchée étroite, ce qui faisait paraître le tir plus simple qu’il n’était. En réalité, ce salaud avait dû composer avec une multitude de paramètres : le vent, la neige, le manque de visibilité, les réglages du fusil (ainsi que sa potentielle défaillance) , l’habillement et la distance. Il n’avait qu’une infime fenêtre de temps pour tout ajuster. Ce n’était pas un coup que le premier tireur venu pouvait faire. (…) Tirer d’ici, c’était comme essayer d’enfiler un fil à coudre sur le dos d’un taureau mécanique. Cela ne laissait qu’un infime instant pour viser, inspirer, calculer la distance et appuyer sur la détente.

Quasiment impossible. “

Malgré la tempête de neige qui s’est abattue sur New-York, paralysant toute la ville, un sniper a réussi le tir parfait, en tuant par la même occasion un agent du FBI au volant de sa voiture.

Suite à cet exploit, entre en scène l’ancien agent Lucas Page, censé aider le FBI, à comprendre d’où le tir est parti.

Lucas Page semble posséder un don surnaturel pour lire les scènes de crime. Il analyse et comprend en un clin d’œil les angles et les trajectoires d’où proviennent les tirs. Il est le plus à même à trouver cet impitoyable sniper.

Ce premier meurtre annonce les hostilités du tueur, le début d’une longue séries d’exécutions méticuleuses…

” Dehors, la neige tombait toujours par paquet et enfouissait la ville sous un nouvel âge de glace. Presque tout Manhattan était paralysé d’une manière ou d’une autre. Les infrastructures et commerces essentiels n’étaient plus à même de fonctionner normalement. Les taxis et leurs homologues de troisième ordre étaient les seules voitures dehors ; la plupart des automobilistes craignaient trop la neige pour sortir dans la féerie arctique … (…) Comme disait dans leur jargon les urbanistes du XXI° siècle, c’était un sacré bordel.

Mais pas pour l’homme au fusil. En moins d’une semaine, il avait gagné sa place dans les livres d’histoire. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, rien n’arrêtait ce type. Il ferait parler de lui pendant des années et intégrerait les manuels de l’Académie à Quantico. (…) Il serait immortel.

Mais qui était-ce ?

Ce que j’en dis :

À peine arrivé dans Les Arènes Équinox, et déjà le grand Robert Pobi se fait remarquer avec ce Page Turner épatant , du premier choix aux qualités taille américaine xxxxxllll. C’est juste pour que vous fassiez vite fait un aperçu de la grandeur de ce thriller aussi haute que les buildings de Manhattan.

On pourrait croire à une histoire banale de sniper américain mais ce serait sans compter sur le talent de l’auteur que j’avais déjà adoré dans son premier récit : L’invisible.

Car cette histoire n’a vraiment rien de banal, vous verrez, je ne vais quand même pas spolier. Et puis le sniper aussi exceptionnel soit-il, même si évidemment il est impossible d’y faire abstraction, se fait gentiment voler la vedette par Luca Page, un personnage extrêmement attachant et intéressant qui a une fâcheuse tendance à énerver ses supérieurs tellement il est bon. Un personnage hors norme, atypique, au physique très particulier (ça aussi vous verrez) et avec un passé peu commun qui le conduira à devenir un homme reconnaissant.

On peut déjà se réjouir, il est fort probable que ce soit le début d’une longue série d’histoires, toutes aussi spectaculaires où l’on retrouvera Luca avec un grand plaisir, en tout cas je l’espère.

Inutile de vous en dire plus, ce thriller palpitant a tout pour vous plaire avec sa méga dose de suspense, ses personnages fascinants, son histoire remplie de tiroirs secrets qui risquent de vous amener vers une procrastination inévitable.

Retenez bien ce titre : City of Windows, cet auteur: Robert Pobi et cette maison d’éditions : Les arènes, vous avez devant vous le trio gagnant du parfait thriller de la rentrée littéraire 2020, à ne surtout pas manquer.

Vous voilà prévenus.

Pour info :

Inlassable voyageur, Robert Pobi est un écrivain canadien.

Il a travaillé dans le monde des antiquités avant d’écrire son premier roman L’Invisible (2012), suivi de Les Innocents (2015), tous deux publiés chez Sonatine. Ses romans sont traduits dans plus de quinze pays.

Durant son temps libre, il pêche, se passionne pour l’art américain du XX siècle et écoute Motörhead.

City of Windows est son troisième thriller, publié récemment aux Éditions Les arènes.

Je remercie infiniment Les éditions Les arènes pour ce récit absolument fascinant.

Là où chantent les écrevisses

Là où chantent les écrevisses de Delia Owens aux Éditions Seuil

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Amfreville

” Pschitt… Elle craqua l’allumette, enflamma la mèche, et les ténèbres reculèrent jusqu’au coin de la pièce. Mais elle en avait assez vu pour savoir qu’elle ne pouvait rester sans lumière, et le pétrole coûtait de l’argent. Elle ouvrit la bouche pour réguler sa respiration. Il faudrait peut-être que j’aille jusqu’en ville pour me rendre aux autorités. Au moins, on me donnerait à manger et on m’enverrait à l’école. Mais au bout d’une minute de réflexion, elle se dit : Non, je ne peux quand même pas abandonner les mouettes, les goélands, le héron et la cabane. Le marais est ma seule famille. “

Kya n’est pas une jeune fille comme les autres. Avant de se retrouver seule dans la cabane, elle y vivait avec toute sa famille. Puis un matin, sa mère est partie, puis ses frères et sœurs ont fini par suivre le même chemin fuyant à leurs tours cet endroit et ce père assez violent. Même le père un jour n’est jamais rentré…

Alors parfois quand ça devient trop difficile, elle rêve juste un instant à quitter ce lieu déserté par les siens.

Mais que ferait-elle loin de ceux qu’elle aime le plus, loin de ce marais qu’elle admire tant.

” Kya se rappela que sa mère l’encourageait toujours à explorer le marais : « Va aussi loin que tu peux. Tout là-bas, où on entend le chant des écrevisses. » “

Alors du haut de ses dix ans, elle apprend à survivre seule dans le marais, devenu pour elle son refuge naturel et protecteur avec pour seule compagnie ses oiseaux.

” Dominant le vacarme des vagues qui rugissaient, Kya appela les oiseaux. L’océan était la basse, mouettes et goélands, les sopranos. Piaillant et criant, ils voltigeaient au-dessus du marais et du sable, tandis qu’elle lançait des miettes de tourte et de son petit pain sur la plage. Les pattes dépliées, se tordant le cou pour mieux voir, ils se posèrent. (…) Quand le berlingot fut vide, elle pensa ne jamais pouvoir surmonter sa douleur, elle avait trop peur que les mouettes et les goélands l’abandonnent comme tous les autres. Mais les oiseaux se posèrent sur la plage non loin d’elle et entreprirent de lisser les plumes de leurs ailes déployées. Elle s’assit en regrettant de ne pas pouvoir les rassembler pour les emmener dormir dans la véranda. Elle se les imagina blottis dans son lit, une masse duveteuse de plumes tièdes, tout contre elle sous les couvertures. “

Au cours de ses pérégrinations, elle fera la connaissance de Tate, qui partage la même passion qu’elle pour les marais. Ce jeune homme doux cultivé va lui apprendre à lire, et lui fera découvrir la science et même la poésie. Une rencontre qui la changera à jamais et l’éloignera un temps de la solitude jusqu’au départ de Tate pour l’université.

Un nouvel abandon qui la rendra vulnérable, et fera d’elle une proie facile pour le tombeur de la ville qui ne rêve que de s’encanailler avec celle qu’ils appellent tous la fille du marais.

Quand surviendra, une nouvelle tragédie, une fois de plus elle devra affronter le mépris des habitants de cette ville qui ne l’ont jamais adopté.

Ce que j’en dis :

J’étais loin d’imaginer me sentir aussi proche de cette fille des marais, Kya, une jeune héroïne, capable dès ses dix ans, même si c’est par la force des choses, de subvenir seule à ses besoins, protégée par la faune et la flore qui l’entoure. Un endroit qu’elle chérit, tout en l’étudiant jour après jour, lui permettant de se cultiver, d’enrichir ses connaissances et de se faire une idée sur les humains, aux comportements tellement proche de certaines espèces animales.

Rejetée, méprisée, par les habitants de Barkley Cove, cette petite ville de Caroline du Nord, mais adoptée par le marais et ses oiseaux, c’est auprès d’eux qu’elle grandira et apprivoisera la solitude.

Ne dit-on pas : « pour vivre heureux, vivons cachés ».

Jusqu’à cette rencontre, qui changera quelque peu la donne et lui permettra d’accéder au plaisir suprême de la lecture et de l’écriture, et lui donnera par la suite l’opportunité de faire connaître sa passion pour son marais et ses oiseaux, à plus grande échelle…

Delia Owens nous offre un roman extraordinaire, bouleversant, absolument magnifique.

Elle met à profit ses études en zoologie et biologie, à travers ce récit et nous fait cadeau d’une histoire où la nature nous émerveille, où les oiseaux nous ensorcellent, où l’on succombe à l’histoire de cette jeune fille si courageuse.

Un formidable hymne à la nature mais également à la solitude, porté par une plume sublime où la poésie brille et illumine comme les soirs de pleine lune.

Un roman qui nous déchire le cœur tout en nous enchantant et qui ne peut laisser personne indiffèrent devant tant de bravoure, de la part de Kya, autre beauté sauvage du marais.

Pour info :

Delia Owens est née en 1949 en Géorgie, aux Etats-Unis. Diplômée en zoologie et biologie, elle a vécu plus de vingt ans en Afrique et a publié trois ouvrages consacrés à la nature et aux animaux, tous best-sellers aux USA. 

Là où chantent les écrevisses est son premier roman. Phénomène d’édition, ce livre a déjà conquis des millions de lecteurs et poursuit son incroyable destinée dans le monde entier. Une adaptation au cinéma est également en cours.

Je remercie Masse Critique de Babelio pour cette lecture de toute beauté qui m’a permis de rencontrer une héroïne inoubliable.

Allegheny River

Allegheny River de Matthew Neil Null aux Éditions Albin Michel collection Terres d’Amérique

Traduit de l’américain par Bruno Boudard

” Après quelques années de vaches maigres, c’en fut fini des ours dans le comté de Tuscarora. Sans cesse harcelés par les chiens, ils semblaient se jeter littéralement en pâture aux canons des fusils. Sur chaque manteau de cheminée trônait l’un de ces crânes blanchis. Les orbites étaient énormes. Ce sourire idiot et étiré sur lequel on laissait courir son pouce. Une fine pellicule de poussière s’amoncelait sur les os jaunissants. Pour finir, ces trophées furent rangés dans des malles et des tiroirs, où ils rejoignirent la vieille vaisselle. (…) Mais la terre tourne et les anciens usages sont réexaminés. Les compagnies d’assurances affirment que l’augmentation de la population des cervidés entraîne celle du nombre d’accidents. Les algorithmes plaident en leur faveur. Il faut tuer davantage de cervidés. Il faut laisser vivre tous les prédateurs. “

En 2018, je découvrais la plume de Matthew Neill Null à travers son premier roman Le miel du lion (ma chronique ici) qui nous plongeait au cœur d’une forêt des Appalaches, auprès de bûcherons qui avaient créé un syndicat clandestin. Un récit dénonçant l’impact désastreux de la déforestation intensive sur l’environnement.

Ce fut l’occasion de savourer sa plume lyrique et puissante, celle d’un véritable conteur plein de talent.

Avec un plaisir non dissimulé, j’ai retrouvé son écriture à travers ses neuf nouvelles ancrées dans la région des Appalaches, où la faune et la flore omniprésentes, sont confrontées à la présence dévastatrice de l’homme.

” La biche se déplaça avec une légère torsion de la jambe antérieure qui lui donnait un pas pivotant. Sull se contracta. Il la connaissait ! Avant que son fils Eric ne soit incarcéré au pénitencier, Sull l’avait aidé à la traquer sur le site de la carrière abandonnée, où elle s’était couchée avec l’un de ses faons. Cette même danse lui avait alors sauvé la vie. Eric était jeune, impatient. Il avait tiré quatre coups précipités tandis qu’elle s’enfuyait. Chacun avait très largement raté sa cible. C’était contraire à tous les préceptes que Sull lui avait enseignés. Ses trois fils avaient fini par apprendre ce psaume avec le temps : Une cartouche, une touche. Le reste, c’est du gaspillage. “

Tel un photographe, il capture et nous dépeint avec style toute la beauté de la nature sauvage dans ces contrées reculées de l’Amérique.

Parfois violente, brutale mais d’un réalisme surprenant, ces nouvelles résonnent comme un écho lointain qui se répercute à l’infini.

Sa plume d’une grande sensibilité nous entraîne dans une valse destructrice du monde à l’équilibre déjà précaire.

Matthew Neill Null incontestablement amoureux de la nature réussi à nous éblouir par sa plume tout en nous inquiétant par les messages qu’il nous transmet.

C’est puissant, beau, poétique mais terriblement effrayant, car son monde, c’est aussi le nôtre.

Pour info :

Matthew Neill Null est un écrivain américain originaire de Virginie-Occidentale.

Il a étudié le Creative Writing à l’Iowa Writers’ Workshop et ses nouvelles ont été publiées dans plusieurs anthologies, dont la Pen/O. Henry Prize Stories. 

Le miel du lion, son premier roman, l’a imposé comme une nouvelle voix des plus prometteuses dans le paysage littéraire américain.

Son recueil de nouvelles, Allegheny Front, est son deuxième livre, traduit en français et publié chez Albin Michel.

Je remercie les Éditions Albin Michel pour avoir réuni et publié ce magnifique recueil de nouvelles.

Sang chaud

Sang Chaud de Kim Un-Su aux Éditions Matin Calme

Traduit par Lise Charrin

À cette période de l’année, la mer de Guam est toujours recouverte de ce brouillard, accompagné d’une puanteur malséante, disons, celle que dégagerait des parties génitales atteintes d’une maladie vénérienne. On a coutume de dire que l’emblème de Guam est son vieux funiculaire, en vérité il s’agirait plutôt de ce brouillard gorgé d’humidité salée avec son odeur d’eau croupie. Les touristes, choqués, se bouchent le nez et les commerçants se plaignent de l’impact d’une telle pestilence sur leurs affaires. Quelques notables de Guam ont essayé d’en trouver l’origine : certains avancent l’hypothèse qu’elle viendrait des algues qui pourrissent, d’autres pensent qu’elle est due au rejet des eaux usées directement dans la mer, sans traitement. D’aucuns évoquent la décomposition des poissons et des crustacés morts, accumulés le long de la digue depuis sa construction. Certains prétendent carrément qu’elle provient de la putréfaction des nombreux cadavres jetés à l’eau. Enfin, le pasteur du quartier a sermonné la population, clamant qu’il s’agissait de l’odeur du péché et qu’elle ne disparaîtrait qu’après le repentir des coupables par la mortification de leur chair. Huisu se dit que le pasteur a sans doute raison, car Guam est à ce point irrécupérable que même ce pasteur a été arrêté et emprisonné, quelques temps après, pour pédophilie. “

Guam, quartier on ne peut plus sordide de Busan réparable à son vieux funiculaire mais surtout par la puanteur qui émane de la mer qui borde cette ville de Corée.

Dans cet endroit sordide, la pègre est dans la place, et les docks sont le lieu idéal pour les trafics en tout genre.

Guam n’a rien d’une ville paradisiaque, elle est en plus sous la coupe du Père Sohn, un chef de gang qui cumule lâcheté et cruauté. Il est aidé par son fidèle lieutenant Huisu, son fils spirituel.

Ici, vaut mieux éviter de se faire remarquer, et surtout vaut mieux régler ses dettes, à moins de préférer finir au fond de la mer après être passer dans les mains d’un surineur.

” Il est mort bêtement en voulant faire le malin. Un voyou qui veut frimer comme un con, tchao, il dégage. “

Les dettes, un fléau pour certains, une mine d’or pour d’autres …

” Tout cela n’a rien d’étonnant : tous les voyous et toutes les prostituées sont perclus de dettes. Le moteur qui fait tourner Guam n’est pas nourri par les passions ni par les rêves, mais par les montagnes de dettes qui les pourchassent tous. “

Depuis quelques temps Huisu s’interroge. À quarante ans il est lasse de cette vie minable, il aimerait bien en changer et pourquoi pas épouser la femme qu’il aime depuis l’enfance.

Alors quand une occasion se présente, il quitte le Père Sohn et tente de monter son propre business. Mais hélas, il va se retrouver impliqué au cœur d’une guerre de clan. Sa vie paisible est plongée en plein chaos, pas sûr que cette fois tout se passe comme prévu…

Ce que j’en dis:

Pour être surprise et lire autre chose que du déjà vu, ou déjà lu, il ne faut pas hésiter à sortir des sentiers battus, à quitter sa zone de confort et voguer vers d’autres horizons et ça tombe bien, c’est tout à fait ce que nous propose, cette nouvelle maison d’éditions : Matin Calme.

Direction la Corée en plein cœur de la mafia, où les couteaux à sashimi finissent rarement au lave-vaisselle, mais plutôt plantés dans le corps d’un voyou. Ici point de flingues, mais des lames bien tranchantes, plus discrètes et quasiment toujours à portée de mains.

Ils ont le sang chaud par ici, c’est le moins qu’on puisse dire. Et faut pas trop les énerver, ni tenter de les arnaquer, avec la mafia, vaut mieux marcher droit.

Vous voilà prévenus, au cas où vous envisageriez de postuler pour un job de malfrat chez les coréens.

Trêve de plaisanterie, toujours très attirée pour ma part par la littérature américaine j’ai été infiniment surprise d’être à ce point conquise par ce roman.

Direct le décor est planté, et nous entraîne dans une atmosphère particulière dans l’ambiance de Busan, où la Mafia coréenne règne de manière tentaculaire.

L’auteur nous offre des personnages hauts en couleurs, au passé tout aussi sombre que le présent, mais dont certains comme Huisu ne sont pas totalement démunis d’humanité.

Kim Un-su possède un style brillant, une écriture brute, cash, tranchante, et accrocheuse.

Ce menu coréen, épicé à la sauce mafia, parsemé de violence mais pimenté d’une dose d’amour est à déguster sans modération.

Les grands amateurs de polars peuvent se réjouir, une nouvelle maison qui tient déjà toutes ses promesses est dans la place, avec un menu d’exception pour l’ouverture des festivités 2020, et obtient direct sa première étoile.

Alors vous savez ce qu’il vous reste à faire…

Pour info:

Kim Un-su est né à Busan, Corée du Sud, en 1972.

Enfant, Kim Un-su a arpenté les rues du haut de Busan, celles où vivaient les familles pauvres et les voyous en herbe. Il publie ses premiers textes, des nouvelles, dans des revues en 2002 et 2003 avant de sortir un premier roman, totalement foutraque, moqueur et paranoïaque, en 2006, Le Placard (Gingko Éditeur). En 2010, il publie son premier polar, Les Planificateurs (L’Aube, 2016) qui lui assure un succès mondial.

Sang chaud est paru en 2017 en Corée. Il a déjà été vendu dans une douzaine de pays dont Doubleday (éditeur entre autres de Dan Brown, Stieg Larsson)

Kim In-su a reçu le prix MunhakDongne Fiction pour le Placard en 2006, et a été finaliste du Grand Prix de Littérature Policière pour Les Planificateurs.

Je remercie Camille de l’agence Trames et les Éditions Matin Calme pour ce menu coréen d’exception.

Mayacumbra

Mayacumbra d’Alain Cadéo aux Éditions La trace

J’ai ainsi un jour quitté les grandes villes lourdes, affairées, grouillantes et puantes, sans vraiment savoir où j’allais. J’ai plaqué mes amis, ma douce et tendre famille, sans but et plein de colère. Sans raison particulière, mais précipitamment. Comme une charge de hussard, comme on fuit l’ombre de ses habitudes. Pour voir plus loin que le bout de mon nez, pour me tirer des léthargies. Parce que le monde et sa course effrénée m’étaient insupportables. Oui, je suis simplement parti pour une longue marche, un jour béni de septembre, après avoir vidé mon compte, mains dans les poches et l’esprit pourtant aussi noir que celui d’un corbeau. “

Après une longue errance, les pas de Théo s’arrête au pied d’un volcan endormi, près d’un hameau de vieilles bicoques où vivent des âmes perdues : Mayacumbra.

Ayant fuit une vie qui ne lui convenait plus, cet endroit semble idéal pour entamer le début de sa nouvelle vie.

De ses mains il va construire son refuge et s’y installera avec son âne Ferdinand pour unique compagnon.

” Depuis trois ans, lorsque l’envie le prend, il note ce qui lui passe par la tête. Billets du jour ou de la nuit, impressions, reliquats d’énergie, projets, langoureuses tartines d’amour à l’intention de Lita, lettre pour sa famille, prière au volcan, listes de courses. Quoiqu’il écrive, il en fait lecture à Ferdinand. Si ce dernier demeure indifférent, Théo déchire et brûle illico son message. Il ne garde que ce qui capte l’attention de l’âne. C’est son jury, son public, son auditoire. Deux oreilles dressées, un œil rond et inquiet, valent mieux que tous les éloges du monde. “

Au milieu de ses compagnons d’infortunes , il va pourtant tomber amoureux de la belle Lita, mais est-ce vraiment une bonne idée ?

Ce que j’en dis :

Alain Cadéo reste fidèle à ses thèmes de prédilection en mettant en scène des âmes cabossées préférant vivre isolées en communion avec la nature loin du bruit et de la pollution des villes.

Dans ce nouveau récit on retrouve avec plaisir, sa plume poétique qui s’habille également du lieu qui l’entoure, tantôt enivrante et tantôt pleine de rage qui laisse présager la douce fureur des hommes et le réveil du volcan.

Cette histoire reflète les spectacles que mère nature peut nous offrir, habillée d’arc en ciel les jours de pluie, de coups de tonnerre les soirs d’orages, pour finir par une tornade dévastatrice.

Une nouvelle histoire surprenante, dans un style plus brut, qui m’a un peu moins emportée par rapport à ces premiers romans mais qui reste néanmoins un bon moment de lecture.

Alain en doux rêveur, amoureux des mots et des âmes sensibles s’est installé le temps d’un roman au pied d’un volcan pour sculpter dans la roche un récit mystérieux où l’amour semble impossible, mais le rêve éternel.

C’est à suivre à La Trace, sa nouvelle maison d’édition depuis Des mots de contrebande.

Pour info :

Après entre autres ” Zoé “ (ma chronique ici), ” Chaque seconde est un murmure “ (ma chronique ici) puis ” Des mots de Contrebande “ son dernier recueil de textes, Alain Cadéo retrouve dans ” Comme un enfant qui joue tout seul “ une écriture romanesque initiatique. (Ma chronique ici)

Cherchant avec exigence et rigueur des chemins de traverse, des sentiers non convenus, il est un perpétuel voyageur de l’âme, seule voie possible pour rencontrer l’autre, le vrai, le juste.

Cet homme est singulier, sincère, et généreux tout comme son écriture. 

Je remercie Alain Cadéo pour sa délicate attention et les éditions La Trace pour m’avoir offert un nouveau voyage livresque poétique et mystérieux.

La prière des oiseaux

La prière des oiseaux de Chigozie Obioma aux Éditions Buchet.Chastel

Traduit de l’anglais par Serge Chauvin

” La nuit à l’est était tombée, et la route devant et derrière lui était drapée d’un châle de ténèbres. (…) Il avait entendu dire, quelques jours plus tôt, qu’en cette saison des pluies, féconde entre toutes, une crue du fleuve avait noyé une femme et son enfant. D’ordinaire il n’accordait guère de crédit aux rumeurs tragiques qui circulaient en ville comme une pièce de monnaie pipée, mais cette histoire-là s’était gravée dans son esprit pour une raison que même moi, son chi, je ne pouvais saisir. À peine parvenait-il au milieu du pont, obnubilé par cette mère et son enfant, qu’il vit une voiture garée près du parapet, une portière grande ouverte. Il ne distingua d’abord que le véhicule, son habitacle sombre, et un point de lumière reflété sur la vitre du conducteur. Mais en détournant les yeux il aperçut, vision terrifiante, une femme qui tentait d’enjamber le garde-fou. “

Au Nigeria, Chinonso un jeune éleveur de volailles, de retour du marché, aperçoit sur le pont qu’il s’apprête à traverser, une jeune et belle femme sur le point de se jeter dans le vide. Afin de lui faire changer d’avis, il sacrifie deux de ses plus précieux poulets et les jette du pont, dans les eaux en contrebas. Ndali, la jeune femme semble touchée par le geste de cet inconnu et renonce à son geste.

Ce soir là, ils tombent amoureux. Un lien d’une force inouï va les lier à jamais.

(…) quand je vis le cœur de mon hôte actuel s’embraser d’un feu semblable, je pris peur car je connaissais la puissance de ce feu, une puissance telle qu’à terme rien ne pourrait plus l’éteindre. (…) Je craignis que l’amour, une fois pleinement épanoui dans son cœur, ne l’aveugle et ne le rende sourd à mes conseils. Et je voyais déjà l’amour commencer à le posséder. “

Mais hélas pour Chinonso, il n’est qu’un simple éleveur, alors que Ndali vient d’une riche famille qui ne tolère absolument pas cette relation.

Afin de se faire accepter par cette famille qui ne cesse de l’humilier, il va reprendre ses études à Chypre après s’être séparé de tous ses biens. Mais rien ne va se passer comme prévu, et il ira de désenchantement en désenchantement…

Ce que j’en dis :

” Ô Mmalitenaogwugwu, les anciens disent que si on garde un secret trop longtemps, même les sourds finiront par l’entendre. “

Alors il est grand temps que je vous parle de ma toute première lecture de l’année 2020 que je gardais secrète jusqu’à sa sortie en librairie.

Ce roman extraordinaire est également on ne peut plus surprenant, puisque c’est à travers la voix du Chi de Chinonso, son esprit protecteur selon les croyances igbo, que nous allons la découvrir.

Ce narrateur centenaire remonte le temps et nous comte le destin de son hôte, un destin jalonné de joie, d’amour, d’espoir, d’injustice, de peine, de colère, de trahison.

Et pourtant Chi veille et apporte à chaque épreuve toute son expérience et sa sagesse.

Une sagesse qui m’a gagné peu à peu, comme si le Chi avait le pouvoir de transmettre également ses précieux conseils aux lecteurs.

” Ô Ikukuamanaonya, l’impatience est l’un des plus curieux traits de l’esprit humain. Elle est une goutte de sang vicié dans les veines du temps. Elle domine tout et rend l’homme incapable de faire quoi que ce soit, sinon supplier le temps de passer plus vite. Un événement retardé par le cours naturel du temps ou par une intervention humaine finit par obséder l’esprit d’une personne. Il pèse sur le présent jusqu’à l’annihiler. (…) L’homme anxieux et impatient tente de percer l’avenir en gestation, de connaître l’événement qui n’a pas encore eu lieu. Avant le voyage, il se voit déjà dans le pays. Il s’imagine danser avec les habitants, goûter la cuisine locale, admirer les paysages. Telle est l’alchimie de l’impatience, fondée sur une personne, celle d’un événement ou d’une rencontre qu’on ne supporte pas devoir attendre. Bien des fois j’ai vu cela. “

Ce récit bouleversant nous emporte tel un comte, nous éblouis par sa grâce, nous charme par plume divine et son style flamboyant jusqu’à nous déchirer le cœur à la fin de cette quête tragique.

C’est puissant, terriblement beau et c’est un énorme coup de cœur que je vous encourage à découvrir.

J’ai de ce pas commandé à mon dealer préféré son premier et précédent roman : Les pêcheurs.

Pour info:

Chigozie Obioma est né en 1986 au Nigeria, et vit désormais aux États-Unis où il enseigne le creative writing.

Son premier roman, Les Pêcheurs (L’Olivier, 2016), finaliste du Booker Prize, lui a valu une reconnaissance mondiale.

La prière des oiseaux, son deuxième roman, a lui aussi figuré dans la « short list » du prestigieux prix et a été traduit dans douze pays.

Je remercie Claire et les Éditions Buchet . Chastel pour cette épopée éblouissante.

Les toits du paradis

Les toits du paradis de Mathangi Subramanian aux Éditions de l’aube

Traduit de l’anglais par Benoîte Dauvergne

” Pour connaître l’histoire du peuple du Paradis, il suffit de regarder ses maisons. “

« Le Paradis », est un incroyable bidonville de Bangalore, jusqu’à ce jour indestructible. C’est ici que vivent cinq adolescentes avec leurs familles.

” À Bangalore, il y a toujours plus à plaindre que soi. Même quand on vit dans un endroit comme le Paradis. Nous ne possédons peut-être pas grand chose, mais nous avons chacune un toit, un sol et des murs. Ainsi qu’une enfance.  »

Ces cinq jeunes demoiselles, Banu, Deepa, Padma, Joy, et Rukshana, volontaires, intelligentes intrépides parfois, liées comme les cinq doigts de la main, rivalisent d’imagination pour faire de leur vie parfois misérable un véritable enchantement. Elles accumulent les petits bonheurs pour illuminer chaque instant de leur quotidien.

 » Nous, les filles, n’avons pas besoin de grand-chose. Nous avons appris à nous passer de tout. Nous sommes là les unes pour les autres, nous sommes entourées de nos mères, de nos grands-mères. Et puis il y notre train qui file à travers le ciel. Cela nous suffit.  »

Pour combattre la pauvreté, rien de tel que l’amour, l’amitié, la bienveillance et la solidarité. Alors quand un bulldozer menace de détruire leur Paradis, au nom du développement et de la modernité, les adultes, les enfants, et même l’institutrice mettent tout en œuvre pour sauver  » Les toits du Paradis « .

” C’est étrange d’être une fille. Cette spécificité est censée vous tirer vers le bas, vous mettre en échec, vous forcer à reculer sans arrêt. Pourtant, si vous la prenez par le bon bout, elle vous pousse à avancer. “

Ce que j’en dis :

Chaque fois que je m’aventure en Inde à travers un roman, je suis subjuguée par toute la luminosité qui se dégage de ces récits malgré la pauvreté de ce pays.

Les toits du Paradis m’a ébloui de mille façons. J’ai d’abord découvert une plume magnifique dès les premières pages, présage d’une lecture on ne peut plus agréable.

Puis j’ai fait connaissance avec cet endroit particulier et cette bande de filles qui ne quitterait ce paradis pour rien au monde, malgré les belles demeures de la ville.

Une belle brochette d’amies tellement touchantes et tellement attachantes qu’elle nous font oublier la misère où elles vivent et nous donnent à travers leurs courages , une belle leçon d’humanité.

Elles partagent avec nous leurs souvenirs, leurs quotidiens mais aussi celui de leurs familles. Et de fil en aiguille on découvre toute l’histoire, et les secrets de ce bidonville pas comme les autres.

Entre ces pages, point de misérabilisme ni de pathos, bien au contraire. Elles sont peut-être pauvres, elles n’ont peut-être pas grand chose, mais elles ont un cœur immense où l’amour et l’amitié ne font qu’un.

Les toits du Paradis fut un voyage merveilleux, en compagnie de filles et de femmes aux grands cœurs, des femmes courageuses qui dansent, même au bord de l’abîme.

Un roman splendide, lumineux, empli d’humanité, d’espoir, porté par une plume stylée font de ce roman un incontournable de la rentrée littéraire 2020.

Gros coup de cœur pour ces filles aux destins inoubliables.

Pour info :

Mathangui Subramanian est éducatrice aux États-Unis, où elle est née.

Elle a vécu plusieurs années à New Delhi.

Les toits du Paradis est son premier roman déjà publié en anglais et en italien.

Je remercie les Éditions de l’Aube et Aurélie de l’agence un livre à soi pour cette divine lecture.