Tous complices

Tous complices de Benoit Marchisio aux éditions Les Arènes Equinox

“ Vingt et une vitesses, selle soudée, deux paires de suspensions : c’est tout ce qu’Abel a retenu . […] Abel a devant lui son futur outil de travail. Il est livreur, oui. Mais surtout micro entrepreneur. Il a le statut depuis peu, ča lui cinq minutes sur le site de la chambre de commerce et d’industrie. Il a finalement opté pour cette forme de société parce qu’il n’en pouvait plus des contraintes du salariat, même occasionnel. […] Il est son propre patron, maître de son destin. ”

Avec l’intention d’aider sa mère financièrement, Abel se lance dans la livraison de repas à domicile et devient micro entrepreneur, persuadé d’avoir fait le bon choix. Mais pour commencer il doit également télécharger : l’Appli, qui lui permettra de recevoir des commandes qu’il devra livrer en un temps records pour être sûr d’être payer.

Des collègues. Il en croise de nombreux sur son chemin. Beaucoup sont voûtés sur leur vélo vieillissant, mais certains sont d’une élégance folle. Filiformes sur leur cadre fuselé, ils foncent comme des fusées et fondent dans le trafic fluide de cette fin de journée. Bientôt, Abel sera comme eux : rapide, précis et irrattrapable.

Lui qui habite de l’autre côté du périphérique, il prends plaisir à découvrir Paris et ses quartiers sur son vélo low-cost. Certains immeubles le fascinent, il se sent presque privilégié d’y pénétrer même si le plus souvent il ne voit guère plus que l’entrée des appartements.

Il va vite se retrouver face à des livreurs mineurs, ou des sans-papiers, le monde parallèle des livreurs clandestins, et fera la connaissance de Lena une sans-abri qui leur donne un coup de main pour réparer leurs deux roues. Le désenchantement commence.

Sans parler des challenges de l’Appli, véritables jeux de dupes.

[…] Non, il est sûr : il n’a fait aucune erreur. Il n’aurait pas pu aller plus vite. Même s’il était monté sur les trottoirs, avait coupé les ronds-points, adopté un comportement délirant – en plus des risques qu’il a déjà pris à griller les feux rouges et les priorités, sans cesse poussé par les trois notes à pédaler en surrégime – il aurait livré aussi rapidement. Le problème, c’est le temps d’attente entre les commandes. Si lui n’a pas fait d’erreur, c’est que l’Appli l’a volontairement fait patienter pour éviter qu’il touche la prime mise en jeu. ”

Et puis il y a cet avocat qui cherche à se faire un nom, et puis cette vidéo qui met le feu aux poudres, et ce journaliste qui ne semble pas étouffer par les scrupules.

Ce boulot prends des allures de cauchemar, les dégradations de travail s’enchaînent, il est peut-être temps de libérer sa colère.

Il a toute les infos pour déclencher la révolte et démarrer les livraisons à domicile très spéciales.

Ce que j’en dis :

Alors que Marin Ledun s’attaque à l’industrie du Tabac à travers son dernier roman noir, Benoit Marchisio nous plonge dans l’enfer des livreurs de repas qui pédalent sans relâche pour assouvir les envies gustatives de la population à toute heure du jour et de la nuit. En plus d’être mal payés, ils sont également maltraités physiquement et moralement subissant sans parfois s’en rendre compte le harcèlement lié à ce travail harassant.

Depuis la pandémie, un nouveau marché s’est développé, lucratif pour certains comme pour tous les dérivés de L’Appli style Deliveroo, Uber Eat et compagnie mais une belle arnaque pour tous ceux qui ont besoin de passer par ces plateformes pour ne pas voir leurs commerces s’éteindre et une question de survie pour toutes ces personnes qui se sont tournées vers ce travail de livreur, n’ayant plus de ressources. Une revenu d’appoint mais à quel prix ?

Benoit Marchisio nous ouvre les yeux et nous livre une fiction qui rejoint la dure réalité de notre société uberisée.

Un bel hommage à tous ces travailleurs précaires.

C’est extrêmement fort, bluffant parfois violent mais ne sommes-nous pas TOUS COMPLICES ?

Méfions nous, la révolution est en marche et même masquée elle risque de nous livrer un futur qui risque bien de nous étouffer avant la première bouchée.

Pensez-y quand vous passerez votre prochaine commande, ce qui ne sera toujours pas mon cas en ce qui me concerne.

Ce menu révolutionnaire est livré par Équinox complice de la littérature que donne du sens au chaos.

À dévorer sans modération.

Pour info :

Benoit Marchisio a 33 ans. Après plusieurs collaborations avec des magazines de cinéma (SoFilm, Première) il participe à la rédaction d’un ouvrage collectif sur le travail de Paul Verhoeven. En 2017, sort son premier essai, Génération Propaganda (Playlist Society) qui raconte la trajectoire fulgurante de Propaganda Films crée en 1986 par six réalisateurs et producteurs, dont David Fincher. Depuis 2014, il travaille chez France Télévisions.

Je remercie les Arènes pour ce roman noir social explosif.

Leur âme au diable

Leur âme au diable de Marin Ledun à la Série noire chez Gallimard

– Dit Marin pourquoi tu fumes ?

À une époque Daniel Pennac à travers son essai : “ comme un roman ” avait tenté de désacraliser la lecture tout en lui rendant hommage. Il invitait le lecteur à réfléchir sur les différentes manières de s’instruire ou pas, de lire ou de ne pas lire, le droit de lire n’importe quoi, et même le droit de se taire.

Marin Ledun lui, nous propose 1000 et une façons de continuer de fumer ou pas, du fumer n’importe quoi ou pas, en nous faisant découvrir l’industrie du tabac, et apparemment une fois encore il a choisi : le droit de ne pas se taire, et il a bien fait.

– Dit Marin pourquoi tu fumes ?

Pour ma part j’ai choisi de m’octroyer le droit de lire, mais pas n’importe quoi, et depuis 2005, clap de fin pour mes virées chez le buraliste, adieu très chère tige à cancer, à moi la liberté, et c’est les poches pleines de tout ce qui n’est pas parti en fumée que je peux visiter les librairies et tomber sur des auteurs comme Marin Ledun qui à travers ses récits pointent le doigt là où ça fait mal.

– Dit Marin pourquoi tu fumes ?

C’est pourtant à travers leurs slogans qui prônent la liberté que beaucoup sont tombés dans le cercle infernal de la cigarette.

Ça fait mâle, ça donne du style, mais lorsque les femmes s’y sont mise, là ça a fait mal, c’est tout juste si on ne les traitait pas de traînée, souvenez-vous.

– Dit Marin pourquoi tu fumes?

Car en plus de nous offrir un roman noir extraordinaire, Marin Ledun retrace à travers cette route de la nicotine, toute une époque, et n’oublie pas tous les événements marquants liés ou pas au tabac.

Dit Marin, pourquoi tu fumes ?

Ça commence en 1986 par un braquage très particulier. Les billets verts, c’est pour plus tard. D’abord on met en place le business avant de pouvoir palper la monnaie.

Dit Marin, pourquoi tu fumes ?

Fortement documentée, cette introspection dans l’industrie du tabac est une véritable bible pour comprendre et découvrir l’envers du décor, tout ce qu’on nous cache derrière cet écran de fumée.

« Le but est de faire diversion. Éviter les procès lorsque c’est possible. Multiplier les recours en justice si nécessaire. Et créer un climat médiatique et politique confus autour du tabac à l’échelle nationale. ”

“ Dans le système d’homologation des tarifs du tabac, les douanes jouent un rôle crucial. Mention particulière aux fourmis de la Direction générale des douanes et des droits indirects. Leur mission consiste à récolter pour le compte de l’État les taxes sur les alcools et les tabacs. Tant qu’on leur file leur part du butin, ils ne font pas de vagues. Gagnant-gagnant. ”

– Dit Marin pourquoi tu fumes ?

Vous l’aurez compris, Marin Ledun nous ouvre les yeux, sur cette plante qui pourrit la planète, puis la santé de ses consommateurs. Une plante légale tellement rentable qu’elle engendre, violence, trafics, corruption pour assouvir l’ambition de personnes sans scrupules prêtes à tout pour des poignées de dollars.

– Ma vie est un film de gangsters dans lequel je joue le rôle du salaud. […] Mon métier consiste à falsifier, manipuler, abuser, tricher, corrompre pour vendre le plus de cigarettes possible et m’enrichir. Je ne sais faire que cela. ”

Après la lecture de ce roman extraordinaire vous ne verrez plus la clope de la même façon, c’est certain.

Oubliez vos clopes, achetez-vous des livres, notamment celui-ci.

– Mais dis-moi Marin, pourquoi tu fumes ENCORE ? Dieu est un fumeur de Havane, mais bon, il y a assez de monde dans son paradis qui ont laissé leur âme au diable.

Pour info :

Marin Ledun est l’auteur d’une vingtaine de romans dont Les visages écrasés, plusieurs fois récompensé et adapté au cinéma, et l’homme qui a vu l’homme, prix Amila-Meckert.

Avec Leur âme au Diable, il nous livre LE grand roman sur l’industrie du tabac.

Je remercie les Éditions Gallimard et Marin Ledun pour ce roman noir comme la nicotine mais non pas moins brillant .

La république des faibles

La république des faibles de Gwenaël Bulteau aux Éditions de La Manufacture de livres

“ Dans le halo terne de sa lampe, il faisait sa moisson à l’aide de son crochet quand soudain il entendit un bruissement et, du coin de l’œil, surprit un mouvement de fuite. Il plissa les yeux. Non, ce n’était pas un rat, plutôt une espèce de cabot à la recherche d’une ordure comestible. Il siffla mais la bête, ne lui prêtant aucune attention, disparut dans l’obscurité. […] Perdu dans ses pensées morbides, il continua sa récolte et tomba sur une vieille couverture. C’était rare, ce genre de trouvailles. En général, les gens les usaient jusqu’à ce qu’elles tombent en lambeaux. D’un geste aguerri, il la piqua pour la ramener vers lui, dévoilant en dessous une forme difficile à distinguer. Une impression bizarre le saisit. Il approcha la lampe et faillit tourner de l’œil à la vue du corps mutilé. ”

Le soir du premier janvier 1898, à Lyon dans le quartier de La Croix Rousse, le corps mutilé d’un enfant est découvert par un chiffonnier.

Il s’avère qu’il vient des quartiers populaires et qu’il était porté disparu depuis quelques semaines.

Alors qu’à Paris, l’affaire Dreyfus fait les gros titres des journaux, de fortes tensions sévissent à Lyon, à l’approche des élections.

Le commissaire Jules Soubielle, chargé de l’enquête va devoir se montrer ingénieux pour résoudre cette affaire.

La fin du siècle approche, il serait temps de rendre justice à ces ouvriers, ces petits commerçants, la république étant censée défendre les faibles.

“ – On disait : Vive la république ! et le client répondait : Qui prend soin des faibles ! […] Dans cette république dévoyée, les faibles buvaient le calice jusqu’à la lie. ”

Ce que j’en dis :

Pour oublier le présent, rien de tel qu’un voyage dans le passé, l’occasion de découvrir un premier polar historique de très belle facture.

Dès le départ on se retrouve transporté à une autre époque, dans l’ambiance lyonnaise de jadis.

Dans une atmosphère magnifiquement reconstituée, sous une plume singulière de toute beauté. l’histoire se profile et nous emmène vers les quartiers pauvres où même la mort d’un enfant a du mal à émouvoir l’administration.

Gwenaël Bulteau réussi d’une main de maître à nous captiver à travers une formidable intrigue. On redécouvre le contexte antisémite lié à l’affaire Dreyfus, mais également la place des femmes, le travail des enfants, les mœurs, la misère d’un côté, la bourgeoisie de l’autre.

Sa mise en scène est remarquable tout comme ses personnages forts bien représentés et très attachants. Tout sonne juste et nous rappelle les romans de Zola ou plus récemment ceux d’ Hervé Le Corre.

Moi qui avait tant aimé également L’aliéniste de Caleb Carr ou dernièrement la série télévisée Paris 1900, j’ai vraiment apprécié cette nouvelle voix de la littérature française, d’autant plus qu’elle met en lumière les plus faibles trop souvent oubliés hier et encore aujourd’hui par la République.

Un premier roman éblouissant à découvrir pour se remémorer le chemin parcouru de nos ancêtres et le long chemin qu’il reste à faire pour être enfin, libres, égaux et fraternels.

C’est publié à La Manufacture de livres, une maison d’éditions où les belles plumes y ont une place de choix.

Pour info :

Né en 1973, Gwenaël Bulteau est professeur des écoles. Particulièrement attiré par le genre noir, il écrit diverses nouvelles et remporte plusieurs prix. En 2017, il est notamment lauréat du prix de la nouvelle du festival Quais du Polar, pour Encore une victoire de la police moderne !

Je remercie la Manufacture de livres et l’agence Trames pour ce polar historique d’exception.

Les jardins d’éden

Les jardins d’éden de Pierre Pelot à la Série noire chez Gallimard

“ Bien entendu tu es content d’être sorti du fracas. Sauf que tu en traînes toujours des lambeaux avec toi, que l’échappée prend son temps, la garce, qu’on dirait bien n’en avoir jamais vraiment fini avec elle, au fond. ”

Jip Sand est de retour à Paradis dans la ville de son enfance. Il revient de loin, après avoir vaincu son cancer avec l’impatience de revoir enfin sa fille. Mais Annie dite Na reste introuvable.

“ Les temps changent JIP. T’es ressuscité des morts, mais t’es journaliste, non ? ”

Dans le passé, Manuella, l’amie de Na avait été retrouvé sans vie dans les bois. Jip n’avait pas chercher à élucider cette mort étrange mais cette fois c’est sa fille qui a disparu.

[…] Pourquoi personne n’a cherché à comprendre ce qui lui était arrivé, à Manu, hein ? Ce qui lui était arrivé vraiment ? Pourquoi ça a été classé vite fait par tout le monde et même les flics au rayon des faits divers de rôdeurs, des putains de chiens écrasés, hein ? Et ça aussi je suis sûr que tu le sais très bien. ”

Au fil des saisons, entre ses souvenirs brumeux et le présent assez flou, Jip part à la recherche de sa fille, réveillant jour après jour le passé et certaines vérités plus douloureuses et plus mortelles que certaines maladies. Sa rémission prend des chemins de traverse bien sinueux pour atteindre la rédemption.

“ Tu la tiens, ton histoire, mon vieux. Tu la connais, maintenant. […] Sauf que bien sûr c’est la réalité, c’est vrai, mais tu n’y peux pas croire. Pas crédible. Incroyable. ”

Ce que j’en dis :

Pierre Pelot sort de sa retraite pour faire une entrée remarquable à la série noire chez Gallimard. On se demande d’ailleurs bien pourquoi ils ont attendu si longtemps pour lui dérouler le tapis rouge, car il y a indéniablement sa place, c’est certain. Et c’est pas la chauvine qui parle mais la lectrice fidèle à l’auteur et à la maison d’édition.

Dans un style qui n’appartient qu’à lui, à travers une langue riche sculptée au cordeau, il tisse son histoire, mettant en scène des âmes écorchées dans une nature éclatante et sauvage.

Une lecture qui demande une attention particulière, le temps d’apprivoiser cette écriture riche et envoûtante pour l’apprécier à sa juste valeur. Un voyage entre passé et présent, indispensable pour dénouer le fil de cette histoire,

Les jardins d’Eden nous plonge dans la mémoire d’un homme qui tente de réparer les erreurs du passé et cherche la rédemption auprès de sa fille qui a malheureusement disparue.

À Paradis, certaines portes cachent l’enfer et certains secrets de village peuvent conduire direct au purgatoire.

La Bête des Vosges (comme on dit par chez moi) a bien fait de sortir de sa tanière pour nous embarquer vers son Jardin d’Eden. Si sombre soit-il, il n’en demeure pas moins extraordinaire et suis même sûre que notre cher Bachri aurait été de cet avis et serait encore bien capable de râler de là-haut s’il n’obtient pas le rôle de Jip, pour l’adaptation ciné à titre posthume.

On peut toujours rêver…

Pour info :

Pierre Pelot est un auteur vosgien né en 1945.

Il a écrit près de deux cents romans dans les genres les plus divers, de la science-fiction au thriller, en passant par le western et la littérature générale, dont beaucoup ont été traduits dans plus de vingt langues.

Avec des œuvres telles que Delirium Circus ou La Guerre olympique, il est l’un des meilleurs auteurs de SF française. En compagnie d’Yves Coppens, il a signé Le Rêve de Lucy et Sous le vent du monde.

Son Été en pente douce a été adapté au cinéma avec le succès que l’on sait.

Bluebird, bluebird

Bluebird, Bluebird dAttica Locke aux Éditions Liana Levi

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Rabinovitch

“ Deux cadavres en une semaine.

Comment diable était-ce arrivé ? ”

C’est au bord du bayou Attoyac que le corps d’un homme noir est retrouvé. Il n’était pas du coin, mais de Chicago. La police penche pour un vol qui aurait mal tourné. Seulement voilà, deux jours plus tard quasiment au même endroit derrière le café de Geneva Sweet, on découvre le corps d’une fille blanche.

“ Quarante ans et quelques après la mort de Jim Crow, presque rien n’avait changé ; Geneva’s était le vestige d’un autre temps, comme les calendriers jaunis sur les murs du café. C’était une constante au bord d’une route où passaient en continu des véhicules qui ne s’arrêtaient jamais. ”

Darren Mathews un Rangers noirs de la police du Texas, provisoirement suspendu de ses fonctions, en attendant un jugement est justement de passage dans ce comté de Shelby lorsque surviennent ces deux cadavres. Fier du badge qu’il porte, et toujours prêt à rendre service, il accepte de se joindre à l’enquête de manière officieuse pour le compte d’un ami du FBI.

Le petit restaurant traditionnel de Geneva Sweet est réservé à la population noire du coin, il est situé juste en face de maison de Wallace Jefferson lll, un homme qui possède quasiment toute la ville et notamment le Jeff’s Juice House un bar où se retrouvent une Fraternité Aryenne du Texas.

En plus du trafic d’armes et de drogue, cette Fraternité impose un rite initiatique à tous les nouveaux membres de leur gang qui consiste à tuer un noir.

C’est dans ce climat profondément raciste, que Darren Mathews va tenter de mener à bien son enquête, persuadé que les deux meurtres sont liés.

Ce que j’en dis :

Après s’être fait connaître chez Gallimard à la série noire avec trois romans remarquables, Attica Locke poursuit son exploration du Texas dont elle est originaire à travers ce nouveau roman Bluebird, Bluebird.

Sous ses allures d’enquête policière ce récit nous emporte tel un bon blues âpre et poisseux vers un coin reculé de l’Amérique profonde où le KKK a pris une nouvelle dimension, remplacé par un tout nouveau genre de Fraternité tout aussi raciste et même plus dangereuse afin de pouvoir commercer de trafics en tous genres en toutes illégalités et qui n’hésite pas à se débarrasser des témoins gênants.

C’est dans ce contexte que notre Rangers Black réussira plus ou moins à délier les langues grâce à son étoile qu’il arbore fièrement même si sa couleur de peau lui cause un sérieux handicap dans cette contrée où il ne fait pas bon être noir.

Une tension raciale extrême pèse sur cette communauté et démontre une fois de plus, qu’aucun lieu de l’Amérique n’est épargné.

Attica Locke confirme son talent en mêlant intrigue et réflexions sociales à travers ce nouveau roman envoûtant impossible à lâcher.

Une étoile montante de l’Amérique qui n’a pas fini de briller.

Pour info :

Attica Locke est l’auteure de romans publiés à la Série Noire: Marée noire, Dernière Récolte et Pleasantville.

Avec Bluebird, bluebird (Liana Levi, 2021), lauréat de l’Edgar Award et de l’Anthony Award 2018 du meilleur roman, elle confirme qu’elle est l’une des grandes voix du roman policier américain.

Je remercie les Éditions Liana Levi pour ce blues envoûtant.

Lëd

Lëd de Caryl Férey aux Éditions Les Arènes

“ Qui voulait vivre ici ? Il neigeait deux cent soixante jours par an – soit l’équivalent de dix tonnes de neige par habitant –, dont cent trente de tempête, quand le pourga devenait bourane, ce vent arctique qui filait du trente mètres à la seconde. Dès – 30°C, rester dehors présentait un risque mortel. Les jours de blizzard, les ferrailles volaient des toits, les enseignes, des magasins – des dangers constants dont on faisait peu de cas. ”

Perdue au milieu de la Russie, au nord du cercle polaire arctique se situe Norilsk, une ville industrielle qui abrite depuis une centaine d’années une exploitation de nickel et de palladium.

Chaque jour, l’usine rejette un gaz toxique dégageant une odeur épouvantable qui fait de cette endroit la ville la plus polluée du monde, en plus d’être la plus froide avec ses températures extrêmes qui peuvent descendre sous les 60°C.

C’est dans ce décor apocalyptique permanent, que l’on découvre après un ouragan arctique, le corps d’un Nenets, un éleveur de Rennes, près des décombres d’un immeuble.

Boris, flic flegmatique, banni d’Irkoutsk est chargé de l’affaire.

“ Le minerai alimentant l’industrie de la guerre, Norilsk était passée de statut de ville secrète sous Staline à celui de ville fermée : aujourd’hui encore, on n’y parvenait qu’avec l’assentiment du FSB, lequel delivryles tampons aux comptes gouttes. Il n’était pas question que le lieutenant Ivanov en revienne : une prison en liberté, voilà le sort qu’on lui avait réservé… Les adieux à l’aéroport d’Irkoutsk avaient été terribles, avec son père surtout.

Enfin Boris s’était fait à ses chaînes.

L’âme russe était né pour ça. ”

Dans cette prison à ciel ouvert, au cours de son enquête, Boris va faire connaissance avec cette jeunesse qui s’épuise à la mine, cherchant des échappatoires parfois dangereux au milieu de la corruption qui règne en maître, où chacun se surveille mutuellement et semble suspect.

La pollution tue a petit feu la population, et dans ce climat glacial une nouvelle menace rôde apportant dans son sillage une violence extrême qui détruira les entêtés cherchant à faire justice.

Sa présence est un obstacle à leur chute à venir, ils ne le savent pas et lui non plus : il avance au portant, car le vent s’est relevé. Le calme n’était qu’une escarmouche, relatif et mordant le blanc nocturne qui luit sous ses yeux. Pas de suspension sur ce nid de tonnerres, de repos en ces moments décharnés, les proies sont rares et les abris peu sûrs. Des blocs de pierre qui sentent la pisse froide et leur humeur domestique. […] Il le sent là au fond des trop, ce cri qui lui remonte à la gorge ; non, impossible de le retenir, de contenir cet instinct…Il cherche quelqu’un à tuer. ”

Ce que j’en dis :

Déjà 25 ans que cet écrivain baroudeur nous offre des romans noirs assez déchirants, puisant son inspiration dans les pays où il se rend, rendant hommage aux personnages qu’ils croisent sur son chemin en les mettant admirablement en scène dans ses histoires.

C’est en 2012 que je le découvre à travers Mapuche, une enquête qui nous transporte au cœur de l’Argentine. Un roman noir époustouflant, avec des personnages inoubliables qui m’ont bouleversé et qui ont fait de moi une lectrice fidèle à cette plume rebelle, engagée, incontournable.

Si vous pensiez avoir déjà croisé l’enfer dans ses précédents romans, attendez-vous à pire une fois débarqué à Norilsk. Et pourtant dans cette ville glaciale, délabrée, polluée, déprimante, de premier abord si peu accueillante vous risquez de tomber amoureux de certains personnages, ces russes courageux toujours prêt à tant de sacrifices.

Une enquête qui semble servir de prétexte pour nous permettre de faire connaissance avec les habitants de Norilsk en nous plongeant dans leur quotidien, où malgré la dureté de leur vie, ils savent prendre du bon temps, s’accrochant pour certains à un rêve même s’il sont conscients que leur espérance de vie est courte et se consume plus vite qu’une cigarette.

La plume stylée de Caryl Férey, toujours engagée et pleine d’humanité nous offre un récit dense, intense où malgré la noirceur de l’histoire les aurores boréales illuminent le cœur de chaque personnage lié à cette histoire. Un magnifique hommage à cette jeunesse Russe qui a croisé sa route dont on comprend qu’il en revienne bouleversé avec une folle envie de les coucher sur papier pour ne jamais les oublier.

Une fois de plus il revient de l’enfer avec dans ses bagages de nouveaux souvenirs, de nouveaux amis, de nouvelles anecdotes et un nouveau roman noir stupéfiant qui m’a fait verser quelques larmes tant les émotions sont fortes.

Il entre dans l’Arène, toujours fidèle à Aurélie Masson, et nous offre un spectacle glaçant qui le conduit pourtant au sommet de son art.

Fidèle je suis, fidèle je resterai.

Pour info :

Caryl Férey écrit des romans noirs dont l’action se situe le plus souvent à l’étranger ainsi qu’une série consacrée à l’enquêteur borgne Mc Cash. Breton de cœur, vivant à Paris, il écrit aussi pour la musique, le cinéma, la radio, le théâtre, la jeunesse et participe à des revues de voyage.

Je remercie Les Arènes pour virée glaciale qui pourtant réchauffe le cœur.

Cimetière d’étoiles

Cimetière d’étoiles de Richard Morgiēve aux Éditions Joëlle Losfeld

“ Ray Charles chantait : I Can’t Stop Loving You. Des conneries de nègre qui ne voyait que dalle. Il faisait plutôt froid, l’air était sec et râpait les poumons. Arrivé par ici, on rêvait vite de grenouilles et de pluie – peu de temps après, on ne pensait qu’à se barrer. El Paso, ce n’était qu’une ville fantôme avec des gens encore vivant piégés dedans. Vivre à El Paso, c’était une punition. ”

El Paso, guère accueillante cette ville du Texas, c’est d’ailleurs ici qu’un serial killer surnommé Le Dindon officiait il y a une huitaine d’année. Vivre par ici peut s’avérer périlleux, voir mortel, il n’est donc pas surprenant d’y retrouver le corps d’un marine sans vie.

Et bien sûr, les meilleurs lieutenants de police de la ville, Rollie Fletcher et Will Drake se retrouvent sur l’affaire.

“ ( Ce que les gens oubliaient, y compris les spécialistes en criminologie, c’était que dans toute affaire criminelle, il y avait du comique, du dérisoire. Fletcher et Drake, eux ne l’oubliaient pas car ils avaient conscience d’être des bouffons et de mener une vie de bouffons. Ils croyaient savoir qu’ils ne se feraient jamais avoir par le tragique, qu’ils crèveraient en pitres, le cœur sale et l’amertume aux coins de leurs sourires étoilés… On verrait bien.) ”

Ils traînent une sacré réputation, c’est clair, mais ils sont tenaces ces deux-là même si parfois ils ont tendance à utiliser des substances illicites et à remplir les cimetières plus vite que les croques-morts. Et c’est à bord de leur Cercueil qu’ils poursuivent les criminels.

“ Certains les appelaient lui et Drake, « Les morts–vivants ». Personne ne les appelait « Les braves types » ou « Les bons vivants ». On avait ce qu’on méritait. Il n’y avait pas d’injustice. ”

Même si c’est discutable, ils ont leurs méthodes pour obtenir des résultats et toujours avec humour, alors même si on est loin d’Hollywood, ils risquent de laisser dans leur sillage, une pluie d’étoiles mortes.

“ Fletcher et Drake trouvaient naturel qu’on aime pas les flics. Eux ne s’aimaient pas. Quand aux autres flics, ils pouvaient tous crever. ”

Ce que j’en dis :

Cimetière d’étoiles, c’est tout à fait le genre de livre que tu n’as pas envie de finir mais que tu ne peux pas t’empêcher de dévorer puisque dès les premières pages t’es déjà complètement accro. En même temps c’était à prévoir, le Cherokee, précédent roman de l’auteur t’avait déjà fait cet effet. (Ma chronique ici)

Quand t’es comme moi accro à certaines séries policières assez borderlines où les flics n’ont pas peur de sortir des limites imposées par leur hiérarchie et le règlement pour obtenir des résultats, tu ne peux que tomber sous le charme de ce duo déjanté. Que ce soit l’albinos qui philosophe à longueur de journée nous faisant partager ses pensées ou son collègue et son répertoire musical et cinématographique, il y a de la culture entre ses deux-là, même si à première vue, ça crève pas les yeux.

Le casting qui les accompagne est plutôt corsé dans le genre dérangé.

“ Par ici à El Paso, les gens se faisaient tellement chier qu’ils cancanaient un peu plus que partout ailleurs, trouvaient des surnoms aux gens et aux choses pour meubler leur ennui, distraire le temps. ”

Les personnages se suivent, se bousculent au portillon d’El Paso. On y croisera hélas, tôt ou tard “ Le Dindon ” ce serial killer qui avait déjà fait parler de lui dans Le Cherokee, mais aussi Burt, Le Lama, accompagné de son pote El Gnono, un nain armurier, Le Fisc, Henry “ le dépiauteur ” mais aussi deux autres flics du FBI, surnommés “ Les Aspirateurs ” clin d’œil à HOOVER.

De quoi vous faire passer de sacré moment de rigolade où même l’amour pointera le bout de son nez au milieu de cette enquête où les cadavres tombent comme des mouches.

Richard Morgiève possède une verve extraordinaire, un humour caustique qui ferait pâlir certains scénaristes qui ne lui arrivent pas à la cheville, un style unique, où tu te surprends à sourire malgré la noirceur de l’histoire ou la dureté de certaines scènes.

– […] Mens pas… Raconte dans l’ordre sinon je t’arrache une dent… Souris, que je choisisse laquelle.

Est-ce un western, un polar, un roman noir ? un peu tout ça en fait. C’est pas américain et pourtant c’est tout aussi bon.

T’as à peine terminé, que t’as juste envie de rembobiner l’histoire et de te te refaire une deuxième séance, histoire de voir si t’as pas oublié un truc en route et retrouver ces deux vautours pour une nouvelle chevauchée fantastique, car dans cette ambiance poussiéreuse et déglinguée c’était pas toujours simple de les suivre.

Je pourrais poursuivre les éloges pour te convaincre ou pointer Le tueur sur ta tête pour te pousser à filer en librairie, et t’acheter ce Cimetière d’étoiles, mais je te fais confiance, car toi aussi t’as besoin de te changer les idées avec une bonne dose d’encre noire, alors n’attend pas le couvre-feu, fonce chez ton dealer.

Pour info :

Richard Morgiève est un écrivain et scénariste français.

Deux drames marquent très tôt sa vie, et de façon définitive, le décès de sa mère lorsqu’il avait sept ans et le suicide de son père six ans plus tard.
Rendu à lui-même dès sa majorité, il vit de petits travaux en tous genres, dont déménageur de caves et d’appartements abandonnés, métier qu’il exercera jusqu’à 29 ans : libre au volant de sa camionnette avec Marie-Jo et la bande…
Cependant les mots de ne jamais le quitter, depuis l’enfance ils tournent en lui et l’écriture le sauve. En 1970 paraît un premier recueil de poésie à compte d’auteur, mais écœuré par ce système ( payer pour se lire ) il se jure de ne plus écrire avant 10 ans. En 1980 il a arrêté son travail de déménageur et publie Allez les Verts. Depuis il n’a cessé d’écrire, comme romancier, scénariste, dialoguiste pour le cinéma et la TV, avec notamment l’adaptation de son roman Fausto.

Je remercie les Éditions Joëlle Losfeld pour ce western contemporain de haut vol ♥️

Manger Bambi

Manger Bambi de Caroline De Mulder aux Éditions Gallimard / La Noire

“ Les miroirs de l’ascenseur les montrent en pied, le maquillage à peine entamé, intactes quasiment, et d’humeur joyeuse. La ravissante, c’est Hilda, Bambi pour son créa. Bambi à cause de ses yeux doux et de sa charpente légère, tout en pattes. Elle est en slim et top serré sur un torse sec, et gueule d’enfant grimée. La blonde, c’est Leïla, qui a les cheveux noirs et perd dix centimètres en arrachant sa perruque comme si c’était le scalp de l’ennemi. […] ”

Qu’est-ce qui peut bien pousser une jeune fille qui n’a même pas encore fêté ses seize ans, à rencontrer des papas gâteaux dans des chambres d’hôtel ? Est-elle pleine de vices, cherche t’elle juste à se sortir de la misère ou a-t-elle des comptes à régler avec la gente masculine ? Toujours est-il qu’avec ses copines, elles jouent avec le feu tout en s’en mettant plein les poches aux passages en dépouillant ces vieux vice lards pêchés sur le net.

[…] À part ça, la life me bousille, ouais, la vie est une pute et on a même pas la thunes pour l’acheter. »

Sous ses grands yeux qui laissent parfois couler quelques larmes si c’est nécessaire se cache une violence extrême qu’elle laisse échapper lorsqu’on lui refuse ce qu’elle veut.

« C’est pas de notre faute. On est des proies faciles et tout le monde en abuse. »

De retour à la maison il faut supporter “ Nounours ” le nouveau mec de sa mère. Sous prétexte qu’il allonge les biftons et permet à sa mère de s’alcooliser jusqu’à plus soif il faudrait être très gentille avec lui, vraiment très gentille.

Mais même pour faire plaisir à sa mère Bambi n’est pas prête à s’offrir sur un plateau.

Chaque jour tout peut basculer et l’empêcher de parvenir à fêter son seizième anniversaire.

Il est temps de balancer ce porc loin de sa vie…

Ce que j’en dis :

Ne vous fiez pas au titre, vous êtes bien loin d’un conte de fée, ici Bambi n’a rien d’une petite fille protégée par sa mère des vilains prédateurs, bien au contraire.

Caroline De Mulder nous offre une histoire démoniaque où la violence des jeunes filles fait froid dans le dos, étant généralement promulguée par des hommes.

Dans un style très évocateur, assez trash, utilisant même l’argot de la jeunesse qu’il n’est pas toujours simple à comprendre mais qui colle parfaitement à la sauvagerie de ces gamines, ce roman noir nous plonge dans la vie de Bambi devenue elle même une prédatrice pour tenter d’effacer sa souffrance. Auprès d’une mère défaillante, un père absent, son univers est parti en live et sa survie ne tient plus qu’à un fil, un dérapage est si vite arrivé…

La série noire peut s’enorgueillir de toujours nous offrir de magnifiques plumes, où la noirceur rayonne dans toute sa splendeur.

Manger Bambi ne fait pas exception, bien au contraire, n’hésitez pas à le dévorer.

Pour info :

Caroline de Mulder, née à Gand en 1976, est un écrivain belge de langue française. Elle réside à la fois à Paris et à Namur où elle est chargée de plusieurs cours de littérature aux Facultés Notre- Dame de la Paix.

Élevée en Néerlandais par ses parents, elle alterne ensuite des études en français et en néerlandais, primaires à Mouscron, secondaire à Courtrai, philologie romane à Namur, puis à Gand et enfin à Paris.

L’auteur qui aime dire avoir deux langues maternelles, a donc appris à écrire en néerlandais et à lire en français.

En 2010 , son premier roman « Ego Tango » (consacré au milieu du tango parisien, milieu qu’elle a elle même fréquenté assidûment), lui vaut d’être sélectionnée avec 4 autres écrivains pour la finale du prix Rossel. Elle est la cadette de la sélection et remporte le prix.

Elle publie en 2012 un premier essai : « Libido sciendi : Le Savant, le Désir, la Femme », aux éditions du Seuil. La même année, elle publie également un second roman (« Nous les bêtes traquées », aux éditions Champ Vallon) lors de la rentrée littéraire.

Chez Actes Sud, elle punlie, en 2014, « Bye Bye Elvis » et, en 2017, « Calcaires ».

Je remercie les Éditions Gallimard pour cette virée habillée de noirceur.

Se cacher pour l’hiver

Se cacher pour l’hiver de Sarah St Vincent aux Éditions Delcourt

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Eric Moreau

Se cacher pour l’hiver, qui n’en rêverait pas en ce moment pour de multiples raisons, même isolé au bout du monde.

Kahtleen vit depuis quelques temps déjà dans ce coin perdu de Pennsylvanie, au cœur d’un parc naturel, sur le sentier des Appalaches.

Les beaux endroits c’est comme partout ailleurs. On y souffre quand même. ”

Elle s’occupe du snack où s’arrêtent parfois les gens des randonneurs.

Elle n’est donc pas surprise quand elle voit apparaître cet étranger dans le paysage, en dehors de son drôle d’accent et de son allure peu adaptée à la randonnée.

Le croyant de passage, elle commence à s’interroger au bout de quelques jours, ne le voyant pas reprendre la route.

Apparemment cet homme semble se cacher.

Vivant reclus depuis un moment avec sa part de traumatisme à surmonter, elle est d’autant plus amène à le comprendre. Sortant chacun de leur réserve, une amitié prends forme et jour après jour chacun se délivre.

Mais dans le silence apaisant de l’hiver le danger se rapproche…

Je comprenais la peur panique, surtout la peur ancrée dans le passé et donc beaucoup plus coriace.

Ce que je comprenais plus que tout, c’était le désir de se couper du monde.

“ J’ai pourtant fini par perdre patience. Quoi que cet homme très étrange soit venu faire ici, croyait-il vraiment qu’il pourrait resté caché à tout jamais dans un trou perdu au fin fond de la Pennsylvanie ? Ce n’était pas réaliste. Il était plus intelligent que ça – et moi aussi ”

Ce que j’en dis :

Certains livres ont le pouvoir de vous embarquer dès les premières pages vers une aventure hors du commun et donne une folle envie de Se cacher pour l’hiver, pour les savourer.

Se cacher pour l’hiver comme Kathleen et Daniil nos deux personnages qui hantent les pages de cette histoire.

Se dévoilant peu à peu l’un à l’autre, nos deux écorchés, blessés physiquement et psychologiquement tentent de s’apprivoiser nous livrant peu à peu leurs blessures et leurs secrets par petites touches comme lorsque le printemps libère l’hiver de ses paysages enneigés avec l’espoir de voir renaître des jours meilleurs.

Avec douceur et subtilité malgré la violence des faits, l’auteure Sarah St Vincent aborde la violence conjugale, la culpabilité et l’espoir du pardon par la rédemption.

Une histoire tragique portée par une plume magnifique qui sied à ravir à ce décors hivernale des Blue Ridge Mountains où nos deux âmes perdues s’apprivoisent, s’entraident malgré la noirceur qui les habitent.

Un magnifique premier roman qui donnent vies à des personnages inoubliables dans une ambiance sous tension où l’intrigue se libère au fil des pages, pour que la souffrance s’envole et que le soleil illumine enfin leur vie.

Une superbe découverte comme sait nous offrir la maison d’éditions Delcourt.

Pour info :

SARAH ST VINCENT a grandi en Pennsylvanie.

Avocate spécialiste des droits de l’homme, elle s’est investie notamment auprès de victimes de violences domestiques.

Elle travaille aujourd’hui pour l’organisation Human Rights Watch en tant qu’observatrice des politiques et pratiques de sécurité intérieure. Se cacher pour l’hiver est son premier roman.

Rosine une criminelle ordinaire

Rosine une criminelle ordinaire de Sandrine Cohen aux Éditions du Caïman

Tu l’as vue ?

Oui, j’ai demandé l’affaire. Le parquet m’a saisi. J’ai été la voir à l’hôpital. Elle a tué ses filles hier vers vingt heures, le petit ami était là, c’est lui qui a appelé le SAMU et les flics. Elle était en état de choc, d’où l’hospitalisation. Elle dit qu’elle est un monstre, qu’elle ne veut pas d’avocat. Elle ne dit rien d’autre. Elle ne sait pas pourquoi elle a fait ça. Elle veut mourir. Le petit ami venait de lui dire qu’il voulait réfléchir.

Et tu crois qu’il y a quelque chose derrière.

– J’en suis sûr. Regarde.

Qu’est-ce qui peut bien conduire une mère si protectrice et si aimante envers ses deux filles à commettre un telle ignominie.

Clèlia, enquêtrice de personnalités auprès des tribunaux, va tout tenter pour comprendre ce qui a poussé cette femme à cet acte indicible. Cette femme est coupable là n’est pas la question, mais si elle prouve que cette mère peut bénéficier de circonstances atténuantes, sa peine d’emprisonnement pourrait être amoindrie. Clèlia veut comprendre, persuadée que derrière cette histoire tragique se cache un drame enfoui dans les méandres de la mémoire de Rosine, cette mère coupable d’infanticide.

[…] « Qui peut dire avec certitude qu’il connaît tout de lui-même ? Qui peut dire avec certitude qu’il n’est pas une Rosine Delsaux en puissance ? Qui peut dire avec certitude qu’il n’est pas un criminel ordinaire en puissance ? » De quoi donner des frissons. Et convaincre un jury.

Ce que j’en dis :

Ayant été confronté à un drame aussi tragique dans mon quartier en 2017, (Une jeune femme a mis fin à la vie de ses deux jeunes enfants) j’appréhendais cette lecture, après avoir lu quelques lignes de la quatrième de couverture. Je me souviens encore de la marche blanche qui avait été organisée, en souvenir de ces enfants. Dans l’impossibilité de marcher cette année là, j’avais partagé leurs émotions douloureuses du haut de mon balcon. Il y a quelques semaines, cette femme a été jugée et a écopé de trente années d’emprisonnement.

Bien évidemment, dans ce polar, le drame ne nous est pas épargné, mais l’histoire est centrée sur l’enquête de Clèlia qui tente à démontrer que derrière cet acte se cachent de terribles secrets qui ont conduit cette mère à commettre l’innommable, sans être prémédité mais malheureusement inévitable.

Elle veut comprendre et prouver que Rosine n’est pas la seule responsable, même si rien n’excusera son horrible geste.

Pour elle, seul un traumatisme a pu amener cette femme à tuer ses enfants, elle ira jusqu’au bout pour trouver ce qui a déclenché cette folie meurtrière.

Elle a beau être une enquêtrice hors paire, sa mauvaise réputation liée à son comportement borderline la précède et ne lui facilite pas la tâche, elle n’hésite pas à sortir des limites autorisées pour réussir à prouver que son intuition ne la trompe pas. Si son attitude et son humour au premier degré ne plaisent guère à sa hiérarchie, elles apportent à cette histoire dramatique un peu de légèreté et permet de poursuivre la lecture avec moins d’appréhension car faut bien le reconnaître, elle m’a plus cette nana au caractère bien trempé et je me suis très vite attachée à elle.

Si Rosine, la coupable est une femme ordinaire, ce polar est loin de l’être. Sandrine Cohen nous confronte à l’impensable, donner une deuxième chance à une criminelle en nous prouvant par l’intermédiaire de son enquêtrice qu’elle avait des circonstances atténuantes en nous le démontrant pas après pas en explorant les mécanismes du passage à l’acte.

Contre toutes attentes, ce polar est vraiment une belle découverte, et je suis persuadée qu’il plaira à tous les fan de la série MINDHUNTER.

Ce serait dommage de passer à côté…

Pour info :

Sandrine Cohen est comédienne, scénariste et réalisatrice de fictions et de documentaires.

Passionnée de faits divers, elle a notamment réalisé trois documentaires sur des crimes de proximité, passionnels et familiaux.

Elle s’est intéressée, au-delà du sensationnel au mécanisme du passage à l’acte. Rosine, une criminelle ordinaire est tiré de ces expériences.

Je remercie Olivia et les Éditions du Caïman pour ce polar surprenant terriblement addictif.