L’Odyssée de Sven

L’odyssée de Sven de Nathaniel Ian Miller aux éditions Buchet . Chastel

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Mona de Pracontal

“ […] je crois que ma mère abandonna tout espoir de perspectives brillantes pour mon avenir et accepta l’idée que j’étais une anomalie bénigne : un bon garçon, mais un garçon bizarre. ”

Depuis toujours Sven est d’un naturel plutôt solitaire, préférant la compagnie des livres à celle des hommes, sa mère l’a bien compris. Il s’ennuie profondément, même son travail est déprimant, alors lorsqu’on lui propose un poste de mineur à Spitzberg, sur une île de l’Antarctique bien loin de Stockholm, il saisit l’opportunité pour enfin assouvir son envie d’exploration polaire.

Loin de sa famille, l’aventure polaire débute, jusqu’au jour où un accident met fin précocement à sa carrière de mineur le privant d’un œil, et laissant son visage défiguré. Une nouvelle apparence qui l’isole davantage lui donnant encore plus envie de prendre le large et de s’aventurer encore plus loin vers le Grand Nord.

“ Peu après, je résolus de passer ma vie en solitaire. ”

C’est auprès de Tapio, un chasseur finlandais qu’il va faire son apprentissage de trappeur. Isolé plus que jamais avec pour seuls voisins des ours polaires peu fréquentables et un chien aussi indomptable que lui, mais protégé par la bienveillance de McIntire, un géologue écossais assez excentrique, le seul ami qu’il s’était fait à l’exploitation minière qui pourvoira à ses besoins élémentaires et restera son plus fidèle ami avec Tapio.

“ Presque chacun des pas, sur glace ou rochers, que j’étais persuadé d’être le tout premier humain à faire, m’amenait quelque part où d’autres avant moi avaient navigué, chassé, dépecé. Nombreux aussi avaient souffert jusqu’à ce que leur mort elle-même fût un labeur. ”

Sven apprendra l’art de la chasse, assistera à la naissance d’un iceberg, découvrira la beauté des aurores boréales, avec parfois des coups de blues et des coups de gueule, face à sa solitude en terre hostile, jusqu’à l’arrivée inopinée d’une visiteuse qui va vite s’incruster dans le paysage et dans sa vie.

“ Et la vérité c’est que, même si je suis connu comme un chasseur arctique solitaire et sans égal, je ne suis rien de tel et j’ai rarement été seul. ”

Voilà un livre tout à fait inattendu qu’il serait dommage de ne pas découvrir. Car derrière cette belle couverture se cache l’ aventure humaine extraordinaire d’un homme qui n’avait pourtant que peu d’ambition dans la vie, comme quoi tout le monde peut se tromper.

En plus d’un dépaysement total qui vous fera découvrir l’Antarctique il y a fort longtemps, là où les icebergs sont nés auprès des ours et des renards polaires, des phoques et autres espèces animales menacées dorénavant d’extinction face au réchauffement climatique, vous partagerez l’aventure hors du commun de Sven, et de quelques personnages haut en couleur qu’il côtoie au cœur du cercle polaire.

Un récit introspectif d’un homme qui vit en ermite protégé par une bonne étoile et quelques anges gardiens attentionnés, qui se reconstruit une nouvelle vie et une nouvelle famille au cœur d’un endroit sauvage presque inhabitable.

L’odyssée deSven, vous garantit un voyage extraordinaire, emplie d’humanité, aussi bouleversant que drôle, une formidable ode à la nature, à la vie, à l’amitié.

Un récit qui vous fera fondre de plaisir malgré ses températures glaciales, pensez-y…

La lune de l’âpre neige

La lune de l’âpre neige de Waubgeshig Rice aux Éditions Les Arènes

Collection Équinox

Traduit de l’anglais (Canada) par Antoine Chainas

“ Les rayons solaires déposaient des vagues dorées et luxuriantes sur le feuillage des érables et des chênes à l’extérieur. La végétation ainsi que la faune des bois feraient bientôt retraite, tandis que l’être humain endurerait de son côté les épreuves annuelles de l’hiver. Ewan enviait parfois les arbres et les ours noirs, capables de mettre leur existence entre parenthèses le temps d’une saison. ”

Au Canada, après avoir perdu la majorité de leur territoire, les indiens anichinabés vivent désormais dans une réserve, loin de la civilisation continuant de chasser pour reconstituer leurs réserves de nourriture à l’approche de l’hiver.

Au fil des ans, ils se sont réorganisés, profitant au passage de certaines installations telles que les antennes relais ou l’électricité mêmes si elles demeurent bien souvent de mauvaises qualités.

Alors, lorsque survient la panne d’électricité générale, personne ne s’affole au départ.

Seulement la panne perdure, empêchant également toute communication avec l’extérieur. Voyant les stocks de nourriture diminuer, une certaine panique commence à envahir la réserve, le conseil de la tribu doit prendre des mesures faces aux tensions qui commencent à surgir au sein de la communauté, et aux clans qui se sont déjà formés.

Et lorsque un étranger cherchant refuge, débarque, leur faisant part du chaos dans lequel le monde a sombré, l’équilibre déjà précaire ne cesse de se fragiliser, créant au sein même de la communauté une grande menace.

“ Tant de drames s’étaient produits durant ce terrible hiver. ”

Une fois de plus, cette tribu est menacée d’extinction, à moins que leur héritage ancestral leur permette de survivre, laissant derrière eux le monde s’effondrer pour mieux renaître.

À travers ce thriller apocalyptique, l’auteur lui-même originaire d’une réserve indienne au Canada, s’est inspiré de la panne électrique en août 2003 qui avait paralysé une grande partie des États-Unis, nous montrant à quel point le progrès a ses limites et qu’il est bon d’avoir gardé précieusement l’héritage et les traditions ancestrales pour ce peuple indien, lui permettant malgré l’effondrement d’espérer survivre une fois de plus.

Nous plongeant dans une ambiance glaciale, assez sombre, au cœur même d’une réserve, on découvre le basculement d’un présent mordernisé, quand tout s’arrête vers un futur à réinventer en se servant du savoir transmis par les anciens.

À l’époque où tant de catastrophes surviennent, où la terre se rebelle, on ne peut qu’avoir une pensée pour toutes les sagesses indiennes qui ont toujours mis en garde l’homme blanc face à cet appétit de possession et de destruction toujours plus grand.

“ Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson capturé, alors seulement vous vous apercevrez que l’argent ne se mange pas. ” Standing Bear, Chef Lakota.

Waubgeshig Rice nous offre un récit sous tension, rendant hommage à ses ancêtres tout en nous mettant en garde à sa façon au monde de demain à l’avenir tellement incertain.

Un premier roman plutôt réussi où les autochtones sont à l’honneur, la survie point fort de ce récit, étant totalement ancrée dans leur culture.

À découvrir chez Équinox.

Pour info :

Waubgeshig Rice est un journaliste et écrivain originaire de la réserve indienne de Wasauksing. Il anime une émission périodique sur CBS et partage son temps entre son travail de journaliste à Sudbury et la réserve de Wasauksing.

La Lune de l’âpre neige est son premier ouvrage à paraître dans la collection EquinoX.

Pour tout bagage

Pour tout bagage de Patrick Pécherot aux Éditions Gallimard

Collection La Noire

“ Quarante ans plus tôt, je les aurais peut-être applaudis, moi , les gueux. Avec le recul, je les voyais autrement. Rejetons de coupeurs de tête, sans culotte et sans plus de jugeote. La meute, c’est jamais bon.

Antoine ? Désolé, Edmond, je l’avais laissé en plan… Retrouvons-le sur le parking. Il tremble un peu, Antoine, le flingue est lourd. Il va nous faire son numéro, les clowns sont des marrants… Il a fermé un œil. Il vise… Pan ! Ça c’est imprévu, tu es sorti de voiture, tu prends la balle en pleine poitrine. Oh ! La belle galipette ! Bravo ! Tu vas te relever, sortir la balle de ta bouche et saluer. Le couac, c’est que tu ne te relèves pas. La séquence est ratée. ”

On pourrait dire qu’Edmond se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment en 1974, quand cinq lycéens qui voulaient jouer au héros l’ont malencontreusement descendu.

Ça se passe à l’époque où un groupe anar venait d’enlever un banquier espagnol à Paris.

La belle affaire pour eux, qui voient cet accident passé pour un dommage collatéral.

Mais lorsque quarante-cinq ans plus tard, des lettres mystérieuses racontant leur histoire surgissent, l’un d’eux va partir à la recherche de ses anciens camarades liés à cette mort, dont on ignore toujours le nom du véritable tireur.

Même les plus chouettes souvenirs, ça t’a une de ces gueules…

Léo radinait enfoncer son clou de tristesse. Fais chier, Ferré ! ”

En compagnie du narrateur, l’auteur nous invite à remonter le fil du temps, convoquant au passage quelques fantômes, pour découvrir enfin les circonstances du drame.

« Il laisse des traces, le Champo. Des demi-siècle plus tard, on en est encore barbouillé, on se compose des vies pellicule. Des séquences du spectateur…[…] On naviguait dans le non-dit, le frôlement des mains, des rêvasseries muettes. Aux retours de mémoire, elles nous feraient des histoires à colorier. Des contes sans queue ni tête, qui n’iront pas plus loin que la mélancolie. ”

Si Léo Ferré avait eu besoin d’un parolier à l’époque, on aurait pu lui recommander Patrick Pècherot qui lui rend dans ce roman un bel hommage.

Qu’on le considère comme un polar ou un roman noir, le plaisir de lecture restera le même pour cette intrigue en noire et blanc portée par une plume pleine de panache.

Sa verve insolente, vive, spirituelle, audacieuse diablement efficace et même poétique vous transportera avec délice dans les années soixante-dix vers la jeunesse pleine d’illusions avant que la culpabilité assombrisse leurs vies futures.

Décidément, les auteurs de La Noire de Gallimard ne cessent de me surprendre de la manière la plus agréable qu’il soit.

Pour info :

Patrick Pécherot est né à Courbevoie. Il a grandi et it en banlieue parisienne.

Il est notamment l’auteur des Brouillards de la butte ( Grand prix de littérature policière 2002), premier volet d’une tribologie sur le Paris populaire de l’entre-d’eux-guerres, de Tranchecaille (Trophée 813du meilleur roman francophone 2009) et d’Une plaie ouverte (Prix Transfuge du meilleur polar 2015). Hével, son neuvième roman publié à la Série Noire en 2018, a reçu le prix Marcel Aymé et le prix Mystère de la critique en 2019.

Les orages

Les orages de Sylvain Prudhomme aux Éditions Folio

“ Il pense à ces photos, qu’il a faites.

Il pense à toute celle qu’il aurait pu prendre et n’a jamais prises.

Cette fois il s’en va. Le moment mériterait des roulements de tambour, des trémolos de violons, trois coups comme au théâtre. Dans un mauvais film il y aurait sans doute de la musique, la petite musique de vie qui passe- mais non: il n’y a rien. Tout est comme toujours. Les bruits sont les mêmes. L’immobilité des choses est la même. Il foule une dernière fois le couloir de l’entrée. […] Dans l’escalier il pense au silence là-haut, à l’intérieur de l’appartement. Au calme revenu entre les murs. Aux particules de poussière qui doivent remuer dans la lumière, agitée par son passage. Il pense que tout là-haut, on doit encore entendre le bruit de ses pas dans l’escalier.

Puis c’est la rue et son fracas. ”

Traversées par des hommes et des femmes de tous lieux, les histoires de Sylvain Prudhomme qui se présentent sous forme de nouvelles, nous offrent des fragments de vies plutôt importantes, voire décisives.

Qu’il soit question de maladie, d’amour ou d’adultère, d’enterrement ou même de vacances, de déménagement, de présent ou de futurs,de souvenirs, ou de rencontre fortuite, ou même de sacrifice, l’auteur amène ces hommes et ces femmes à affronter les tempêtes plus ou moins sévères qui traversent leurs vies, les amenant parfois vers un basculement, vers une fin, une dernière fois.

Mais avant de les plonger dans la tourmente, on découvre parfois leurs coups de cœur et leurs coups de foudre , leurs parcours de vie avant les orages, avant que la pluie les inondent sans jamais s’annoncer.

Des nouvelles pleine de sensibilité, présentées tout en délicatesse et avec beaucoup de bienveillance, qui prouvent que Les orages de cet écrivain si discret ont de beaux jours devant eux dans le paysage littéraire.

Qu’on se le dise.

Pour info :

Retrouvez son précédent roman Par les routes (ici).

Padania blues

Padania blues de Nadia Busato aux éditions de La Table Ronde

Traduit de l’italien par Karine Degliame o’Keeffe

“ Mais j’aurais beau te dire que tout a commencé par une histoire de seins: les miens. Te dire que je n’en pouvais plus, que j’étais prête à tout. Que je ne regrette pas. J’aurais beau tout t’expliquer, je ne suis pas sûre que tu comprendrais. Tu comprendrais les faits, la séquence des événements dans cette histoire absurde du début à la fin. Mais me comprendre, moi ? Tout ce que je te demande, c’est de ne pas te moquer, m’insulter, m’enfoncer, me dire que je l’ai bien cherché. ”

Mais comment Barbie, a-t-elle pu en arriver là ? Mais ne brûlons pas les étapes, je vais d’abord vous la présenter.

Barbie est coiffeuse (comme moi) et travaille au salon Hair & Beauty d’Ogno (pas moi), avec son meilleur ami Maicol, pour Ric, leur patron.

Barbie a pourtant d’autres ambitions et rêve d’être l’assistante d’un présentateur télé (quel horreur) ou pourquoi pas épouse d’un footballeur (mais quelle idée franchement) ou pourquoi pas actrice (là ok c’est déjà mieux).

Décidément Barbie et moi, à part le métier, on n’a vraiment rien en commun.

Et pourtant, elle gagne à être connue, tout comme Nadia Busato, l’auteure.

Mais face au miroir de son poste de travail où chaque jour elle doit embellir ses clientes et faire face à la réalité, il lui manque un atout majeur à son sens pour réussir : une belle paire de nibards. (Oui vraiment tout nous sépare).

“ La vérité est que chaque femme, sans exception, possède des seins fantasques, dotés d’une personnalité propre, indisciplinés et rebelles. Qui se mettent en grève, épuisés, deviennent deux poires pendantes et tristes le jour où on voudrait qu’ils aient la consistance de melons. Voilà pourquoi les femmes lèvent toujours les bras, y compris au cinéma ! C’est comme ces statues de héros qui arborent un micropénis : un signe d’encouragement et de solidarité adressé aux personnes normales. Les actrices sont des femmes comme les autres : elles étirent leurs pectoraux pour que leurs seins se ressaisissent, se reprennent, remontent ne serait-ce qu’un peu. Elles sont en représentation. L’important, c’est de ne pas faire peine à voir. ”

Le salaire de coiffeuse n’étant point mirobolant (tout le monde le sait), il va falloir qu’elle trouve l’argent pour cette opération esthétique qui lui permettra d’avoir la poitrine de ses rêves. ( Loin de mon rêve d’avoir ma librairie, même si pour certaines personnes, on ne s’improvise pas libraire, comme on ne s’improvise pas coiffeuse, clin d’œil à une vilaine pleine de préjugés débiles).

Mais troquer une paire de ciseaux contre un bidon d’essence peut s’avérer dangereux, et bloquer à jamais la porte de sortie vers un avenir qu’elle espérait meilleur.

“ Barbie songe à quel point ça craint ; Ric est un type qui se pourrit la vie pour un putain de salon au milieu d’un trou perdu où l’herbe du voisin n’est même pas bonne à fumer pour oublier qu’on habite là. Elle songe aussi qu’avec de nouveaux seins, elle pourra partir loin, très loin de tout ça, de son faux-cul de collègue et de son patron prêt à tout foutre en l’air pour une relation perdue d’avance. Ce qu’il est seul à ne pas savoir, évidemment. ”

Certains faits divers inspirent les écrivains, et Nadia Busato s’empare de l’un d’eux, dont je ne vous parlerai point pour garder le suspens et ne pas gâcher votre plaisir de lecture.

À travers cette histoire portée par une écriture viscérale, l’auteur nous livre le portrait d’une femme d’aujourd’hui, née sous une mauvaise étoile qui aspire pourtant à quitter sa condition modeste et cet endroit paumé, pour enfin briller sous les feux de la rampe.

Un récit profond, qui ne manque pourtant pas d’humour, et d’esprit une bonne manière pour traiter en dérision certains sujets malgré leurs côtés dramatiques. Car ici tout est vrai et si ça peut paraître d’un prime abord drôle, c’est on ne peut plus tragique.

Face au paraître, aux dictates de la mode, certaines femmes sont prêtes à tout pour ressembler un tant soit peu à certaines mannequins ou actrices, croyant qu’elles pourront accéder au bonheur suprême, mais parfois la route vers ce qu’elles croient être le Paradis peut prendre un détour par l’Enfer.

En choisissant Barbie comme prénom pour notre coiffeuse, l’auteure souligne à quel point les stéréotypes ont la vie dure. Tout comme pour Maicol et son statut d’homosexuel.

Padania Blues, une véritable tragi-comédie qui nous renvoie en pleine face, tel un miroir, l’actualité où le paraître et les préjugés ne cessent de faire des dégâts dans les vies des plus fragiles.

C’est féroce, magnifiquement écrit, bien loin des contes de fée, et hélas trop proche des contes de faits divers puisque c’est bien arrivé un jour.

Pour info :

Née à Brescia en Lombardie, en 1979, Nadia Busato est conseillère à Grazia et au Corriere della Sera. Elle écrit également pour le théâtre, la radio, le cinéma et la télévision.

Son roman Je ne ferai une bonne épouse pour personne a paru aux Éditions de la Table ronde en 2019.

Elle est également l’auteure d’un récit publié dans l’ouvrage collectif H24 ( vingt-quatre heures dans la vie d’une femme), paru chez Acres Sud et adapté en mini-série sur Arte en 2021.