Langue morte

Langue morte d’Hector Mathis aux éditions Buchet Chastel

“ Dehors tout est lourd. Silence d’angoisse… La grisâtre se barricade. Y’a que moi dehors, je suis un revenant… Peut-être y en a-t-il d’autres… […] En levant la tête, je retrouve mes fameux pylônes. Départs de câbles sans fin, découpant le ciel en portées. Il s’est peut-être écoulé dix minutes. Ou bien deux jours. Cette nuit pourrait ne jamais finir, je n’en serais pas étonné. Je ne sais pas ce que je fais ici, moi. Au quatre la lumière de mon ancienne piaule s’allume. ”

De passage à la grisâtre, au pied de l’immeuble de son enfance, un homme se souvient.

Les souvenirs s’invitent, surgissent du passé et ressuscitent ceux qui ont croisé son existence. De ses parents, à son frères, de ses voisins à ses copains, de ses professeurs à ses patrons, des proches et même des inconnus, tout un monde qui lui a fait connaître la joie, l’amitié, l’amour, mais également la bêtise, le désœuvrement, la colère, la souffrance, la vieillesse, la vie mais aussi la mort.

“ La tranche de voyage que je viens de m’enfiler ! Ça alors… J’ai toujours pas bougé, moi. Suffit de tourner le tète pour se retrouver ailleurs… Drôle de géographie. Du Quatre, je peux voir la maison où mon père et mes oncles ont grandi. […] La grisâtre. Quatre frangins tout autour. Un père de passage. Qui trimballait son arme, trempait sa tige ailleurs, risquait sa peau dans les remous de l’histoire. Pour l’armée, l’OAS, pour son compte… ”

C’est toute une vie qu’il nous offre , de l’enfant qu’il était à l’adulte qu’il est devenu, d’une époque lointaine jusqu’à l’aube d’une nouvelle ère.

“ Depuis tout petit je suis un fuyard. Je suis de la race des déserteurs. ”

Depuis la lecture de son premier roman K.O, je suis tombée d’amour pour cette plume aussi poétique que percutante. Et même si je m’étais un peu perdue dans le second roman Carnaval, j’ai retrouvé tout ce que j’avais aimé de ses débuts d’écrivain avec ce nouveau roman.

Langue morte nous transporte à travers les souvenirs d’un homme tout en réveillant les nôtres. Avec son style singulier, poétique , il nous bouleverse tout en délicatesse.

Loin d’être morte, sa langue nous fait vibrer, elle nous bouscule, nous émerveille, parfois de façon brutale mais avec une certaine sensibilité.

La plume d’un écorché qui rêve avant le désenchantement.

“ Toute activité humaine est un caprice. On n’agit jamais que pour tromper la souffrance ou l’ennui… Moi j’ai eu l’âme fugueuse. ”

Langue morte est un roman terriblement beau, tant par sa plume que par toute cette errance qui nous fait voyager d’un lieu à un autre, au cœur de ses souvenirs tout en restant à ses côtés à la grisâtre.

“ Elle roulait des tombes, sa voix, charriait de la ferraille et du sang. Sa langue finissait toujours en naufrage. Chavirait dans la salive pour y noyer ses mots. Dans son timbre y avait la nuit, la mort et tout un tas de fantômes. Assez de désespoir pour nous faire entendre l’existence. Comme elle sonnait réellement. Telle quelle. Pas trafiquée de sentiments. ”

Un pur délice pour l’amoureuse des mots que je suis.

Pour info :

Né en 93, Hector Mathis a grandi dans les environs de Paris, entre la littérature et les copains de banlieue.

Il est actuellement responsable des relations culturelles de la Maison Zola / Musée Dreyfus.

Il y aurait la petite histoire

Il y aurait la petite histoire d’Elsa Jonquet- Kornberg aux Éditions Inculte

“ Il y aurait la petite histoire, pas vraiment une histoire mais une série d’anecdotes sur les frasques d’Hélène, qu’il devrait s’efforcer de rendre inquiétante, mais pas trop pour qu’Esther ne pense pas qu’il exagérait.

Dans un café, Armand un vieil homme attend une jeune femme. Ce rendez-vous assez particulier n’est point une rencontre extra conjugale même s’il n’a rien dit à sa femme en sortant, mais plutôt un appel au secours. Sa petite-fille Hélène, se détourne du droit chemin et il s’inquiète. Après s’être souvenue que la fille d’un de ses anciens collègues de travail avait connu quelques déboires à son adolescence, il désire échanger avec elle pour essayer de mieux comprendre Hélène

Plus la conversation avance et plus il s’inquiète, loin d’amoindrir ses peurs.

Quelques semaines plus tard, Hélène disparaît de la pension où ses parents l’avaient envoyé après son renvoi de l’école.

Le pire est envisagé, confirmant les inquiétudes d’Armand, hantés par les fantômes de sa propre jeunesse.

Elsa Jonquet – Kornberg nous surprend en abordant les problèmes de cette adolescente à travers son grand-père. Un grand-père soucieux de sa petite fille, et même si la peur n’évite pas le danger comme le souligne ce vieil adage, certaines intuitions le tourmentent et lui rappellent une expérience liée à sa jeunesse d’où sa profonde inquiétude. Tentant certainement de se racheter, il essaie d’éviter le pire, protégeant autant que possible l’oisillon tombé du nid. Mais lorsque l’impensable se produit on découvre les failles du système judiciaire et on s’insurge inévitablement.

Un récit psychologique poignant court mais intense qui va à l’essentiel nous offrant le portrait d’un homme plongé dans la détresse face à la perte de sa petite -fille.

Pour info :

Née en 1985 à Paris, Elsa Jonquet – Kornberg est scénariste et monteuse.

Il y aurait la petite histoire est son premier roman.

Aimez-vous les uns les autres

Aimez-vous les uns les autres de Maruska Le Moing aux Éditions Gallimard

“ La nuit est un tunnel inodore, incolore ; le traverser annule la journée passée. On en sort engourdi au réveil, mais stoïque cependant, l’esprit lavé et prêt à avaler un nouveau morceau de présent. ”

Il suffit parfois d’un rêve pour se rappeler certaines obligations. Cela fait trois mois que cette femme n’a pas rendu visite à sa mère, confiée au bon soin d’un centre médical. En même temps, elle ne la porte pas dans son cœur, alors pourquoi décider de la kidnapper et de l’installer près d’elle à son domicile ?

Aurait-elle abusé de cet amant violent dans les bras duquel elle tente de s’oublier ?

“ À terre, à ses pieds, à attendre sa violence, volontairement offert, mon corps retrouve sa liberté. Mes veines se réveillent, le sang circule à nouveau. ”

Où a-t-elle trouvé comment se débarrasser de cette mère tant haïe ?

“ Les mots ne sont jamais aussi éloquents que lorsqu’ils se taisent. Dans la solitude ouatée de l’écrit, personne pour vous couper la parole, la vie vous laisse enfin tranquille. Sauf bien sûr lorsque votre mère sort de sa déliquescence pour se rappeler à votre bon souvenir. ”

Il y a certains premier roman comme celui-ci qui surprennent tant par leur maîtrise que par leur plume.

Dans ce récit, l’humour caustique et la poésie s’invitent au cœur de cette histoire parfois brutale, reflétant bien l’état d’esprit d’une femme, haïe tout au long de sa vie par sa mère et qui lutte à sa manière de s’en libérer. Et l’on ne peut être que vraiment surprise de son plan machiavélique pour y parvenir divinement conté par Maruska Le Moing.

Un roman court mais intense qui nous plonge dans un huis clos étonnant où la folie délivre enfin une fille de sa mère.

Aimez-vous les uns les autres jusqu’à ce que la mort vous sépare, à jamais…

Maruska Le Moing fait une entrée remarquable à la blanche de chez Gallimard, et j’ose espérer qu’elle poursuivra sa route d’écrivaine.

Une auteure à aimer, un peu, beaucoup, à la folie.

Pour info :

Diplômée de l’ESSEC, licenciée d’histoire de l’art et de psychologie, Maruska Le Moing est chanteuse lyrique et comédienne. Aimez-vous les uns les autres est son premier roman.

Ce qui arrive la nuit

Ce qui arrive la nuit de Peter Cameron aux Éditions Christian Bourgois

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Catherine Richard-Mas

“ Cela faisait des jours qu’ils voyageaient. Ils avaient d’abord pris l’avion, puis le train et le ferry, puis de nouveau le train, car leur destination était un lieu à la lisière du monde, au fin fond du nord d’un pays nordique, qu’on ne pouvait rallier sans peine. Leur trajet ressemblait à un voyage des siècles passés, une affaire de jours plutôt que d’heures, où la terre grave et réelle sous leur pieds affirmait constamment son immensité. ”

À bord d’un train, un couple d’Américains, en partance vers l’enfant qu’il désire adopter au plus profond des terres froides d’Europe.

À son arrivée, le couple prends ses quartiers au Borgarfjaroasysla Grand Imperial Hôtel où règne une ambiance plutôt étrange.

Très vite, ils vont découvrir une galerie de personnages énigmatiques à commencer par un barman impassible, puis une ex-chanteuse excentrique, un businessman dépravé, un curieux guérisseur et enfin l’enfant tant désiré.

D’un étage à l’autre, d’une pièce à l’autre, ici et là, les rencontres s’enchaînent, plus cocasses les unes que les autres donnant l’impression d’être dans un drôle de rêve, dans un drôle d’hôtel, un drôle de lieu, avec de drôles de gens, où jour après jour, le couple semble tout remettre en question.

Dans ce lieu déconcertant, cerné par le froid, les apparences sont parfois trompeuses, et entre le rêve et la réalité, on s’égare pour mieux se retrouver.

“ Laisse tomber, dit l’homme. Ça n’a pas d’importance. C’est ce qui arrive la nuit. ”

Apparemment, ce voyage littéraire m’a apporté autant de surprises qu’à ce couple d’Américains. J’ai savouré chaque moment et grandement apprécié la plume qui me contait cette histoire.

L’impression d’être au théâtre, où chaque scène réserve son lot de surprises oscillant entre une douce ironie et un côté plus sentimental.

À travers ces personnages où chacun joue sa petite comédie, tantôt avec sérieux mais très vite rattrapée par une douce folie on découvre les blessures humaines, les espoirs, les rêves, tout ce qui nous amène parfois à nous éloigner, nous perdre pour enfin retrouver le chemin débarrasser enfin de certains poids.

Une belle aventure livresque , c’est “ Ce qui arrive la nuit ” lorsqu’on se laisse envoûter par la plume élégante de Peter Cameron.

Un roman qui pourrait bien inspirer Woody Allen s’il était un jour en manque d’inspiration.

C’est publié chez Christian Bourgois, et c’est à découvrir très vite.

Pour info :

Né en 1959 dans le New Jersey, Peter Cameron est un romancier et nouvelliste américain. Il est notamment l’auteur de Week-end (Rivages, 1995, trad. Suzanne Mayoux), Andorra (Rivages, 2000, trad. Suzanne Mayoux) ou encore Là-bas (Rivages, 2003, trad. Suzanne Mayoux), adapté au cinéma en 2009 par James Ivory sous le titre The City of Your Final Destination.

Mary Toft ou la reine des lapins

Mary Toft La reine des lapins de Dexter Palmer aux Éditions de La Table Ronde

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Sylvie Homassel

Il fut un temps, où les monstres fascinaient, à tel point qu’ils étaient présentés dans les foires itinérantes. À l’occasion ces curiosités de la nature, femme à barbe, femme à deux têtes, homme tronc, étaient réunies lors d’expositions sous chapiteau, et contre quelques sous, le public principalement masculin, le spectacle étant vivement déconseillé au regard des femmes, pouvaient les découvrir.

À l’époque, la croyance avait encore ses entrées dans le monde de la science, et imputait ces monstres à la mauvaise vie de certaines femmes.

Alors, en 1726 lorsqu’une paysanne de Godalming donna naissance à un lapin mort, il y eut de quoi en désarçonner plus d’un, a commencé par le médecin de cette campagne, John Howard

Les naissances se poursuivirent, le médecin complètement dépassé par ces événements décida d’en informer ses confrères londoniens.

“ Et c’est ainsi que commencèrent les ennuis de John Howard. ”

Mary Toft est désormais entre les mains de nombreux accoucheurs londoniens, devenant un vrai sujet d’étude et se verra même transporter à Londres où même la presse s’est emparée de la rumeur, au point que même le roi s’intéresse à l’affaire.

[…] L’énigme médicale est d’une telle nature que le roi d’Angleterre en personne a manifesté quelque intérêt pour elle ; et c’est pour cela qu’on l’a fait venir ici. L’histoire est absurde, comme je le disais, conclut Matthew en se carrant contre le dossier de la chaise, bras croisés. Mais à l’origine de ce genre d’histoires, il y a toujours un grain de vérité, non ?

– Si j’avais de la facilité à m’exprimer en prose, dit Manningham, je pourrais vous montrer en détail à quel point l’histoire est grotesque. Pour l’heure, les mots me manquent.

Est-ce un miracle, une monstruosité, une punition divine, ou simplement une supercherie ?

La rumeur bat son plein et n’épargnera ni le milieu médical, ni le milieu politique.

Dexter Palmer nous offre une véritable curiosité littéraire à travers une plume de toute beauté et des personnages on ne peut plus surprenants. Une histoire qui montre bien à quel point la médecine peut devenir sujet de controverse quand chaque médecin y met son grain de sel. même supervisée par le roi. Tout comme pour la rumeur qui prend parfois des proportions hallucinantes, notre actualité nous le rappelle chaque jour.

Alors si vous êtes prêt pour une aventure ahurissante, n’hésitez pas à faire connaissance avec Mary Toft, la reine des lapins, ça vous changera d’Alice au pays des merveilles et de son ami lapin toujours en retard.

L’arbre de colère

L’arbre de colère de Guillaume Aubin aux Éditions La Contre Allée

“ – Ce n’est pas une histoire que l’on raconte près du feu. Ce n’est pas une histoire dont on peut être fier. Tu n’étais certainement pas encore née quand les Yeux-Rouges ont massacré les notre. Combien d’hivers as-tu ?

– Douze ou treize.

– Alors tu venais de naître. Ou tu étais encore à naître. Tu veux que je te raconte ? Ça ne va pas te plaire.

– Raconte-moi. ”

Oui, Guillaume Aubin, toi l’écrivain raconte moi l’histoire de Fille-rousse, cette jeune fille issue d’une Première Nation, surprends-moi, éblouis- moi, emmène moi sur les terres canadiennes faire connaissance avec Les Yeux-Rouges et les Longues-Tresses, les chamanes, fait moi goûter le qaa,

Présente-moi ces tribus, fait moi découvrir leurs vies, leurs coutumes et leurs combats.

“ Le soleil éclaire à peine les cimes, et déjà on meurt. ”

Partage avec moi l’histoire de cette fille mystérieuse, qui semble arrivée de nulle part, qui a grandi auprès des Yeux-Rouges, entourée de garçons, qui refuse son statut de fille et préfère la chasse et la pêche, espérant être une Peau-Mêlée, se sentant différente, un être à part homme et femme à la fois.

“ […] Je mime l’aigle qui survole le camp. Les cailloux qui parlent au contact de l’eau. Les nuages au-dessus de l’Ile-Esprit. Le fruit rouge dans la fiente. La forêt qui abrite l’âme malheureuse. Enfin j’ouvre les peaux qui recouvre mon ventre et je montre l’enfant. L’enfant déesse. L’enfant qui ne voulait pas mourir avant d’avoir vu le monde. […] – Sages des clans de la truite, du renard et du castor ; voici Fille-Rousse, l’enfant de la prédiction. Celle dont parlent nos ancêtres depuis la création du grand cercle du monde. ”

Raconte-moi sa lutte pour se faire accepter, son courage, sa détermination, son rite de passage qui lui fera quitter l’enfance.

“ Le lac est sacré, il me dit. Il va te laver de ton enfance. Ton enfance partira , avec les courants jusqu’à la mer, là où se retrouvent les enfances de tous les Yeux-Rouges. ”

Raconte-moi les légendes de l’Ile-Esprit, du Grand-Ours et du Grand-Loup.

Raconte-moi le changement des saisons, parle-moi de l’été vert et de l’hiver blanc.

Parle-moi des Barbes, ces envahisseurs avec qui vous faites des échanges.

“ Chaque année ils viennent plus nombreux. Nous, les habitants, nous sommes encore du vieux monde. Nous pensons que la forêt est bien assez grande pour abriter quelques personnes de plus. Alors que c’est le contraire qui se passe. Les Barbes viennent jusqu’à ce que la forêt soit trop petite pour les abriter tous. Ils finiront par prendre nos terres. ”

Oui raconte-moi l’histoire fascinante de Fille-Rousse, ce bébé qui survécu au pied de l’arbre de colère.

Raconte-moi…

Depuis des milliers de jours et de lunes, je me passionne pour ces tribus indiennes à qui on a quasiment tous pris, année après année. Une passion qui m’a conduite à me rendre à plusieurs reprises sur leurs terres en Amérique mais aussi au Canada. Alors dès qu’un roman leur fait honneur, en attendant mes futurs voyages je m’y plonge avec plaisir et quel bonheur de les retrouver et d’en découvrir un peu plus sur leurs vies passées.

Le plaisir est d’autant plus grand lorsque l’auteur nous surprend en nous offrant une nouvelle héroïne, à travers une histoire atypique où la poésie apaise la brutalité de certaines scènes.

Tout en nous emportant auprès des Premières Nations, nous refaisant découvrir leur culture, leurs traditions ancestrales, et même la violence des rites et des combats, il aborde la bispirualité, via le personnage fascinant de Fille-Rousse, dans ce récit sauvage qui nous envoûte jusqu’à la dernière page.

Vous, qui comme moi, restez fascinés par les Indiens, vous qui avez apprécié à leurs justes valeurs, les romans de Richard Wagamese, ou de Michel Jean, vous devriez prêter une attention particulière à cette plume à l’écriture sensuelle et ensorcelante, afin de faire connaissance avec une peau-mêlée, une héroïne courageuse, inoubliable, lancée dans une quête effrénée de liberté.

Un premier roman, publié aux éditions de La Contre Allée, à découvrir d’urgence.

Pour Info:

Après avoir fait des études d’ingénieur, Guillaume Aubin est devenu libraire, tout en restant un inconditionnel footballeur amateur.

Depuis son enfance, il rêve d’une société utopique dans la forêt, projet imaginé avec ses cousins et cousines.

Guillaume Aubin est lauréat du Prix du Jeune Écrivain 2015 et 2016, respectivement pour ses nouvelles « Phosphorescence » et « Punk à chien », publiées dans les recueils Et couverte de satin et La vie est une chose minuscule, aux éditions Buchet Chastel.

En 2017, il collabore avec le peintre Julien Des Monstiers dans le livre Peaux, aux éditions de la ménagerie, qui fait dialoguer leurs deux univers.

Un arche de lumière

Un arche de lumière de Dermot Bolger aux Éditions Joëlle Losfeld

Traduit de l’anglais (Irlande) par Marie-Hélène Dumas

“ Quand elle l’aida à s’habiller, le matin de son mariage, la mère d’Eva trahit son malaise en lui prenant la main et en lui disant d’un ton sérieux : « Il y a une chose que tu ne dois jamais perdre de vue. Quoi que la vie te réserve, promets-moi de te battre bec et ongles pour le droit au bonheur.» ”

Avant que les mots bien avisés de sa mère lui reviennent en mémoire, Eva fut mariée à Freddie, pendant près de vingt-trois ans et lui donna même deux enfants, Une fille, Hazel et un garçon, Francis.

À l‘aube des années 1950, se séparer était impensable pour la bienséance Irlandaise, dans une société qui ne reconnaît pas le divorce, surtout chez les bourgeois.

Freddie Fitzgerald issue de cette caste bourgeoise, fut pourtant bien obligé de laisser partir Eva, lorsque celle-ci choisit de reprendre sa liberté.

“ Elle se retrouvait peut-être sans le sou, pourtant être séparée de son mari lui procurait suffisamment de consolation pour rendre la vie de nouveau enthousiasmante. À Dublin, elle rencontrait continuellement des gens comme elle, des esprits libres, bien qu’hésitant parfois à révéler leurs croyances personnelles. Des alliés si différents les uns des autres que réunis ils pouvaient s’affronter, de jeunes artistes exaltés et des fonctionnaires apparemment guindés, camouflant leur idéalisme derrière le conservatisme de façade dont, en public, ils étaient obligés de faire preuve. ”

Enfin libérée de son rôle d’épouse, elle continuera à être une mère aimante, proche de ses enfants et même très protectrice envers Francis qui s’avère être bien plus fragile et qui doit cacher son homosexualité, pour éviter toutes répercussions du côté de son père et de la population Irlandaise.

“ Maintenant que Francis et Hazel avaient pris leur indépendance, Eva craignait de se laisser aller à se sentir vieille et à s’apitoyer sur son sort. Mais depuis son arrivée en Espagne, elle avait compris qu’elle restait au fond d’elle-même un minuscule pétale content de s’envoler au gré de la quête qu’elle poursuivait afin de découvrir sa raison d’être sur cette terre. ”

Loin de sa prison domestique, Eva commence une vie de bohème à Dublin, en passant par le Maroc, L’Espagne, le Kenya où sa fille s’est installée avec son mari et sa fille, Alex, revenant à Londres, par intermittence pour finir en Irlande dans le comté de Wexford.

“ […] elle n’éprouvait aucune nostalgie, pour ce qui avait été, par intermittence, sa maison pendant plus d’un demi-siècle. La nostalgie était un sentiment dangereux qui servait d’excuse devant la peur du changement. ”

Très attachée à son indépendance, préférant parfois la compagnie des animaux, elle n’en demeura pas moins une belle personne à l’écoute des autres, toujours très accueillante, aimant les échanges et les longues discussions, avec ses enfants, sa petite fille, ses hôtes et parfois ses fantômes qui lui susurraient parfois à l’oreille : « Crache un peu de vie un peu plus loin.»

Jusqu’à son dernier refuge, cette « Arche de lumière », une caravane blottie en pleine nature où elle fera une dernière rencontre qui nous permettra de connaître son histoire, sa vie de femme libre, où elle s’est battue jusqu’à la fin pour « Son droit au bonheur.»

Tout comme Paul Éluard le dit : « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous. » et lorsque Dermot Bolger rencontra la première fois Sheila Fitzgerald, un premier rendez-vous qui sera suivi de bien d’autres, il était loin de se douter que cette belle personne, emplie d’empathie prendrait vie sous les traits d’Eva dans ce magnifique roman qu’il a pris grand soin d’écrire et de réécrire pendant dix ans.

Et même si comme il le précise lui-même, Une arche de lumière est une fiction, inspirée du vécu de cette femme, on ressent la nature extraordinaire de cette femme, et on aimerait avoir eu le privilège de la rencontrer.

Fiction ou pas ce roman est magnifique et pour ceux qui connaissent mon indépendance ne seront pas surpris que j’ai tant d’admiration pour cette femme libre, au parcours aussi atypique qu’exceptionnel, possédant de l’empathie et une volonté incroyable pour faire en sorte de toujours aller bien malgré les épreuves qu’elle traverse, gardant près de son cœur ses chers disparus, poursuivant vaille que vaille sa route.

J’attendais ce rendez-vous littéraire avec l’impatience que vous connaissez, de plus en plus amoureuse de la littérature irlandaise, loin d’imaginer à quel point ce roman allait me boulverser, mais aussi me conforter dans mes choix de vie, tout en m’aidant à toujours croire au bonheur, car même après la douleur il reste toujours un chemin qui nous y mène à ce bonheur que ce soit à travers un livre, une balade, un souvenir, il suffit juste d’ouvrir la porte de son cœur, comme Sheila, comme Eva…

Il suffit (par exemple) juste de se laisser porter jusquUne arche de lumière et se laisser porter par la magnifique plume de Dermot Bolger, pour avoir rendez-vous avec la beauté littéraire.

C’est publié par Joëlle Losfeld et c’est un pur bonheur.

Étreins-toi

Étreins-toi de Kae Tempest aux Éditions de l’Arche

Traduit de l’anglais par Louise Barlett

Donne-lui un visage qui est bon, qui m’appartient

A une femme que tu connais

Qui est forte

Et qui croit qu’il est bon de mal faire.

Donne-lui un corps qui respire profondément la nuit

Qui est chaud, infini ; aussi total que la lumière.

Laisse-la vivre. […] ”

En s’aventurant entre ces pages, Kae Tempest nous offre une traversée poétique et revisite à sa manière le mythe de Tiresias, ce prophète aveugle qui fut transformé en femme puis en homme par Héra.

Avec une certaine sensibilité, Kae Tempest apporte une dimension personnelle sur l’identité du genre, du désir, une douce harmonie du corps et de l’esprit. Il ou elle, ni l’un ni l’autre mais plutôt les deux à la fois.

“ Il a appris à oublier

Sa douleurs et ses regrets

Il marcha seul, les jambes comme deux flammes.

Il est devenu sale et fatigué, assoiffé,

à la ville suivante

il a décidé de s’arrêter au bar.

Et alors il a vu : quel que soit le chemin parcouru,

Tu ne seras jamais plus loin que là où tu es. ”

En sortant des sent battus, nous ne sommes pas à l’abri d’une belle rencontre, et découvrir cette auteur.e non binaires absolument surprenante qui nous offre une ode à l’amour, à la vie, à la poésie tout en balançant au passage certaines vérités bien placées.

“ Avant

Tu étais damnée pour les choses que tu faisais,

Ou si tu ne vivapas comme les villageois vivaient.

Maintenant

On te tend le moule et interdit – rentre là-dedans.

Et peut-être un jour tu seras une célébrité. ”

Une belle errance littéraire tout à fait étonnante .

Pour info :

Née en 1995 à Londres, Kae Tempest est une figure majeure de la scène culturelle internationale, auteur.e d’une oeuvre littéraire retentissante et d’albums de musique au succès planétaire (Everybody Down, Let Them Eat Chaos, The Book Of Traps And Lessons). Sa bibliographie se compose d’un roman, du récent essai Connexion, de théâtre et de poésie. En 2013, Les nouveaux anciens est couronné par le prestigieux prix Ted Hughes. En juillet 2021, Kae Tempest reçoit le Lion d’Argent de la Biennale de Venise pour son oeuvre poétique publiée aux éditions de L’Arche.

Poursuite

Poursuite de Joyce Carol Oates aux Éditions Philippe Rey

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Auché

Abby, une jeune femme de vingt ans vient de se marier avec Willem. Même si cette union semble la réjouir, elle semble tourmentée. Un terrible cauchemar récurrent a refait surface quelques jours avant la cérémonie.

Dans ce cauchemar, elle erre dans un champ peuplé d’ossements humains.

“ Dans son sommeil elle avait senti que c’était imminent, ce rêve de squelettes. Car d’abord il y a la prémonition, une sensation de paralysie dans tes membres et un engourdissement dans tout ton être, un pressentiment de quelque chose de vraiment horrible que tu ne dois pas regarder et que tu es tout de même obligée de regarder dans le rêve parce que tu n’as pas le choix.

Mais pourquoi la veille de son mariage ? Pourquoi ce vieux rêve affreux de son enfance … ”

Willem sent bien qu’Abby lui cache quelque chose, mais son amour pour elle est immense alors il ne va pas s’étendre sur ses secrets, quels qu’ils soient. Mais lorsque Abby se retrouve à l’hôpital après avoir été renversé par un bus, une terrible inquiétude le gagne.

Était-ce vraiment un accident ?

Et pourquoi se réveille-t’elle en hurlant chaque nuit ?

“ Elle n’en n’est pas fière, mais elle a trompé Willem Zengler à de nombreuses reprises. Même avant leur fiançailles. Pas avec d’autres hommes. Pas avec des garçons. Elle a plutôt trompé Willem comme elle a trompé d’autres gens en leur dissimulant la véritable nature de son âme, qui est tachée, ternie, aussi immonde qu’une éponge sale.

Tout ce qui m’arrive de mal, je le mérite.

Je ne mérite rien de ce qui m’arrive de bien. ”

Mais avant de pouvoir confier à Willem, ce qui la poursuit, il va falloir qu’elle remonte le fil du temps, et qu’elle tente de se souvenir de son enfance, de son père qui était séparé d’elle et de sa mère depuis son retour d’Irak. Un couple déchiré qui semble tous deux l’avoir abandonné du jour au lendemain.

Ce que j’en dis :

Depuis Confessions d’un gang de filles je ne rate aucune sortie de la grande écrivaine Joyce Carol Oates, gardant même précieusement certains à lire pour plus tard afin de ne jamais manquer de belles lectures.

Poursuite est on ne peut plus surprenant dès le départ. Sous une tension extrême, on découvre ce jeune couple tout juste marié et déjà confronté à la douleur.

Avec brio comme à son habitude, Joyce Carol Oates explore les méandres de la mémoire perdue suite à des traumatismes liés à l’enfance, à la famille.

Afin de se protéger, pour une question de survie, la jeune femme inconsciemment a oublié, tout en étant consciente qu’il lui manque certains souvenirs qui semblent resurgir à travers un cauchemar récurent.

Un véritable drame familial se profile à l’horizon et lorsqu’enfin les souvenirs reviennent c’est glauque, violent diablement féroce.

Un roman noir psychologique époustouflant à la hauteur de son extraordinaire palmarès.

Pour info :

Joyce Carol Oates née le 16 juin 1938 à Lockport dans l’État de New York, est une femme de lettres américaine, à la fois poétesse, romancière, nouvelliste, dramaturge et essayiste.

Sur les terres des loups

Sur les terres des loups de Cherie Dimaline aux Éditions Buchet Chastel

Traduit de l’anglais (Canada) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné

Longtemps après que le sel d’os apporté avec soin de la lointaine rivière Rouge eut été réduit en poussière, que les mots avec lesquels on l’avait répandu ne furent même plus un murmure et que le dialecte dans lequel on les avait prononcés fut remplacé par le français commun, les histoires mettant en scène le rougarou empêchaient la communauté de rompre son cercle, de dépasser les bornes. Quand les gens oubliaient ce qu’ils avaient souhaité au départ – un endroit où habiter, une communauté épanouie -, lui s’en souvenait et, à pas feutrés, il revenait la nuit, aussi léger que la poussière d’étoiles, sur la route asphaltée depuis peu. Et le rougarou, le cœur rempli de ses propres légendes mais le ventre vide, réapparaissait pour hanter ses terres. Mais aussi pour chasser.

Sur les bords du lac Huron, après avoir été chassé de l’île Drummond en 1828, vivent des sang-mêlé, enfants de coureurs des bois français et de mères issues des Premières Nations, ainsi que des Métis originaires de Manitoba.

Une fois de plus, ils se retrouvent obligés de défendre leur territoire, petit à petit volé par les nouveaux arrivants, réussissant tant bien que mal à sauvegarder le village, Arcand, au bout d’une route de terre.

C’est dans ce village que vivaient Joan et son mari Victor. Mais depuis un an, elle est seule. Victor a disparu un soir après une dispute où il avait tenté de la convaincre de vendre la terre de ses ancêtres à des promoteurs.

Joan, ne peut s’empêcher de penser à une légende de son enfance disant que si tu agissais mal, tu risquais d’être enlevé par le Rougarou.

Et lorsqu’un soir après une soirée un peu trop arrosée, une voix familière sortant d’une tente évangélique l’attire et la confronte à un homme ressemblant étrangement à Victor, qui prétend être le révérend Eugene Wolf, des doutes l’assaillent.

Aidée de son neveu et de la Chamane du village, elle suivra les traces de cet homme même si elle doit se confronter au Rougarou pour retrouver son homme et mettre un terme à ce projet d’expropriation qui menace une fois de plus sa communauté.

“ Quelle que soit la communauté qui les revendique, les rougarous se distinguent par quelques traits particuliers. Ils ont une drôle d’odeur, mélange de pelage mouillé et de sueur humaine. Ce sont des hommes qui se métamorphosent en animaux pour différentes raisons – chaque conteur à sa version. ”

J’ai à peine quitté les terres indiennes, gardant une tendresse particulière Pour celui qui veille rencontré dans le dernier roman de Louise Erdrich, que je me retrouve Sur les terres des loups, emportée par la belle plume de Cherie Dimaline qui aborde à sa manière le combat d’une femme, prête à tout pour retrouver son amour perdu, et surtout garder la terre de son peuple que des promoteurs sans scrupules espèrent leur arracher, se cachant sournoisement derrières des évangélistes endoctrinés qui prennent parfois les allures du Rougarou, tant redouté, cette créature mi-homme mi-loup issu des légendes de son enfance.

Un récit captivant qui nous confronte aux sorts qui sont réservés aux autochtones, tout en nous faisant découvrir le mythe du Rougarou.

Alliant l’imaginaire et l’Histoire, l’auteure nous embarque dans une chasse à l’homme au côté d’une femme courageuse très attachée à ses racines qui refuse d’abdiquer face au destin qu’on tente de lui imposer.

Une voix de la communauté Métis de la baie Géorgienne au Canada qui rejoint tous les écrivains porte-parole du peuple “ Amérindien ” qui grâce à leurs récits, nous permettent d’en découvrir un peu plus sur leur culture, leurs traditions, leurs Histoires si riches et nous aident à ne jamais les oublier.

Un roman formidable, une aventure extraordinaire qui ne manque ni d’humour ni d’émotions que je vous invite vivement à découvrir.

Pour info :

Cherie Dimaline est originaire de la communauté autochtone Métis de la baie Georgienne au Canada.

Elle a grandi entre Toronto et la baie, bercée par les histoires de son peuple.

Tour à tour assistante de magicien, conservatrice de musée, directrice d’un fonds d’investissement et d’un centre d’accueil pour les femmes, elle se consacre aujourd’hui à l’écriture.