“ Les morts de Bear Creek ”

Les morts de Bear Creek de Keith McCafferty aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par Janique-Jouin-de Laurens

” La femelle grizzly n’était pas difficile. Elle avait tenté de déterrer le corps humain plus tôt au cours du printemps, quand la surface de la terre à 2750 mètres d’altitude était aussi dure que l’ardoise d’une table de billard. Ses deux petits n’étaient à l’époque pas plus gros que des ballons de basket poilus. Désormais de la taille de border collies, débordant de la même énergie inépuisable, ils regardaient, le museau frémissant, leur mère extraire le corps décomposé de la terre. Même s’il fallait être généreux pour appeler ça de la chair, une seule bouchée putride valait une douzaine de campagnols montagnards et elle avait le grand avantage de rester immobile. Elle déchira goulûment les lambeaux de vêtements, mettant à nu la peau parcheminée et répugnante… “

Quand Katie Sparrow accompagnée de Lothar, son chien étaient partis à la recherche de Gordon Godfrey porté disparu, elle ne pensait pas tomber sur une tombe en pleine forêt. Cette macabre découverte, révélée grâce un grizzly affamé, va conduire les enquêteurs sur une histoire plutôt surprenante.

Le Shérif Martha Ettinger va demander de l’aide à Sean Stranahan un détective privé de la région. Déjà embauché par un club de pêcheurs excentriques pour retrouver de précieuses mouches de pêche disparues, Sean va vite s’apercevoir qu’il y a un lien entre les deux affaires, impliquant des personnes puissantes de la région.

” Il ne restait qu’à déchiffrer la piste. “

Ce que j’en dis :

Retrouver le Montana et les décors sublimes de l’Ouest américain pour une nouvelle aventure, en compagnie du shérif Martha Ettinger et du détective Sean Stranahan, découverts dans le premier volet : Meurtres sur la Madison (ma chronique ici), c’est comme retrouver une bande de potes pour des vacances pleines de belles surprises.

De nouvelles aventures palpitantes au rendez-vous qui ne manqueront ni d’humour, ni de suspens au cœur d’une nature luxuriante où la faune peut se révéler parfois dangereuse, il est donc fortement conseillé de ne pas oublier son spray au poivre.

Et pour profiter à fond des joies de la pêche toujours se munir d’une bonne canne et de quelques mouches, mais attention aux chasseurs et aux balles perdues.

Keith McCafferty nous fait cadeau d’un dépaysement extraordinaire grandeur nature à travers une histoire captivante et nous en mets plein les yeux avec le charme de cette région et des personnages fascinants.

On referme ce livre avec regret mais impatient de retrouver cet endroit et ses habitants pour une nouvelle aventure tout aussi divertissante.

Une fois encore l’auteur a fait mouche et m’a prise dans ses filets sans jamais me perdre en route, le livre dans une main et l’autre bien accrochée à un spray anti- grizzly, on ne sait jamais l’humour féroce peut parfois prendre une autre apparence…

Surtout n’hésitez pas à vous aventurer entre ses pages, merveilleusement distrayantes.

Pour info :

Keith McCafferty a grandi dans la region d’Amérique pauvre et peu peuplée des Appalaches, un pays de sombres vallons et de ténébreuses superstitions, avec la forêt qui poussait derrière sa maison. Sa première source de fascination fut les serpents, avec ou sans crochets, mais ce fut le projet de pêcher la truite qui l’emmena dans le Montana, dans les Rocheuses, où il devint le rédacteur du magazine de vie au grand air Field & Stream. L’une de ses missions consistait à passer deux nuits d’hiver en montagne, par très basse temperature, sans feu. Il survécut à la première en creusant le sol tel un ours, à la seconde en s’enveloppant dans une bâche. Répondant à un besoin naturel, il pissa malencontreusement sur la bâche et, allongé là, transi et miserable, se dit qu’il devait exister de meilleures façons de gagner sa vie, et que le moment était venu d’écrire ce roman qu’il avait toujours voulu écrire. C’était il y a sept hivers, et sept romans, dont la plupart se situent le long de la fameuse Madison River. Le Montana pouvant s’avérer un peu désert, il écrit souvent avec sur les genoux un chat nommé Rhett, ou au café, ou même dans un vieux truck garé près de la rivière, canne à pêche à portée de main. Les jours particulièrement froids, il suivrait bien les pas d’Ernest Hemingway (Keith pêchait souvent avec son fils Jack) pour écrire dans ces super cafés de Paris, remplaçant le chat par une de ces couvertures chaudes qu’on vous propose dans des endroits comme la Terrasse des Archives.

Je remercie les éditions Gallmeister pour cette aventure aussi dépaysante que palpitante.

“ Manhattan chaos ”

Manhattan Chaos de Michaël Mention aux éditions 10/18

“ … et je réalise à quel point c’est la merde. On est huit millions à être plongés dans le noir. Je pense aux hôpitaux, aux gens bloqués dans le métro et les ascenseurs, à mon congélo en train de se vider. Un attentat – cette fois, c’est sûr. C’était prévisible. Le pays pisse sur le monde entier depuis des décennies, alors ses ennemis lui font payer son arrogance et sa CIA. ”

New-York, le 13 juillet 1977 en pleine canicule. À la tombée du jour, c’est le black-out totale. Une coupure de courant générale plonge la ville dans l’obscurité et engendre une véritable panique dans les rues.

Miles Davis est cloîtré chez lui, rongé par la drogue.

“ Car le crépuscule devient nuit et mon impatience, malaise. ”

Cela fait deux ans qu’il a mis fin à sa carrière et qu’il est tombé dans une profonde dépression.

En manque de came, il est contraint de sortir à la recherche d’un dealer. Mais des émeutes ont commencé, libérant pillards et fantômes au cœur de Manhattan.

Miles Davis se retrouve pourchassé, traqué à travers la ville. Accompagné d’un fantôme du passé, il va vivre la pire nuit de sa vie. et devra s’accrocher pour survivre.

Ce que j’en dis :

Voyager dans les rues de New-York en compagnie de Miles Davis est une sacrée expérience, d’autant plus que les années changent d’un moment à l’autre et les rencontres qui accompagnent cette étrange aventure sont surprenantes et parfois assez dangereuses.

Miles Davis est accompagné d’un fantôme, un genre de conscience plutôt farceur qui tente de le réveiller en lui montrant le pire pour tenter de lui faire reprendre la musique.

J’ai vaguement pensé à l’histoire : le drôle de Noël de Scrooge, où trois fantômes lui rendent visite et tentent de le guider hors de sa misère en lui montrant son passé, son présent et son futur.

Michael Mention nous offre un roman percutant, chargé d’Histoires du passé qui agissent sur Miles Davis comme un électrochoc pour lui redonner envie de vivre.

En se basant sur des éléments biographiques, l’auteur nous propose un moment de la vie d’un homme sous l’emprise de la drogue qui aurait très bien pu vivre ce genre d’expérience un soir en plein délire.

Un récit qui claque, qui surprend, parfois glaçant mais également Jazzy, il va vous accrocher jusqu’au show final, le moment où les lumières se rallument et la star fait son retour sur scène

Pour info :

Michaël Mention est né en 1979. Enfant, il se passionne pour le dessin. Adolescent, il réalise plusieurs bandes dessinées.

Étudiant, il intègre un atelier d’écriture et rédige des chroniques satiriques, avant d’écrire son premier roman.

Passionné de rock et d’histoire, il accède à la reconnaissance avec sa trilogie policière consacrée à l’Angleterre, récompensée par le Grand Prix du roman noir au festival international de Beaune en 2013 et le Prix Transfugemeilleur espoir polar en 2015.

Son roman Power (Stéphane Marsan, 2018) a reçu le Grand Prix au Festival Sans Nom de Mulhouse en 2018.

Je remercie les Éditions Pocket pour cette virée New-yorkaise unique.

“ Train d’enfer ”

Train d’enfer de Trevor Ferguson aux Éditions 10/18

Traduit de l’anglais (Canada) par Ivan Steenhout

Martin Bishop 16 ans, vient de perdre son père. La banque a saisi la ferme et son frère et sa sœur plus jeunes ont été envoyés séparément chez des membres de la famille.

De son côté, il part travailler auprès d’une gang qui construit une ligne de chemin de fer, au cœur de là taïga canadienne. Il est là pour contrôler, noter les heures de travail de ces ouvriers, une équipe minable composée de déchets de la société. des ivrognes, des fous, des criminels, tous rejetés de la ville.

Il va très vite s’apercevoir de certaines malversations du contremaître en chef, et tenter de lui tenir tête malgré son jeune âge.

” Le monde était un lieu difficile. Son père l’en avait averti et le jeune s’était convaincu qu’il était fait pour se mesurer au monde mais cela s’était passé en un autre temps et en un autre lieu. “

Son obstination va le mettre en danger, il va se retrouver banni du groupe pour cause de rébellion et sera contraint à rejoindre la horde sauvage, ” les craqués“, d’autres exclus qui survivent dans la forêt. Il entreprendra avec eux une fuite jusqu’à l’ultime confrontation.

Ce que j’en dis :

Bien évidemment en dehors des expressions canadiennes que j’ai pris grand plaisir à retrouver (un lexique à la fin du livre rendra bien service aux novices) j’ai pensé aux romans de Cormac McCarthy dans la même lignée que celui-ci.

Une véritable épopée sauvage, où les hommes, aux allures bestiales sont prêts à tout pour garder les privilèges qu’ils se sont accordés.

On ne peut qu’admirer le courage de ce jeune garçon de seize ans qui se rebelle contre l’injustice au péril de sa vie face à ses bêtes sauvages.

Porté par un souffle extraordinaire, ce roman de caractère vous emportera au cœur de la noirceur de l’âme humaine, pas loin des portes de l’enfer.

C’est violent, ça glace le sang et déchire le cœur, une véritable pépite de la littérature américaine à découvrir absolument.

Ce roman a été adapté au cinéma sous le titre L’heure de vérité. Un film de Louis Bélanger, bande-annonce à découvrir ici, histoire de vous mettre dans l’ambiance.

Pour info :

Né en 1947 en Ontario, Trevor Ferguson arrive à Montréal à l’âge de trois ans, plus précisément dans le quartier multiethnique de Parc-Extension où aboutiront à leur tour plusieurs de ses personnages.

Il est l’auteur de plusieurs romans, traduits en français aux Éditions de la Pleine Lune dont : La Vie aventureuse d’un drôle de moineau, Onyx John, Train d’enfer, La Ligne de feu, Le Kinkajou et Sous l’aile du Corbeau.

Il est également l’auteur de plusieurs pièces de théâtre et a publié des thrillers sous le pseudonyme de John Farrow.

Trevor Ferguson vit actuellement à Montréal et se consacre entièrement à l’écriture.

Je remercie les Éditions 10/18 pour ce roman noir qui conduit ces hommes sur le chemin de l’enfer.

“ Heartland au cœur de la pauvreté dans le pays le plus riche du monde ”

Heartland au cœur de la pauvreté dans le pays le plus riche du monde

De Sarah Smarsh aux Éditions Christian Bourgeois

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Hélène Borraz

” Quand j’étais jeune, les États-Unis s’étaient persuadés que les classes sociales n’existaient pas ici. Je ne suis même pas sûre d’avoir rencontré le concept avant d’avoir lu un vieux roman anglais au lycée. Ce manque de reconnaissance tout à la fois invalidait ce que nous vivions et nous montrait du doigt si nous essayons de l’exprimer. Les classes sociales n’étaient pas abordées, et encore moins comprises. Ce qui veut dire que, pour un enfant de mon tempérament – qui avait tendance à fouiller tous les secrets de famille, à fouiner dans les placards à la recherche d’indices sur les gens mystérieux que j’aimais –, chaque journée était doucement empreinte de frustration. Le sentiment qui a défini mon enfance a été de m’entendre dire qu’il n’y avait pas de problème alors que je savais fichtrement qu’il y en avait un. “

Sarah Smarsh a grandi dans une ferme du Kansas entre 1980 et 1990. À travers les portraits saisissants qu’elle brosse de sa famille, elle nous offre un récit autobiographique sur les oubliés de l’Amérique, ceux dont on ne parle pas et que l’on croise seulement dans certains livres comme ceux de Faulkner.

En s’adressant à sa fille qu’elle n’a pas eu par choix, elle se libère de tout le poids de cette pauvreté et brise la chaîne de cet héritage transmis d’une génération à l’autre comme une maladie génétique.

Ta présence dans ma vie m’a à la fois aidé et causé du souci. Déjà quand j’étais au collège, je savais que l’esprit que je sentais auprès de moi serait ma perte ou ma rédemption – que tu serais soit un destin non voulu pleurant dans mes bras, soit un schéma rompu par ma seule volonté. (…) je suis reconnaissante pour les premières années de ma vie mais je ne les souhaiterais à aucun enfant. “

Son vécu lui permet une analyse parfaite, précise sur la vie de ces travailleurs pauvres, et sur les difficultés de survivre dans de telles conditions au cœur d’un pays le plus riche du monde sans être gagné par la honte.

Si jeune et déjà très lucide, sans pour autant renier ses origines, elle poursuivra ses études jusqu’à devenir journaliste. Un métier qui lui permettra d’aborder les questions économiques et sociales à travers des articles publiés dans le Guardian et le New-York Times, et aborder également toutes les inégalités économiques entre les différentes classes sociales.

Un sujet qui lui tient à cœur et qu’elle retranscrit magnifiquement avec beaucoup de compassion et de clarté dans ce premier livre Heartland qu’elle nous offre après quinze ans de dur labeur.

Un récit nécessaire face à cette Amérique qui oublie un peu trop facilement la classe ouvrière « pauvre“…

” Ce n’était pas que j’avais eu tort de me méfier des programmes gouvernementaux, j’ai soudain pris conscience, mais que j’avais eu tort de croire au rêve américain. C’était les deux faces d’une même pièce de monnaie truquée – l’une promettant une bonne vie en échange de votre travail et l’autre qui vous maintenait juste assez en vie pour que vous continuiez de travailler. “

Ce que j’en dis aussi plus personnellement :

Issue moi-même de la classe ouvrière, ayant subit de plein fouet la dictature d’une prof de français qui a mis fin à mon rêve de devenir professeur de français en me disant : Mlle, vous êtes fille d’ouvrier, vous serez ouvrière ! Je ne pouvais qu’être touché par ce récit même si je suis loin d’avoir vécu le même parcours que Sarah Smarsh. Mais il est clair que ce soit, en France, en Amérique ou ailleurs, chaque jour la classe moyenne travaille plus pour gagner moins et que l’on se trouve n’importe où dans le monde, il ne fait pas bon d’être pauvre…

Pour info :

Sarah Smarsh a couvert, comme journaliste, les questions socio-économiques, la politique et les politiques publiques pour, entre autres, le Guardian, le New York Times, le Texas Observer et le Pacific Standard.

Récemment récipiendaire d’une bourse Joan Shorenstein à la Kennedy School of Government de l’université Harvard et anciennement professeur d’écriture de non-fiction, Sarah Smarsh est souvent appelée à parler des inégalités économiques et de leur traitement par les médias.

Elle vit au Kansas. 

Heartland est son premier livre.

Je remercie les Éditions Christian Bourgeois pour m’avoir permis de découvrir le récit et le travail extraordinaire de cette auteure qui défend les minorités.

“ Le grand silence ”

Le grand silence de Jennifer Haigh aux Éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par Janique Jouin-de-Laurens

 » La plupart d’entre vous sont maintenant au courant de ce qui est arrivé à mon frère, ou du moins d’une version de l’histoire : les événements dramatiques du printemps et de l’été, l’accusation ignoble, unique et toujours sans preuve qui a ruiné sa vie. À Philadelphie, où je vis, son histoire s’est retrouvée enfouie au milieu des pages nationales, un paragraphe laconique tiré d’une agence de presse, ne donnant guère plus que son nom, Arthur Breen ; (…) Les journaux de Boston s’y sont davantage intéressés, fouillant dans son passé, ses années de séminaire, le séjour à Rome, les trois paroisses de banlieue dans laquelle il avait officié sans le moindre incident. Comme il est d’usage dans ce genre d’affaire, son accusatrice n’était pas nommée. “

En 2002, quand le scandale visant les prêtres de l’Eglise catholique de Boston éclate, Sheila McGann installée à Philadelphie est loin d’imaginer que son frère aîné, Art, se retrouverait également soupçonné d’abus sur un jeune garçon dont il est proche.

Malgré la distance qu’elle avait pris avec sa famille trop étouffante, elle prend la décision de rentrer à Boston, pour défendre son frère dont elle était restée très proche malgré l’éloignement. Mike, leur autre frère, ancien policier est également disposé à découvrir la vérité en menant sa propre enquête.

N’importe quelle rumeur sème le doute dans les esprits de chacun, et bien davantage lorsqu’il est question d’enfants. À travers différents témoignages récoltés pendant les diverses enquêtes, le doute persiste et s’installe créant un climat malsain dans l’entourage de ce curé si dévoué. Il ne sera malheureusement pas épargné.

” L’histoire d’Art est, pour moi, l’histoire de ma propre famille, avec toutes ses dérobades et ses mystérieuses omissions : les secrets non dissimulés longtemps ignorés, les sombres reliques jamais déterrées. Je comprends, aujourd’hui, que la vie de Art a été ruinée par le secret, une tare familiale ; et que j’ai joué un rôle dans sa chute – un rôle mineur, bien sûr, une entrée au troisième acte ; mais un rôle malgré tout. Ça n’apaisera pas mon frère, plus maintenant ; et Aidan Colon est toujours un enfant ; il est trop tôt pour dire ce que lui réserve l’avenir. Alors peut-être est-ce pour moi-même que j’accomplis cet acte public de contrition. Ma pénitence est de raconter tout ce que je sais de cette vérité crue, parfaitement consciente que c’est beaucoup trop peu, beaucoup trop tard. “

Ce que j’en dis :

Pour passionner et captiver les lecteurs avec un sujet aussi sensible sans tomber dans le voyeurisme ou le pathos, il faut un certain talent de conteuse que Jennifer Haigh possède indiscutablement.

En abordant cette histoire à travers la voie de Sheila, la sœur du jeune prêtre, l’auteure nous plonge au cœur d’une famille américaine catholique qui subit de plein fouet les accusations portées sur l’église de Boston et sur leur fils. Une famille qui à elle seule engrange de douloureux secrets.

Une histoire pleine de suspense qui soulèvent en nous de nombreuses interrogations et sème le doute dans notre esprit bien souvent influencé par toutes les rumeurs véhiculées par les médias, qui font de ce prêtre un coupable idéal, mais au final qui détient la vérité en dehors des enfants ?

Le grand silence fait partie des récits inspirés de faits réels qu’on ne peut qu’admirer pour leur clairvoyance puisqu’il dépeint sans jugement une situation dramatique à laquelle hélas beaucoup d’innocents ont été confrontés. Des vies détruites suite à une rumeur, des familles brisées et des enfants innocents pris au piège d’un système qui est censé les protéger.

Une histoire poignante portée par une plume remarquable que je vous recommande vivement.

Pour info :

Jennifer Haigh est née en 1968 à Barnesboro, en Pennsylvanie. Elle étudie en France, se tourne d’abord vers le journalisme avant de tout quitter pour se consacrer à la littérature. Vivant de petits boulots, elle écrit son premier roman et devient élève du prestigieux programme de Creative Writing de l’Université de l’Iowa. Elle est publiée pour la première fois en 2003 et remporte le PEN/ Hemingway Award. Elle est l’auteur de six romans et d’un recueil de nouvelles. Depuis plus de dix ans, son succès aux États-Unis ne se dément pas. Elle vit à Boston.

je remercie les Éditions Gallmeister pour cet extraordinaire roman absolument bouleversant.

“ La vie dont nous rêvions ”

La vie dont nous rêvions de Michelle Sachs aux Éditions Belfond

Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Romain Guillou

” Quelquefois, j’aime bien tracer un message dans la poussière. Ce matin, sans raison particulière, j’ai écris AU SECOURS. “

Depuis que Sam et Merry ont quitté New-York, ils vivent paisiblement avec leur bébé dans un cottage en Suède, tout du moins en apparence…

Loin de l’agitation New-Yorkaise et de toutes ses tentations, les voilà libres de tout oublier et de se réinventer.

Apparemment ils ont laissé derrière eux certains bagages trop encombrants, mais à trop vouloir ressembler à la famille parfaite, ça peut paraître suspect.

” Je crois que ce qui me rend réellement dépendant, ce qui est le plus agréable, c’est la tête qu’elles font quand vous leur avez fait mal. La façon dont elles craquent et se brisent. Dans le fond, même la femme la plus forte est une petite fille qui a désespérément besoin que vous la remarquiez. Elle en a tellement besoin qu’elle fera tout ce que vous lui demandez. Des choses abjectes.

Tu es cruel, Sam.

On me l’a tellement dit. Et c’est toujours aussi bon, bien que je ne puisse pas dire pourquoi. “

Étrangement, ils semblent avoir beaucoup de secrets, l’un et l’autre, mais aussi l’un pour l’autre. Sam tient son rôle de pervers narcissique à la perfection et Merry la femme soumise dans toute sa splendeur et pourtant…

” Tout ton monde est imbriqué dans celui d’une autre; le câble qui vous relie, épais et torsadé, ne craint pas les orages. Moi, toi, nous,on. Deux vies, deux femmes, liées en un poing serré comme les racines d’arbres centenaires, si profondes et emmêlées qu’on ne peut les distinguer – impossible de se débarrasser de l’une sans tuer aussi l’autre. Un peu de toi, un peu de moi. Meilleures amies. “

La venue de Francesca la meilleure amie de Merry risque bien de mettre de l’huile sur le feu, voir pire. Resteront-elles meilleures amies ou deviendront-elles meilleures ennemies ? Et Sam et Merry, résisteront-ils à rester unis pour le meilleur et pour le pire jusqu’à ce que la mort les sépare ?

Derrière ce petit coin de paradis, l’enfer n’est jamais loin, les masques vont tomber et révéler la noirceur des âmes humaines.

Ce que j’en dis :

Pour un premier roman, c’est absolument réussi.

L’histoire s’annonce captivante et envoûtante dès les premières pages et va même surprendre tout du long jusqu’au final. À travers ce thriller psychologique où les personnalités complexes de ce trio se révèlent chapitre après chapitre, on découvre jusqu’où peuvent aller certaines personnes éprises de jalousie qui tentent de s’approprier coûte que coûte la vie des autres. La perversion narcissique fait également partie du scénario, tout comme la soumission et pourtant les apparences sont parfois trompeuses. Tout comme les personnages, on se retrouve manipuler et le choc des révélations n’en n’est que plus intense.

Ce roman est également très sombre, et autant prévenir les âmes sensibles, certains passages sont assez durs, dès qu’il est question de l’enfant.

Amitié toxique, amour possessif, maternité contrariée, isolement, secrets, mensonges, trahison, tous les ingrédients réunis et bien utilisés pour parfaire ce thriller psychologique noir et lui donner une saveur douce, amère et diabolique qui ravira tous les fans du genre.

Une belle découverte et une véritable bonne surprise.

C’est machiavélique, addictif et c’est à glisser dans ses lectures cet été.

Pour info :

Née en 1980, Michelle Sacks a grandi en Afrique du Sud.

Titulaire d’un master de littérature et de cinéma de l’université du Cap, elle a été retenue à deux reprises dans la sélection du Commonwealth Short Story Prize, et dans celle du South African PEN Literary Awards.

Après un recueil de nouvelles, Stone Baby, publié aux Northwestern University Press, La Vie dont nous rêvions est son premier roman.

Elle vit à présent en Suisse.

Je remercie les Éditions Belfond pour cette lecture diaboliquement addictive.

“ Stoneburner ”

Stoneburner de William Gay aux Éditions Gallimard  » La Noire “

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean–Paul Gratias

” Les événements commençaient à prendre un peu de sens, et il eut soudain l’impression qu’il s’était fourré jusqu’au cou dans un bourbier sans nom, qu’il s’était lancé dans une aventure qui le dépassait. Une fois de plus, il avait signé un contrat sans lire les clauses imprimées en petits caractères, et l’envie lui vint de dévaler l’escalier de la tourelle et de regagner Ackerman’s Field le plus vite possible.

Lorsque l’avion entama un virage sur l’aile, Thibodeaux réagit aussitôt. “

Quand l’occasion se présente pour Thibodeaux de ramasser du fric, sans trop d’effort il saute sur l’occasion pour ensuite filer à bord de sa caisse avec une Belle blonde vers de nouveaux horizons.

En prenant la route, il était loin d’imaginer qu’on lancerait à leurs trousses un détective privé nommé : Stoneburner, un vétéran du Vietnam comme lui, une vieille connaissance tout aussi fracassée que lui.

” Je me suis demandé si Thibodeaux pouvait être le Thibodeaux avec qui j’étais parti à la guerre, sans être sûr d’avoir vraiment envie de le savoir. J’avais fait tout mon possible pour effacer Thibodeaux de ma vie et de ma mémoire. Il était lié à beaucoup trop d’événements désagréables, et à un moment, je m’étais dit que lorsque les bagages s’accumulaient en grand nombre, il fallait les jeter dans le fossé, pour réduire la charge. Un poids excessif vous ralentit, et celui qui voyage vite est toujours seul. “

Stoneburner pensait être débarrassée de cette amitié toxique, loin de la civilisation où il venait juste de s’installer en pensant se la couler douce. Il va pourtant accepter de bosser pour Cap Holder, un vieux débauché cynique, ex-shérif du coin, pour tenter de lui ramener la valise de fric et sa blonde sulfureuse en cavale avec le petit caïd qu’il a eu l’occasion de croiser…

” Aussi belle qu’une rivière de Whiskey dans le rêve d’un poivrot. “

Étourdis par tant de frics, nos deux flambeurs peu discrets, sèment les indices sur leur route entre le Tennessee, le Mississippi et l’Arkansas.

Pour Stoneburner et le baron de la drogue fort mécontent d’avoir été roulé, la poursuite s’avère aisée.

Reste plus qu’à leur mettre la main dessus avant que tout l’argent se fasse la malle.

” Thibodeaux était étendu sur le lit, les yeux fermés, les mains sous la nuque. (…) Son espérance de vie s’amenuisait, et il était confronté à une réalité angoissante : celle d’un délinquant fuyant la justice, et qui tentait une fois de plus de maîtriser le chaos, tout en admettant être de connivence avec un monde dont il ne se sentait plus complice. “

Ce que j’en dis :

On peut compter sur LA NOIRE de chez Gallimard pour nous offrir pour son retour, une deuxième parution toute aussi formidable que Le silence brutal de Ron Rash, en nous donnant l’occasion de découvrir enfin un roman noir qui a été écrit entre 2006 et 2007, mais que l’auteur avait préféré ranger dans un tiroir, trouvant celui-ci trop proche, par le ton de celui de son ami Cormac McCarthy : No Country for Old Men.

William Gay hélas disparu, n’aura pas le plaisir de profiter des éloges qui ne manqueront pas de pleuvoir après la lecture de ce récit absolument fabuleux.

Originaire du Tennessee et vétéran du Vietnam, William Gay s’est sans doute servi de son expérience et de son environnement pour écrire ce roman qui met en scène deux vétérans fracassés et une belle garce, un trio infernal qui ne cessera de nous surprendre dans cette cavale qui démarre sous des chapeaux de roues à bord d’une Cadillac.

Aussi captivée par l’histoire que charmée par la plume singulière qui rajoute autant de plaisir à la lecture, ce roman ne manque ni d’humour ni d’originalité.

Une aventure atypique 100% américaine dans une atmosphère sombre et brumeuse qui vous emportera à travers les États-Unis des années 70 en compagnie de deux paumés et d’une bombasse avec un humour féroce et une noirceur poétique.

C’est du grand art, noir et corsé et c’est à découvrir absolument.

Pour info :

Né en 1941 à Hohenwald dans le Tennessee, William Gay a servi quatre ans dans la marine pendant la guerre du Vietnam. De retour au pays, il a repris la charpenterie – son métier – et l’écriture.

Il est l’auteur de nombreuses nouvelles et de six romans. Quatre ont été traduit en France à ce jour, dont La mort au crépuscule (Folio policier), lauréat du Grand Prix de la littérature policière.

Il est mort en 2012 dans sa ville natale.

« Avant d’être considéré comme l’égal de Cormac McCarthy ou de Larry Brown, William Gay était un charpentier qui composait des phrases dans sa tête durant sa journée de travail. » The Washington Post

Je remercie les Éditions Gallimard pour cette cavale à la noirceur délicieuse sur les routes américaine.