Transparence

Transparence de Marc Dugain aux Éditions Folio

Cette façon de voyager dans l’espace aussi bien que dans le temps était d’autant plus pratique qu’elle évitait le contact avec les autres touristes à un moment où le dégel de la Sibérie libérait des bactéries inconnues, puissantes, contagieuses et parfois mortelles. Rester chez soi dans un monde virtuel a donné aux individus un sentiment de liberté totale qu’ils avaient complètement perdu dans le voyage, cette évasion factice, régulée au point que plus aucune spontanéité ne pouvait s’en dégager. Plus les années ont passé, plus le confinement a présenté des avantages. Chez soi, l’air était filtré, on pouvait y pulser de l’oxygène, ce qui n’était pas le cas à l’extérieur où la pureté de l’air avait disparu de la planète entière pour faire place à des compromis plus ou moins toxiques, où les alertes se succédaient, encourageant les gens à ne pas sortir de chez eux et à oxygéner leur habitat. ”

Chers lecteurs, en lisant cet extrait de Transparence de Marc Dugain, vous pourriez presque penser lire un article d’un journal publié récemment, tant ce passage résonne en nous actuellement depuis le début de la pandémie mondiale qui nous oblige à vivre presque cloîtré en attendant les jours meilleurs.

Et pourtant ce roman est sortie en librairie en 2019, mais il prends une toute autre dimension lorsqu’on le découvre en 2021, comme ce fut le cas pour moi.

Évidemment nous sommes dans ce que le jargon littéraire appelle un roman d’anticipation. Et bien c’est justement là où le bas blesse.

Et si Marc Dugain était comme certains auteurs un visionnaire ?

Nous sommes ici en 2060, en pleine révolution numérique où une femme, Cassandre Namara est à la tête d’une entreprise appelée TRANSPARENCE, qui a pour but de récupérer les données personnelles.

Elle s’apprête à commercialiser un programme révolutionnaire baptisé « Endless ». Il serait capable de sauver l’humanité qui est déjà considérablement en danger. Les réserves naturelles s’épuisent, la population a atteint un seuil critique, le chômage ne cesse d’augmenter, sans parler du dérèglement climatique.

“ – Vous avez voulu faire croire à votre foi en Dieu alors que vous ne croyez qu’en l’argent et vous avez entrainé le monde derrière vous dans cette géante hypocrisie. L’hystérie dans laquelle nous a plongés la mondialisation a multiplié la production de produits chimiques par 300 entre 1970 et 2010 par 1000 depuis. Nous avons tellement modifié notre environnement que nous sommes contraints de nous modifier nous-mêmes pour survivre à ce nouvel environnement. ”

Cassandre Namara s’attaque dans un premier temps au géant Google, puis propose l’immortalité, jusqu’à l’arrivée de la police locale qui souhaite l’interroger, la suspectant d’un homicide selon certains témoins.

“ – Ne laissez pas votre imagination vous manger le cerveau, ne vous obstinez pas à savoir pour le moment, l’obsession est mauvaise conseillère, elle déforme volontiers la réalité de son sujet pour mieux s’en nourrir, non, dites-vous simplement que lundi tout vous paraîtra limpide. ”

Il est clair qu’à travers Cassandre Namara, Marc Dugain a de nombreux messages à faire passer, il n’est pas le premier et ne sera pas le dernier à nous offrir une image préoccupante de notre futur.


Et même si ce n’est qu’un roman, il a le mérite de réveiller notre conscience, de nous interroger à travers cette intrigue captivante, avec une fin à la hauteur du roman aussi explosive que surprenante.

Si comme moi vous aviez reporté ou raté sa sortie en grand format, le format poche est dorénavant disponible, et c’est justement maintenant qu’il est quasiment indispensable de le découvrir.


Ça se lit comme un thriller mais c’est bien plus intelligent, bien plus percutant, et c’est sous la plume d’un auteur qui nous embarque vers une histoire où la fiction rejoint la réalité dans un style vif presque terrifiant, une image tellement réaliste de notre monde.

Pour info :

Marc Dugain est né le 3 mai 1957 au Sénégal.
Après avoir vécu les sept premières années de sa vie au Sénégal, Marc Dugain revient en France avec ses parents. Il intègre quelque temps plus tard l’Institut d’études politiques de Grenoble, où il étudie les sciences politiques et la finance, avant de prendre la tête d’une compagnie d’aviation.
À 35 ans, il écrit son premier roman, La Chambre des officiers (1998), primé vingt fois (prix Nimier, prix des Libraires, prix des Deux-Magots…) et adapté au cinéma.
Il sort ensuite Campagne anglaise, Heureux comme dieu en France, La Malédiction d’Edgar, Une exécution ordinaire (2007), L’insomnie des étoiles (2010) et plus récemment L’Avenue des géants(2013), et se constitue peu à peu un lectorat fidèle.
Friand d’horizons lointains, Marc Dugain vit au Maroc depuis 2001.
Le prix du Roman-News, qui récompense une oeuvre de fiction inspirée de l’actualité, vient couronner en 2014 L’Emprise de Marc Dugain. Il sortira L’Emprise 2 : Quinquennat en 2015 et L’Emprise 3 : Ultime partie en 2017. La même année, il publie le roman Ils vont tuer Robert Kennedy aux éditions Gallimard.

Je remercie les Éditions Gallimard pour ce roman coup de poing.

“ Little Rock 1957 ”

Little Rock 1957 de Thomas Snégaroff aux Éditions 10/18

” Sur les affiches et dans les gorges déployées, des messages de haine : « Nègre, reste dehors ! », « Nous ne voulons pas de nègre ! », « Ceci est une école blanche ». Un manifestant, venu avec un bébé alligator, menaçait tout Africain-Américain qui pénétrait dans le campus de lui servir de proie. Pendant la manifestation, les Blancs pendirent trois nouveaux mannequins de paille noircie, l’un au-dessus de la porte principale du lycée, les autres sur de hauts mâts qui servaient théoriquement au lever du drapeau le matin. Les commerçants avaient baissé leur rideau en signe de soutien à la ségrégation et des miliciens contrôlaient en voiture l’accès de la ville. “

Le 4 septembre 1957 à Little Rock en Arkansas, ce qui aurait dû être un jour de fête pour ces neuf jeunes noirs enfin inscrits au lycée des Blancs, se transforme en véritable cauchemar. Ce jour devait pourtant être la fin de la ségrégation scolaire, mais hélas beaucoup en ont décidé autrement, en commençant par les élèves blancs.

Chaque jour, ils devront faire face au racisme, à un déchaînement de violence à leurs égards, à des insultes en tout genre, sans jamais pouvoir répondre aux provocations sous peine d’être renvoyés.

Mais le combat pour l’intégration ne fait que commencer, et déclenche une guerre politique qui risque d’ébranler l’Amérique.

Les Neuf de Little Rock entrent dans L’Histoire, mais à quel prix ?

” Je rêve d’un monde où l’homme

Ne méprisera plus son semblable,

Où l’amour réchauffera la terre,

Je rêve d’un monde où tous les hommes

Connaîtront les douces voix de la liberté.

Et où la cupidité ne ternit plus nos jours.

Monde des rêves, où Noirs et Blancs,

Sans se préoccuper de leur race,

Se partageront les dons de la terre.

Où tous les hommes sont libres

Et où la joie, perle éclatante,

Pourvoit aux besoins de toute l’humanité.

C’est d’un tel monde que je rêve.

Notre monde ! “

Poème africain-américain de Langston Hugues

Ce que j’en dis :

Présenté comme un roman, Thomas Snégaroff nous livre un événement historique à travers ce récit aussi passionnant que révoltant.

Un formidable travail de recherche de l’auteur donne à cette histoire une multitude de détails très enrichissants pour les lecteurs. Il se rapproche au plus près et au plus juste de ce terrible événement et revient également sur le passé et nous montre à quel point ces jeunes noirs étaient endoctrinés à toujours se soumettre, et à baisser la tête sans faire de vague.

” Un sentiment de honte s’était emparé de la petite fille : elle avait forcément fait quelque chose de mal pour déclencher une telle fureur chez un adulte. Et dans l’esprit de la petite fille se nicha un poison qui s’était infiltré dans de si nombreuses têtes d’enfants noirs. Que devenir blanc était un rêve. Que la couleur sombre de la peau était un indicible fardeau. “

Des inégalités sociales et raciales toujours présentes dans ce pays et ce n’est pas Trump qui va aider aux changements…

Thomas Snégaroff nous offre un récit bouleversant, remarquable qui mériterait sa place dans les programmes scolaires.

Une belle leçon de courage et une admiration sans bornes pour ces jeunes noirs qui méritaient leurs places sur les bancs des lycées  » Blancs « …

À découvrir absolument.

Pour info :

Thomas Snégaroff est historien et journaliste chez France Info où il anime l’émission « Histoires d’Info ».

Je remercie les éditions 10/18 pour ces pages d’Histoire passionnantes et terriblement bouleversantes.

La fourrure blanche

La fourrure blanche de Jardine Libaire aux Éditions Pocket

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Barbaste

” – Comment s’appelle-t-il ?

– Jamey

– Où vous êtes-vous rencontrés ? (…)

– À New Haven. On était voisins. Ce qui est marrant parce qu’on vient vraiment de deux planètes différentes.

– De laquelle vient-il ?

Elise hausse les épaules. Buck s’est allongé à ses pieds et elle lui frictionne le ventre des orteils.

– Celle du fric. Il vient d’une famille super classe.

– La classe, tu n’en manques pas, ma petite. “

Elise a beau venir d’un Ghetto, elle n’en demeure pas moins sexy même si elle manque un peu de classe avec son petit côté vulgaire. Elle a quitté sa famille et vit en colocation avec son pote Robbie, un gay qui multiplie les aventures amoureuses. Dans la maison voisine habitent deux étudiants de Yale. Elise tombe amoureuse de l’un des deux et très vite, contre toute attente, ils deviennent inséparables.

” Il y a chez Elise une absence de fioritures, une pureté de lignes, réduites à leur plus simple expression, comme une épave de voiture qui a été dépecée et vendue pièce par pièce. Le parfum qu’elle portait le soir du dîner sentait le shampoing pour moquettes. Ce qu’elle lui a fait relève du vaudou. “

Jamey est issu d’une famille de banquiers renommés. Une famille qui va tout mettre en œuvre pour mettre fin à cette mascarade.

Les saisons se suivent, leur passion vire à l’obsession, mais parviendront-ils à garder intact le feu de l’amour qui brûle en eux, face à tous ceux qui tentent de l’éteindre ?

Ce que j’en dis :

Quand tu ne lis pas les quatrième de couverture, tu peux t’attendre à certaines surprises, comme découvrir que tu t’apprête à lire l’histoire d’un amour impossible qui donne déjà à travers le premier chapitre une entrée en matière surprenante et très prometteuse.

Ce n’est pourtant pas ta came, mais dès les premières pages, tu te retrouves captivée par l’écriture fabuleusement envoûtante.

Deux êtres que tout oppose, issus de classes sociales différentes de même que leurs origines raciales, vont se retrouver piéger par la même passion dévorante l’un envers l’autre, prêts à vivre un amour enragé, bercé par une folie douce et même parfois furieuse. Chacun se retrouve face aux préjugés de leurs familles et de leurs amis qui les amèneront à prendre des décisions radicales.

La force de leur amour résistera-t’il à tant de pression ?

Au cœur de New-York où la richesse côtoie la pauvreté, où l’amour flirte avec la haine, il n’est pas surprenant que deux êtres d’origines si différentes s’éprennent l’un de l’autre et se laissent aller à s’aimer, un peu, beaucoup, à la folie…

Pretty woman fait pâle figure dorénavant face à cette histoire aussi surprenante que touchante.

Une belle et grande histoire d’amour, non cousue de fil blanc, intense, féroce, torride, souvent irrévérencieuse, à découvrir absolument.

Un roman magistral, porté par une plume extraordinaire.

Un véritable coup de foudre à la hauteur de cette folle histoire d’amour.

Pour info :

Diplômée d’arts de l’université du Michigan et du Skidmore College, Jardine Libaire vit à Austin, au Texas. 

La Fourrure blanche est son deuxième roman et le premier à être publié à l’étranger. 

je remercie les Éditions Pocket pour cette aventure amoureuse enragée et passionnée.

“ Manhattan chaos ”

Manhattan Chaos de Michaël Mention aux éditions 10/18

“ … et je réalise à quel point c’est la merde. On est huit millions à être plongés dans le noir. Je pense aux hôpitaux, aux gens bloqués dans le métro et les ascenseurs, à mon congélo en train de se vider. Un attentat – cette fois, c’est sûr. C’était prévisible. Le pays pisse sur le monde entier depuis des décennies, alors ses ennemis lui font payer son arrogance et sa CIA. ”

New-York, le 13 juillet 1977 en pleine canicule. À la tombée du jour, c’est le black-out totale. Une coupure de courant générale plonge la ville dans l’obscurité et engendre une véritable panique dans les rues.

Miles Davis est cloîtré chez lui, rongé par la drogue.

“ Car le crépuscule devient nuit et mon impatience, malaise. ”

Cela fait deux ans qu’il a mis fin à sa carrière et qu’il est tombé dans une profonde dépression.

En manque de came, il est contraint de sortir à la recherche d’un dealer. Mais des émeutes ont commencé, libérant pillards et fantômes au cœur de Manhattan.

Miles Davis se retrouve pourchassé, traqué à travers la ville. Accompagné d’un fantôme du passé, il va vivre la pire nuit de sa vie. et devra s’accrocher pour survivre.

Ce que j’en dis :

Voyager dans les rues de New-York en compagnie de Miles Davis est une sacrée expérience, d’autant plus que les années changent d’un moment à l’autre et les rencontres qui accompagnent cette étrange aventure sont surprenantes et parfois assez dangereuses.

Miles Davis est accompagné d’un fantôme, un genre de conscience plutôt farceur qui tente de le réveiller en lui montrant le pire pour tenter de lui faire reprendre la musique.

J’ai vaguement pensé à l’histoire : le drôle de Noël de Scrooge, où trois fantômes lui rendent visite et tentent de le guider hors de sa misère en lui montrant son passé, son présent et son futur.

Michael Mention nous offre un roman percutant, chargé d’Histoires du passé qui agissent sur Miles Davis comme un électrochoc pour lui redonner envie de vivre.

En se basant sur des éléments biographiques, l’auteur nous propose un moment de la vie d’un homme sous l’emprise de la drogue qui aurait très bien pu vivre ce genre d’expérience un soir en plein délire.

Un récit qui claque, qui surprend, parfois glaçant mais également Jazzy, il va vous accrocher jusqu’au show final, le moment où les lumières se rallument et la star fait son retour sur scène

Pour info :

Michaël Mention est né en 1979. Enfant, il se passionne pour le dessin. Adolescent, il réalise plusieurs bandes dessinées.

Étudiant, il intègre un atelier d’écriture et rédige des chroniques satiriques, avant d’écrire son premier roman.

Passionné de rock et d’histoire, il accède à la reconnaissance avec sa trilogie policière consacrée à l’Angleterre, récompensée par le Grand Prix du roman noir au festival international de Beaune en 2013 et le Prix Transfugemeilleur espoir polar en 2015.

Son roman Power (Stéphane Marsan, 2018) a reçu le Grand Prix au Festival Sans Nom de Mulhouse en 2018.

Je remercie les Éditions Pocket pour cette virée New-yorkaise unique.

“ Train d’enfer ”

Train d’enfer de Trevor Ferguson aux Éditions 10/18

Traduit de l’anglais (Canada) par Ivan Steenhout

Martin Bishop 16 ans, vient de perdre son père. La banque a saisi la ferme et son frère et sa sœur plus jeunes ont été envoyés séparément chez des membres de la famille.

De son côté, il part travailler auprès d’une gang qui construit une ligne de chemin de fer, au cœur de là taïga canadienne. Il est là pour contrôler, noter les heures de travail de ces ouvriers, une équipe minable composée de déchets de la société. des ivrognes, des fous, des criminels, tous rejetés de la ville.

Il va très vite s’apercevoir de certaines malversations du contremaître en chef, et tenter de lui tenir tête malgré son jeune âge.

” Le monde était un lieu difficile. Son père l’en avait averti et le jeune s’était convaincu qu’il était fait pour se mesurer au monde mais cela s’était passé en un autre temps et en un autre lieu. “

Son obstination va le mettre en danger, il va se retrouver banni du groupe pour cause de rébellion et sera contraint à rejoindre la horde sauvage, ” les craqués“, d’autres exclus qui survivent dans la forêt. Il entreprendra avec eux une fuite jusqu’à l’ultime confrontation.

Ce que j’en dis :

Bien évidemment en dehors des expressions canadiennes que j’ai pris grand plaisir à retrouver (un lexique à la fin du livre rendra bien service aux novices) j’ai pensé aux romans de Cormac McCarthy dans la même lignée que celui-ci.

Une véritable épopée sauvage, où les hommes, aux allures bestiales sont prêts à tout pour garder les privilèges qu’ils se sont accordés.

On ne peut qu’admirer le courage de ce jeune garçon de seize ans qui se rebelle contre l’injustice au péril de sa vie face à ses bêtes sauvages.

Porté par un souffle extraordinaire, ce roman de caractère vous emportera au cœur de la noirceur de l’âme humaine, pas loin des portes de l’enfer.

C’est violent, ça glace le sang et déchire le cœur, une véritable pépite de la littérature américaine à découvrir absolument.

Ce roman a été adapté au cinéma sous le titre L’heure de vérité. Un film de Louis Bélanger, bande-annonce à découvrir ici, histoire de vous mettre dans l’ambiance.

Pour info :

Né en 1947 en Ontario, Trevor Ferguson arrive à Montréal à l’âge de trois ans, plus précisément dans le quartier multiethnique de Parc-Extension où aboutiront à leur tour plusieurs de ses personnages.

Il est l’auteur de plusieurs romans, traduits en français aux Éditions de la Pleine Lune dont : La Vie aventureuse d’un drôle de moineau, Onyx John, Train d’enfer, La Ligne de feu, Le Kinkajou et Sous l’aile du Corbeau.

Il est également l’auteur de plusieurs pièces de théâtre et a publié des thrillers sous le pseudonyme de John Farrow.

Trevor Ferguson vit actuellement à Montréal et se consacre entièrement à l’écriture.

Je remercie les Éditions 10/18 pour ce roman noir qui conduit ces hommes sur le chemin de l’enfer.

“ La vallée des ombres ”

La vallée des ombres de Xavier-Marie Bonnot au Éditions Pocket

” Rémy Vasseur, 18 ans

Assassiné lors des grèves de décembre 1986

Je ressens le besoin de caresser le mur. (…)

Je revois Rémy, mon cadet, jeté à terre. Dans ma tête tout est confus. Ses traits sont devenus flous.

Après sa mort, j’ai rompu les amarres. Je suis devenu un type redoutable. Les unités d’élite de la Légion étrangère m’ont transformé. J’ai souffert, j’ai saigné. J’ai tué. J’en avais besoin. Je suis descendu au fond de la vie. Tout au bout des remords. Mais mon ombre est toujours là, ma fausse identité. Aucune guerre, aucun combat ne l’a estompée. Je n’ai jamais vraiment su qui j’étais.

Tout peut changer sauf vous-même. Sauf votre passé. “

Après une absence de 20 ans, René Vasseur est de retour à Pierrefeu, dans la vallée industrielle où il a grandi.

Après avoir été un souffre-douleur dans sa jeunesse, il est devenu une véritable machine de guerre. Ces vingt années dans la Légion étrangère l’ont transformé. Et c’est le cœur chargé de haine qu’il réapparaît dans le paysage dévasté par la crise.

À peine installé dans la maison de son père qui vit ses derniers jours, il doit faire face à une disparition inquiétante où tout semble l’accuser et donner raison à son ancien chef de corps.

 » Le chef de corps m’a lancé une phrase à mon départ de la Légion : « Méfiez-vous, Vasseur. Les légionnaires font de bon coupables. Les Français n’aiment les héros que mort. »

Peu à peu les ombres du passé surgissent tour à tour : la femme qu’il a tant aimé, son bourreau d’enfance devenu flic, son meilleur ami qui a basculé dans le grand banditisme, son père, ancien patron de la CGT locale, tyrannique et désabusé et le fantôme de son frère qu’il a toujours l’intention de venger.

” J’ai envie de fuir, une fois encore. Changer à nouveau d’identité. Retourner à la Légion, repartir à la guerre et y mourir. Ce serait si facile. “

Ce que j’en dis :

Après avoir été complètement sous le charme de la plume de l’auteur avec son magnifique roman : Le dernier violon de Menuhin (ma chronique ici), j’étais impatiente de le retrouver pour une nouvelle aventure livresque.

À peine commencé, la magie de son écriture m’envoûte et m’embarque au cœur des montagnes près de Grenoble au côté d’un être tourmenté, emplit de colère et de haine auquel je m’attache pourtant direct. Cet homme blessé depuis l’enfance, revient avec ses nouvelles blessures d’adultes, ses blessures de guerre et se retrouve piégé au milieu de ripoux en tout genre. En plus d’affronter sa part d’ombre, il devra faire face à certaines révélations, à certains secrets de famille pourtant bien cachés par tous ces taiseux depuis si longtemps et vont réanimer sa soif de vengeance.

Dans une atmosphère sombre, oppressante, inquiétante Xavier-Marie Bonnot nous plonge au cœur de l’âme humaine, à travers une intrigue saisissante pleine de violence mais toujours avec beaucoup de pudeur.

Un auteur qui a du style et se démarque par une plume remarquable.

Il nous offre un magnifique roman noir, que je ne peux qu’indiscutablement vous recommander surtout si comme moi vous aviez apprécié Aux animaux la guerre de Nicolas Matthieu. Sans pour autant les comparer l’un à l’autre, étant chacun très talentueux, et différents, mais se rejoignent à travers leurs personnages qui ne manquent pas de caractère dans ce climat social très rude de leurs histoires où vallée grenobloise rejoint la vallée vosgienne comme un écho qui se répercute à travers les montagnes.

C’est noir, violent, stylé, c’est signé Xavier-Marie Bonnot, un auteur à suivre absolument et ça tombe bien, son premier roman : La première empreinte réédité aux Éditions Belfond m’attend patiemment.

À bientôt donc …

Pour info :

Né en 1962, Xavier-Marie Bonnot est écrivain et réalisateur de films documentaires.

Il remporte avec son premier roman, La Première Empreinte (L’Écailler du Sud, 2002), le prix Rompol et le prix des Marseillais. Le Pays oublié du temps (Actes Sud, 2011) a été récompensé par le prix Plume de cristal et Premier homme (Actes Sud, 2013) par le prix Lion noir. Il est désormais traduit dans le monde entier.

Après La Dame de pierre (Belfond, 2015), La Vallée des ombres est son huitième roman.

Je remercie les Éditions Pocket pour ce roman noir d’exception.

“ Le camp des autres ”

Le camp des autres de Thomas Vinau aux Éditions 10/18

” Dans le ventre sauvage d’une forêt, la nuit est un bordel sans nom. Une bataille veloutée, un vacarme qui n’en finit pas. Un capharnaüm de résine et de viande, de sang et de sexe, de terre et de mandibules. Là-haut la lune veille sur tout ça. Sa lumière morte ne perce pas partout mais donne aux yeux qui chassent des éclairs argentés. Gaspard est recroquevillé contre le chien. À moitié recouvert par lui, il le sert dans ses bras trop courts. Le feu n’empêche pas d’avoir froid, le maintient dans un demi-sommeil parcouru de sursauts. Le feu n’empêche pas d’avoir peur, le monde entier autour d’eux grouille comme une pieuvre sombre. “

Gaspard un jeune garçon est en fuite avec son chien blessé. C’est là qu’il va tomber sur Jean-le-blanc, un étrange bonhomme, une espèce de sorcier dont il se méfie.

Jean-le-blanc a utilisé des mots simples, pour dire des choses simples. Il a dit J’ai choisi un camp. Le camp de ceux dont on ne veut pas. Le camp des nuisibles, des renards, des furets, des serpents, des hérissons. Le camp de la forêt. Le camp de la route et des chemins aussi. De ceux qui vivent sur les chemins. De la trime et de la cloche. (…) Les fuyards. Les insoumis. Les orphelins. (…) Aujourd’hui je vis là. Je suis un bâtard libre. Je ne suis d’aucun camp et ceux qui ne sont d’aucun camp sont les bienvenus ici.

De part ses pouvoirs de guérisseur, Jean a affaire à des gitans réunis autour de la Caravane à Pépére. Une belle bande de bohémiens, de voleurs, de déserteurs dirigé par un certain Capello, qui terrorisaient la population.

Gaspard, l’insoumis partira un matin sur la route pour les rejoindre.

C’est à cette époque, en 1907, que Georges Clemenceau créa les fameuses Brigades du Tigre, pour en finir une fois pour toute, avec cette bande de pillards, de voleurs et d’assassins qui étaient la terreur des campagnes.

Ce que j’en dis :

J’ai découvert la plume de Thomas Vinau à travers son précédent roman La part des nuages (ma chronique ici) qui m’avait enchanté, j’avais donc hâte de le retrouver.

Le camp des autres nous emmène dans une ambiance plutôt noire dans les années 1900 juste avant la création des Brigades du Tigre.

À travers une plume aussi poétique qu’enragée, il nous offre différents portraits de personnes vivants en marge de la société, en compagnie de Gaspard un enfant rebelle qui les a rejoints. Des hommes et des femmes d’ici et d’ailleurs que l’on a tenté d’exterminer au cours du véritable génocide des tziganes.

Il dépeint à merveille cette nature aussi hostile que protectrice, et cette société qui n’a guère changé de nos jours.

Il leur rend hommage, à travers cette histoire tel un cri du cœur à tous les sans- famille, les sans-abri, les sans-papiers, les sans-patrie.

Une écriture chargée d’émotions, de colère et d’humanité.

Un récit féroce et tendre à la fois qui conforte ma passion pour la plume de Thomas Vinau que je vais continuer à suivre avec attention.

Pour info :

Thomas Vinau est né en 1978 à Toulouse et vit au pied du Luberon. Il est auteur de nombreux recueils de poésie dont Bric à brac hopperien et Juste après la pluie, il de romans, notamment Nos cheveux blanchiront avec nos yeux, Ici, ça va, La part des nuages et Le camp des autres.

Je remercie les éditions 10/18 pour cette histoire au lyrisme touchant.

“ Effets indésirables ”

Effets indésirables de Larry Fondation aux éditions 10/18

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Romain Guillou

” C’est dangereux ! On est à L.A. ; pas au fin fond du Maine ! “

Ceci n’est pas un roman et pourtant il contient plein d’histoires, des anecdotes, des faits divers, des histoires drôles, des drames, des histoires d’amour et d’amitié, le triste portrait d’une population qui part à la dérive, loin des paillettes et des étoiles sur le Hollywood Walk of Fame.

J’ai l’intention de m’installer une fois pour toute de l’autre côté du fleuve – là-bas j’espère n’être qu’un type armé parmi d’autres. “

Ici, entre ces pages, on dégaine plus vite un flingue qu’un portable, d’ailleurs on possède bien plus d’armes à feu qu’autre chose, et il suffit d’un mot de trop pour que les balles surgissent. On tire d’abord, on discute après si c’est encore possible.

” Ce n’était pas sa voiture. Il n’avait pas l’habitude de la conduire. (…) C’était en pleine nuit. Il y avait beaucoup de reflets éblouissants. Il n’a pas trouvé les essuie-glaces. À la place, il a trouvé le klaxon. Il a appuyé dessus sans faire exprès. Pas une fois, plusieurs. Le chauffeur furieux dans la voiture de devant est sorti de son véhicule. Ils étaient à l’arrêt à un feu rouge. Il a tiré deux coups de feu, l’un ou bien les deux ont été fatals. Notre chauffeur n’a pas eu l’occasion de dire qu’il n’appuyait pas sur son klaxon d’impatience – en réalité, le klaxon de quelqu’un d’autre – mais qu’il essayait simplement de nettoyer un pare-brise sale. “

C’est pourtant des petites histoires mais chacune puissance dix côté émotions.

Ici les stars c’est les paumés, les piliers de bar, les prostitués, les receleurs, les clochards, les arnaqueurs, et même monsieur et madame tout le monde, le panorama d’une ville complètement hallucinée.

Des fragments de vies, des instants fugitifs, parfois brutaux , impensables, absurdes et pourtant bien réels, d’un monde qui part en vrille.

Des histoires qui secouent, parfois violentes et souvent désespérées, qui frappent en plein cœur, mais l’on ne résiste pas à poursuivre la lecture malgré la noirceur qu’elles dégagent, car se pointe parfois un peu d’humanité comme une fleur au milieu du bitume. Même l’humour est au rendez-vous, même si la vie étalée par ici est loin d’être une histoire drôle.

« J’étais frustré par mon incapacité à attirer les emmerdes. Ca faisait dix ans que les journaux nous rebattaient les oreilles avec leurs histoires de meurtres. Je n’arrivais même pas à provoquer une simple agression. »

La Cité des anges laisse un goût amer, mais la poésie noire de Larry Fondation permet aux anges déchus de briller une dernière fois.

Brillant, puissant, touchant, un auteur que je vais continuer à découvrir et ça tombe bien, un autre titre m’attend déjà.

Pour info :

Larry Fondation vit, travaille et écrit à Los Angeles. Après avoir été journaliste, il est depuis 20 ans médiateur de quartier à South Central L.A. et Compton. Il contribue régulièrement à diverses revues (Flaunt, Los Angeles Time, Fiction International…). En 2009, il a bénéficié d’une bourse d’écriture de la Fondation Christopher Isherwood.

Effets indésirables, qui paraît en 2016 aux éditions Tusitala, est le quatrième volume d’une œuvre pensée comme un octet sur Los Angeles : un « roman du collectif », biographie kaléidoscopique de la ville californienne établie sur une vingtaine d’années, des années 1980 aux années 2000.

Ses trois premiers ouvrages, qui peuvent tous se lire indépendamment, sont parus chez Fayard : Sur les nerfs(2012, repris en Livre de poche en 2013), Criminels ordinaires (2013) et Dans la dèche à Los Angeles (2014)

Je remercie les éditions 10/18 pour cette immersion auprès des anges déchus de Los Angeles.

“ Quelque part avant l’enfer ”

Quelque part avant l’enfer de Niko Tackian aux Éditions Pocket

Ça aurait pu être une matinée comme les autres, seulement une faute d’inattention et c’est le drame. Un choc terrible… puis apparaît un tunnel.

La lumière blanche et paisible qui la baignait depuis le début de son expérience s’assombrit peu à peu. Anna se sentit aspirée vers le haut. Elle tourna sa tête invisible vers le ciel et découvrit un immense tunnel qui s’ouvrait au-dessus d’elle. Un tunnel de lumière noire…(…) Le tunnel la réclamait comme l’œil d’un cyclone affamé “

Drôle d’endroit pour une rencontre.

” — Qui …qui êtes-vous ?

– Mon nom n’a pas d’importance, y’a qu’un seul truc qu’il faut que tu saches, dit-il en souriant. Je vais te tuer… “

Anna s’en sort miraculeusement. L’heure de sa mort n’a pas encore sonné. Mais à peine sortie de l’hôpital, elle semble sentir une présence, quelqu’un semble sur ses traces et sème des cadavres de femmes dans Paris. Mais elle a été prévenue, elle sera la dernière sur la liste.

” Quelque- chose de profondément enfoui cherchait à sortir de l’abîme depuis son accident, il était temps que cela se fasse, Anna le savait. “

Ce que j’en dis :

Que ce soit en visionnant la série Alex Hugo (dont il est le créateur avec Franck Thilliez) ou en lisant un des ses thrillers, je suis sûre de passer un super moment. J’avais découvert sa plume dernièrement avec La nuit n’est jamais complète (ma chronique ici) qui m’avait scotché, et là il récidive à travers son tout premier récit qui n’a pourtant pas la patte d’un débutant.

Il aborde ici le sujet délicat de l’ EMI (expérience de mort imminente) à travers une histoire parfaitement orchestrée qui réserve de belles surprises et nous laisse étrangement dubitatif. C’est addictif, surprenant, on ne s’en lasse pas bien au contraire.

Un formidable conteur qui tisse des histoires incroyables qui ne laisseront aucune personne amoureuse du genre indifférente.

À suivre indiscutablement…

Cet ouvrage a reçu le Prix des bibliothèques et médiathèques de Grand Cognac.

Après une carrière dans le journalisme, Niko Tackian devient auteur de bandes dessinées chez Semic, puis chez Soleil Productions. Il prend ensuite la plume pour le petit écran et devient scénariste (Inquisitio, Main courante, La Cour des grands, Alex Hugo…) avant de réaliser son premier film, Azad (2008), qui recevra plusieurs prix internationaux. En 2015, il a publié son premier roman, Quelque part avant l’enfer, récompensé du Prix des Bibliothèques & des Médiathèques de Grand Cognac au Festival Polar de Cognac. Son deuxième roman, La nuit n’est jamais complète a remporté le Prix Polar Sud Ouest 2017 au Festival Lire en poche de Gradignan. Après ces deux publications aux éditions Scrineo, son troisième roman, Toxique, a paru en 2017 chez Calmann-Lévy.

Je remercie les Éditions Pocket pour ce thriller où la mort rôde entre ici et l’au-delà.

“ Kentucky straight ”

Kentucky straight de Chris Offut aux éditions Gallmeister

Traduit de l’américain par Anatole Pons

” Voici le miroir

Où s’éteint la douleur

Voici le pays

Que nul ne visite “

De Mark Stand

Ce que j’en dis :

Quand pour un recueil de nouvelles , l’auteur choisit un tel exergue on sait déjà dans quel univers on va s’aventurer.

Le Kentucky, ce territoire des Appalaches, considéré comme le berceau du whisky américain regorge de distilleries clandestines. Si l’argent se fait rare l’alcool de contrebande coule à flot.

Un état classé numéro un dans la liste des États américains pour possession d’armes à feu avec 134 armes pour 100 habitants.

À travers ces neuf nouvelles, tout à fait représentatives on se retrouve au cœur d’histoires des oubliés de l’Amérique.

Tout les soirs, maman disait qu’elle avait peur que je vise trop haut. Warren ne me parlait pas du tout. Je me baladais dans les collines en pensant à ce que je connaissais sur la forêt. Je sais dire le nom d’un oiseau à son nid et d’un arbre à son écorce. Je sais qu’une odeur de concombre signifie qu’une vipère cuivrée n’est pas loin. (…) Ça m’a fait drôle de passer un test pour apprendre que je vivais en dessous du seuil de pauvreté . Je crois que c’est de savoir ça qui a déboussolé papa pour de bon. Quand il est mort, maman a brûlé ses cartes, mais j’ai gardé celle du Kentucky. Là où on vit, c’est pas dessus. “

Chris Offut est né et a grandi dans le Kentucky, il nous offre des histoires authentiques, puisées très certainement dans ce qui l’entoure. Ses personnages sont les bouseux, les pèquenauds du coin, les mineurs, les laisser pour comptes qui passent le plus souvent leurs temps avec un verre de whisky dans une main et une arme dans l’autre.

” Les coyotes, c’est le côté humain des chiens. Les clébards, c’est le côté canin de l’homme. “

Des histoires rugueuses, brutales profondes rythmées par le blues qui les accompagne. Des nouvelles aussi sauvages que la faune qui l’habite. Noires, violentes, situées dans les coins reculés de l’ Amérique, là où le fusil reste toujours à portée de mains et les poings rarement dans les poches.

Et c’est avec une plume talentueuse que Chris Offut nous parle de la misère et du désespoir.

À déguster sans modération accompagné d’un 18 ans d’âge.

” Sa voix avait un ton définitif qui réduisit les hommes au silence. “

Chris Offutt est né en 1958 et a grandi dans le Kentucky dans une ancienne communauté minière sur les contreforts des Appalaches. Issu d’une famille ouvrière, diplôme en poche, il entreprend un voyage en stop à travers les États-Unis et exerce différents métiers pour vivre. Il publie, en 1992, un premier recueil de nouvelles, Kentucky Straight, puis un roman autobiographique. Le Bon Frère est son premier roman. Il est également l’auteur de chroniques pour le New York Times, Esquire et quelques autres revues et a été scénariste de plusieurs séries télévisées américaines parmi lesquelles True Blood et Weeds

Les éditions Gallmeister nous offre une nouvelle traduction pour ce recueil inédit dans la collection Totem. Titre publié auparavant chez Gallimard ( La Noire) en 1999, puis chez Folio ( 2002).

Un auteur emblématique du Sud des États-Unis dans la lignée de Daniel Woodrell, Larry Brown et Ron Rash

Je remercie les Éditions Gallmeister pour ce blues déchirant.