Ohio

Ohio de Stephen Markley aux Éditions Albin Michel

Traduit de l’américain par Charles Recoursé

” Il est difficile de dire où cela s’achève et même où cela a commencé, car on finit par se rendre compte que la linéarité n’existe pas. Tout ce qui existe, c’est ce lance-flammes délirant, ce rêve collectif dans lequel nous naissons, voyageons et mourons. “

New Canaan, une petite ville de l’Ohio a vu grandir ces quatre trentenaires qui sans le savoir vont se croiser un soir d’été.

Ils étaient camarades au lycée avant de prendre chacun une route vers leur destinée qu’ils osaient rêver prometteuse.

En premier lieu, Bill Ashcraft, ancien activiste humanitaire aujourd’hui toxicomane. Il transporte avec lui un mystérieux paquet qu’il est supposé livrer dans le coin.

” Au- delà de sa mission et de toutes ces conséquences, il n’avait pas été mécontent de fuir quelques jours La Nouvelle-Orléans et sa chaleur nucléaire. Il s’y sentait autant à l’étroit qu’à New Canaan. C’était l’unique leçon qu’il tirait de ses voyages : où qu’on aille, même si tout paraît neuf quand on débarque, au bout du compte c’est toujours les mêmes bars, la même bouffe, les mêmes meufs, la même politique, la même picole, les mêmes drogues, les mêmes emmerdes. “

Puis Stacey Moore homosexuelle, venue rencontrer la mère de son ex-petite amie et également son frère espérant régler ses comptes.

” Même s’il se trouvait encore à plusieurs kilomètres à l’ouest, elle perçut la présence du lycée. Sans avoir besoin de le voir, elle le sentit comme une démangeaison,. Un bloc d’architecture réglementaire dégueulasse, une pièce de Lego avec la petite touche autoritariste des années soixante. Elle était fascinée par le pouvoir du lycée américain sur l’imaginaire collectif. Depuis longtemps elle avait remarqué que les gens considèrent, leurs années de lycée comme une période fondatrice. Il suffisait de les lancer sur le sujet et d’un coup ils avaient plein d’histoires terrifiantes et merveilleuses qui étaient le terreau d’autant de romans.  »

Puis nous croiserons Dan Eaton, ce jeune vétéran qui a laissé un œil en Irak, qui s’apprête à retrouver son amour de jeunesse tout en se raccrochant désespérément à la vie.

 » L’histoire est faite de cycles et nous en sommes le produit, même si nous ne les comprenons pas sur le moment. Cycles de la politique, de l’exploitation, de l’immigration, de l’organisation, de l’accumulation, de la distribution, de la peine, du désespoir, de l’espoir. La grande erreur, se disait Dan, c’est de croire qu’on vit un moment inédit. Mais toute sa vie il avait gardé cette sensation dans la poitrine : le déjà-vu. Comme s’il connaissait déjà ce moment mille ans avant sa naissance et le connaîtrait encore mille ans après sa mort. “

Et enfin Tina Ross, qui a décidé de se venger de celui qui hante son esprit depuis trop longtemps.

 » Désormais elle ne voyait plus New Canaan que par les yeux de Cole : un bled pourri qui ne s’améliorait pas. La nostalgie protégeait le reste.[…] Comment lui expliquer la tristesse de cette ville, ses tragédies. Au moment où elle en était partie, elle avait gravée dans le cœur l’idée d’une malédiction, celle dont toute la ville parlait. […] Quel soulagement ce serait de ne plus avoir tout le temps peur et tout le temps mal . “

Quatre voix, les voix de la jeunesse américaine, une jeunesse meurtrie, désenchantée, qui s’enlise depuis les attentats du 11 septembre, subissant la récession, la montée du prolétarisme et la fin du rêve américain.

Et pourtant chacun d’entre eux ira jusqu’au bout de cette journée pour atteindre le but final.

Ce que j’en dis :

En donnant la voix à quatre personnages, l’auteur nous entraîne à travers des allers retours entre le passé et le présent dans la ville de New Canaan dans l’Ohio, un coin perdu de l’Amérique.

À travers ces quatre portraits qui reflètent tel un miroir la jeunesse américaine assez désœuvrée, une jeunesse en perdition accro à l’alcool. à la drogue, à l’amour et même pour certains à la guerre, l’auteur brouille les pistes, fragmentant les souvenirs pour nous offrir un roman noir grandiose.

Un véritable jeu de pistes, qui en une demi-journée va nous révéler des secrets vieux d’une dizaine d’années.

Ohio est ce qui s’apparente le mieux au grand roman américain.

Un roman ambitieux, qui en impose, par son impertinence, son intelligence, son réalisme face à cette jeunesse déboussolée qui chute après chute a perdu tout espoir de se relever un jour pour enfin s’élever vers l’illusion du rêve américain.

Un premier roman qui marque l’entrée du jeune artiste Stephen Markley dans la cour des grands auteurs américains à suivre absolument.

Pour info :

Né en 1983, Stephen Markley est originaire de l’Ohio.

Il s’impose avec ce premier roman comme un formidable cartographe de l’Amérique contemporaine et de ses fractures, dans la lignée de Jonathan Franzen.

Son roman est en cours d’adaptation télévisée.

Je remercie les Éditions Albin Michel pour cette fresque américaine vertigineuse.

9 réflexions sur “Ohio

    1. dealerdelignes

      C’est toujours un plaisir de vous lire, vos publications me mettent toujours en joie, cette collection est merveilleuse. À bientôt et merci de prendre le temps de passer par ici 🙏😘

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    1. dealerdelignes

      Suis vraiment désolée que ce voyage ne t’ait pas embarqué autant que moi et t’ait un peu laissé en rade au bord de la route …on n’a pas toujours l’âme voyageuse au beau fixe… 😘😘😘

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