Minuit dans la ville des songes de René Frégni aux éditions Gallimard
“ À partir de ce chêne s’ouvre un éventail d’itinéraires secrets, effacés, dissimulés, à réinventer. Tant que j’aurai des jambes, j’en choisirai un chaque jour, comme on tire d’une bibliothèque un livre qu’on a lu dix fois. Je ne me lasse pas de ces chemins, de l’énigme si calme de leur beauté, de leur mystère, on croit les connaître et on se perd dans la lumière du troisième vallon, aussi facilement qu’au détour d’un chapitre de William Faulkner. ”
Il suffit bien souvent de quelques pages, pour que d’emblée la magie des mots nous emporte, nous offrant des passages de toute beauté promettant déjà une errance littéraire d’exception.
La plume de René Frégni que je découvre enfin (honte à moi), est de cette veine et me prouve une fois de plus que cette rencontre était inévitable, tant ma passion pour la lecture et le bonheur qu’elle me procure est en accord parfait avec l’écrivain, et je ne suis pas au bout de mes surprises.
“ Qu’est-ce qui m’a poussé vers les mots, irrésistiblement, que vais-je chercher sous chaque mot, depuis cinquante ans, que je ne trouve pas dans la vraie vie ? ”
L’écriture de René Frégni s’est nourrie, s’est enrichie, au cours de ses errances, au fil des années, des chemins parcourus, de ses expériences, des mots puisés dans les nombreuses lectures qui ont jalonné son existence.
“ J’ai passé toutes ses années à ramasser des mots partout, au bord des routes, dans les collines, sur les talus du printemps, les bancs des gares, le quai des ports, dans la rumeur sous-marine des prisons, les petits hôtels dans lesquels je dors parfois, les villes que je traverse, les mots que j’aimerais prononcer lorsque je regarde, ébloui, certains visages de femmes, ceux que soulèvent en moi l’injustice et l’humiliation, les mots qui font bouger mon sommeil, la nuit, et qui sont sans doute la clé de tous les mystères. ”
Une écriture rebelle,solaire, envoûtante, parfois nostalgique, qui nous invite à suivre le long parcours de sa vie parsemée de voyages et de lectures, nous plongeant dans ses souvenirs pour découvrir l’homme devenu écrivain.
“ J’étais redevenu un vagabond, mal rasé, hirsute, un vagabond de mots dans un voyage de songes. ”
On fait connaissance avec l’enfant, le cancre, le délinquant juvénile, le miliaire insoumis, le solitaire, le lecteur insatiable, l’amoureux de ces femmes croisés dans les romans et parfois dans la vraie vie, tout comme l’attachement à ses personnages rencontrés au hasard de ses précieuses lectures, et surtout à Giono, un auteur qu’il admire tant et dont il ne se lassera jamais.
“ Jamais je n’avais ressenti une chose pareille, en lisant. Je regardai sur la couverture le nom de l’auteur, Jean Giono… Par quel tour de magie cet homme m’emportait dans le Sud brûlant où j’avais grandi. Mon corps était traversé de bruits, d’odeurs, de silence, de souvenirs, d’émotions… […] J’étais assis sur une planche, dans une obscurité totale, j’ai compris soudain ce qu’était la lecture, la puissance colossale des mots. Cette journée allait déterminer le reste de ma vie, ce voyage infini vers les mots. Au fond de ce puit d’ombre, j’étais un évadé. ”
Mais aussi le lien fort avec sa mère, étant tellement désolé de l’inquiéter autant…
“ Tout ce qu’elle me lisait était beau à pleurer, à hurler. Je détestais les livres d’école, je n’aimais que la voix de ma mère. ”
L’errance se poursuit et je découvre des lieux qu’il me plairait d’arpenter, des livres que je désire lire depuis si longtemps et ceux que l’on a en commun et que je vénère tout autant, et toutes ces pensées qui rejoignent les miennes.
“ Le hasard propose parfois quelques instants de bonheur, peu malins ceux qui s’en écartent. ”
“ J’avais l’âge du hasard. ”
Et m’apercevoir que lorsque je pointais le bout de mon nez en 68, René Frégni dans sa vingtième année, savourait ses lectures en Corse le jour et faisait danser la foule la nuit derrière ses platines, me rappelant que bien plus tard qu’on m’appelait aussi professeur lorsque j’attendais mes copines toujours en lisant au café de la gare avant d’aller danser en discothèque.
Puis l’aventure continue vers la Turquie, puis retour à Manosque, puis Aix et la découverte de la vie d’étudiants, et son premier véritable job auprès des fous qui lui permettra enfin d’échapper à une sentence, mettant un terme à sa vie de fugitif pour enfin faire ses premiers pas d’écrivain, jusqu’à la consécration ultime, le premier roman.
« Quitte tout, pars ! Au diable les fous ! Écris un roman ! »
Le hasard était au rendez-vous, charmée par l’écriture et le récit intimiste de ce rebelle amoureux des mots et des livres où j’ai laissé les heures m’emporter jusqu’à Minuit dans la ville des songes, en compagnie d’un rêveur, un conteur hors pair qui s’émerveille devant chaque beauté du monde qu’elle soit dans les livres ou sous ses yeux.
“ Sans ce colonel, cet aumônier, sans la sombre révolte d’Ange-Marie, et ces murs que nous devions franchir, coûte que coûte, en lisant, en rêvant, en refusant, serais-je devenu écrivain ? ”
Un fugueur impétueux que seul les mots pourront apprivoiser.
Un écrivain comme j’Aime avec un grand A.
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