Transparence

Transparence de Marc Dugain aux Éditions Folio

Cette façon de voyager dans l’espace aussi bien que dans le temps était d’autant plus pratique qu’elle évitait le contact avec les autres touristes à un moment où le dégel de la Sibérie libérait des bactéries inconnues, puissantes, contagieuses et parfois mortelles. Rester chez soi dans un monde virtuel a donné aux individus un sentiment de liberté totale qu’ils avaient complètement perdu dans le voyage, cette évasion factice, régulée au point que plus aucune spontanéité ne pouvait s’en dégager. Plus les années ont passé, plus le confinement a présenté des avantages. Chez soi, l’air était filtré, on pouvait y pulser de l’oxygène, ce qui n’était pas le cas à l’extérieur où la pureté de l’air avait disparu de la planète entière pour faire place à des compromis plus ou moins toxiques, où les alertes se succédaient, encourageant les gens à ne pas sortir de chez eux et à oxygéner leur habitat. ”

Chers lecteurs, en lisant cet extrait de Transparence de Marc Dugain, vous pourriez presque penser lire un article d’un journal publié récemment, tant ce passage résonne en nous actuellement depuis le début de la pandémie mondiale qui nous oblige à vivre presque cloîtré en attendant les jours meilleurs.

Et pourtant ce roman est sortie en librairie en 2019, mais il prends une toute autre dimension lorsqu’on le découvre en 2021, comme ce fut le cas pour moi.

Évidemment nous sommes dans ce que le jargon littéraire appelle un roman d’anticipation. Et bien c’est justement là où le bas blesse.

Et si Marc Dugain était comme certains auteurs un visionnaire ?

Nous sommes ici en 2060, en pleine révolution numérique où une femme, Cassandre Namara est à la tête d’une entreprise appelée TRANSPARENCE, qui a pour but de récupérer les données personnelles.

Elle s’apprête à commercialiser un programme révolutionnaire baptisé « Endless ». Il serait capable de sauver l’humanité qui est déjà considérablement en danger. Les réserves naturelles s’épuisent, la population a atteint un seuil critique, le chômage ne cesse d’augmenter, sans parler du dérèglement climatique.

“ – Vous avez voulu faire croire à votre foi en Dieu alors que vous ne croyez qu’en l’argent et vous avez entrainé le monde derrière vous dans cette géante hypocrisie. L’hystérie dans laquelle nous a plongés la mondialisation a multiplié la production de produits chimiques par 300 entre 1970 et 2010 par 1000 depuis. Nous avons tellement modifié notre environnement que nous sommes contraints de nous modifier nous-mêmes pour survivre à ce nouvel environnement. ”

Cassandre Namara s’attaque dans un premier temps au géant Google, puis propose l’immortalité, jusqu’à l’arrivée de la police locale qui souhaite l’interroger, la suspectant d’un homicide selon certains témoins.

“ – Ne laissez pas votre imagination vous manger le cerveau, ne vous obstinez pas à savoir pour le moment, l’obsession est mauvaise conseillère, elle déforme volontiers la réalité de son sujet pour mieux s’en nourrir, non, dites-vous simplement que lundi tout vous paraîtra limpide. ”

Il est clair qu’à travers Cassandre Namara, Marc Dugain a de nombreux messages à faire passer, il n’est pas le premier et ne sera pas le dernier à nous offrir une image préoccupante de notre futur.


Et même si ce n’est qu’un roman, il a le mérite de réveiller notre conscience, de nous interroger à travers cette intrigue captivante, avec une fin à la hauteur du roman aussi explosive que surprenante.

Si comme moi vous aviez reporté ou raté sa sortie en grand format, le format poche est dorénavant disponible, et c’est justement maintenant qu’il est quasiment indispensable de le découvrir.


Ça se lit comme un thriller mais c’est bien plus intelligent, bien plus percutant, et c’est sous la plume d’un auteur qui nous embarque vers une histoire où la fiction rejoint la réalité dans un style vif presque terrifiant, une image tellement réaliste de notre monde.

Pour info :

Marc Dugain est né le 3 mai 1957 au Sénégal.
Après avoir vécu les sept premières années de sa vie au Sénégal, Marc Dugain revient en France avec ses parents. Il intègre quelque temps plus tard l’Institut d’études politiques de Grenoble, où il étudie les sciences politiques et la finance, avant de prendre la tête d’une compagnie d’aviation.
À 35 ans, il écrit son premier roman, La Chambre des officiers (1998), primé vingt fois (prix Nimier, prix des Libraires, prix des Deux-Magots…) et adapté au cinéma.
Il sort ensuite Campagne anglaise, Heureux comme dieu en France, La Malédiction d’Edgar, Une exécution ordinaire (2007), L’insomnie des étoiles (2010) et plus récemment L’Avenue des géants(2013), et se constitue peu à peu un lectorat fidèle.
Friand d’horizons lointains, Marc Dugain vit au Maroc depuis 2001.
Le prix du Roman-News, qui récompense une oeuvre de fiction inspirée de l’actualité, vient couronner en 2014 L’Emprise de Marc Dugain. Il sortira L’Emprise 2 : Quinquennat en 2015 et L’Emprise 3 : Ultime partie en 2017. La même année, il publie le roman Ils vont tuer Robert Kennedy aux éditions Gallimard.

Je remercie les Éditions Gallimard pour ce roman coup de poing.

Les choses humaines

Les choses humaines de Karine Tuil aux Éditions Folio

“ Il relisait souvent les mots que Steve Jobs avait prononcés devant les étudiants de l’université de Stanford dix ans plus tôt, en juin 2005 alors qu’il se savait atteint d’un cancer : « La mort est très probablement la meilleure invention de la vie. […] Votre temps est limité, alors ne le gaspillez pas en vivant la vie de quelqu’un d’autre. » C’était peut-être les seules leçons qu’il avait tirées de toutes ces épreuves: tout peut basculer, à tout moment. ”

Les Farel forment un couple de pouvoir. Jean est un célèbre journaliste politique, Claire son épouse est également très connue notamment pour ses engagements féministes. Leur fils, Alexandre étudie dans une prestigieuse université américaine.

Mais hélas, même les familles les plus en vue peuvent se retrouver mise à mal, lorsqu’une accusation de viol entache leurs réputations et fait voler en éclats ce qu’ils avaient si chèrement acquis.

Comme l’a dit Darwin : « Les espèces qui survivent ne sont pas les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements. »

Ce que j’en dis :

Même si j’arrive après la bataille pour ce roman de Karine Tuil publié chez Gallimard en 2019, récompensé par le prix Interallié en 2019, et par le Goncourt des lycéens en 2019, j’ai très envie de vous inciter à le découvrir.

Après L’invention de nos vies publié en 2013, que j’avais trouvé extraordinaire, je ne pouvais pas faire l’impasse sur ce récit mais en laissant passé un peu de temps pour mieux l’apprécier, ayant été confronté à ce genre de faits dans mon entourage proche.

Les choses humaines devenant parfois inhumaines lorsque la perversion de certains individus sans scrupules entre en jeux.

À travers ce récit d’une construction magistrale, Karine Tuil nous présente en premier lieu les quatre principaux personnages, tous liés d’une certaine manière à cette histoire.

Sous une tension extrême, laissant déjà planer le doute sur qui sera l’ accusé au final, l’engrenage est en route, et on se rends bien compte que beaucoup de faits pouvant paraître anodins à certains sont pourtant répréhensibles et mériteraient aux protagonistes d’être poursuivis en justice.

Le mouvement « Me too » #balancetonporc est en route, et l’auteur aborde avec justesse ce thème où une accusation de viol va plonger une famille bien sous tout rapport dans l’enfer médiatique et judiciaire.

Un récit d’autant plus nécessaire à notre époque où certains abus peuvent détruire des vies, mais qui prouve également que personne n’est à l’abri de se retrouver piégé dans un redoutable engrenage.

La presse, les médias font leurs choux gras de ce genre d’affaire. À se demander parfois si c’est « tendance » d’étaler sur la place publique ces comportements perverses, et si vraiment ça aide les victimes dont l’intimité est une fois de plus mise à mal.

Les choses humaines un thriller psychologique contemporain redoutablement efficace qui ne peut laisser indifférent.

Karine Tuil est un écrivain français.

Elle vit et travaille à Paris. Elle est diplômée d’une maîtrise de droit des affaires et d’un DEA de droit de la communication (Université Panthéon Assas).

Elle est l’auteur de onze romans traduits en plusieurs langues. « Les choses humaines », son dernier roman a obtenu le prix Interallié 2019 et le Goncourt des lycéens 2019.

Il est en cours d’adaptation au cinéma.

Fahrenheit 451

Fahrenheit 451 de Ray Bradbury aux Éditions Folio

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jacques Chambon et Henri Robillot

“ Son casque symbolique numéroté 451 sur sa tête massive, une flamme orange dans les yeux à la pensée de ce qui allait se produire, il actionna l’igniteur d’une chiquenaude et la maison décolla dans un feu vorace qui embrasa le ciel du soir de rouge, de jaune et de noir.

Comme à la parade, il avança dans une nuée de lucioles. Il aurait surtout voulu, conformément à la vieille plaisanterie, plonger dans le brasier une boule de guimauve piquée au bout d’un bâton, tandis que les livres , comme autant de pigeons battant des ailes, mouraient sur le seuil et la pelouse de la maison. Tandis que les livres s’envolaient en tourbillons d’étincelles avant d’être emportés par un vent noir de suie. ”

À la base, les pompiers sont censés éteindre les incendies pas de les déclencher. Pourtant, dans cette société future, où le livre est devenu antisocial, un corps spécial de pompiers est chargé de brûler tous les livres, qui sont devenus interdits.

“ C’est toujours la nuit que l’alerte est donnée. Jamais en plein jour ! Est-ce parce que le feu offre un spectacle plus beau la nuit ? Parce que ça rend mieux, que ça en impose davantage ? ”

Les ordres sont les ordres. Pourtant le pompier Montag commence à entrevoir une autre possibilité, et s’autorise à rêver à un monde meilleur où la littérature et l’imaginaire ne serait pas bannis. Lassé de ce monde devenu artificiel, sans relief, il part en croisade contre cette pratique, tentant de sauver les livres, devenant un dangereux criminel qu’il faut éliminer, coûte que coûte.

Ce que j’en dis :

Profiter de cette magnifique édition collector pour enfin découvrir la plume de Ray Bradbury à la réputation mondiale.

« Ne jugez pas un livre d’après sa couverture » dit quelqu’un.

Classé dans la catégorie SF, ce livre ne serait peut-être pas passé entre mes mains sans cette originalité apportée à la finition de ce grand classique, récemment réédité chez Folio. Je suis persuadée qu’il fera la joie des bibliophiles, même de ceux qui le possédaient déjà.

Comme à mon habitude, je ne me suis pas attardée sur le synopsis et c’est horrifiée que j’ai découvert cette dystopie et les agissements de cette brigade 451, où les pompiers sont des pyromanes chargés de détruire les bibliothèques. Les livres étant devenus dangereux, ils sont amenés à disparaître sous les flammes de l’enfer.

Moi qui fait partie des bibliophiles, grande amoureuse des mots et des livres, découvrir ce récit était une véritable torture.

D’autant plus que même si on ne détruit plus les livres à notre époque, une nouvelle dictature est déjà en place face à la liberté d’expression. Nous sommes malheureusement confrontés à la haine de certains fanatiques qui se donnent le droit de mettre fin aux voix qui s’expriment.

Lire en 2020, en pleine pandémie planétaire ce roman publié en 1953, donne une saveur particulière à la lecture surtout face à l’actualité de ces derniers jours où un professeur d’histoire vient de perdre la vie assassiné par un fanatique.

Depuis quelques temps la science-fiction rattrape la réalité et certains auteurs du passé comme du présent deviennent de véritables visionnaires et commencent sérieusement à m’inquiéter sur ce qu’il adviendra de notre futur.

Un présent déjà envahit d’écran, alors qu’il est si bon de se laisser porter par des mots, des mots qui nous donnent une histoire, une histoire qui nous aide à nous échapper du quotidien en laissant au plus profond de nous l’espoir d’un monde plus beau.

Je terminerai avec quelques mots de Sophie Loubière, auteure de nouvelles percutantes entre autres, qui nous rappelle l’importance de la lecture : « Le monde est vaste à celui qui en tourne les pages. Et notre vie est trop courte pour qu’on ne rie pas de ses travers. Un accident est si vite arrivé. »

Lisez Fahrenheit 451, et surtout ne laissez personne détruire les livres, ni personne vous empêcher de lire, ou alors appelez moi, je l’enverrai brûler en enfer.

Pour info :


Né en 1920, Ray Bradbury s’impose rapidement comme un grand poète du fantastique et de la science-fiction avec ses Chroniques Martiennes . Auteur prolixe, il est également scénariste pour le cinéma (Fahrenheit 451 tourné par François Truffaut, Moby Dick de John Huston…)

Je remercie les Éditions Folio pour cette édition collector flamboyante.