Le vallon des lucioles

Le vallon des lucioles d’Isla Morley aux Éditions du Seuil

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle Aronson

“ Lorsqu’elle surgit devant la fenêtre, il sursaute ; si elle est aussi surprise que lui, elle n’en laisse rien paraître. Dans la lueur de l’aube, une grâce iridescente émane d’elle. Un gris-bleu chatoyant. On la dirait faite de nacre. Ses longs cheveux auburn sont attachés avec un foulard et ses traits sont d’une incroyable précision. […] – Je suis juste bleue, monsieur. C’est tout. ”

Dans le Kentucky au cours de l’année 1937, Clay Havens et Ulys Massey, deux jeunes photographes et journalistes sont envoyés dans le cadre du New Deal pour réaliser un reportage sur un coin reculé des Appalaches.

À peine arrivés, dans le village, il s’avère qu’une rumeur circule et les pousse à s’aventurer au cœur de la forêt pour en vérifier l’exactitude et pourquoi pas en faire un reportage.

Pourtant prévenus par la médisance des villageois, ce qu’ils découvrent est une véritable surprise qui va changer à jamais la vie de Clay.

“ Ce n’est pas seulement elle qu’il photographie, c’est l’effet qu’elle produit sur lui. Lorsqu’il l’a prend en photo contemplant le soleil qui glisse sous la bande de nuages tel un rouleau de corde lumineux se déployant sur la prairie, il a lui aussi l’impression que la lumière le transperce. Lorsqu’il la prend en photo penchée sur sa chaussure dont la bouche est défaite, il sent se libérer quelque chose en lui et, chaque fois qu’elle le regarde, c’est comme si elle passait la main à travers l’objectif, contraignant le diaphragme à s’ouvrir, et laissait l’empreinte de ses doigts sur le cœur de Havens. Photographie après photographie, il la laisse faire. Ce qu’il immortalise, c’est elle en train de s’emparer de son cœur. Et la voilà qui s’assied, la voleuse, riant et rejetant ses cheveux en arrière, son cœur sur les genoux.

À travers l’objectif de l’appareil de Clay, apparaît Jubilee Buford, une jeune femme splendide, fascinante, troublante, irrésistible.

Le reportage prévu prend une tournure imprévisible. Une histoire étonnante prends vie jour après jour qui sera émaillée de passion, mais aussi de discorde, devant faire face aux racismes et aux préjugés dans cette société américaine.

“ – Tu sais ce que je préfère dans la photo noir et blanc ? C’est que les couleurs n’entrent pas en ligne de compte. Parce que si c’est le bleu que tu cherches à voir absolument, tu t’arrêtes à ça, et c’est tout. Tu rates ce qui fait qu’une personne te ressemble ou est différente de toi ; tu rates ce qui la rend unique. ”

Ce que j’en dis :

Décidément, les Appalaches semblent regorgées d’histoires aussi insolites que bouleversantes.

Dans ce coin reculé de l’Amérique où vit une population défavorisée, la pauvreté gangrène ces lieux pourtant magnifiques.

New Deal devait justement permettre grâce à son programme d’entrer en guerre contre la pauvreté grâce aux clichés des photographes, censés aider les américains à s’unir pour améliorer les conditions de vie des habitants de cette région.

À travers cette histoire tirée de faits réels, nos deux photographes voient leur mission prendre un autre chemin en découvrant pendant leur périple une famille hors norme sujette hélas à de nombreux préjugés qui entraînent face à l’ignorance une nouvelle forme de violence et de racisme.

Tout comme Clay, le photographe je suis tombée sous le charme de cet endroit et de cette famille, avec une tendresse particulière pour Jubilee.

Bien plus qu’une histoire d’amour, ce récit est une véritable ode à la nature tout en nous confrontant à l’intolérance liée à l’ignorance et entraînant du racisme toujours très présent aux États-Unis sous différentes formes.

Si comme moi vous aviez succombé aux charmes du roman de Delia Owens : là où chantent les écrevisses, ma chronique ici il se pourrait bien que Le vallon des lucioles vous emporte pour un beau voyage en terre Appalaches.

Une belle histoire qui ne peut laisser indifférent et permet de lever le voile sur une particularité très peu connue : la méthémoglobinémie.

Une très belle découverte grâce à Masse Critique Babelio, que je remercie au passage pour cette proposition de lecture fidèle à mes goûts littéraires.

Pour info :

Isla Morley a grandi en Afrique du Sud pendant l’apartheid, l’enfant d’un père britannique et d’une mère sud-africaine de quatrième génération.

Elle est diplômée de l’Université Nelson Mandela Metropolitan de Port Elizabeth avec un diplôme en littérature anglaise.


En se mariant avec un Américain, elle est partie en Californie.
A présent, elle vit dans la région de Los Angeles.


Son premier roman « Come Sunday » lui a valu le Prix Janet Heldinger de fiction, en 2009.

Le vallon des lucioles est son premier roman à paraître en France.

Là où chantent les écrevisses

Là où chantent les écrevisses de Delia Owens aux Éditions Seuil

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Amfreville

” Pschitt… Elle craqua l’allumette, enflamma la mèche, et les ténèbres reculèrent jusqu’au coin de la pièce. Mais elle en avait assez vu pour savoir qu’elle ne pouvait rester sans lumière, et le pétrole coûtait de l’argent. Elle ouvrit la bouche pour réguler sa respiration. Il faudrait peut-être que j’aille jusqu’en ville pour me rendre aux autorités. Au moins, on me donnerait à manger et on m’enverrait à l’école. Mais au bout d’une minute de réflexion, elle se dit : Non, je ne peux quand même pas abandonner les mouettes, les goélands, le héron et la cabane. Le marais est ma seule famille. “

Kya n’est pas une jeune fille comme les autres. Avant de se retrouver seule dans la cabane, elle y vivait avec toute sa famille. Puis un matin, sa mère est partie, puis ses frères et sœurs ont fini par suivre le même chemin fuyant à leurs tours cet endroit et ce père assez violent. Même le père un jour n’est jamais rentré…

Alors parfois quand ça devient trop difficile, elle rêve juste un instant à quitter ce lieu déserté par les siens.

Mais que ferait-elle loin de ceux qu’elle aime le plus, loin de ce marais qu’elle admire tant.

” Kya se rappela que sa mère l’encourageait toujours à explorer le marais : « Va aussi loin que tu peux. Tout là-bas, où on entend le chant des écrevisses. » “

Alors du haut de ses dix ans, elle apprend à survivre seule dans le marais, devenu pour elle son refuge naturel et protecteur avec pour seule compagnie ses oiseaux.

” Dominant le vacarme des vagues qui rugissaient, Kya appela les oiseaux. L’océan était la basse, mouettes et goélands, les sopranos. Piaillant et criant, ils voltigeaient au-dessus du marais et du sable, tandis qu’elle lançait des miettes de tourte et de son petit pain sur la plage. Les pattes dépliées, se tordant le cou pour mieux voir, ils se posèrent. (…) Quand le berlingot fut vide, elle pensa ne jamais pouvoir surmonter sa douleur, elle avait trop peur que les mouettes et les goélands l’abandonnent comme tous les autres. Mais les oiseaux se posèrent sur la plage non loin d’elle et entreprirent de lisser les plumes de leurs ailes déployées. Elle s’assit en regrettant de ne pas pouvoir les rassembler pour les emmener dormir dans la véranda. Elle se les imagina blottis dans son lit, une masse duveteuse de plumes tièdes, tout contre elle sous les couvertures. “

Au cours de ses pérégrinations, elle fera la connaissance de Tate, qui partage la même passion qu’elle pour les marais. Ce jeune homme doux cultivé va lui apprendre à lire, et lui fera découvrir la science et même la poésie. Une rencontre qui la changera à jamais et l’éloignera un temps de la solitude jusqu’au départ de Tate pour l’université.

Un nouvel abandon qui la rendra vulnérable, et fera d’elle une proie facile pour le tombeur de la ville qui ne rêve que de s’encanailler avec celle qu’ils appellent tous la fille du marais.

Quand surviendra, une nouvelle tragédie, une fois de plus elle devra affronter le mépris des habitants de cette ville qui ne l’ont jamais adopté.

Ce que j’en dis :

J’étais loin d’imaginer me sentir aussi proche de cette fille des marais, Kya, une jeune héroïne, capable dès ses dix ans, même si c’est par la force des choses, de subvenir seule à ses besoins, protégée par la faune et la flore qui l’entoure. Un endroit qu’elle chérit, tout en l’étudiant jour après jour, lui permettant de se cultiver, d’enrichir ses connaissances et de se faire une idée sur les humains, aux comportements tellement proche de certaines espèces animales.

Rejetée, méprisée, par les habitants de Barkley Cove, cette petite ville de Caroline du Nord, mais adoptée par le marais et ses oiseaux, c’est auprès d’eux qu’elle grandira et apprivoisera la solitude.

Ne dit-on pas : « pour vivre heureux, vivons cachés ».

Jusqu’à cette rencontre, qui changera quelque peu la donne et lui permettra d’accéder au plaisir suprême de la lecture et de l’écriture, et lui donnera par la suite l’opportunité de faire connaître sa passion pour son marais et ses oiseaux, à plus grande échelle…

Delia Owens nous offre un roman extraordinaire, bouleversant, absolument magnifique.

Elle met à profit ses études en zoologie et biologie, à travers ce récit et nous fait cadeau d’une histoire où la nature nous émerveille, où les oiseaux nous ensorcellent, où l’on succombe à l’histoire de cette jeune fille si courageuse.

Un formidable hymne à la nature mais également à la solitude, porté par une plume sublime où la poésie brille et illumine comme les soirs de pleine lune.

Un roman qui nous déchire le cœur tout en nous enchantant et qui ne peut laisser personne indiffèrent devant tant de bravoure, de la part de Kya, autre beauté sauvage du marais.

Pour info :

Delia Owens est née en 1949 en Géorgie, aux Etats-Unis. Diplômée en zoologie et biologie, elle a vécu plus de vingt ans en Afrique et a publié trois ouvrages consacrés à la nature et aux animaux, tous best-sellers aux USA. 

Là où chantent les écrevisses est son premier roman. Phénomène d’édition, ce livre a déjà conquis des millions de lecteurs et poursuit son incroyable destinée dans le monde entier. Une adaptation au cinéma est également en cours.

Je remercie Masse Critique de Babelio pour cette lecture de toute beauté qui m’a permis de rencontrer une héroïne inoubliable.