Lëd de Caryl Férey aux Éditions Les Arènes

“ Qui voulait vivre ici ? Il neigeait deux cent soixante jours par an – soit l’équivalent de dix tonnes de neige par habitant –, dont cent trente de tempête, quand le pourga devenait bourane, ce vent arctique qui filait du trente mètres à la seconde. Dès – 30°C, rester dehors présentait un risque mortel. Les jours de blizzard, les ferrailles volaient des toits, les enseignes, des magasins – des dangers constants dont on faisait peu de cas. ”
Perdue au milieu de la Russie, au nord du cercle polaire arctique se situe Norilsk, une ville industrielle qui abrite depuis une centaine d’années une exploitation de nickel et de palladium.

Chaque jour, l’usine rejette un gaz toxique dégageant une odeur épouvantable qui fait de cette endroit la ville la plus polluée du monde, en plus d’être la plus froide avec ses températures extrêmes qui peuvent descendre sous les 60°C.
C’est dans ce décor apocalyptique permanent, que l’on découvre après un ouragan arctique, le corps d’un Nenets, un éleveur de Rennes, près des décombres d’un immeuble.
Boris, flic flegmatique, banni d’Irkoutsk est chargé de l’affaire.
“ Le minerai alimentant l’industrie de la guerre, Norilsk était passée de statut de ville secrète sous Staline à celui de ville fermée : aujourd’hui encore, on n’y parvenait qu’avec l’assentiment du FSB, lequel delivryles tampons aux comptes gouttes. Il n’était pas question que le lieutenant Ivanov en revienne : une prison en liberté, voilà le sort qu’on lui avait réservé… Les adieux à l’aéroport d’Irkoutsk avaient été terribles, avec son père surtout.
Enfin Boris s’était fait à ses chaînes.
L’âme russe était né pour ça. ”

Dans cette prison à ciel ouvert, au cours de son enquête, Boris va faire connaissance avec cette jeunesse qui s’épuise à la mine, cherchant des échappatoires parfois dangereux au milieu de la corruption qui règne en maître, où chacun se surveille mutuellement et semble suspect.
La pollution tue a petit feu la population, et dans ce climat glacial une nouvelle menace rôde apportant dans son sillage une violence extrême qui détruira les entêtés cherchant à faire justice.
“ Sa présence est un obstacle à leur chute à venir, ils ne le savent pas et lui non plus : il avance au portant, car le vent s’est relevé. Le calme n’était qu’une escarmouche, relatif et mordant le blanc nocturne qui luit sous ses yeux. Pas de suspension sur ce nid de tonnerres, de repos en ces moments décharnés, les proies sont rares et les abris peu sûrs. Des blocs de pierre qui sentent la pisse froide et leur humeur domestique. […] Il le sent là au fond des trop, ce cri qui lui remonte à la gorge ; non, impossible de le retenir, de contenir cet instinct…Il cherche quelqu’un à tuer. ”
Ce que j’en dis :
Déjà 25 ans que cet écrivain baroudeur nous offre des romans noirs assez déchirants, puisant son inspiration dans les pays où il se rend, rendant hommage aux personnages qu’ils croisent sur son chemin en les mettant admirablement en scène dans ses histoires.

C’est en 2012 que je le découvre à travers Mapuche, une enquête qui nous transporte au cœur de l’Argentine. Un roman noir époustouflant, avec des personnages inoubliables qui m’ont bouleversé et qui ont fait de moi une lectrice fidèle à cette plume rebelle, engagée, incontournable.
Si vous pensiez avoir déjà croisé l’enfer dans ses précédents romans, attendez-vous à pire une fois débarqué à Norilsk. Et pourtant dans cette ville glaciale, délabrée, polluée, déprimante, de premier abord si peu accueillante vous risquez de tomber amoureux de certains personnages, ces russes courageux toujours prêt à tant de sacrifices.
Une enquête qui semble servir de prétexte pour nous permettre de faire connaissance avec les habitants de Norilsk en nous plongeant dans leur quotidien, où malgré la dureté de leur vie, ils savent prendre du bon temps, s’accrochant pour certains à un rêve même s’il sont conscients que leur espérance de vie est courte et se consume plus vite qu’une cigarette.
La plume stylée de Caryl Férey, toujours engagée et pleine d’humanité nous offre un récit dense, intense où malgré la noirceur de l’histoire les aurores boréales illuminent le cœur de chaque personnage lié à cette histoire. Un magnifique hommage à cette jeunesse Russe qui a croisé sa route dont on comprend qu’il en revienne bouleversé avec une folle envie de les coucher sur papier pour ne jamais les oublier.

Une fois de plus il revient de l’enfer avec dans ses bagages de nouveaux souvenirs, de nouveaux amis, de nouvelles anecdotes et un nouveau roman noir stupéfiant qui m’a fait verser quelques larmes tant les émotions sont fortes.
Il entre dans l’Arène, toujours fidèle à Aurélie Masson, et nous offre un spectacle glaçant qui le conduit pourtant au sommet de son art.
Fidèle je suis, fidèle je resterai.
Pour info :

Caryl Férey écrit des romans noirs dont l’action se situe le plus souvent à l’étranger ainsi qu’une série consacrée à l’enquêteur borgne Mc Cash. Breton de cœur, vivant à Paris, il écrit aussi pour la musique, le cinéma, la radio, le théâtre, la jeunesse et participe à des revues de voyage.
Je remercie Les Arènes pour virée glaciale qui pourtant réchauffe le cœur.
Je l’ai découvert l’an dernier avec Paz, j’avoue que son style est percutant !
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J’adore et c’est toujours en rapport avec ses voyages, et les personnes qu’il a rencontré, il s’investît à fond dans chacun de ses projets et c’est un aute qui n’a jamais abandonné, tu en as à découvrir du coup, c’est super.
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