Les oracles

Les oracles de Margaret Kennedy aux Éditions La Table Ronde

Traduit de l’anglais par Anne-Sylvie Homassel

“ La foudre n’avait rien détruit, hormis un arbre dans un pré situé aux confins du village. […] Difficile de croire qu’un tel phénomène serait sans conséquence ; au vu des forces colossales qu’il avait convoquées, tous s’accordaient à penser qu’il allait se passer quelque chose quelque part. ” 

Il aura suffit d’un violent orage, pour qu’une chaise de jardin soit transformée en œuvre d’art. Enfin c’est ce que certains croient, l’art divise tellement les gens, une œuvre pour certains, une horreur pour d’autres, on aime ou on déteste et parfois ça s’apparente à une supercherie, un peu comme par ici, qui rejoint parfaitement la citation de Marcel Duchamp : « Le grand ennemi de l’art, c’est le bon goût. »

Margaret Kennedy a l’art et la manière pour observer à la loupe, la bourgeoisie anglaise et décrire avec beaucoup de sarcasmes et de subtilité leurs comportements. 
L’humour anglais dans toute sa splendeur. 


Tout comme dans ces précédents romans,(à retrouver ici et ) on retrouve son humour grinçant et on se régale.

“ La chose se trouvait sur l’estrade du piano : un amas de métal à la fois gracile et mesquin, informe et anguleux, mais curieusement menaçant, comme prêt à vous bondir dessus à tout moment. Il y avait de quoi sursauter. Quelle mocheté ! […] Une inspection plus minutieuse dépouilla l’objet de son caractère menaçant. Contemplée de derrière ou de côté, la chose n’avait plus l’air de rien. Elle n’avait même plus l’air de rien. Elle n’était même plus repoussante. Tout juste stupide. ” 

Une divine comédie “ so British ” des années 50 que l’on prends grand plaisir à redécouvrir grâce aux Éditions La Table Ronde. 

Somnambule

Somnambule de Dan Chaon aux Éditions Albin Michel 

Traduit de l’américain par Hélène Fournier 

“ Je ne sais pas trop ce qui tombe du ciel. Peut-être des détritus emportés par le typhon en provenance du Nord -Ouest, au large de la côte, ou encore de la cendre en provenance du mont Silverthrone au Canada. J’imagine qu’on va s’adapter et ajuster nos attentes en conséquence. C’est vrai que le monde n’est pas en super forme, mais j’ai lu qu’il avait connu pire […] mais on sent tous que des jours encore plus sombres sont à venir. 
Ça va être le moment pour l’humanité de rendre des comptes, j’en suis sûr… ” 

Will Bear n’est pas un chauffeur routier comme les autres. C’est à bord de son camping-car baptisé “ L’étoile du berger” en compagnie de Flip son pitbull, de sa flopée de téléphones intraçables qu’il transporte et livre des marchandises souvent étranges et parfois au péril de sa vie. 

“ Il y a des choses dont je ne suis pas fier, mais je suis loin d’avoir les mains aussi sales que certains citoyens de ce pays. J’ai des principes, et ça me fait regretter de n’avoir rien dit à cette femme bégueule et méprisante. Il n’y a rien de pire qu’un marchand de bébés. ” 


Faut dire aussi que le monde a changé et pas dans le bon sens. 

“ Je ne me suis jamais vraiment intéressé à l’actualité. J’avais conscience que la race humaine avait des défis à relever, ça a toujours été le cas. Il y a eu des tremblements de terre et des ouragans, un krach boursier et une guerre à l’étranger. Une pandémie a déferlé, suivie d’une crise économique mondiale puis d’une autre pandémie. Bien des personnes vulnérables ont péri, car tel était leur destin. 
Au cours des décennies, je me suis efforcé d’être bon et généreux quand c’était possible, impitoyable et vif, quand il le fallait, mais je n’ai pas compté les points. Je pars du principe que le bon karma finira par l’emporter sur le mauvais. ” 


La planète a subit les ravages climatiques, les coupures de courant s’enchaînent et des drones géants surveillent. 

Will Bear reste sur ses gardes, et préserve sa bonne humeur grâce à ses petites microdoses de LSD qu’il s’accorde quotidiennement. Ça roule… 

Jusqu’au jour où un de ses téléphones sonne avec insistance lui apprenant un truc de dingue qui risque de remettre en question bien des choses, s’il décide de croire cette voix qui affirme être sa fille et semble être en danger. 

Laura Kasischke nous annonce :  « une expérience de lecture unique », et très vite on comprend pourquoi car dès le départ Dan Chaon brouille les pistes, en nous désoriente quelque peu en nous transportant dans un futur proche, à bord d’un camping-car pour une traversée des États-Unis, bien loin du road trip habituel auquel on aurait pu s’attendre. Mais il ne s’arrête pas là et pousse notre imaginaire à se demander si tout cela est bien réel ou si on vit un rêve éveillé, à travers le personnage de Will qui conduit quand même sous l’emprise de drogue…


Les drones font dorénavant partie du décor, ils surveillent tout en étant prêt à intervenir si besoin. Car dans ce monde la violence demeure et la technologie domine. 

Le passé de Will s’immisce dans le présent de ce futur hors norme et nous aide à comprendre son besoin d’invisibilité et sa peur de devoir y mettre un terme pour sauver une âme perdue, Will n’étant pas démuni d’empathie même si parfois il tue sans aucun remords quand c’est nécessaire. 

Dan Chaon réussit à nous embarquer dans un roman noir dystopique avec humour qui permet d’adoucir les scènes de violence tout en rendant Will attachant, en abordant également le thème de la paternité du manière absolument originale tout en étant crédible.
Ça donne à réfléchir au futur qui approche à grand pas. 

C’est là que l’on reconnaît le talent de l’auteur, qui continue à nous hanter bien longtemps, laissant dans notre mémoire l’ histoire d’un mec, Will, le somnambule qui erre sur les routes américaines, au prise avec une voix venue d’ailleurs. 

Ce Somnambule n’a pas fini de nous hanter.

À retrouver ici, son précédent roman : Une douce lueur de malveillance

De neige et de vent

De neige et de vent de Sébastien Vidal aux Éditions Le mot et le reste 

“ Le nom apparaît sous les flocons, en noir sur fond blanc ceinturé d’une bande rouge, Tordinona. L’arrivant se penche et se rapproche pour lire une phrase inscrite à la peinture sous le nom du village :vous pouvez encore faire demi tour.” 

Tordinona, ce village perdu à la frontière des Alpes italiennes et française s’avère peu accueillant, on peut être amené à penser que les habitants tiennent à leur tranquillité. 

“ À Tordinona, on vit entre soi depuis toujours, Internet et la modernité n’ont rien changé à ça. Les mêmes familles depuis le milieu du dix-neuvième siècle, les mêmes lignées ayant engendré les mêmes faces bourrues, les mêmes yeux suspicieux et fureteurs, les mêmes barbes fournies sous des fronts larges et épais, boucliers pour des caboches plus dures que le roc. […] Le village se meurt, mais au moins les Tordinonais meurent entre eux.” 

Même le voyageur de passage et son fidèle compagnon canin l’ont bien compris, il est bien dommage qu’une tempête de neige les oblige à s’attarder, le pont permettant de quitter le village a été détruit par une avalanche, bloquant également deux gendarmes, Marcus et Nadia, retardés après une terrible découverte. 

“ La gendarme n’a pas sommeil. […] Cette jeune fille dont elle entend la voix portée pour les bourrasques, une voix qui chevauche le tumulte par-delà les pics et les sommets, qui dévale les goulets d’étranglement, les ravins et les gorges. Une voix qui clame et qui réclame la justice, et dans cet écho qui tourne sans fin dans la montagne, résonne un autre écho qui murmure : « Regardez ce qu’on m’a fait.» ” 

Une jeune fille a été retrouvé sans vie, et d’emblée le voyageur est suspecté. Presque l’ensemble du village décide de rendre justice s’opposant sans vergogne aux représentants de la loi. 

“ Sur les cent douze habitants, il y avait les rameux qui suivaient leur chef Basile Gay, mais il y avait aussi quelques francs tireurs comme Vosloo, les jeunes de la ferme ou la vieille à la Winchester. Il y en avait une poignée d’autres aussi, révoltés mais silencieux. Et entre ces deux parties antagonistes, flottait, ou rampait une masse molle et gluante, qui regardait ailleurs, se bouchait les oreilles, ne voulant surtout pas savoir. Ceux qui , lors des enquêtes, n’ont jamais rien vu ni rien entendu. Parce que chacun a ses raisons. ” 


Isolé davantage, Tordinona va être emporté dans une vague de violence inimaginable, liée aux éléments et aux comportements de certains humains remplis de haine jusqu’à devenir de vrais sauvages. 

Pas sûr qu’au final, le village s’en sorte indemne, pas sûr qu’il reste toujours cent douze habitants, il se peut que certains finissent au cimetière, avant que le beau temps revienne. 

« Contrairement aux humains la douleur n’a pas besoin de dormir, elle est à l’ouvrage à chaque seconde, tant que sa cible est vivante, elle vit et mâche, déchire, lamine avec une patience qui décuple sa force et son endurance. Et elle rit de son labeur, parce que, luxe suprême, quand sa proie est morte au bout d’une interminable agonie, elle se transmet aux proches et peut continuer son œuvre d’élision. Seule la parole peut la tuer, mais quand il en bave, l’humain se mure souvent dans le silence et bâtit ainsi son propre tombeau. » 

Certains et certaines d’entre vous risquent de ne pas me trouver objective, puisque depuis ma découverte de cet auteur, je ne cesse de clamer des louanges à son sujet, mais voilà Sébastien Vidal est comme le bon vin, il se bonifie ouvrage après ouvrage méritant amplement son statut d’écrivain (là il vient de râler car monsieur préfère romancier, mais pas d’ordre de gendarme à la retraite avec moi) et De neige et de vent le confirme. 

Ce jeune retraité donc, de la gendarmerie met tout son savoir et toutes ses tripes dans ses romans et même ses colères envers certains humains s’y retrouvent, tout comme son amour pour la nature et la poésie. 

J’ai pourtant adoré ses précédents romans, mais celui-ci est encore un cran au dessus, pas étonnant qu’il ait été récompensé par le Prix Landerneau et même s’il n’écrit pas dans cet optique, ça fait toujours plaisir de voir le 
travail d’un auteur qu’on apprécie, reconnu à sa juste valeur. 


De neige et de vent, nous entraîne dans un huis clos glacial, brutal où la noirceur de l’âme humaine s’immisce dans la blancheur hivernale.

Il suffit d’un rien, d’une rumeur pour que tout bascule, et qu’un village devienne une véritable zone de guerre, révélant la véritable nature de certaines personnes qu’elles soient bonnes ou mauvaises. 

La plume singulière de Sébastien s’affirme, et nous offre un roman noir extraordinaire, avec des personnages de caractère dans une atmosphère sous haute tension, au cœur d’une nature indomptable, tout ce qu’on s’attend à trouver sur les chemins noirs de la littérature, nous amenant inévitablement vers un moment de lecture inoubliable. 

Alors n’hésitez pas à vous confronter à ces villageois de Tordinona, un peu de renfort pour ces âmes prises à partie ne seront pas de refus. 

Mais attention, couvrez-vous bien.

Au nord de la frontière

Au nord de la frontière de R.J Ellory aux Éditions Sonatine

Traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau et révisé par Pierre Delacolonge 

“ Il revoyait le visage de Frank – enfant, jeune homme, en tant qu’ennemi, puis en tant que cadavre. Ce qui avait alimenté son aversion semblait à présent vaciller. La force de son animosité – qu’il portait en lui depuis tant d’années – était désormais un fardeau superflu. Le trimbaler encore ne servait à rien, mais son poids était si familier qu’il doutait de pouvoir se résoudre à le poser. ” 


Cela fait une douzaine d’années que Victor Landis, le shérif d’une petite ville de Géorgie était brouillé avec son frère. En apprenant sa mort, tout se bouscule dans sa tête, réalisant que dorénavant plus aucune réconciliation ne sera possible, mais le souhait-il en fin de compte ? 


Pourtant cette mort ne le laisse pas complètement indifférent, son métier pour qui il est entièrement dévoué l’emporte sur sa rancœur, et c’est dans l’intention d’enquêter qu’il se rend dans le comté de Dade où son frère Frank y officiait en tant que Shérif lui aussi. 

Sur place, à sa plus grande surprise, il va découvrir que son frère était un père, divorcé mais toujours proche de sa fille. 

Une raison de plus pour poursuivre l’enquête, histoire de répondre à cette enfant qui après avoir perdu son père, voit en lui l’oncle tombé du ciel, qui plus est shérif, la personne idéale pour découvrir la vérité sur cette mort brutale. 

Très vite il va découvrir, que dans ces communautés des Appalaches, la drogue, les trafics en tout genre et la corruption sont omniprésentes, et le plus troublant, c’est ces disparitions d’adolescentes qui ne semblent avoir perturbé personne jusqu’à ce qu’il s’en mêle, après la découverte macabre de l’une d’entre elles. 

“ L’imagination de l’homme semblait infinie quand il s’agissait de faire souffrir. ” 

Au nord de la frontière de terribles histoires sont sur le point d’être révélées. 

“ Suis l’argent. C’était toujours une question d’argent. ” 

Grande amoureuse de littérature américaine, c’est toujours avec une petite pointe d’appréhension que je découvre les romans d’Ellory, cet auteur anglais qui nous transporte en Amérique à travers ses histoires. 

Cette fois, direction les Appalaches en compagnie d’un Shérif, un territoire et une population que je commence à connaître suite à mes très nombreuses lectures américaines. 

Et là, une fois de plus, je ne suis pas déçue de cet auteur British qui fleure bon l’ambiance américaine, je peux même dire qu’il est bluffant, et réussit comme toujours à m’embarquer dans une ambiance sombre, et oppressante, à travers un suspens remarquable, qui possède en plus des personnages authentiques, crédibles et touchants. 

La magnifique plume D’Ellory nous entraîne dans un formidable roman noir au nord de la frontière, pour un dernier voyage littéraire traduit par son regretté et fidèle traducteur Fabrice Pointeau qui nous a quitté en mars 2023, auquel il rend un formidable hommage et multiplie davantage nos émotions en refermant le livre. 

R.J Ellory, incontestablement le plus Amerloque  des auteurs British. 

Duel

“ Depuis les disparitions, le pays tout entier retenait son souffle. Il n’y avait plus que « l’affaire » qui passionnait la population. Soixante-six enfants disparus sans laisser de traces, sans revendication ni demande de rançon, c’était inédit et surtout incompréhensible. Chacun avait un avis, plus ou moins éclairé, sur les avancées de l’enquête et, malgré les efforts de la police, elle était au point mort. Dans l’opinion, la colère avait très vite remplacé l’inquiétude et elle grondait davantage chaque jour. « Inexplicable », « inadmissible » s’y étaient accolés. […] Comment deux cars pouvaient-ils se volatiliser en France à notre époque ? ” 

Je vais m’en tenir à cet extrait pour vous présenter ce roman pour ne rien divulguer de l’intrigue, mais autant vous prévenir, une fois commencé, vous ne pourrez pas interrompre votre lecture à moins d’avoir envie d’une profonde frustration, donc autant prévoir de suite de belles heures de procrastination pour vous lancer dans ce piège littéraire. 

Deux bus ont disparu du paysage avec à bord tout plein d’enfants…

De quoi intriguer plus d’un lecteur, n’est-ce pas ? 

Frank Leduc, a fait ses débuts d’écrivains chez Les nouveaux auteurs mais dorénavant le voilà dans la cours des grands chez Belfond et c’est tant mieux.

Ce troisième roman, totalement addictif nous entraîne dans une intrigue de haut vol à travers des personnages qui se révèlent petits à petits au fil de l’histoire. 

On assiste, sous haute tension, et sans temps morts, à un véritable duel entre un grand manipulateur et une commissaire de police. 
 

Duel est une véritable bombe à retardement qui m’a torturé les méninges tout en me laissant apprécier l’écriture soignée et le vocabulaire recherché de l’auteur. 

C’est absolument le roman à choisir quand on aime les intrigues bien ficelées, la torture intellectuelle, les énigmes labyrinthiques, les faits divers et les personnages hors du commun. 

Une arrivée chez Belfond à la hauteur de mes espérances à ne surtout pas manquer. 

Duel un piège absolument diabolique, et bientôt une adaptation en cours en mini-série pour France Télévision. 

À découvrir, ça vaut le détour. 

La sainte paix

La sainte paix d’André Marois aux Éditions Héliotrope 

Comment assassiner quelqu’un sans laisser de traces ? ”

En voilà une drôle de question que se pose Jacqueline depuis qu’elle a appris que Madeleine, sa voisine, veuve tout comme elle, qui ne lui adresse jamais la parole, a pris le temps cette fois de traverser la rivière pour lui annoncer son intention de vendre sa maison. 

Son petit coin de Paradis, son paysage au bord de la Mastigouche , sa tranquillité , elle y tient plus que tout, alors pas question que ça change et que des étrangers viennent envahir son espace. 

“ Faut-il être sûr de son plan à cent pour cent avant de le mettre à exécution ? ” 

Y’a de quoi avoir des envies de meurtre…

André Marois nous offre une pépite pleine d’humour noir qui m’a fait penser à Mamie Luger de Benoît Philippon. 

À travers Jacqueline, cette vieille dame, pleine d’humour et d’imagination, on va suivre au fil des saisons le piège machiavélique qu’elle va mettre en place pour se débarrasser de sa voisine pour garder La Sainte Paix. 

C’est divinement bien pensé, c’est drôle, insolite, caustique et franchement bien construit. 
Une intrigue québécoise aux petits oignons qui se déguste sans modération. 

Jacqueline, très certainement une copine de Mamie Luger.

Dieu seul le sait . 

Prendre son souffle

Prendre son souffle de Geneviève Jannelle aux Éditions Québec Amérique 

“ Je persiste à croire que notre histoire était incontournable, inévitable, qu’elle était écrite quelque part. Nous n’en étions que les acteurs. ” 

Pour nous parler d’amour, entachée par la maladie, Geneviève Jannelle le fait d’une belle manière et réussit un tour de force sans tomber dans la mièvrerie ni le pathos, allant même jusqu’à nous faire décrocher de nombreux sourires avant que les larmes aux bords des nos yeux finissent sur nos joues. 

“ Nous vivions totalement dans le présent. 
   Que faire d’autre quand on n’a pas d’avenir. ” 

Lorsqu’Anaïs rencontre Eden, on peut parler de coup de foudre, alors c’est inimaginable pour eux de ne pas avoir envie de faire le reste de leur vie ensemble, même si une date de péremption est à prévoir. 

“ Une obsolescence humaine programmée ” 

Ce livre est bien plus qu’une histoire d’amour, parce que l’auteur trouve les mots justes pour parler d’un sujet douloureux, avec  des mots puissants et doux à la fois. Sur moi il a fait l’effet d’un baume réparateur et m’a permis enfin de comprendre et d’accepter le geste d’Adieu d’une de mes amies, Cécile, atteinte par la sclérose en plaque, partie à 38 ans. 

« Elle avait l’air zen. Pas aigrit, pas triste. En paix. Apaisée de n’être un poids pour personne, de ne devoir se sentir coupable de rien, surtout pas d’exister, surtout pas d’être dans l’état où elle était. »


Mes pensées vont vers Cécile, à jamais dans mon cœur. 

Vieux Kapiten

Vieux Kapiten de Danü Danquigny à La série noire de Gallimard 

“ Ce que je crois… Il est marrant, lui
    Je crois qu’un type qui roule en Hummer envoie un message au monde qui l’entoure, qu’il dit sa façon très claire que son sexe est trop court, qu’il se fout bien que la Terre se transforme en véritable four, qu’il aime jouer à la guerre, qu’il a manqué d’amour. 

[…] 
   Je crois à une certaine poésie des ruelles, à un esthétique des caniveaux, que la ville dans ses replis est trop belle, qu’on orpaille des trésors de la boue des ruisseaux, qu’un pavé bien lancé peut toucher le ciel et faire trébucher les salauds, que si ça ne suffit pas, il faut sortir les pelles et ramener dans leurs cœurs la peur à l’échafaud. 

[…] 

Je crois que l’homme a créé le diable à son image, pour se punir de n’être pas assez sage, que la géhenne se peuple à mesure que l’on avance dans l’âge et qu’on y atterrit le jour où notre boussole morale nous guide vers le naufrage. ” 

Mais pourquoi choisir ces passages pour présenter ce roman noir me direz-vous ? 


Tout simplement pour vous montrer toute la singularité et la profondeur qui se dégagent de la plume de Danü Danquigny, avec cette pointe d’humour noire bien dosée ici et là, au milieu de cette noirceur alors rien d’étonnant que je sois une fois de plus sous le charme. 

“ Je crois au soleil noir de la mélancolie, au désespoir et à la folie, aux rêves déments du soir par le matin trahis, à la paix du corbillard et aux amants maudits. 

Je crois qu’une mauvaise nuit vous vieillit de dix ans, que la caresse d’une main fraîche vous rajeunit d’autant, qu’une ville révèle son visage juste avant le levant, aux heures incertaines où tombent les faux-semblants, qu’on peut vivre toute une vie et rester ignorant. ”

Vieux Kapiten, nous entraîne dans une véritable croisade, où certaines personnes semblent bien décidé à faire tomber quelques têtes, tandis que d’autres mènent une enquête plutôt personnelle se mettant parfois en danger, jusqu’à être obligés de fuir. 
Et lorsqu’un avocat véreux embauche une Detective privée pour tenter de retrouver son fils, rien ne va plus, la haine et la vengeance traverse les frontières jusqu’à réunir tout ce beau monde au pied d’un cimetière d’Albanie. 


Autant vous prévenir, cette croisade ne sera pas de tout repos, la tension est aussi palpable que la violence qui erre entre ces pages. 
Tout en ayant un regard avisé sur notre société, cet auteur possède une plume au caractère bien trempé qui s’affirme roman après roman. Un auteur qui n’a pas peur de décrire ce monde qui part en vrille à travers des personnages de haut vol très représentatifs, plutôt flingués auxquels on s’attache forcément, tellement, qu’on espère qu’au bout de la route il leur reste un peu d’espoir. 


Troisième roman noir, troisième pépite et un bonheur de lui dire bientôt (dès demain) tout le bien que je pense de son écriture et de ses romans.

Rendez-vous au Quai du Polar pour découvrir cet auteur aux talents multiples. 

Retrouvez Peter Punk aux pays des merveilles ICI

Mirror Bay

Mirror Bay de Caytriona Ward aux Éditions Sonatine 

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Szczeciner

“ Quand à la vieille maison perchée seule sur la digue, elle semble détenir un secret. ” 

Pour tous ceux et celle qui s’étaient aventurés entre les pages de son premier roman : La dernière maison avant les bois(ma chronique ici) savent à quel point Catriona Ward manipule ses lecteurs allant même jusqu’à torturer leurs méninges, brouillant les pistes, les amenant par des chemins de traverse vers une vérité illusoire. 

“ Les écrivains sont des monstres… ils dévorent tout ce qui passe à leur portée. ” 

Dans ce deuxième roman, tout commence durant l’été de 1989, sur les côtes du Maine, où une famille débarque dans un cottage perché en haut d’une falaise suite à un héritage. Wilder Harlow, le jeune garçon a suivi ses parents et ne tarde pas contre toute attente à se faire deux nouveaux amis, Harper une jeune fille et Nathaniel un garçon tout aussi énigmatique. 

Très vite ils deviennent inséparables, et profitent des joies des vacances. 

L’été fait son chemin mais les rumeurs qui circulent à Whistler Bay s’intensifient, un rôdeur erre toujours chaque nuit s’invitant dans certains foyers, allant jusqu’à photographier les enfants endormis, sans oublier la mystérieuse noyée jamais retrouvée. 

Puis un jour l’été s’assombrit mettant fin brutalement à l’enfance de ce trios d’amis. 

Pour nous conter cette histoire, comme un devoir de mémoire c’est Wilder qui s’y colle, lui qui rêve de devenir écrivain. 
Mais avec l’imagination de l’auteure, il faudra vous attendre à des chemins détournés pour la découvrir, tout en vous demandant qui dit la vérité ? 

“  L’autofiction. Raconter toute la vérité, mais en la modifiant légèrement. ” 

Emprisonnés entre ses pages, les secrets de Mirror Bay, qui vont vous hanter pendant un long moment. 
Un véritable labyrinthe psychologique qui va vous balader entre ces pages à travers des personnages parfois tordus, infligés de traumatismes, qui parfois trahissent, tuent…


« Il est possible d’enfermer quelqu’un dans un livre. D’emprisonner son âme. De construire des cages avec des mots. » 

Ça peut paraître un brin difficile à suivre et pourtant Catriona Ward réussit une fois de plus à emporter ses personnages dans son imaginaire et à nous offrir un nouvel OLNI littéraire inclassable mais pas illisible, faut juste s’accrocher un peu et accepter d’être embarqué dans son univers. 

“ […] je me demande si on peut aimer un endroit comme on aime une personne – cette portion de côte, ces longues journées ensoleillées où on peut se perdre. Cette partie du monde est si reculée, si intime. Chaque crique, chaque bosquet est un secret à part entière. ” 

Voltiges

Voltiges de Valérie Tong Cuong aux Éditions Gallimard 

“ C’est ainsi que les choses sont arrivées. Par un enchaînement d’incidents mineurs et de faits majeurs, de coups portés et de blessures involontaires, de maladresses et de malentendus. ” 

Si dès le départ du livre on découvre chez un notaire un secret de famille, très vite l’histoire va prendre une autre direction à laquelle on ne pensait pas forcément et la haute voltige démarre et nous entraîne à travers une temporalité particulière auprès de Nora et d’Eddie, un couple où l’amour est on ne peut plus flamboyant. Eddie est à la tête d’un cabinet de conseil et Nora , graphiste excelle dans la création de bijoux. 

A la naissance de Leni , leur enfant, devant faire face à leur première peur, leur vie se retrouve bousculée et la responsabilité de chacun en tant que parent s’impose d’elle-même comme une évidence. Si pour Eddie l’urgence de mettre sa famille à l’abri du besoin s’intensifie, pour Nora son  amour maternel ne cessera de grandir, faisant de sa fille sa priorité. 

Mais la vie est loin d’être un long fleuve tranquille, même  si l’amour est immense au sein de cette famille, quelques turbulences s’invitent dans le paysage, comme des alertes, prémisses d’une chute imminente, ruinant la vie, conduisant certains au bord du précipice. 

La vie s’étire au fil du temps, voltigeant d’un moment à un autre, entre bonheur et douleur, chacun fait son chemin et prends de nouvelles trajectoires, de nouvelles acrobaties, de nouveaux vertiges, chacun résiste autant que faire se peut. 

Dans ce roman choral on y croisera également Jonah, l’entraîneur de Leni depuis qu’elle s’est découverte une passion pour  le Tumbling, faisant d’elle une athlète de haut niveau, mais aussi Ernest Wilstroem rencontré chez le notaire, et Loretta la mère d’Eddie, chacun a son rôle, son importance dans cette véritable partie de poker où chacun tente de se refaire pour garder un brin d’espoir après la tornade. 

Car dans ce climat sous haute tension, même la nature se rebelle, joue contre eux et voltige aussi entre beau temps et mauvais temps, insufflant petit à petit envers la jeunesse l’urgence de vivre l’instant présent sans penser à l’avenir, face aux changements climatiques, aux catastrophes qui s’enchaînent. 

Valérie Tong Cuong nous offre une envolée littéraire de haute voltige, un roman puissant, intriguant, sur les liens familiaux, sur les conséquences que peuvent avoir des non-dits, dans ce monde en pleine turbulence, où il est parfois difficile de faire des choix sans interférer sur son destin et celui de ses proches pour ne priver personne de sa liberté. 

Un grand roman, qui nous invite à réfléchir sur notre propre vie, à travers ces destinées bien ancrées dans notre présent, où il est important de revoir certaines priorités, de s’affranchir de certains fardeaux pour vivre plus libre.