Braconniers de Tom Franklin aux Éditions Albin Michel
Traduit de l’américain par François Lasquin
“ Désormais, quand je reviens ici, à Dickinson, je n’y suis plus vraiment chez moi. Après tout, j’ai quitté cet endroit, j’ai fait des études, il ne reste pas grand-chose de mon accent traînant, j’ai même épousé Une Yankee. Et lorsque j’y reviens, comme c’est le cas à présent, pour y chasser des détails qui enrichiront mes récits, j’ai l’impression de braconner sur des terres qui ne m’appartiennent plus. Mais j’ai toujours besoin de mon Alabama à moi, de le révéler tel qu’il est, vert, luxuriant, mortifère. Alors j’y reviens, avec le langage que j’ai acquis. Je retourne à ces lieux où la vie s’éteint à petit feu, et j’y braconne des histoires. ”
S’imaginer au coin d’un feu de cheminée dans une cabane de trappeurs et écouter ces nouvelles braconnées en Alabama, loin des lieux touristiques par un conteur, capable de plonger dans ses souvenirs pour nous offrir des histoires authentiques.
Le sud profond de cette région, un cadre parfait pour cette atmosphère sombre et violente, où l’on devient un homme après son baptême de chasse, si l’on a fait couler le sang.
» Ce soir- là, assis sur mon flanc de colline, j’étais un homme, qui avait déjà versé le sang et ne demandait qu’à en verser encore. »
Tel un braconnier, l’auteur vole ces fragments de vies à ces gens au plus profond de leur intimité, en passant par leurs secrets bien enfouis, leurs rêves inaboutis, inavouables, ravagés parfois par la drogue et l’alcool et subissant une pauvreté pas toujours méritée.
» La pauvreté, je vais vous dire ce que c’est. C’est quand on se fait plaquer par sa femme parce qu’on n’a pas été foutu de dégoter un boulot vu que du boulot y’en a nulle part. »
Entre ces lignes circulent des armes à feu, de la violence, des âmes perdues, des corps blessés en mal d’amour, des chasseurs, des pêcheurs, des animaux, des glandeurs, des ivrognes, des vivants, des morts, des pacifistes et des criminels. Tous ont une histoire, leur histoire, même si elles finissent mal en général.
» (…) redoutant – tout en l’espérant du fond du cœur. »
En digne chasseur, Tom Franklin traque et reste à l’affût du moindre détail qui enrichit sa prose et la rends admirable. Une plume puissante qui fait rêver.
« Ça serait facile d’oublier tout ce qu’on sait de la vie en contrebas, de s’imaginer qu’on est au fond de quelque abysse marin, un gouffre où des silhouettes noires se meuvent entre les colonnes, où des bancs de créatures indécises flottent comme des nuages. »
Et finir en beauté, avec cette nouvelle « braconniers » qui à elle seule est un petit diamant noir. Une histoire tragique qui a obtenu une multitude de prix aux USA, et dont on rêve qu’elle grandisse et devienne un roman.
Des braconniers dont il faut pourtant se méfier…
» Ils ont besoin que d’une chose, c’est qu’on leur foute la paix. Dans la forêt, ils sont chez eux. Les gens devraient savoir qu’il faut pas venir leur chercher d’emmerdes. »
Déjà conquise par son magnifique roman Dans la colère du fleuve, co-écrit avec sa femme, Beth Ann Fennelly, une histoire passionnante de bootleggers, j’ai été ravie de retrouver la plume talentueuse de Tom Franklin. Un auteur qui rejoint mon palmarès des grands noms de la littérature américaine, et qui me donne envie de poursuivre ma traque en terres d’Amérique à travers cette prodigieuse collection des éditions Albin Michel.
Si ça ce n’est pas de bonnes nouvelles !
Tom Franklin est élevé dans la région rurale de Clarke County, au sud-ouest de l’Alabama, non loin du cadre où se dérouleront la plupart de ses romans. Il s’inscrit à l’Université de l’Alabama à Huntsville, puis à l’Université de l’Arkansas.
Sa carrière littéraire, influencée par les œuvres sudistes de Cormac McCarthy et Flannery O’Connor, s’amorce avec la publication en 1999 de Braconniers (Poachers), un recueil de nouvelles.
En 2001, il obtient une bourse Guggenheim.
Son premier roman, paru en 2003, La Culasse de l’enfer (Hell at the Breech), dont le récit est fondé sur des faits historiques, se déroule en 1890 quand Macy Burke, un adolescent blanc miséreux, tire accidentellement sur le riche commerçant Arch Bedsole.
Tom Franklin obtient le Los Angeles Times Book Prize, dans la catégorie romans policier/thriller, en 2010 et le Gold Dagger Award en 2011 pour Le Retour de Silas Jones (Crooked Letter, Crooked Letter) qui raconte l’amitié entre deux adolescents que la classe sociale et la couleur de la peau devraient séparer, dans le milieu étouffant et tendu d’une petite ville du Mississippi des années 70.
Il est le mari de la poétesse Beth Ann Fennelly avec qui il écrit et publie, en 2013, Dans la colère du fleuve (The Tilted World), roman qui a pour toile de fond la crue du Mississippi de 1927.
Tom Franklin est professeur à l’université du Mississippi.
Je remercie les Éditions Albin Michel pour ces bonnes nouvelles d’Amérique.