Dans les brumes de Capelans

Pour vous présenter Les brumes de Capelans, j’ai décidé de vous laisser dans le brouillard, car malgré le retour du capitaine Coste, tout reste un secret d’état. Et puis suis pas une indic, pas question de jouer la balance.

“ Les brumes vont se lever et bientôt, elles avaleront l’archipel pour de longues semaines. Entre le poudrin de l’hiver et les brimes, même le climat essaie de cacher Sait-Pierre. À croire que l’île est si belle qu’il faudrait la garder secrète. ”

C’est vrai quoi, vous ne voudriez quand même pas que je divulgue l’histoire en vous révélant quelques indices ? Ce serait ne point respecter le travail de l’auteur qui a réussi de mains de maître le retour du capitaine qu’on adore même s’il est plus cabossé, qu’une voiture de course sortant d’un stock-car.

Coste est donc de retour et même s’il on lui impose plus ou moins une nouvelle mission, c’est toujours avec le même entrain qu’il va tenter de la réussir. Ça va pas être simple mais aussi tordue soit-elle, cette nouvelle affaire doit être résolue. Notre « peseur d’âmes » a du boulot, il n’est pas en vacances.

Quatre-vingt quinze pour-cent de ce qui se raconte ici est vraie, comme à son habitude, Olivier Norek n’y va pas par quatre chemins pour nous mettre face à la réalité des faits, même si cela peut paraître hallucinant voir même effrayant. Il est fort possible qu’il mette en rogne les hautes sphères, mais pour une fois on ne mène pas en bateau c’est appréciable.

Et n’en déplaise aux auteurs qui se plaignent : « Encore un flic qui se met à l’écriture, il ne peut pas s’en tenir à son boulot ! » ( entendu, véridique à 100%) Olivier Norek au moins sait de quoi il parle, et nous offre un nouveau polar rondement bien mené avec un final bluffant.

Une fois que les brumes de Capelans se lèvent, la vérité se révèle et nous laisse presque sans voix.

Autant vous dire que le spectacle vaut le détour.

Et pour ceux qui n’auraient pas lu la trilogie du 93, vous pourrez toujours vous rattraper, car même si celui-ci se présente comme une suite, loin de Paris il offre à lui seul une aventure pleine de suspens et de mystère et peut tout à fait se lire sans rien connaître du passé de Coste, pour les autres, l’aventure continue ENFIN, alors on ne boude pas son plaisir.

Pour info :

Engagé dans l’humanitaire durant la guerre en ex-Yougoslavie, puis capitaine de police à la section Enquête et Recherche de la police judiciaire du 93 pendant dix-huit ans, Olivier Norek est l’auteur de la trilogie du capitaine Coste (Code 93, Territoires et Surtensions) et du bouleversant roman social Entre deux mondes, largement salués par la critique, lauréats de nombreux prix littéraires et traduits dans près de dix pays. Avec Surface (Prix Maison de la Presse, Prix Relay, Prix Babelio-Polar et Prix de l’Embouchure), il nous entraîne dans une enquête aussi déroutante que dangereuse. Un retour aux sources du polar, brutal, terriblement humain, et un suspense à couper le souffle. Tous ses ouvrages ont paru chez Michel Lafon et sont repris chez Pocket.

Le festin

Le festin de Margaret Kennedy aux Éditions de la Table ronde

Traduit de l’anglais par Denise Van Moppès, entièrement révisée.

“ Elle écrit bien. Tout le monde écrit bien, de nos jours. Elle écrit des biographies romancées, ou des romans biographiques, comme tu voudras. Elle prend dans la vie d’une personne célèbre un scandale bien tassé, et entier un roman. Tous les faits qui la gênent sont éliminés. Tous les détails qu’il lui plaît d’inventer sont bienvenus. Ça lui épargne la peine de construire une intrigue et des personnages, et elle n’est pas obligée de coller à la vérité puisque c’est un roman, vous voyez. ”

Si en 1947, vous étiez passé dans les Cornouailles, et aviez séjourné à l’hôtel de Pendisack, vous auriez pu faire connaissance avec une belle brochette de personnes avant que l’hôtel ne se retrouve ensevelie après l’éboulement de la falaise, emportant sept pauvres âmes.

L’hôtel n’est plus qu’un tas de poussière, et pendant que le père Bott écrit son oraison funèbre, revenons sept jours en arrière, le temps d’une semaine pour faire connaissance avec les pensionnaires aussi éclectiques qu’atypiques.

Sept jours, sept péchés capitaux, sept morts, n’est-ce pas étrange ?

Margaret Kennedy nous offre un huis clos tragi-comique à la sauce anglaise aussi savoureux que truculent, nous annonçant dès le départ la fin tragique tout en gardant par la suite un suspens surprenant nous révélant qu’au final le nom des sept disparus.

Avec une bonne pincée d’humour british, un zeste de drame, cette belle flopée de personnages ne nous laisse pas sur notre faim, l’appétit s’ouvrant page après page, et c’est le sourire aux lèvres que l’on dévore Le festin.

Un menu littéraire anglais qui ne manque pas de sel ni de saveur, Un véritable festin pour tous les amoureux de la plume anglaise.

So British !

Pour info :

Margaret Kennedy (1896-1967) est née à Londres et a étudié l’histoire à l’université de Sommerville (Oxford), où elle a commencé d’écrire.

En 1924, son deuxième roman, La Nymphe au cœur fidèle (Plon, 1927 ; réédité au Mercure de France sous le titre Tessa, 2006) s’est vendu dans le monde entier.

Elle l’a ensuite adapté au théâtre en une pièce à succès dans le West End londonien, et trois adaptations au cinéma ont suivi, dont l’une en 1943 par Edmund Goulding avec Charles Boyer et Joan Fontaine.

La traduction française du roman a donné lieu à une adaptation théâtrale par Jean Giraudoux (Grasset, 1934). Kennedy est l’auteure de quinze autres romans, parmi lesquels Le Festin (1950) et Pronto (Plon, 1954), lauréat du James Tait Black Memorial Prize, ainsi que de critiques littéraires et d’une biographie de Jane Austen.

L’été froid

L’été froid de Gianrico Carofiglio aux Éditions Folio

Traduit de l’italien par Elsa Damien

Tout commence par l’enlèvement d’un enfant qui n’est autre que le fils d’un des parrains les plus puissants de Bari.

Contre toute attente, le chef du clan rival décide de son propre chef de collaborer avec la justice.

“ – S’il vide vraiment son sac, ça va nous prendre du temps. Il en a des trucs à raconter, l’enfoiré ! Comment on procède ?

– C’est la Dottoressa qui décidera, mais j’imagine que Lopez devra commencer par ce qu’il a commis de plus grave, afin de prouver qu’il ne se moque pas de nous : homicides, gros trafics, extorsions.

– Et il faudra qu’il nous parle de l’enfant. ”

De cette collaboration naîtra une confession inattendue qui conduira les carabiniers vers des révélations insoupçonnables.

Ayant été procureur et juge du pôle antimafia à Foggia et à Bari, avant d’être sénateur, Gianrico Carofiglio en connaît un rayon sur la mafia et sur les enquêtes qui y sont liées, ce qui donne à ce polar un ton juste et une certaine authenticité.

Une présentation différente de ce qu l’on lit habituellement dans l’univers du polar qui nous entraîne au cœur de la mafia italienne qui sème la terreur dans les rues où l’omerta est le mot d’ordre.

Dans une ambiance glaçante, où le bien et le mal se confondent, Fenoglio mène son enquête contraint de côtoyer l’univers de la prostitution, les jeux clandestins, découvrant corruption et extorsion dans le milieu politique et même au sein de la police.

En fiction et documentaire, ce récit en devient aussi intrigant que captivant.

Premier tome d’une série policière centrée sur le personnage du Maréchal Fenoglio.

Pour info :

Gianrico Carofiglio est né en 1961 à Bari, Italie. Magistrat spécialisé dans la lutte anti Mafia et romancier primé, il est l’auteur de romans, de nouvelles, d’essais, et de la série policière à succès Guido Guerrieri, entamée avec Témoin involontaire (Rivages, 2007). Ses livres se sont vendus à plusieurs millions d’exemplaires en Europe et ont été traduit en 27 langues.

Les Pentes

Les Pentes de Sioux Berger aux Éditions De Borée

“ Le monde à l’envers… Mais il est bien temps qu’il se retourne, ce foutu monde, pour regarder bien en face ce qu’on a fait de l’énergie de la Terre. Ça fait des années qu’on se sert, qu’on prend, qu’on arrache tout ce qu’on peut au sol sans jamais rien lui offrir en échange. Tu verras cette pauvre Terre finira par devenir stérile de douleur ! ”

Septembre 2050. Alors que le papier est devenu un matériau rare, quasiment une espèce en voie de disparition, les usines ayant remplacées les forêts, Sofia une jeune fille continue à l’utiliser pour communiquer avec sa grand-mère qui vit dans Les Pentes. Sofia vit à Paris, c’est là qu’elle a grandi, dans cette ville connectée, l’industrialisation ayant envahi le monde. Mais Sofia n’en peut plus, elle désire retrouver les souvenirs de son enfance, entendre les oiseaux, sentir le souffle du vent sur son visage, mais plus que tout retrouver sa grand-mère, rejoindre Les Pentes.

“ Ici dans la vallée, il n’y a plus de vie à part celle des drones de surveillance . Curieuse époque. Toutes ces terres qui nourrissent et qui éclairent les villes. Toutes ces terres pour alimenter nos baies informatiques, nos boites à réception des repas… toutes ces terres où nos ancêtres ont vécu avec un poêle, un lit et une table. ”

Les Pentes, où vivent une poignée d’irréductibles, là où il est impossible d’y implanter une quelconque installation à but énergétique, là où la roche est trop dur pour y enfouir des déchets. Un lieu qu’ils comptent bien préserver.

À vélo, seul moyen de transport non connecté encore autorisé , Sofia fuit Paris et espère retrouver la vraie vie, sans imaginer qu’un nouveau combat est déjà en cours. Pour vaincre la stérilité qui semble arriver en ville, un émissaire est envoyé dans Les Pentes, là où il semble qu’il soit encore possible de donner la vie.

Dans ce roman d’anticipation, Sioux Berger confronte le monde rural au monde citadin, nous obligeant à nous interroger une fois de plus sur le devenir de notre planète face à ce monde de plus en plus connecté, tout en nous poussant à la réflexion qui nous mènerait vers une vie plus simple et moins futile quitte à délaisser la technologie.

Depuis la pandémie, beaucoup ont quitté les villes pour la campagne, faisant de nouveaux adeptes des plaisirs simples, amoureux du calme et de la nature bien trop souvent effacée dans les villes où le béton est roi.

Rien de bien nouveau pour ce genre de roman, mais tout ici est amenée avec douceur, éveillant en nous un cruel besoin de se ressourcer et de se déconnecter.

Un roman qui rappelle également l’importance d’écrire, d’envoyer de précieuses lettres comme dans ce récit, pour préserver un lien et des souvenirs, ce qu’aucune boîte mail ne pourra retranscrire ni conserver dans le temps où tout sera effacé le jour du grand Bug final.

Un roman qui rappelle l’importance de l’essentiel, l’importance de préserver ce que la terre nous a généreusement offert, l’importance de vivre plus simplement pour sauver notre planète.

Pour info :

Sioux Berger écrit depuis toujours. Elle cultive sa plume tout autant que son jardin et partage avec la terre une relation très intime dans laquelle elle puise son inspiration.

Les deux pieds bien ancrés dans la vie moderne, elle pose un regard à la fois lucide et optimiste sur le monde qui l’entoure.

Auteure de nombreux ouvrages pratiques, elle signe avec Les Pentes son premier roman.

Le signal

Le signal de Sophie Poirier aux éditions Inculte

“ Je suis tombée en amour de cet immeuble. ”

Cet immeuble n’est autre que Le signal. Construit entre 1965 et 1970 sur la côte sableuse Aquitaine, permettant à une population modeste de devenir propriétaires et d’avoir une des plus belles vues sur mer.

“ Je ressentais pour l’immeuble une affection personnifiée de cette sorte. Je l’imaginais seul, et éventré, aux prises avec la tempête qui le frappait de plein fouet, je le transposais dans un combat solitaire, usant de ses dernières force pour ne pas vaciller, pour ne pas nous quitter. Je le trouvais beau – et même, je lui étais reconnaissante – de tenir bon malgré notre abandon, malgré l’indifférence. ”

Hélas, personne n’avait prévu l’érosion marine, accélérée par le réchauffement climatique qui menace dorénavant l’immeuble. Par précaution, les habitants sont forcés après expropriation à quitter leurs logements. Un véritable crève-cœur.

À travers ce récit, Sophie Poirier, rends un bel hommage à cet immeuble dont elle est tombée amoureuse. Une véritable introspection sur le passé, le présent et l’avenir de ce lieu architectural hors du commun.

“ Au fur et à mesure, le vandalisme a recouvert les souvenirs et les traces. Les habitants du Signal disparaissaient encore et encore, dans un effacement lent et infernal. Pour eux, cela devait être d’une grande violence de le voir ainsi ouvert aux quatre vents, leur mémoire éventré, leur intimité exposée, à disposition des fouineurs, des casseurs et des photographes… ”

Avant de disparaître, en 2022, entre terre et mer, Le Signal a une histoire à raconter, et Sophie Poirier s’en charge à merveille, en explorant toutes les facettes, passant de ses heures de gloire à sa déchéance sans oublier les fantômes qui hantent ce lieu malgré le départ de ses habitants.

Sophie Poirier est tombée d’amour pour Le signal, tout comme moi pour ce récit qui a réussi en un peu plus d’une centaine de pages à me faire ressentir un attachement particulier pour un bloc de béton face à la mer.

Le pouvoir des mots et la vue sur mer y sont pour beaucoup c’est certain.

Pour info :

Sophie Poirier est née en 1970 et habite Bordeaux. Elle a animé des ateliers d’écriture et écrit des chroniques pour plusieurs supports culturels. Elle a collaboré avec de nombreux artistes et publié des livres très divers, dont La libraire a aimé (2008).

Nous voulons tous être sauvés

Nous voulons tous être sauvés de Daniele Mencarelli aux Éditions Globe

“ J’ai peur, je voudrais ma famille, ma maison, ma chambre. Je sais pourquoi je suis ici, je sais ce qui s’est produit. La honte, le sentiment de culpabilité, le souvenir de la soirée d’hier me bouleversent, ne demandant qu’à se changer en pleurs. Mais j’en suis incapable.

Je m’endors ainsi, en désirant des larmes qui ne viennent pas. ”

Une fois de trop, Daniele a piqué une crise, saccageant tout dans l’appartement de ses parents. Est-ce qu’il a trop snifé de coke, ou la perte de son taf, qui l’amènent une fois de plus au bord de l’abîme.

Quoi qu’il en soit, le voilà enfermé sous le régime de l’hospitalisation sans consentement pour une semaine.

“ De temps à autres, s’élevant d’autres chambres, d’autres mondes : des cris, des plaintes à égratigner le roc. ”

Durant sept jours il va côtoyer la douleur, celles des autres en plus de la sienne.

En compagnie de six compagnons d’infortune, découvrant la folie de chacun, il va tenter de comprendre la sienne, de l’apprivoiser, de l’éloigner si cela est encore possible.

“ Depuis le jour de ma naissance, je ne fais que semer le désordre : des excès en pagaille, des impulsions que j’ai suivies sans réfléchir, dans le bonheur comme dans le malheur. C’est la seule façon de vivre que je connaisse, je n’arrive pas à échapper à cette férocité : s’il y a un sommet, il faut que je l’atteigne ; s’il y a un abîme, il faut que je le touche. ”

Une semaine pour tout changer, une semaine pour ne plus se sentir acculer par la tristesse du monde. Une semaine pour trouver un sens à sa vie.

“ Donnez-moi toute la chimie du monde, mais fermez-moi les yeux, le cœur, car j’en ai assez de souffrir à cause de se que je vois, de ce que je ressens. ”

Daniele Mencarelli partage à travers ce témoignage sa propre expérience dans un hôpital psychiatrique et nous livre un récit très touchant et très réaliste du quotidien de ces patients mais également des médecins, des psychiatres, des veilleurs de nuit.

Un récit très représentatif qui interroge sur les véritables bienfaits d’un si court séjour pour un si grand mal-être. Pas assez d’écoute, trop de médicaments, et toujours des protocoles qui semblent dépassés.

Heureusement, Daniele Mencarelli a l’âme d’un poète, de quoi l’apaiser et apporter un peu de douceur dans sa vie chaotique.

“ Un homme qui contemple les limites de son existence n’est pas malade, il est simplement vivant. ”

C’est édité chez Globe, une ambiance Vol au-dessus d’un nid de coucou, vous seriez fou de passer à côté.

Pour info :

Né en 1974, Daniele Mencarelli vit non loin de Rome, à Ariccia. Il a publié plusieurs recueils de poèmes depuis 2001, collabore à divers quotidiens et revues, et travaille aussi pour la RAI.

En 2018, son premier roman, La casa degli sguardi, a été couronné par le prix Volponi, le prix Severino Cesari et le prix John Fante du premier roman.

En 2020, il publie Nous voulons tous être sauvés, finaliste du prix Strega et lauréat du prix Strega Giovani la même année.

En octobre 2021, il achève cette première trilogie avec Sempre tornare.

August

August de Callan Wink aux Éditions Albin Michel

Collection Terres d’Amériques

Traduit de l’américain par Michel Lederer

“ August avait la sensation que son existence était désormais divisée en deux parties distinctes: celle dans laquelle Skyler était en vie et où son père , sa mère et lui vivaient ensemble dans la nouvelle maison, et celle d’aujourd’hui où tout baignait dans un brouillard confus. […] il prit soudain conscience que la totalité de sa vie jusqu’à cet instant précis existait dans le passé, ce qui signifiait peut-être qu’elle n’existait pas du tout, ou du moins pas vraiment. Elle aurait pu être enterrée dans le pré à côté de son chien. ”

Dar et Bonnie, les parents d’August se sont pourtant aimés, il est né de cet amour, mais le temps a passé et leur passion s’est envolée. Désormais, installés dans le Michigan, ils vivent chacun de leur côté, Dar est resté dans la nouvelle maison et Bonnie a préféré rejoindre l’ancienne juste à côté. August virevolte entre les deux, commençant déjà à chercher sa place.

Jusqu’au jour où Bonnie décide de reprendre sa vie en main, et de s’installer dans le Montana, avec August, pour un nouveau départ.

Pour August qui ne connaissait que la campagne, l’acclimatation à sa nouvelle vie en ville ne fut pas des plus simple. C’est là, au abord de la ville qu’il se découvrit une passion pour la pêche.

“ Le garçon écuma la ville à pied, mais il ne s’y sentit jamais à l’aise. Il y avait trop de possibilités, trop de choix. Pas moins de vingt restaurants dans une seule et même rue. Un défilé perpétuel de visages. Il se mit à pêcher car là, au moins, sur les berges artificielles d’une rivière presque morte, le bourdonnement incessant de la civilisation paraissait s’estomper quelque peu. ”

Puis sa mère décrocha un job, et ils s’installèrent à Livingston, pas loin de Bozeman, dans une maison vieille d’une centaine d’années, récemment rénovée.

C’est là qu’il découvrira le football américain, apprendra les attentats du 11 septembre et qu’il tombera amoureux des grands espaces. Il poursuit ses études, sa vie avec sa mère et les vacances auprès de son père, jusqu’à ce qu’il décide de prendre son envol en travaillant dans un ranch isolé de la région.

“ August gara son quad puis escalada le versant abrupt en se faufilant au milieu des buissons d’armoise. Sur certains des ossements de bisons qui gisaient là, il repéra des marques de couteau aux endroits où on avait raclé la chair. […] Le haut de la butte était plat, herbeux. Assis les jambes pendant dans le vide, August contempla en contrebas le macabre fouillis de ce qui restait des bisons. On aurait dit une mosaïque composée par la mort en personne. […] Ce fut à cet instant qu’il décida de partir. C’était difficile à expliquer, mais il avait soudain la conviction qu’il venait de tomber sur la dernière chose qui, dans cette région, valait la peine d’être découverte, et qu’il aurait beau rester là jusqu’à la fin de ses jours, il ne trouverait jamais rien d’équivalent. ”

En 2017, Callan Wink avait fait une entrée remarquable avec son formidable recueil de nouvelles : Courir au clair de lune avec un chien volé. Des nouvelles qui laissaient espérer la venue d’un prochain roman, autant vous dire mon impatience depuis cette découverte.

En lisant August, au cours de l’histoire, j’avais l’impression de croiser les personnages d’autres romans de belles plumes américaines, notamment Charley, personnage central de : la route sauvage, grand roman de Willy Vlautin, et je pensais beaucoup à Jim Harrison, grand auteur, qui s’est hélas éteint mais qui a su transmettre sa passion de l’écriture et des grands espaces à tous ces jeunes auteurs, notamment à Callan. Et c’est sans surprise mais avec beaucoup d’émotions qu’en voyant le film : Seule la terre est éternelle, que mes pensées vagabondaient auprès d’August, de Charley, de Dalva, et de tant d’autres.

August est un formidable roman d’apprentissage qui reflète avec précision tout ce qu’un jeune homme américain peut vivre, tout ce qui va le façonner jour après jour, de son enfance à l’âge adulte. Qu’il soit question de la famille, des conflits intérieurs engendrés par la séparation de ses parents, des joies comme des peines, de la découverte de la pêche liée à certaines régions américaines, du football américain, un sport national qui peut s’avérer dangereux, en passant par le 11 septembre et ses répercussions, sans oublier les engagements dans l’armée, les études, les premiers boulots, les premiers amours, mais également le besoin d’indépendance et surtout la découverte des grands espaces, rien n’est cité au hasard.

Callan Wink s’est nourri des paysages qui l’entourent, et rends hommage à ses prédécesseurs qui lui ont donné le goût de l’écriture, et nous offre un grand roman où un adolescent se construit à travers les rencontres qui ont jalonné sa vie en Amérique, là où les grands espaces habités des grands esprits nous souffle à l’oreille que : Seul la terre est éternelle.

Je suis sûre que Jim Harrisson serait fier de ce jeune écrivain aussi fougueux et touchant qu’un jeune poulain monté par un indien en des temps lointains.

La relève est assurée, il n’y a pas de doute.

Rien que du grand ciel

Rien que du grand ciel de AD Salamin aux Éditions de l’Harmattan 

Tom vient d’apprendre la disparition de Jim, un célèbre photographe. Jim a été son mentor, puis son ami et pourtant il a fini par l’éviter, par le fuir. Maintenant il est trop tard, mais il reste encore possible de lui rendre un dernier hommage, d’aller vers lui une dernière fois. 

Tom quitte son pays pour Los Angeles, et entreprend un formidable road trip à travers l’Ouest américain, jalonné de tous les souvenirs parsemés sur ces routes qu’il a déjà traversé en compagnie de Jim.

“ Je me décide à partir à l’est, puis crochet par le Nouveau-Mexique sur les traces de notre premier voyage. Je reviendrai à travers le haut de la carte, et attraperai Six-Rivers en traversant le Nevada. Un road trip illogique, qui étirera les heures pour atteindre le domaine, et me donnera du temps avant d’affronter seul la vue sur le lac, le tronc sombre des chênes, les hampes des fougères dressées. Je sens d’ici le petit vent du soir apportant, mêlées, la senteur du lac et celle des pins. Depuis le balcon le tourbillon des martinets crevant le ciel. Je ne pensais à rien, je me laissais porter, Jim décidait de toute chose. Je crains son absence aspirant la maison, la terrasse, le ciel, le lac. ” 

Une route en solitaire qui l’amène à réfléchir sur cette relation très particulière qu’il avait avec Jim, tantôt amicale, presque fraternelle voire même paternelle à la limite de la passion et devenant parfois toxique.

Une route jalonnée de paysages à couper le souffle qui n’est pas sans rappeler à Tom, les photos de Jim, un véritable artiste. 

“ Le plus souvent je me coltinais le matériel, et j’assistais à la magie de Jim. S’il reniflait quelque chose, il oubliait son ivresse, son pas se faisait sûr, il faisait un geste impatient, je lui passais l’appareil adéquat, avec le temps je savais ce dont il avait besoin. Il prenait des clichés splendides. Je me disais que cela ne donnerait rien, la nuit, l’alcool, mais chaque fois : chef-d’œuvre. Enfin, c’est ce que tous disaient.

Jim, L’artiste ne pourra plus immortaliser ce qu’il voyait bien avant d’en faire des chef-d’œuvres, mais avant de partir, lui aussi se souvient et souhaite à sa façon faire un dernier adieu à Tom. 

“ Je réfléchis. Il m’est impossible de définir nos liens. Depuis que j’ai entamé cet ultime projet, je tente de répondre à ces questions : qui est Tom, à quoi me sert-il, qu’est-ce que je lui veux ? La fin de l’histoire est proche et je n’en sais pas plus. Je t’appréciais. Beaucoup. Pourquoi toi, je n’en sais foutre rien. Ah, si j’avais suivi le courant et fréquenté un analyste, je serais moins emprunté. ” 

Construit en diptyque, ce formidable récit donne la voix à Tom et Jim en alternance, nous emportant auprès de ces deux hommes unis par des liens particuliers, des liens si forts qui les unissent et les détruisent à la fois.

Deux voix pour nous aider à comprendre ce qui les a mené à se rencontrer, à travailler ensemble, s’apprivoisant petit à petit, apportant chacun son regard, son expérience jusqu’à l’ultime séparation, laissant derrière eux une foule de regrets, de remords n’ayant plus la possibilité de faire machine arrière.

AD Salamin dépeint à merveille cette étrange relation, complexe et ambiguë, deux portraits d’hommes bouleversants et attachants et nous offre également un spectacle grandiose à travers les paysages qu’elle décrit, tel que le photographe nous offrirait lors d’une exposition. 

Un road trip littéraire plein de surprises, qui ne manque pas de style, offrant un dépaysement extraordinaire avec pour compagnon de voyage deux hommes intrigants. 

Un voyage fort en émotions où rien que du grand ciel vous mettra des étoiles plein les yeux. 

Pour info : 

Née en Suisse, AD Salamin a vécu à Londres et Genève. Diplômée en Sciences de l’éducation, spécialiste du « Digital Learning », elle enseigne la communication. Passionnée d’écriture, elle consacre son temps libre à dépeindre des mondes qui ont pour départ la famille et ses troubles. Rien que du grand ciel est son premier roman publié. 

Rencontrez la sur http://www.adsalamin.art

Des âmes consolées

Des âmes consolées de Mary Lawson aux éditions Belfond.

Traduit de l’anglais (Canada) par Valérie Bourgeois

“ Le moteur s’arrêta et un étranger émergea de derrière le volant. Après avoir refermé sa portière, il resta là, à contempler la maison de Mme Orchard. Elle était telle qu’elle avait toujours été – des murs sombre, des fenêtres et des encadrements de porte blancs, un large porche avec un plancher peint en gri et une rambarde blanche. Clara, qui n’avait jamais vraiment prêté attention à son aspect extérieur, se rendit compte qu’elle était pile à l’image de Mme Orchard. Vieille, mais jolie. ”

Une maison, une vieille dame, un homme et une jeune fille, tels seront les protagonistes de cette histoire. La maison est celle de la vieille dame, madame Orchard, actuellement à l’hôpital. Clara la jeune fille, est sa voisine, et l’homme qui semble prendre possession de la maison n’est autre que Liam.

Tous les trois semblent unis par un lien sans pourtant être de la même famille.

Depuis une fenêtre de la maison de ses parents, Clara attend le retour de Me Orchard, et aimerait voir apparaître sa sœur qui a disparu, tout en observant Liam l’intrus.

Depuis la fenêtre, Clara guette, surveille, espère.

Entre passé et présent, en alternant chaque personnage, l’histoire se révèle, les vies s’entremêlent, les blessures intimes se dévoilent, jusqu’au dénouement final.

Mary Lawson aborde tout, avec une infinie douceur, tout en délicatesse même lorsque les drames surgissent.

Pas après pas, elle conduit ses âmes à se consoler pour atteindre la rédemption et se libérer enfin des erreurs du passé.

Telle une valse à trois temps, ces trois voix nous emportent sous la plume douce et poétique de Mary Lawson, faisant battre la chamade à notre cœur de lectrice.

Pour info :

Canadienne, Mary Lawson est née et a grandi à Blackwell, une petite ville rurale de l’Ontario. Après des études de psychologie à l’université McGill de Montréal, elle s’est installée en 1968 en Angleterre, où elle s’est mariée et a eu deux fils. Elle vit actuellement dans le Surrey.

Après Le Choix des Morrison (2003 ; J’ai Lu, 2004), traduit en vingt-trois langues, et L’Autre Côté du pont (2009), sélectionné pour le prestigieux Man Booker Prize, Un hiver long et rude, Des âmes consolées est son quatrième roman publié chez Belfond.

Buck & Moi

Buck & Moi de Mateo Askaripour aux Éditions Buchet . Chastel

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Stéphane Roques

« Écoute-moi, Darren. Tu mérites mieux que de préparer de l’eau caféinée. Tu veux vendre ce truc pour le restant de tes jours où tu veux me rejoindre pour changer le monde ? »

Darren vit à Brooklyn avec sa mère. Ce jeune homme bosse depuis quatre ans dans un Starbuck de Manhattan, servant chaque jour des cafés aux hommes d’affaires, attendant qu’une occasion se présente pour changer de métier.

Se complaisant dans sa routine, il a du mal à accepter la proposition qu’un client lui fait et qui pourrait lui offrir l’opportunité de changer de vie.

Poussé par son entourage, il va tout de même tenter sa chance, se retrouvant très vite au trente-sixième dessous.

Mais voilà, prendre de la hauteur peut s’avérer dangereux, lui qui avait jusqu’à présent les pieds sur terre, va vite devenir imbuvable, vaniteux, oubliant très vite ses convictions, semblant avoir bénéficié d’un lavage de cerveau en passant de chez Starbuck au trente-sixième étage.

À grimper si vite, plus dure sera la chute s’il continue sur cette lancée.

L’avenir nous le dira…

Mateo Askaripour signe un premier roman assez mordant envers le monde de l’entreprise, et après l’avoir terminé on pourrait se demander si à travers ce récit il n’aurait pas orchestré une petite vengeance personnelle à l’attention d’anciens employeurs ? Car sincèrement, pas vraiment de surprise par rapport à l’histoire, rien de nouveau dans le paysage littéraire, c’est du déjà vu, déjà lu.

L’histoire d’un mec qui a une situation banale, et se retrouve propulsé en haut de l’échelle, prenant assez vite la grosse tête avec un compte en banque plus florissant. Du coup il devient une toute autre personne et l’entourage déchante très rapidement. Tout comme le fait qu’il soit noir et qu’on ne va pas évidemment lui faciliter la tâche.

Alors même si c’est un best-seller au États-Unis, qu’il est plutôt plaisant à lire, je reste sur ma faim et c’est bien dommage. Un peu trop cliché à mon goût. Ça se présentait plutôt bien, mais voilà Buck et moi, on va en rester là. Ce ne sera pas le début d’une grande histoire d’amour littéraire.

À vous de voir, personne n’est à l’abri d’une belle rencontre.

Pour info :

Né aux États-Unis d’un père Jamaïcain et d’une mère Iranienne, Mateo Askaripour a travaillé comme directeur des ventes dans une start-up. Best-seller du New York Times dès sa sortie, Buck & moi est son premier roman.