Lady Chevy

Lady Chevy de John Woods aux éditions Albin Michel, collection Terres d’Amérique

Traduit par Diniz Galhos.

Mon enfance m’a endurcie, a fait de moi une louve solitaire. Dix-huit ans, et je n’ai jamais eu de petit copain. Aucun mec ne m’a proposé de sortir avec lui. Zéro lettre d’amour. Je me suis toujours sentie moche et indigne d’être aimée. Mais j’éprouve plus le moindre ressentiment envers aucun d’entre eux, même quand en souriant, d’un ton amical, chaleureux, ils m’appellent Chevy. J’ai appris à rire avec eux, à me cacher derrière de la timidité et une résolution acharnée. Et à l’intérieur, tout au fond de moi, j’ai une boule de colère rouge sombre qui me tient chaud. ”

La vie n’est guère facile pour cette jeune fille dans ce trou perdu de l’Ohio. Pas étonnant qu’Amy alias Chevy, surnommée ainsi par ses camarades ne rêve que de quitter cet endroit si elle parvient à obtenir une bourse universitaire.

Amy est loin d’être idiote, elle sait qu’elle en est capable et pourtant elle est attachée à ce lieu où elle vit.

“ Nous habitons à une grosse dizaine de kilomètres de Barnesville, sur la propriété familiale de mon père. Une forêt dense, des collines qui s’enflamment de rouge et d’or, un silence de début d’automne. J’essaye de me convaincre que ça ne me manquera pas. ”

Cette région est depuis quelques années complètement dévastée depuis que l’industrie du gaz de Schiste a pris possession de nombreuses terres en dédommageant les propriétaires d’un faible revenu auquel beaucoup d’entre eux n’ont pas résisté, tant la précarité de certaines familles est devenue difficile.

Un faible enrichissement pour toutes ses familles, et un appauvrissement de la terre à jamais.

“ Mais même ainsi, pas moyen d’y échapper. Dans ces collines, les morts ne sont jamais loin. ”

D’ailleurs Amy est persuadée, que ces fracturations sont responsables de l’empoisonnement des terres, de la pollution de l’air et de l’eau mais également de l’état de santé de son petit frère né avec de nombreuses malformations,

Une indignation qui va petit à petit la conduire vers une révolte inévitable qui prendra vie un soir où sans le vouloir au départ, elle va devenir complice de l’opération dangereuse orchestré par son meilleur ami Paul.

“ Dans les ténèbres, je me sens à l’aise, je me sens puissante. Peut-être y’a t’il vraiment de la cruauté en moi. Acquise ou innée, je n’en sais rien. Peut-être que je voulais simplement voir ce qui arriverait. Peut-être que je voulais sortir de l’ombre et prendre part à ce combat. Peut-être que personne ne sait pourquoi les gens agissent comme il le font. ”

Évidemment la police intervient, mais l’indomptable Amy, loin d’être impressionnée même si elle voit ses projets menacés, ne laissera personne détruire ses rêves.

“ S’il est vrai que j’ai une âme, celle-ci est noire. Et si le diable existe bien, alors qu’il m’emporte. ”

John Woods a grandi dans les Appalaches de l’Ohio, un endroit qui semble possédé les écrivains, les inspirant pour nous conter des histoires incroyablement douloureuses avec des personnages inoubliables qui s’ajoutent aux récits de David Joy, de Larry Brown, de Donald Ray Pollock, ou encore Ron Rash.

Car Lady Chevy est un formidable récit de cette veine, et rejoints dès le premier roman ce panel d’auteurs incontournables de la littérature américaine. La belle littérature noire qui s’illumine sous la plume d’écrivains talentueux.

À travers le portrait d’Amy, cette jeune fille pleine de rêves, on découvre une région rongée par les effets secondaires de la fracturation, où la pollution entraîne une dégradation écologique irréversible causant également des dommages collatéraux sur la santé de la population environnante qu’elle soit humaine, végétale ou animale.

En faisant davantage connaissance avec Amy, on compatit mais on s’interroge également sur ce qui aurait pu être susceptible de la conduire sur cette voix de violence extrême qui semble être inévitable.

Entre son grand-père adepte du KKK, son oncle vétéran qui semble toujours habité par la violence de la guerre, le harcèlement qu’elle subit à l’école, l’état de santé de son petit frère, et les conséquences désastreuses sur sa région depuis l’arrivée de l’industrie du gaz de schiste, tout un amalgame s’ajoutant les uns aux autres et qui fait que l’Amérique part à la dérive entraînant au passage, telle une tornade, une jeune fille à l’avenir prometteur dans un cercle de violence inimaginable.

John Woods nous offre un roman noir extraordinaire qui n’épargne pas la sensibilité des lecteurs tout en nous offrant une anti-héroïne mémorable.

Une plume remarquable, qui rend grâce aux Appalaches et à ses habitants à travers une histoire bouleversante.

Pour info :

John Woods sera présent au salon Quais du polar de Lyon du 1er au 3 avril.

2 réflexions sur “Lady Chevy

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