Nous aurions pu être des princes d’ Anthony Veasna So aux Éditions Albin Michel. Collection Terres d’Amérique
Traduit de l’américain par Héloïse Esquié
“ C’est la période qui ressemble à une révélation jusqu’à ce qu’elle soit oubliée à mesure qu’on vit sa vie, car il n’y a rien d’exceptionnel à passer sa vie d’adulte dans le trou du cul de la Californie, ce trou qu’un responsable gouvernemental quelconque a jugé digne d’une bande de réfugiés lacérés par leur stress post-traumatique, un trou du genre intolérant au succès, qui lâche des rêves comme il lâcherait des pets. ”
Une nouvelle peut être plus ou moins longue ou courte selon les points de vue et pourtant en quelques pages raconter une grande histoire, révéler le passé responsable du présent, raconter une tragédie, une histoire familiale, un héritage douloureux, une quête d’identité, un état des lieux de l’Amérique, et offrir des fragments de vie aussi foisonnants qu’un grand roman. Et si en plus l’écriture est magnifique, elles deviennent d’autant plus précieuses.
“ C’est bizarre, j’ai vécu ici, dans cette ville, toute mon existence, mais je ne dirais pas vraiment que c’est chez moi. ”
Anthony Veasna So était un jeune américain d’origine cambodgienne disparu en 2020 à l’âge de 28 ans. Il laisse derrière lui ce fabuleux recueil de nouvelles contemporaines, aussi audacieuses que pertinentes et rends un bel hommage à toutes les familles cambodgiennes réfugiées aux États-Unis après avoir quitté leur pays, victimes du génocide orchestré par les Khmers rouges dans les années 70.
“ Comme c’est comique, se dit Sothy : des dizaines d’années après les camps, elle vit ici, au centre de la Californie, elle y possède un commerce, elle y élève ses filles cambodgiennes nées américaines, des adolescentes en bonne santé et têtues, et pourtant, dans cette nouvelle vie qu’elle s’est créée, ses mains en vieillissant sont devenues celle de sa mère. ”
Installée en Californie, ces familles portent en elles les douleurs de l’exil, et mine de rien les transmettent à leurs enfants tout comme les traditions, et c’est avec tout ce poids que la nouvelle génération devra se construire.
Et même si la jeunesse subit les traumatismes des anciens, ce lourd tribu semble leur imposer une obligation de réussite. Certains y parviennent et pour d’autres le chemin de la réussite est plus difficile à trouver.
“ Ils imaginèrent un avenir détaché de leurs erreurs passées, de l’histoire dont ils avaient hérité, un monde dans lequel – sans questions, sans hésitations – ils accompliraient les actes simples auxquels ils pensaient, dont ils discutaient, dont ils rêvaient. ”
D’une nouvelle à une autre, l’histoire de ces familles apparaissent, des anciens à la nouvelle génération qui tente par-dessus tout de s’affranchir de la douleur en profitant au maximum des plaisirs de la vie.
“ […] un, Superking Son était un trou du cul ( un trou du cul certes tragique, mais un trou du cul quand même), deux, nous avions trop de trous du cul dans nos vies de merde; et, trois, nous n’avions pas assez de papier Q pour faire front. Que dire de plus pour notre défense ? Nous n’avions pas que ça à faire. ”
Des nouvelles saisissantes, quelque peu irrévérencieuses qui ne manquent pas d’humour, d’un jeune écrivain prometteur, récompensé par plusieurs prix littéraires dont le John Leonard Prize du National Book Critics Circle et le Ferro-Grumley Award for LGBT Fiction, qui méritent toute notre attention pour ne pas oublier cette étoile littéraire précieuse qui s’est éteinte bien trop tôt.
J’hésite, j’hésite !
J’aimeAimé par 1 personne
Tu peux hésiter, les nouvelles c’est toujours particulier.
J’aimeAimé par 1 personne
Oui, ça passe ou ça casse…
J’aimeAimé par 1 personne